La dualité des armes rendrait plus difficile le rôle de l’armée ! Tels sont les mots du président libanais, le 1er août dernier, à l’occasion de la fête de l’armée libanaise, réflexion surprenante de la part d’un ancien militaire et chef d’état major. Comment l’intelligence exceptionnelle de ce président lui a-t-elle permis de parvenir à une telle conclusion ?

Dans le discours truffé de grands principes prononcé ce jour-là, rien n’éclaire le raisonnement de ce valeureux président, si ce n’est que le Liban doit recouvrer sa souveraineté, qu’il faut être aux côtés de l’armée et non contre elle, et qu’il faut assurer la sécurité du pays et le préserver, ce qui ne peut être fait sans l’armée, garante de la paix civile et de la dignité du Liban. Dont acte !

Mais que s’est il passé depuis l’époque où il déclarait qu’il protégerait la Résistance comme la prunelle de ses yeux ? Justement rien, si ce n’est qu’il est devenu comme la grenouille qui veut ressembler à un bœuf de la fable de La Fontaine, mais a-t-il lu cette fable et en connait-il la fin ?

Depuis le début des évènements en Syrie, ce brave président a commencé par appeler son homologue syrien, Bachar el-Assad, pour lui confirmer son soutien indéfectible, puis est passé à la phase où il lui a donné des leçons de démocratie et sur la manière dont le peuple doit être écouté pour finir irrémédiablement dans les bras des Qataris, lesquels ont quitté le pouvoir depuis. Désormais, il donne des leçons à la Résistance et participe au concert de protestation suite à l’intervention du Hezbollah en Syrie.

Il a porté plainte contre la Syrie pour intrusion de son armée sur le territoire libanais en vue de neutraliser des insurgés syriens, lesquels attaquaient les positions de l’armée régulière dans le dos, et revenaient trouver a paix et la tranquillité assurées par le Courant du Futur de Saad Hariri, ainsi que par d’autres bandes d’islamistes faisant régner la terreur dans le Nord et le Nord-Est du Liban.

La Syrie avait pour sa part dix mille motifs de porter plainte contre le Liban qui assurait et assure encore refuge à ces bandes armées, mais elle ne l’a pas fait au nom des relations « fraternelles » qu’elle croyait entretenir avec le Pays des Cèdres. Elle comptait sur les accords portant sur la sécurité réciproque entre les deux États pour mettre un terme à cette situation inédite, mais le président libanais n’avait visiblement pas reçu pour mandat d’autoriser l’armée libanaise à assurer la sécurité des citoyens qui habitent les régions frontalières, et pour éviter les infiltrations des deux côtés de la frontière.

Il fallait que la Syrie accepte sans broncher que cette situation perdure et que ces soldats continuent d’être la cible des attaques menées par les insurgés depuis le territoire libanais. Il fallait que la Syrie accepte également que des citoyens libanais soient enrôlés au sein de ces bandes armées avec armes et bagages et envoyés pour massacrer les citoyens syriens, sans la moindre réaction de sa part.

Le président qui veut veiller sur la sécurité du Liban, et préserver sa dignité et la défense de ses intérêts ne voyait rien de tout cela. L’armée libanaise était et est toujours attaquée, même le lendemain de sa fête annuelle par ces bandes armées, mais cela n’a pas ébranlé ce cher président, lequel, à peine son discours terminé a appris que deux missiles sont tombés dans le périmètre de la caserne où l’on célébrait l’anniversaire de la création de l’armée libanaise. Il y a fort à parier que ce sont toujours les mêmes bandes armées qui envoient un message à l’armée qui a osé les attaquer dans la banlieue de Saida pour les en déloger, comme il l’avait fait à la même période quelques années plus tôt au camp palestinien de Nahr El-Bared au Nord de Tripoli.

Le Hezbollah est intervenu en Syrie, quelle catastrophe, cela change tout ! il faut mettre un terme à cette situation : le sang des résistants ne doit pas couler sur une terre autre que celle du Liban, soit ! Mais que faire face à la situation actuelle qui génère des menaces au quotidien non seulement pour la Syrie mais également pour la sécurité des Libanais ?

Monsieur le président, en tant que militaire, vous ne pouvez pas ignorer ce qu’est une stratégie ; vous ne pouvez pas ignorer ce qu’est l’espace vital d’une armée, et encore moins les menaces extérieures et intérieures tant contre le Liban que contre sa Résistance. Or, en connaissant ces éléments, du moins on l’espère, vous auriez pu vous éviter ces propos publics insensés...

