La tendance

Des messages à la Turquie et à ses maitres
par Pierre Khalaf

La destruction d’un chasseur turc Phantom F-4 par la DCA syrienne, vendredi 22 juin, constitue un développement qualitatif qui montre que la crise syrienne prend de plus en plus une dimension régionale qui risque d’avoir des répercussions incalculables dans tout le Moyen-Orient.

La Turquie joue un rôle de premier plan dans l’entrainement, le financement et le recrutement des insurgés qui se livrent à une véritable guerre contre la Syrie. Des camps d’entrainement sont supervisés par des instructeurs militaires turcs et les services de renseignements d’Ankara fournissent un soutien inestimable aux rebelles qui exécutent des ordres directement émis par les autorités turques, comme l’enlèvement des onze pèlerins libanais dans la région d’Alep, il y a un mois. Le quotidien américain New York Times a par ailleurs indiqué, jeudi 21 juin, que des responsables de la CIA travaillent secrètement dans le sud de la Turquie pour aider les alliés de Washington à déterminer quels combattants de l’opposition syrienne recevront des armes pour combattre le régime du président Bachar al-Assad. Citant les responsables américains et des agents de services de renseignements arabes, le quotidien rapporte que les armes comportent des fusils automatiques, des lance-roquettes, des munitions, des armes antichars, introduites en majorité via la frontière turque, avec l’aide d’un réseau d’intermédiaires, dont des militants des Frères musulmans. Cet armement est financé par la Turquie, l’Arabie saoudite et le Qatar, poursuit le quotidien.

Dans le cadre du soutien apporté aux insurgés syriens et aux « afghans arabes » (faut-il les appeler mercenaires ?), la collecte d’informations tient une place de première importance. Selon des sources bien informées, l’aviation turque et les satellites de l’Otan sont impliqués depuis des mois à une intense activité pour transmettre des informations aux rebelles sur les mouvements de l’armée syrienne, ses effectifs engagés sur le champ de bataille et ses points de ralliement et de déploiement. C’est ce qui a permis, par exemple, aux insurgés, d’occuper par surprise la ville de Hiffé, et d’autre localités, sans grandes difficultés, car ils savaient à l’avance la taille et la force de l’adversaire qu’ils ont en face d’eux. Lorsque les renforts arrivent, ils sont très vite délogés, essuyant de lourdes pertes. Entre-temps, la machine médiatique occidentale, qui tourne à plein régime, aura fait tout le tapage possible et imaginable autour des « localités martyrs », dans l’espoir d’exercer des pressions assez fortes pour marquer des points au Conseil de sécurité. Mais jusqu’à présent, la Russie, la Chine et leurs alliés ne se sont pas laissés déstabiliser par ces stratagèmes politico-médiatiques qu’ils ont déjà expérimentés en ex-Yougoslavie, en Irak, et, plus récemment, en Libye.

En abattant l’appareil turc, la Syrie a voulu transmettre des messages dans plusieurs directions : d’abord, qu’elle est au courant du rôle joué par la Turquie ; qu’elle n’hésitera pas à défendre sa souveraineté quels qu’en soient le prix et les conséquences ; et qu’elle dispose des armes, du savoir-faire et de la volonté nécessaires pour cela.

Selon des informations sûres, le F4 a été abattu quelques secondes seulement après avoir pénétré dans l’espace aérien syrien. Il a été touché non pas par un missile mais par des tirs d’une batterie de DCA, reliée à un dispositif de radar. Cela montre l’efficacité et la performance de la défense anti-aérienne syrienne. Cela devrait faire réfléchir tous les va-t-en-guerre qui appellent à une intervention militaire en Syrie en pensant qu’il s’agirait d’une promenade, comme en Libye.

Un porte-parole militaire syrien avait déclaré que la DCA syrienne avaient tiré sur un objectif aérien « non identifié » survolant à basse altitude et à grande vitesse les eaux territoriales syriennes, à environ 1 Km de la terre ferme, à partir des côtes, le touchant de plein fouet. « L’objet en question s’est avéré être un avion militaire turc », a indiqué le porte-parole, précisant que, touché, l’appareil a pris feu et s’est abîmé en mer. « L’appareil en question est tombé dans les eaux territoriales syriennes à 10 kilomètres du littoral syrien à l’ouest du village d’Oum Touyour, dans la province de Lattaquié », a précisé le porte-parole, indiquant que les autorités ont agit suivant les lois internationales en vigueur.

