Déclaration du Gouvernement sur l’engagement des forces armées en République centrafricaine et débat sur cette déclaration

M. le président.L’ordre du jour appelle, en application de l’article 35, alinéa 2, de la Constitution, une déclaration du Gouvernement suivie d’un débat sur l’engagement des forces armées en République centrafricaine, dans le cadre du mandat résultant de la résolution 2127 du Conseil de sécurité des Nations unies.

(M. le président se lève, ainsi que Mmes et MM. les députés et les membres du Gouvernement.)

M. le président.Avant de donner la parole au Premier ministre, je voudrais rendre hommage à Nicolas Vokaer et Antoine Le Quinio, nos deux soldats tués hier en Centrafrique. À leurs familles et à leurs proches, j’adresse les condoléances de la représentation nationale. Je vous invite à observer une minute de silence.

(Mmes et MM. les députés et les membres du Gouvernement observent une minute de silence.)

M. le président.Je vous remercie.

La parole est à M. le Premier ministre. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre.Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, jeudi dernier, le Président de la République s’est adressé à la nation pour annoncer l’intervention des forces françaises en République centrafricaine. La décision d’engager nos forces est toujours une décision grave.

À votre initiative, monsieur le président, nous venons de rendre un hommage unanime aux deux soldats du 8e régiment de parachutistes d’infanterie de marine de Castres, qui ont fait le sacrifice de leur vie. Mes pensées vont à leur famille et à leurs proches, auxquels j’exprime la solidarité de la nation tout entière, et je transmets les condoléances les plus attristées de l’ensemble du Gouvernement.

En République centrafricaine, nos hommes interviennent en ce moment en appui à la Mission internationale de soutien à la Centrafrique, la MISCA, et sur la base d’un mandat du Conseil de sécurité des Nations unies.

Cette intervention était urgente et nécessaire. Quelques heures auparavant, des miliciens armés étaient en train de massacrer dans les rues de Bangui, n’épargnant ni les femmes, ni les enfants, munis de listes de victimes et faisant du porte-à-porte pour les traquer. Le danger d’une telle situation, le Président de la République l’avait dénoncé à la tribune de l’Assemblée générale des Nations unies dès septembre dernier. Notre alarme était justifiée : le pays était bien au bord du gouffre.

Depuis la prise du pouvoir par des rebelles de la Séléka, le 24 mars 2013, les exactions, l’arbitraire, les pillages, le recrutement d’enfants soldats, les villages brûlés, les viols, les mutilations, les exécutions sommaires : voilà à quoi s’est résumée la vie quotidienne des populations civiles, victimes de la faillite de l’État centrafricain. Plus inquiétant encore : les affrontements entre groupes ont pris récemment une tournure intercommunautaire et interconfessionnelle extrêmement dangereuse. Cette spirale de la haine aurait pu à tout moment déboucher sur un enchaînement d’exactions et de représailles entre chrétiens et musulmans.

L’anarchie en République centrafricaine est aussi une menace pour une région déjà très fragile – je pense aux Grands Lacs, aux Soudans, au Tchad. Ce pays, enclavé entre le Cameroun, le Tchad, le Soudan, le Soudan du Sud, la République démocratique du Congo et le Congo Brazzaville, ne doit en aucun cas devenir un nouveau sanctuaire pour tous les trafics et tous les groupes terroristes. À cet égard, mesdames et messieurs les députés, c’est aussi notre sécurité et celle de l’Europe qui sont en cause.

À cette crise sécuritaire s’ajoute une tragédie humanitaire : un habitant sur dix a dû abandonner son foyer, 70 000 Centrafricains ont déjà quitté le pays, et 2,3 millions de personnes ont besoin d’une assistance en urgence.

Face à ce drame, la France pouvait-elle ne rien faire ? La France pouvait-elle rester sourde aux appels à l’aide des autorités centrafricaines et de nos partenaires de l’Union africaine ?

Mesdames et messieurs les députés de tous les groupes, pour la France, l’inaction n’était pas une option. Attendre, c’était prendre le risque d’un désastre. Attendre, c’était nous exposer au risque d’une intervention ultérieure, beaucoup plus coûteuse et difficile.

Cette décision fait suite aux efforts déployés depuis plusieurs mois en faveur d’une réponse collective à cette tragédie en plein cœur de l’Afrique. Il y a d’abord eu le message d’alarme du Président de la République à l’Assemblée générale des Nations unies – je l’ai rappelé. Il y a eu ensuite l’encouragement aux pays de la région à renforcer les troupes qu’ils avaient commencé à déployer et à user de toute leur influence pour que les parties cessent les violences et reprennent le chemin de la transition politique.