Vous devez d’abord vous rappeler que le Liban n’a jamais pu vivre en autarcie, puisqu’il se situe dans une région du monde où le conflit règne depuis des siècles, sans en être épargné. C’est justement à cause du centrisme, préconisé par vous et quelques autres politiciens, que le Liban a été emporté par des vagues de violence meurtrière. Concernant le conflit actuel qui dure depuis la création de l’État d’Israël, le Liban ne peut pas rester neutre.

Le Liban doit soit opter pour une paix imposée, à l’instar de celle que l’on a voulu lui dicter par l’accord du 17 mai 1983, chose qui n’a pas pu aboutir en raison de l’opposition profonde de la majorité écrasante des Libanais tant à ses conditions de négociation qu’à sa conclusion ; soit il comprend qu’il fait partie de ce conflit proche-oriental et doit se défendre.

La majorité des Libanais avait compris cette situation notamment à l’issue de la victoire enregistrée par la sortie, au mois de mai 2000, des Israéliens de l’essentiel des territoires occupés par eux lors de la guerre de 1982. Il fallait donc consolider les fruits de cette libération qui demeure à achever par la libération des fermes de Chebaa et de Kafarchouba, sans oublier le véritable tracé de la ligne de frontière avec les territoires palestiniens occupés.

C’est là que certaines voix ont commencé à s’élever pour en finir avec la Résistance dont le rôle serait terminé par la libération. D’autres ont été jusqu’à affirmer que le reste des territoires encore occupés seraient libérés grâce à l’ONU, ce « machin » qui n’a jamais servi à rien dans ce conflit, si ce n’est à légitimer une agression qui dure depuis 70 ans.

Que dire de l’ONU qui accepte sans sourciller les exactions d’un État contre toute une région au point de devenir l’État aux frontières amovibles et toujours au détriment de ses « voisins » ? À l’égard du Liban, ce manège continue au quotidien à travers des tentatives de création d’obstacles et de talus, en grignotant la terre en territoire libanais, sans oublier les intimidations des bergers, des pêcheurs, des promeneurs et des agriculteurs pour les maintenir loin de la frontière…

Dans la mesure où le risque d’une confrontation avec la Résistance crée pour les Israéliens des incertitudes, notamment depuis la guerre des 33 jours en juillet-août 2006, ils essayent de l’affaiblir par différents moyens. On rappelle juste pour mémoire la tentative avortée de créer un climat de guerre civile en 2008, et sans l’intervention de la Résistance et de ses alliés la guerre du Liban aurait repris depuis longtemps. Cette tentative ayant échoué, l’on a essayé de déstabiliser l’Iran lors des élections de 2009. Le pouvoir iranien a fini par venir à bout des « protestataires » dont les véritables responsables étaient manipulés de l’extérieur. Il ne restait donc que le dernier allié indispensable de la résistance libanaise, en l’occurrence la Syrie.

Le président Libanais n’est pas suffisamment naïf pour croire que le bain de sang que vit la Syrie n’a pour objectif que de parvenir à un système démocratique avec des institutions exemplaires et un pouvoir attentif aux doléances du peuple ? Il n’est pas assez naïf pour croire que la guerre en Syrie n’allait pas déborder sur le territoire libanais, ce qui a été le cas dès le premier jour puisque le clan Hariri a commencé à envoyer hommes et armes pour participer à cette guerre.

Le père d’un des jeunes envoyés à partir de la ville d’El Minieh dans le nord de Tripoli s’est indigné en indiquant qu’il aurait préféré que son fils soit mort au front en se battant contre les Israéliens. Il se trouve que les hommes du Hezbollah, et leurs familles, morts au combat en Syrie diraient la même chose, ce qui démontre que beaucoup ont compris ce qui se passe. Tous ont compris l’enjeu du combat en cours, sauf probablement vous, Monsieur le président.