Après avoir laissé entendre, par la bouche du président Abdallah Gul, que le F4 avait peut-être violé l’espace aérien syrien, la Turquie a fait marche arrière dimanche soir. « D’après nos conclusions, notre avion a été abattu dans l’espace aérien international, à 13 milles nautiques de la Syrie », a dit Ahmet Davutoglu.

Le belliqueux ministre des Affaires étrangères, jadis auteur de la théorie du « zéro problème avec les voisins », avant de procéder à un virage de 180 degrés, a insisté sur le fait que le F-4 Phantom volait seul et n’avait « aucune mission, y compris de collecte d’informations, au dessus de la Syrie ».

Ces deux sons de cloche montrent l’existence de divergences au sein du haut commandement turc, entre ceux qui veulent éviter l’escalade qui risque de provoquer un conflit armé régional, et ceux qui n’hésitent pas à jouer avec le feu, quelles qu’en soient les conséquences.

La Turquie a donc réclamé dimanche une réunion urgente de l’Otan, invoquant l’article 4 du traité fondateur de l’Alliance atlantique, qui prévoit que les pays membres puissent porter une question à l’attention du Conseil de l’Alliance et en débattre avec les alliés, a souligné une source diplomatique turque sous couvert d’anonymat. La réunion est prévue pour mardi. Cet article stipule que « les parties se consulteront chaque fois que, de l’avis de l’une d’elles, l’intégrité territoriale, l’indépendance politique ou la sécurité de l’une des parties sera menacée ».

Haussant le ton, Ankara a prévenu Damas de ne pas défier militairement la Turquie. « Personne ne peut se permettre de mettre à l’épreuve les capacités militaires de la Turquie », a affirmé Ahmet Davutoglu, qui semble avoir troqué son costume-cravate contre un treillis militaire. « Personne ne peut menacer la sécurité de la Turquie », a-t-il ajouté, ignorant le fait que c’est la Turquie qui menace la Syrie en violant sa souveraineté et en armant les insurgés qui sont installé dans des camps sur son territoire.

Mais si Ankara ne le sait pas, ou fait semblant de ne pas le savoir, Washington est parfaitement consciente que toutes les actions menées par le commandement militaire syrien interviennent avec la bienveillante compréhension de la Russie.

A bon entendeur salut.

Le Frère musulman Mohammad Morsi déclaré officiellement vainqueur

Le Frère musulman Mohammad Morsi a remporté la présidentielle égyptienne face à l’ancien Premier ministre de Hosni Moubarak, Ahmad Chafik, selon les résultats officiels annoncés, dimanche, par le président de la commission électorale, Farouk Soltan. M. Morsi a obtenu plus de 13 millions (51,73%) de voix contre plus de douze millions à son rival Ahmad Chafik (48,27%). Le taux de participation était de 51%, contre 46% au premier tour.

Peu après l’annonce des résultats, les Frères musulmans ont indiqué qu’ils poursuivraient leur sit-in sur la place Tahrir au Caire pour protester contre les dispositions constitutionnelles prises récemment par l’armée, qui permettent à celle-ci de continuer à contrôler largement le pouvoir. « Le sit-in va se poursuivre jusqu’à l’annulation de la déclaration constitutionnelle complémentaire », a dit un responsable de la confrérie, Mohammad al-Beltagui, à la télévision.

Candidat des Frères musulmans, M. Morsi, est le premier islamiste à être parvenu à la tête de l’Egypte et le premier président élu depuis le départ de Hosni Moubarak en février 2011 à la suite d’une révolte populaire. Le président élu a salué dimanche l’armée et la justice pour avoir assuré le bon déroulement de la présidentielle. « Je rends un hommage particulier à la justice en Egypte, aux forces armées et de police pour avoir protégé le processus démocratique », a dit M. Morsi, en référence à la présidentielle.

Le chef du Conseil suprême des forces armées (CSFA), qui gère la transition en Egypte depuis le départ de Hosni Moubarak, a félicité Mohammad Morsi. « Le maréchal Tantaoui a félicité M. Morsi », a annoncé la télévision d’État dans un bandeau à l’écran.

