La vie politique suit les mêmes lois dans le monde entier comme en Europe. Et, à de rares exceptions près, ce sont celles du show politique. Par exemple, sur fond de problèmes sociaux et économiques en pleine croissance, les fonctionnaires de l’Union européenne (UE) décident quel contenant est le plus adapté pour l’huile d’olive dans les restaurants, tandis que des potagers sont aménagés dans les parcs de Lisbonne. Aux USA l’on se préoccupe de la légalisation du mariage homosexuel au niveau fédéral, tandis que l’esclavage imposé par les franchises est passé sous silence.

Dans les républiques post-soviétiques limitrophes de la Russie, c’est la même situation. En Ukraine, il y a des élections sans fin, tandis qu’en Arménie il n’y a pas si longtemps que les passions sur le maïdan [1] se sont calmées. Le politicien orange [2] Raffi Ovanisian a à peine cessé sa grève de la fin, qu’il a créé dans la foulée un mouvement politique d’opposition et a interdit à tout le monde de le critiquer. On a l’impression que le monde s’est transformé en une immense scène d’un théâtre de l’absurde. Et pendant ce temps là, dans la même Arménie, la population se paupérise rapidement, tandis que les plus capables quittent le pays.

La dépopulation arménienne

Les Arméniens fuient leur pays. D’après un sondage mené par Gallup, 40 % d’entre eux ne sont pas opposés à l’idée de quitter leur pays pour toujours. Et dans leur cas, les paroles ne sont pas loin des actes : en 2011, 43 000 Arméniens ont quitté leur pays, l’an dernier 42 000 autres les ont suivis. C’est curieux, mais la hausse du PIB (7 % l’an, selon le gouvernement) n’influe en rien sur les sentiments émigrationnistes du peuple. Le problème de l’expatriation est déjà devenu le premier des sujets dans les médias de masse du pays, éclipsant même le dilemme de la politique étrangère du pays. Les populistes clament que la fuite des habitants est liée à l’absence de justice, les réalistes estiment qu’elle contribue à la perte de la souveraineté. La dépopulation arménienne est déjà devenue un thème labouré par la propagande électorale des mouvements politiques. Ainsi, la politique-show a de nouveau gagné, repoussant dans l’ombre les problèmes économiques et la querelle gazière avec la Russie. Pendant ce temps, la crise risque d’entraîner l’effondrement de l’économie du pays.

Comment la crise achève l’économie arménienne

Depuis le début des années 90, l’Arménie a fait tout le chemin vers la désindustrialisation. Désormais, un tiers des Arméniens vivent sous le seuil de pauvreté, le chômage a dépassé les 16 % et l’office national statistique a perdu tout lien avec la réalité, en annonçant une hausse du PIB de 7,2 %.

En réalité, seul l’en-cours de dette et le montant des capitaux en fuite sont en hausse dans le pays. Le gouvernement ne s’inquiète plus du tout que la dette extérieure du petit pays ait dépassé les 4 milliards de dollars, tandis que les capitaux s’écoulent comme le sable à travers les doigts. Sur la seule année dernière, un demi-milliard de dollars ont quitté la république, ce qui ne rend guère plus stable la devise nationale, le dram. Les indicateurs des investissements directs étrangers (IDE) si appréciés par les libéraux esquissent un tableau vraiment glauque. Le montant des IDE s’est effondré de 27,5 % l’an dernier : les investisseurs fuient et ne reviennent pas.

Seul le travail des Arméniens expatriés en Russie sauve l’économie : ils rapatrient 2,5 milliards de dollars chaque année et ne sont dépassés dans le montant des sommes reversées au pays que par les Tadjiks, qui en envoient 3,6 milliards chez eux. L’isolation qu’entretiennent la Turquie et l’Azerbaïdjan à l’égard de l’Arménie ne contribuent guère à améliorer la situation. Une seule chose est évidente dans la politique arménienne : personne n’a l’intention de résoudre les problèmes réels.