C’est la France qui a choisi de saisir le Conseil de sécurité et qui a obtenu que deux résolutions soient adoptées à l’unanimité. La résolution 2127, adoptée la semaine dernière, donne mandat à la force africaine de stabiliser la République centrafricaine et de protéger les civils. Elle permet à la France d’appuyer cette force.

C’est encore la France qui a su convaincre ses partenaires internationaux d’apporter leur soutien politique, logistique et financier à cet effort international de stabilisation.

Le cadre de l’opération Sangaris est donc incontestable. La France agit sur la base d’un mandat des Nations unies. Elle répond à l’appel lancé par l’Union africaine le 13 novembre dernier. Elle répond également à une demande d’assistance des autorités de transition centrafricaines.

Nos objectifs, je veux le rappeler devant vous, sont clairement circonscrits.

Le premier est de rétablir la sécurité en République Centrafricaine, enrayer la spirale d’exactions et la dérive confessionnelle et permettre le retour des organisations humanitaires ainsi que le déploiement des structures étatiques de base.

Le second objectif est de favoriser la montée en puissance rapide de la MISCA et de permettre son plein déploiement opérationnel. La MISCA doit en effet être en mesure d’assurer le contrôle de la situation sécuritaire, de désarmer les milices et de faciliter la transition politique.

Le Président de la République l’a dit très clairement : notre intervention sera rapide. Elle n’a pas vocation à durer. Elle est pleinement cohérente avec le message du sommet de l’Élysée pour la paix et la sécurité en Afrique. La sécurité de l’Afrique relève de la responsabilité des Africains.

M. Jean-François Lamour. Comme au Mali ?

M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre. Nos forces sont engagées dans l’urgence en soutien des contingents africains de la MISCA dont l’action a déjà commencé et va se renforcer. L’Union africaine a en effet annoncé qu’elle porterait rapidement sa présence sur le terrain de 2 400 à 6 000 hommes. Ces hommes viennent de tous les pays de la région. Le désengagement de nos forces commencera dès que la situation le permettra en fonction de l’évolution sur le terrain et de la montée en puissance des capacités opérationnelles des forces africaines. Ce doit être l’affaire de quelques mois.

Nous savons qu’il faudra du temps pour désarmer les milices, pour former de nouvelles forces de sécurité centrafricaines et pour mener à bien un processus électoral. C’est le rôle dans la durée de la MISCA. La résolution 2127 prévoit qu’une opération de maintien de la paix des Nations unies pourra, si le Conseil de sécurité en décide, lui succéder pour la conforter, mais aussi pour lui apporter un cadre plus robuste, y compris en matière de financement. Et l’Union européenne pourra également y contribuer, notamment grâce aux instruments de la politique de sécurité et de défense commune.

M. Pierre Lellouche.Quelle blague !

M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre. Je tiens à saluer la rapidité et la qualité de l’action que conduisent nos forces armées sur le terrain. Nous avons pu, grâce à la complémentarité entre notre dispositif prépositionné dans la région et les forces en alerte en France, porter en deux jours notre présence sur place à 1 600 hommes. Nous avons pu, grâce aux renforts rapides qui ont été déployés à Bangui, éviter des massacres de masse alors que la situation dans la capitale devenait particulièrement critique. Vous avez d’ailleurs pu lire les témoignages des observateurs et des représentants des organisations non gouvernementales dont je tiens à saluer l’engagement dans des conditions extrêmement difficiles.

Nos hommes, aux côtés des forces africaines, sécurisent les sites les plus sensibles, notamment l’aéroport et les zones de regroupement de nos compatriotes qui sont près de 800, dont 500 binationaux. Ils assurent une présence constante par des patrouilles dont la vertu dissuasive joue pleinement. Déjà, ils participent aux actions de cantonnement et de désarmement des groupes armés afin de rétablir calme et sécurité. Ils favorisent le retour à des conditions d’un fonctionnement normal des structures étatiques indispensable au règlement durable de la situation du pays.

Mesdames, messieurs les députés, soyons clairs. La République Centrafricaine n’est pas le Mali. La situation sur le terrain est différente. Les groupes armés ne poursuivent pas les mêmes objectifs. Pourtant, j’entends les mêmes questionnements, en particulier sur nos moyens.