Mahmoud Zahar, un haut dirigeant du Hamas dans la bande de Gaza, a déclaré que la victoire du candidat des Frères musulmans est un « moment historique » pour le Moyen-Orient. « C’est une nouvelle ère qui s’ouvre en Égypte. Il s’agit d’un revers pour le programme de normalisation et la coopération sécuritaire avec l’ennemi israélien », a estimé M. Zahar.

Israël aussi rendu hommage au « processus démocratique » en Égypte et souhaite poursuivre sa coopération avec Le Caire, selon un communiqué du Bureau du Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu. « Israël apprécie le processus démocratique en Égypte et respecte les résultats de l’élection présidentielle », a indiqué ce communiqué. « Israël entend poursuivre sa coopération avec le gouvernement égyptien sur la base du traité de paix signé en 1979 par les deux pays », a-t-il ajouté.

Déclarations et prises de positions

 Benoit XVI, pape de l’Église catholique

« J’affirme ma proximité aux grandes souffrances des frères et des sœurs de Syrie, en particulier des petits innocents et des plus faibles et demande que ne soit épargné aucun effort pour la paix. Que notre prière, notre engagement et notre fraternité aident les Syriens à ne pas perdre la lumière de l’espérance en ces moments d’obscurité. J’élève aussi un pressant et douloureux appel pour que, face au besoin urgent de la population, soit garantie la nécessaire assistance humanitaire. »

 Nabih Berry, président du Parlement libanais

« Ce qui se passe à l’intérieur des camps palestiniens est extrêmement dangereux et inquiétant. Il est inadmissible de porter atteinte au moral de l’Armée libanaise qui a défendu et protégé les Libanais et les Palestiniens de l’ennemi israélien. Je crains l’existence d’un complot visant à entrainer les camps de réfugiés sur la voie de la fitna. »

 Samy Gemayel, député et numéro 2 du parti des Phalanges libanaises

« Le Liban est grand ouvert à tous les groupes fondamentalistes terroristes, et nous ignorons qui téléguide ces groupes. Sunnites et chiites se craignent mutuellement, les chrétiens craignent les deux, et les druzes tout le monde. Il est important que les armes du Hezbollah soient sous le contrôle de l’État. Le fédéralisme n’est pas impossible mais le choix le plus approprié reste la décentralisation élargie. »

 Walid Joumblatt, leader druze libanais

« Il faut une solution politique apaisante pour le pays, même si celle-ci intervient au détriment de toutes les forces politiques. Il est possible de surmonter les problèmes auquel le pays est confronté, notamment au niveau gouvernemental, du moment que les intentions sont bonnes. Je reste au gouvernement jusqu’à nouvel ordre. Je ne soutiens pas et ne comprends pas les appels du 14 Mars à une démission du Cabinet. Je n’ai aucun problème à ce qu’ils reprennent le pouvoir, mais pousser au départ du gouvernement dans les circonstances actuelles mènerait à une détérioration de la situation politique et sécuritaire. Accepteraient-ils de porter ce fardeau ? A moins qu’ils n’aient une solution magique pour résoudre la crise dans le pays. Concernant l’électricité, il est temps que l’on assume nos responsabilités. Il existe des prêts à taux bonifiés du Koweït, d’autres pays et des compagnies privées qui sont prêts à financer la construction de nouvelles centrales. La mauvaise gestion par un parti oblige les citoyens à rester dans le noir, ne leur laissant comme unique choix que de brûler des pneus pour dénoncer cette politique. »

 Boutheina Chaababe, conseillère du président Bachar al-Assad

« Le principal objectif de la politique occidentale à l’égard de Damas est de renverser le régime laïc en Syrie et de rayer ce pays de la liste des États dotés d’une armée puissante. Il y avait trois États laïcs dans la région : la Syrie, le Soudan et l’Irak. Le Soudan est actuellement divisé en deux États, et une invasion a été déclenchée contre l’Irak. Maintenant, les États occidentaux et leurs alliés régionaux cherchent à détruire le régime laïc en Syrie. »