Cette même Résistance assure la sécurité du pays des cèdres sans attendre la moindre reconnaissance de quiconque. Elle soutient l’armée libanaise dans sa lutte contre le terrorisme et contre ceux qui voudraient lui porter atteinte tant physiquement que moralement. Elle partage avec l’armée les informations dont elle dispose sur les collaborateurs et les risques pour la sécurité du pays. Quand les postes de l’armée ont été attaqués par les Israéliens à Edaysseh, elle s’est mise immédiatement à sa disposition pour l’épauler, mais cette aide a été refusée par les politiques au prétexte d’éviter l’escalade…

En vous remémorant ces informations basiques, comment avez-vous pu faire ces déclarations ? le sang des résistants a coulé certes, mais en négliger les origines est aussi absurde que de dire que ce sang n’a pas besoin de couler dans le sud non plus, puisque l’armée libanaise est en mesure de défendre le pays !

Monsieur le président, vous ne semblez pas comprendre que les risques pour le Liban sont particulièrement grands aussi bien dans le Sud que dans le Nord ou le Nord Est. L’ennemi est le même, mais agit sous plusieurs visages ou masques. Telle est la réalité. Quelle est la différence entre un takfiri qui vient se battre en Syrie, ou celui qui vient affaiblir l’armée libanaise à Saida, à Tripoli ou dans la plaine de la Bekaa… Il n’y en a aucune !

Quelle est la différence entre l’Israélien qui se bat contre la Résistance dans le Sud ou celui qui envoie des hommes et des armes pour combattre les soutiens de la Résistance ? Aucune ! La Résistance sans ses soutiens risque de mourir et avec elle tout ce qu’elle représente comme protection pour le territoire libanais, pour son armée et pour son peuple.

Le centrisme que vous prônez, qui veut que le Liban vive isolé de son environnement, a valu à ce pays d’être victime d’une guerre civile qui a duré près de 20 ans, et dont les libanais vivent encore avec les séquelles. Pire encore, puisque certains Libanais de bonne ou de mauvaise foi veulent que cela recommence en en changeant l’alibi —puisque avant c’était le problème de la présence palestinienne, et maintenant c’est la présence du Hezbollah—.

La présence palestinienne posait incontestablement des difficultés, mais le vrai problème était celui de l’absence de choix stratégiques pour préserver le pays. Maintenant les choix stratégiques de l’armée sont connus, ce qui lui vaut d’être vilipendée par certains au prétexte d’être inféodée au Hezbollah. L’ennemi du Liban est clairement identifié. C’est cette boussole qui doit fixer le cap de toute politique ou déclaration responsable. Dénier à la Résistance la possibilité de défendre ses soutiens et ses arrières, c’est à tout le moins manquer d’intelligence politique, et au pire admettre qu’un piège se referme sur ses hommes.

Toute personne sensée souhaiterait qu’aucun « étranger » n’intervienne sur le sol syrien et laisse ce peuple régler seul ses problèmes, mais le fait qu’un nombre incalculable de nationalités soit sur place pour se battre contre l’État syrien ne laisse place à aucun centrisme. Soit on défend l’entité syrienne soit on défend le projet de destruction de cette entité, peuple et institution.

Au moment où ceux qui soufflaient certaines idées au président reviennent à des postures plus modérées, lMichel Sleiman veut être plus royaliste que le roi. Il veut donner des leçons à la Résistance alors qu’il n’a jamais commenté à titre d’exemple les actes du député libanais Ouqab Saqr, disparu depuis !, qui n’a ménagé aucun effort, à la demande de son patron Saad el-Hariri et à celle des patrons de son patron, en l’occurrence les Saoudiens, au profit des insurgés en Syrie.

Ces députés libanais du camp des Hariris ont légitimé la participation de leurs hommes aux combats en Syrie, dès lors qu’ils se battent aux côtés des insurgés, Ils ont manifesté, et coupé des routes. Ils se sont rebellés contre l’armée libanaise à qui il arrivait de mettre la main sur des convois d’armes et de munitions. Lors de tous ces épisodes le président n’a pas bronché. Subitement il conteste le droit d’intervenir à ceux qui se battent du côté du pouvoir syrien pour défendre leurs arrières et leurs soutiens.
Votre argument qui consiste à dire que vous ne voulez pas la guerre des autres au Liban, pourrait sembler louable, mais s’avère a minima inacceptable sinon criminel, car vous mettez en place les conditions d’une capitulation, et l’on vous fera la réponse donnée par Churchill à Chamberlain lors des accords de Munich « Vous avez eu à choisir entre la guerre et le déshonneur ; vous avez choisi le déshonneur, vous aurez la guerre »…