Plusieurs députés du groupe UMP. À juste titre !

M. Pierre Lellouche. Étoffez le budget de la défense !

M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre. Oui, mesdames et messieurs les députés, la France a la capacité d’agir aujourd’hui.

M. Daniel Fasquelle. Pour combien de temps ?

M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre. Le financement de l’opération Sangaris est prévu au budget de l’État comme en atteste la clause de garantie figurant dans le projet de loi de programmation militaire.

M. Pierre Lellouche. Une blague.

M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre. Ceux – et je les en remercie – qui ont suivi les débats quels que soient les bancs où ils siégeaient en sont parfaitement conscients. La France le pourra aussi demain dans le cadre défini par cette loi de programmation,…

M. Pierre Lellouche. Mais non !

M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre.…avec un format parfaitement adapté à la conduite simultanée d’opérations telles que celles engagées au Mali et en République Centrafricaine. Voilà, mesdames et messieurs les députés, ce que la loi de programmation militaire permet de faire, c’est-à-dire de garder toutes les capacités de la France à préserver ses missions.

De nombreux députés du groupe UMP. C’est faux !

M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre. J’invite tous les députés à donner au Gouvernement les moyens de sa politique en votant la loi de programmation militaire. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et RRDP. – Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. Je vous en prie, chers collègues. Chaque groupe pourra s’exprimer.

M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre. J’entends également les questionnements sur notre posture. (« Imposture ! » sur les bancs du groupe UMP.)

M. Pierre Lellouche. Vous mentez aux Français !

M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre. Non, la France n’agit pas en gendarme de l’Afrique. Elle assume tout simplement ses responsabilités internationales. Elle répond à l’appel de ses partenaires africains et fait face à l’urgence absolue de prévenir une spirale de massacres. Le sommet de l’Élysée pour la paix et la sécurité en Afrique a été l’occasion d’un message unanime de tous les Africains sur la nécessité de renforcer les capacités africaines de réponse aux crises sur le continent. La mise en place d’une vraie force panafricaine de réaction rapide mobilisera dans les mois à venir l’Afrique et ses partenaires. Le temps de la Françafrique est terminé, mesdames et messieurs les députés ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC. – Vives exclamations sur les bancs du groupe UMP.) Voilà une des fiertés de la politique de la France ! (Mêmes mouvements.)

M. Jean-François Lamour. Vous n’y croyez pas vous-même !

M. le président. Mes chers collègues, chaque groupe pourra s’exprimer. Sur un tel sujet, on devrait se respecter les uns les autres.

M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre. Je suis très surpris de ces réactions parce que je n’ai visé personne en particulier. (Mêmes mouvements.)

M. le président. Retrouvons un peu de sérénité et écoutons la suite du discours du Premier ministre.

M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre. J’entends toutes les questions, d’où qu’elles viennent et il est de mon devoir d’y répondre. J’entends ainsi le questionnement sur notre prétendu isolement. (« Eh oui ! » sur plusieurs bancs du groupe UMP.) La France n’est pas seule. (Mêmes mouvements.) Elle bénéficie de tous les soutiens politiques des membres du Conseil de sécurité des Nations unies qui ont adopté à l’unanimité la résolution présentée par la France. (Vifs applaudissements sur les bancs des groupes SRC, RRDP et du groupe écologiste.)

Le secrétaire général des Nations unies a encore lancé vendredi un appel d’urgence sur la situation en République Centrafricaine. Le président de l’Union européenne, M. Van Rompuy, a approuvé l’initiative de la France.

Mesdames et messieurs les députés, c’est la fierté de la France d’assumer ses responsabilités. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste et RRDP.) La France agit, je le répète, aux côtés des Africains regroupés au sein de la MISCA. Quant à l’Union européenne, je viens de le dire, elle accompagne, depuis le début, cette opération.

M. Jean-François Lamour. De loin !

M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre. Le président du Conseil européen qui participait au sommet de l’Élysée a souligné les risques que la déstabilisation des pays africains fait peser sur la sécurité de l’Europe tout entière. L’Europe agit sur le terrain avec la mise en place, hier, d’un pont aérien entre Douala et Bangui pour acheminer l’aide humanitaire. Et l’Europe apporte ses capacités de financement. Les États membres qui disposent de moyens opérationnels nécessaires ont décidé de s’engager. Sans attendre, le Royaume-Uni a mis des moyens aériens à notre disposition.