Revue de presse

  As Safir (Quotidien libanais proche de la majorité, 22 juin 2012)
Imad Marmal

Les participants au dialogue national sont profondément divisés au sujet de la définition de la stratégie de défense : pour le 14-Mars, elle est synonyme de désarmement du Hezbollah, alors que pour le 8-Mars, il s’agit de bien ancrer l’harmonie entre l’armée, le peuple et la Résistance, une formule qui avait fait ses preuves par le passé. Tout en se montrant ouvert à un débat sur cette stratégie, le Hezbollah prend le chemin du Palais de Baabda armé d’une logique à toute épreuve, dont les grandes lignes sont les suivantes : les armes de la Résistance sont parfaitement légitimes ; avant de débattre d’une éventuelle intégration de la Résistance dans l’armée, il faudra réunir les conditions nécessaires à une armée forte, disposant des moyens et équipements nécessaires et pouvant surtout compter sur une décision politique fondée sur des choix clairement exprimés ; le fait de placer les armes de la Résistance sous le contrôle politique de l’État actuel sera une aventure inconsidérée : les clivages profonds entre Libanais paralysent l’État, incapable de prendre les décisions appropriées. Et l’on sait que la Résistance tire sa force de son autonomie, qui lui permet de prendre l’initiative aussi rapidement qu’il le faut. Il en ressort, selon cette analyse, que la meilleure formule pour une stratégie de défense réaliste serait de préserver et de faire évoluer l’expérience passée, celle de l’harmonie entre la résistance et l’État. Une expérience réussie, qui montre d’ailleurs qu’il n’existe aucune contradiction entre la logique de la Résistance et celle de l’État.

  As Safir (21 juin 2012)
Marlène Khalifé

Le président russe Vladimir Poutine a réussi à pousser son homologue américain, Barack Obama, à adopter le discours diplomatique de la Russie qui évite d’évoquer le départ ou le maintien du président Bachar al-Assad à la tête du régime syrien. Pendant l’entretien qui a duré deux heures et demi, consacré en partie à la crise en Syrie, à Los Cabos, au Mexique, Obama a évité de mentionner cette question.

Poutine a donc réussi à écarter cette question délicate « qui ne sert à rien d’être mise sur le tapis », et à conserver des canaux ouverts avec les Américains au sujet de l’organisation de la conférence internationale sur la Syrie « sans conditions préalables », selon une source diplomatique bien informée. Ces contacts seront couronnés par une réunion, le 28 juin, entre la secrétaire d’Etat Hillary Clinton et le ministre russe des Affaires étrangères, Serguei Lavrov, en marge d’un congrès international, à Saint-Pétersbourg.

Dans la forme, une certaine froideur a dominé la rencontre Poutine-Obama. Mais on ne peut pas en dire autant sur le fond. Les deux présidents ont exposé leurs points de vue concernant la crise syrienne. Les Russes ont réitéré leur position sur la nécessité d’aider les Syriens à s’asseoir autour de la table du dialogue et à mettre un terme au cycle de la violence, sans intervention étrangère. Les Américains ont pour leur part réaffirmé la nécessité d’établir un cadre bien défini pour le dialogue, sans mentionner le sort du président Assad, faisant l’impasse sur l’expression qu’ils répètent depuis un an sur la nécessité du départ du chef de l’Etat syrien.

Les Russes pensent que la conférence internationale sera organisée le 30 juin à Genève conformément à la vision de Moscou et à son approche du règlement de la crise syrienne. Ce qui signifie que les Etats-Unis ont concédé un rôle central et fondamental pour la Russie dans l’affaire syrienne. Aussi, il n’est plus possible de commencer le processus politique par le départ de Bachar al-Assad, car Moscou rejettera avec force cette logique, ajoute la source diplomatique.

  As Safir (20 juin 2012)

Le ministre de l’Intérieur Marwan Charbel a reconnu que tout pouvait arriver sur le plan de la sécurité au Liban, compte tenu de la situation explosive en Syrie mais aussi en raison de l’absence de concorde interlibanaise. Il a indiqué que les forces de sécurité ne lésinaient pas sur les moyens pour préserver un degré acceptable de stabilité. Appelant à blinder politiquement la situation sécuritaire dans le pays, le ministre a ajouté que « c’est ce que doit faire le dialogue national, appelé à remédier à nos points faibles pour qu’ils ne soient pas instrumentalisés par telle ou telle partie désireuse de semer le chaos dans notre pays ». Et de poursuivre : « Le moment n’est pas propice à des discussions sur les armes du Hezbollah. La priorité doit aller à la préservation et à la survie du Liban. Après quoi, nous débattrons des armes du Hezbollah et de ce que nous en ferons ». Concernant le gouvernement, il a souligné que si le gouvernement Mikati s’en va sans un accord préalable sur une alternative, le pays sera plongé dans une forte tension.