UE ou UEE : le dilemme du choix géopolitique de l’Arménie

La question de la fuite des citoyens a éclipsé pour un moment du top des discussions celle du choix du pays entre l’intégration européenne (UE) ou eurasienne (UEE). Les politiciens n’arrivent pas à décider quel cap géopolitique doit suivre la barque prenant l’eau de toutes parts nommée « République d’Arménie ». Les show-politiciens dogmatiques corrigent sans cesse la direction, tandis que l’axiome selon lequel le Texas est pillé par les Texans rend impossible n’importe quelle intégration.

Cependant, à Minsk où était le Premier Ministre Tigran Sarkissian le 31 mai, l’on discutait du format de la coopération entre l’Arménie et l’Union douanière [3]. L’Arménie n’a pas de frontières communes avec celles des membres de l’Union douanière, et c’est justement ce qui est souvent mis en avant pour s’opposer à l’adhésion [4]. Cependant, l’Arménie n’a jamais eu de frontières communes avec l’UE non plus, mais la conclusion d’un accord avec elle est devenue une question prioritaire pour le gouvernement arménien. Il se trouve donc que l’éloignement de l’Europe n’est pas un obstacle à une association voire à une intégration européenne de l’ordre du mythe, ce qui ne serait pas le cas pour une politique d’union autour de la Russie, bien réelle malgré l’absence d’une frontière commune. Comme on le dit, seule compte la volonté, l’on trouvera toujours le format. Le résultat visible est une politique dirigée vers plusieurs direction et soutenue tant par l’Occident que par la diaspora sise aux États-Unis.

Conclusions

Sans doute, les élites nationales sont devenues la plus grande malédiction pour les républiques limitrophes de la Russie, où il n’y a pas d’État puissant : il est impossible de s’en séparer, mais il est insupportable de vivre avec. Les gouvernants de l’Arménie font justement partie de ces élites-là. Peu importe qui a gagné aux élections présidentielles organisées à la fin de l’hiver : le président élu Serge Sagsian ou l’opposant pro-US Raffi Ovanissian. Pendant leurs années de vie dans les réserves d’indiens nationales, les élites se sont dégradées et se sont transformées en showmen politiciens. Mais on ne peut rafistoler les trous béants de l’économie arménienne et la fuite des citoyens par des discours enflammés dans les meetings et des conférences de presse.

Le salut de l’Arménie, comme des autres confettis nationaux de l’URSS, est autour de la Russie seule. Le seul processus de réintégration et de recréation d’un État nécessitera de nouvelles élites, capables de répondre aux gageures géopolitiques, mais aussi économiques et démographiques.

[1Maidan, par analogie avec l’Ukraine où le terme désigne le Maidan Nezalejnosti, la place de l’Indépendance à Kiev où se sont déroulées l’ensemble des événements de la révolution orange, qui a conduit à la mise en place d’un gouvernement pro-occidental. Les « passions sur le Maidan » désignent une « révolution » orchestrée de l’extérieur qui, à force d’occupation de l’espace public et de meetings enflammés, essaie de mettre en place une opposition pro-occidentale dans des pays de l’ex-bloc soviétique (Géorgie, Ukraine, Kirghizie) ou du monde arabe (Printemps arabes).

[2Par analogie avec l’Ukraine toujours, où l’orange était la couleur des politiciens pro-occidentaux et pro-européens, un « politicien orange » est pro-occidental (UE et USA) et est financé par ceux qu’il soutient.

[3L’Union Eurasienne vise à recréer autour de la Russie un espace civilisationnel, économique et commercial semblable – quoique plus réduit - à l’URSS. Elle se décline notamment en Union économique Eurasienne (UEE) et en une Union Douanière (UD), actuellement constituée de la Russie, de la Biélorussie et du Kazakshtan. Outre la Kirghizie, la Syrie et le Tadjikistan, ainsi que l’Ossétie du Sud et l’Abkhazie, pourraient rejoindre cette union douanière et de libre-échange dans les années qui viennent.

[4Le but de l’UD, de l’UEE et de l’Union Eurasienne est à terme de réunir tous les États qui en font partie dans une intégration confédérative autour de la Russie, recréant une Union soviétique autrement dessinée.