  An Nahar (Quotidien libanais proche du 14-Mars, 21 juin 2012)

Des contacts sont en cours entre Beyrouth et Paris pour préparer une visite du président Michel Sleiman en France, fin juin ou début juillet. La date définitive sera toutefois tributaire de l’emploi du temps du président François Hollande, son agenda étant chargé de rendez-vous internationaux en plus d’une visite qu’il compte effectuer en Algérie pendant la première semaine de juillet. La visite de Sleiman à Paris, qui sera l’occasion de féliciter le président Hollande pour sa victoire aux présidentielles, illustre la volonté du chef de l’Etat français de donner une nouvelle impulsion aux relations bilatérales. Les deux présidents avaient déjà eu l’occasion d’avoir une conversation téléphonique dernièrement, pendant laquelle le président Hollande a présenté ses condoléances à son homologue libanais pour le décès de Ghassan Tuéni. Il a également été question, pendant cet entretien, de la dégradation de la situation en Syrie, et de son impact inquiétant sur le Liban et la région. François Hollande a assuré que la France et ses alliés au sein de la communauté internationale rejettent toute violation de la souveraineté des pays voisins de la Syrie. Il s’est également félicité de l’accueil par le Liban des réfugiés syriens et a rappelé que les pays européens ont mis à la disposition du Liban une aide d’un montant de 10 millions d’euros. Il s’est ensuite réjoui de la convocation du dialogue national par le président Sleiman –un dialogue qu’il a qualifié de nécessaire, aujourd’hui plus que jamais.

  An Nahar (21 juin 2012)
Emile Khoury

Le problème n’est plus de savoir si le gouvernement actuel va rester ou partir mais de dire qu’il n’y a pas d’alternative à l’équipe ministérielle actuelle, même si l’intérêt du Liban exige le contraire.

Par le passé, la formation de gouvernements se heurtait à des divergences entre le président de la République et le Premier ministre, ou entre celui-ci et certains blocs parlementaires. Ces tiraillements portaient sur la répartition des portefeuilles et l’identité des ministrables. Depuis que le système de « démocratie consensuelle » a été imposé comme un fait accompli, dans le prolongement du processus de Taëf, les conflits sont plus graves et portent sur les prérogatives du Premier ministre, le tiers de blocage, le pouvoir étendu des ministres… Mais la stabilité politique, sécuritaire et économique du Liban, voulue par les Arabes, les puissances régionales et la communauté internationale, appelle au maintien du gouvernement actuel. Non pas par amour pour cette équipe ministérielle, mais par souci de préserver la stabilité. Car si le cabinet tombe sans que son remplaçant ne soit disponible et agréé à l’avance par toutes les parties locales et étrangères influentes, le risque de vide de pouvoir devient grand. C’est ce qui explique le maintien du gouvernement en dépit de ses échecs répétés dans tous les domaines. Sa préservation reste, pour le Liban, plus saine que le vide au niveau du pouvoir exécutif. Surtout que ce n’est pas le moment, pour les forces régionales et internationales, de se préoccuper de la situation au pays du cèdre. Les pays concernés ont assez de problèmes en Syrie. Pour le moment, il est demandé de préserver le statu quo au Liban, et rien de plus.

  Al Akhbar (Quotidien libanais proche de la majorité, 22 juin 2012)
Hassan Olleik

Selon des responsables du Courant du Futur, Saad Hariri ne cesse de multiplier les erreurs et les faux pas. Démoralisés, ils précisent que la participation de leur courant au dialogue national n’a fait qu’ajouter à leur désenchantement. Ils s’élèvent contre le principe même d’une telle participation alors que le Courant du Futur l’avait conditionnée à une chute du gouvernement, mais aussi contre l’attitude de l’ancien Premier ministre Fouad Siniora, lors de la première séance de dialogue. Siniora les a déçus, il n’a pas été à la hauteur de leurs attentes. Il a même, disent-ils, outrepassé le mandat qui lui avait été accordé, en approuvant le manifeste de Baabda, qui n’a fait aucune mention du Tribunal spécial pour le Liban (TSL). C’est comme s’il présentait ses lettres de créance à l’autre partie avec, en perspective, un possible retour au Grand Sérail à l’avenir.

  Al Akhbar (20 juin 2012)
Radwan Mourtada

Les principaux militants islamistes recherchés par la justice libanaise n’ont pas quitté définitivement le camp palestinien d’Aïn el-Héloué. Il est apparu qu’ils avaient seulement procédé à un déplacement tactique. Les responsables qui sont allés en Syrie se sont répartis les tâches dans le projet du « jihad pour soutenir Ahl el-Sunna » (les sunnites). Certains ont rejoint les rangs de la « révolution syrienne » en tant que cadres supérieurs, alors que d’autres sont revenus avec une mission bien définie, qui consiste à réorganiser militairement Fatah al-islam et à recruter de nouveau membres. L’argent est disponible, ainsi que la scène du Jihad. Les informations indiquent que ces militants travaillent sous la bannière du Front al-Nosra et ont juré de « régler leur compte au Rafida.

Tous ces développements se déroulent dans le camp d’Aïn el-Héloué, bien que l’ambiance ne soit pas très différente dans les autres camps de réfugiés. Des sources dignes de confiance font état de l’arrivée dans les camps d’un nombre important de militants venus de plusieurs pays arabes. Ces « étrangers », comme on les appelle, sont des émissaires d’Al-Qaïda, chargés de restructurer l’appareil militaire du mouvement, qui a été adoubée par l’organisation mère. Le repris de justice, Haitham S., est récemment revenu à Aïn el-Héloué, en compagnie d’un autre libanais, après l’avoir quitté il y a deux mois. D’autres militants sont restés en Syrie, où ils occupent des responsabilités militaires et opérationnelles. L’un d’eux a été blessé et certains sont basés dans la campagne de Damas. Des informations en provenance de l’intérieur du camp indiquent que Haitham S., qui a dirigé les rescapés de Fatah al-Islam, occupe le poste d’émir de l’organisation ressuscité, secondé par un ressortissant yéménite. Il est revenu avec d’importants moyens financiers, utilisés pour lancer un vaste mouvement de recrutement.

Au Liban-Nord, la situation n’est pas moins dangereuse. Les groupes salafistes actifs au sein de la révolution syrienne, basés au Nord, ont gagné le territoire syrien ces derniers jours pour participer aux combats. Ils ont comme instruction de résister jusqu’à l’expiration du feu vert donné par la Russie au régime syrien afin qu’il lance une vaste offensive militaire. Une grande partie de ces combattants sont intégrés au bataillon salafiste Al-Farouk, actif à Homs. Ils sont préparés à faire face à l’énorme puissance de feu que l’armée syrienne pourrait utiliser dans le cadre de cette offensive. Par ailleurs, avec l’intensification des combats à Qoussair et Zabadani, des centaines d’insurgés pourraient fuir vers le Liban. Des structures d’accueil ont été mises en place pour les absorber et leur fournir les moyens d’être opérationnels à partir du Liban-Nord.

  Al-Moustaqbal (Quotidien libanais appartenant à la famille Hariri, 21 juin 2012)

Le président du Conseil de transition libyen (CTL) Moustapha Abdel-Jalil a annoncé dans un entretien avec la chaîne de télévision al-Arabiya que l’enquête libyenne sur la disparition de l’Imam Moussa Sadr est achevée. « L’enquête menée par la justice libyenne a révélé d’importants détails, une première dans cette affaire », a déclaré M. Abdel-Jalil lors de l’entretien. « Nous attendons les résultats du test d’ADN », que les autorités libanaises devaient effectuer sur le corps présumé de l’Imam, a-t-il ajouté. En avril, des médecins légistes libyens avaient effectué des tests ADN sur des restes humains retrouvés dans un cimetière en Libye et qui pourraient être ceux de l’imam Moussa Sadr, selon les nouvelles autorités libyennes. Le chef de la diplomatie libanaise, Adnane Mansour, avait toutefois démenti ces informations à son retour de Libye.

  L’Orient-Le Jour (Quotidien francophone libanais proche du 14-Mars, 22 juin 2012)
Scarlett Haddad

À quelques jours de la tenue de la seconde réunion de ce nouveau « round » du dialogue national, la situation générale du pays prend de plus en plus une allure de pourrissement généralisé. Les institutions publiques, avec à leur tête le gouvernement, perdent chaque jour un peu plus de leur crédibilité auprès des citoyens, écrasés sous le poids aussi bien de la chaleur que des conditions de vie déplorables. Mais il n’y a pas que cela, toutes les structures qui pourraient rassembler les Libanais au delà des confessions et des partis politico-religieux sont en train d’être discréditées soit par des scandales, soit par leur impuissance. Sans parler de l’armée, chaque jour en butte à des critiques ou à de nouveaux incidents de nature à la présenter comme hostile à une catégorie de citoyens ou de résidents au Liban.

La succession de faits qu’est en train de vivre le Liban actuellement ne peut pas être une simple coïncidence. Soit elle est l’aboutissement d’une longue habitude de la part des responsables qui se sont succédé aux commandes du pouvoir de traiter le pays comme un gâteau dont il faut se partager les parts, soit elle est la concrétisation d’un plan visant à détruire tout ce qui pourrait rassembler les Libanais et leur permettre de se doter d’un véritable État. À moins qu’il ne s’agisse des deux. Toujours est-il que jamais autant qu’aujourd’hui, les Libanais n’ont senti que tout va mal, économiquement, politiquement et sur le plan sécuritaire. Frustrés, ils ne savent plus comment exprimer leur colère, face à une classe politique dont les membres ne cherchent qu’à marquer des points les uns par rapport aux autres. Et si les horizons continuent à être bouchés, ils pourraient bien avoir recours à la violence.

C’est d’ailleurs comme si on voulait les pousser dans ce sens. Dans plusieurs régions du pays, la vie ressemble en effet de plus en plus à une veillée d’armes... Et pourtant, personne ne semble craindre une déflagration généralisée.

Un député de la majorité affirme à cet égard que tous les ingrédients d’une nouvelle guerre au Liban sont prêts, surtout avec les tentatives de paralyser l’armée, mais celle-ci n’aura pas lieu parce que les grands groupes ne la souhaitent pas. À leur tête, le Hezbollah qui réussit à déjouer les pièges visant à l’entraîner vers un affrontement à l’intérieur. Le député ajoute que le secrétaire général du parti chiite a donné des instructions très claires à tous ses partisans de refuser de se laisser entraîner dans une riposte violente quelle que soit la nature des provocations qu’ils subissent. En dépit des pressions exercées sur lui d’abord avec le dossier des armes de la résistance, puis dans le cadre du dossier syrien et enfin avec l’enlèvement des onze pèlerins qui vise essentiellement à soulever les proches des otages contre lui ou à le pousser à modifier sa politique à l’égard du régime syrien, le Hezbollah continue à faire preuve de retenue. Il refuse de répondre à toutes les accusations portées contre lui tantôt d’aider le régime syrien et tantôt d’armer des groupes au Nord ou ailleurs. Le Hezbollah est en effet convaincu que la déstabilisation du Liban ne peut que lui nuire et ne fait que servir les intérêts d’Israël. Il est donc l’un des plus impliqués dans la réclamation de la poursuite du dialogue.

Dans le camp opposé, le courant du Futur, qui a montré au cours des derniers incidents à Tarik Jdidé qu’il a des armes et est prêt à les utiliser le cas échéant, ne veut pas non plus d’une guerre au Liban, car dans l’équilibre actuel des forces, tout dérapage sur le terrain entraînerait un renforcement des groupes extrémistes aux dépens des structures plus modérées. Tout en adoptant des positions en flèche contre le régime syrien, le courant du Futur ne peut pas se dresser actuellement contre la mouvance islamiste qui a le vent en poupe dans le monde arabe, mais il ne peut pas non plus se placer sous son aile. Il joue donc l’accalmie et préfère participer au dialogue car d’une part, il ne peut pas prendre la tête des radicaux musulmans et de l’autre, il sait que la violence renforce les islamistes. Chez les chrétiens, le courant aouniste n’est pas armé et refuse de se transformer en milice. Les Forces libanaises et les Marada, ainsi que le PNSS, qui ont sans doute des structures miliciennes, savent qu’une aventure militaire serait très impopulaire auprès des chrétiens et se heurterait forcément à l’armée, même affaiblie. Il ne reste donc, de part et d’autre, que certains petits groupes qui peuvent créer des incidents, mais ne peuvent pas provoquer une guerre civile à ce stade de l’évolution des événements. Cela suffira-t-il à dissuader ceux qui veulent utiliser la déstabilisation du Liban comme une carte de pression dans le dossier syrien ? Ce n’est sans doute pas par hasard si les groupes palestiniens se sont soudain réveillés...

  Haaretz (Quotidien israélien, 18 juin 2012)
Uri Avnery

Il y a 30 ans, l’armée israélienne a traversé la frontière libanaise et lancé la guerre la plus stupide de l’histoire du pays. Toutes les guerres sont fondées sur des mensonges. Le mensonge est considéré comme un instrument légitime de la guerre. La guerre du Liban, en a été un exemple glorieux.

Neuf mois avant la guerre, Sharon m’a parlé de son plan en cinq points pour un nouveau Moyen-Orient. Attaquer le Liban pour y installer un dictateur chrétien servant les intérêts d’Israël, reconduire les Syriens chez eux et les Palestiniens vers la Jordanie via la Syrie et les aider à créer une entité palestinienne sur le territoire jordanien. Un fiasco total.

L’un des résultats de cette guerre concerne les chiites. Jusqu’en 1970, ils étaient la communauté la plus faible du pays. Mais les souris sont vite devenues des lions. Pour casser leur montée en puissance, Israël a assassiné leur leader Abbas Moussaoui, mais il a été remplacé par un homme beaucoup plus talentueux en la personne de Hassan Nasrallah.

  Washington Post (Quotidien américain, 18 juin 2012)
David Ignatius

Le Liban est entraîné vers la guerre par une sorte de fatalisme communautaire. La plupart des Libanais condamne la violence mais ils la jugent inévitable. Le Premier ministre Najib Mikati essaie de protéger le pays en conduisant une politique de « dissociation » de la crise syrienne. Ce qui me préoccupe, c’est la manière dont les factions politiques libanaises se positionnent vis-à-vis du conflit qu’ils disent vouloir éviter. Ces derniers jours, dans les cercles politiques, il était question, au vu de la poursuite des affrontements de l’autre côté de la frontière, de la partition de facto de la Syrie entre civils terrifiés et milices confessionnels armées. Le gouvernement syrien et l’opposition affirment ne pas vouloir de guerre communautaire -mais la ligne de faille qui émerge entre sunnites et alaouites est évidente. Cela, les Libanais le sentent parce que c’est une voie qu’ils ont déjà emprunté. La guerre civile, qui a commencé en 1975 a duré 16 ans, et les lignes de démarcation sont toujours tracées sur les cartes mentales. Comme on ne le sait que trop bien au Liban, une fois le cycle de la mort et de vengeance enclenché, il est presque impossible à arrêter.

  New York Times (Quotidien américain, 20 juin 2012)

Un petit groupe de responsables de l’Agence centrale du renseignement (CIA) travaillent secrètement dans le sud de la Turquie pour aider les alliés de Washington à déterminer quels combattants de l’opposition syrienne recevront des armes pour combattre le régime du président Bachar al-Assad. Selon les responsables américains et d’autres agents de services de renseignements arabes, les armes comportent des fusils automatiques, des lance-roquettes, des munitions, des armes antichars, introduites en majorité via la frontière turque, avec l’aide d’un réseau d’intermédiaires, dont des militants des Frères musulmans. Cet armement est financé par la Turquie, l’Arabie saoudite et le Qatar.

Un responsable américain indique que ces agents de la CIA se trouvent dans le sud de la Turquie depuis des semaines. Ils œuvrent afin d’empêcher que les armes n’arrivent aux mains de combattants alliés à Al-Qaïda ou à d’autres organisations terroristes. L’administration Obama avait déclaré qu’elle ne livrerait pas d’armes à l’opposition syrienne, mais a reconnu que les voisins de la Syrie, eux, sont en train d’armer les rebelles.

Les agents de la CIA présents en Turquie s’efforcent de collecter d’avantage d’informations sur les réseaux de l’opposition syrienne et tentent d’établir avec eux de nouvelles relations. Une source arabe bien informée révèle que la CIA tente de recruter de nouveaux agents. Des responsables américains en fonction et à la retraite, indiquent que la CIA étudie les moyens d’accroitre son aide aux rebelles syriens, en leur fournissant, notamment, des photos satellites sur le déploiement des troupes syriennes.

Source
New Orient News