M. Yves Fromion. Un avion !

M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre. La Belgique se prépare à apporter son appui, d’autres nous font savoir leurs disponibilités. D’avance, la France les remercie. Quant aux États-Unis, ils fourniront dans les prochains jours des capacités de transport pour les contingents africains et ont promis 40 millions de dollars pour la MISCA. L’Union européenne la finance déjà à hauteur de 50 millions d’euros et examine comment s’engager rapidement dans le domaine de la formation de cette force.

Au-delà de l’urgence, en effet, il faut préparer l’avenir. Et cet avenir passe notamment par la restructuration des forces de sécurité et par la restauration de l’autorité de l’État et des services publics en République Centrafricaine.

Il faudra aussi – et c’est la détermination de la France – que la transition politique soit menée à son terme. Trop longtemps, je dis bien trop longtemps, la République Centrafricaine a été ballottée au gré des pouvoirs faibles d’une gouvernance défaillante et de l’ingérence d’acteurs extérieurs.

M. Jean-Paul Bacquet. Oui.

M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre. Notre volonté, mesdames et messieurs les députés, c’est de tourner cette page. C’est celle qu’exprimera le Président de la République à l’occasion de sa visite à Bangui ce soir au retour de l’Afrique du sud. Il ira adresser ce message.

M. Jean-Pierre Gorges. Avec Sarkozy ?

M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre. Avec les Centrafricains, les pays de la région ont posé les contours d’un processus de transition devant aboutir à des élections présidentielles et législatives libres et transparentes, le plus tôt possible. Les autorités centrafricaines se sont engagées à mener à bien cette transition. La communauté internationale fera preuve de la plus grande vigilance. Il y va de la renaissance de la République Centrafricaine.

Mesdames, messieurs les députés, je l’ai dit, la décision d’engager nos forces armées est toujours une décision grave. En ces circonstances, l’unité de la nation et de l’ensemble des forces politiques est indispensable. En recevant, ce matin, les présidents des deux assemblées ainsi que ceux de leurs groupes politiques et des commissions compétentes, j’ai pu constater une large convergence de vues. Je tiens d’ores et déjà à remercier les présidents des différents groupes parlementaires pour leur contribution constructive à l’occasion de cette réunion, qui ne manquera pas d’être prolongée par les différentes interventions dans cet hémicycle à l’occasion de ce débat.

Cette unité, mesdames, messieurs les députés, nous la devons d’abord à nos soldats qui, au péril de leur vie, agissent sur un nouveau théâtre. Je ne soulignerai jamais assez avec vous leur courage et leur professionnalisme. Cette unité, mesdames et messieurs les députés, nous la devons ensuite au peuple centrafricain qui traverse depuis trop longtemps les épreuves et qui est en droit de prétendre à des lendemains meilleurs, lui aussi. La crise actuelle pourra, j’en suis profondément persuadé, être surmontée et céder le pas à la reprise du dialogue intercommunautaire, à la réconciliation nationale et à une perspective de développement. Et la France fera preuve de solidarité.

Cette unité, nous la devons enfin à l’Afrique, notamment aux pays d’Afrique centrale qui se sont mobilisés de façon exemplaire et qui ont, unanimement, demandé l’aide de la France. La France assume ses responsabilités internationales. La France tient parole en étant à leurs côtés. Elle respecte ses valeurs, celles qui sont au cœur de notre République. Oui, voilà, mesdames, messieurs les députés, la motivation de la France.

Un des plus grands hommes que le continent africain ait connu – et nous venons de lui rendre hommage – disait : « Ce monde doit être celui de la démocratie et du respect des droits humains, un monde libéré des affres de la pauvreté, de la faim, du dénuement et de l’ignorance, épargné par les guerres civiles et les agressions extérieures et débarrassé de la grande tragédie vécue par les millions de réfugiés ». Cet homme, c’était Nelson Mandela. Eh bien, c’est fidèle à son message, à son engagement, à son courage que la France aujourd’hui s’engage aux côtés du peuple centrafricain ! (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste et RRDP.– Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

M. Yves Censi. Ce n’est pas possible !

M. le président. S’il vous plaît, mes chers collègues, écoutons M. le Premier ministre.

M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre. C’est la liberté du peuple centrafricain, son aspiration à retrouver la paix et la sécurité, à bénéficier de l’assistance humanitaire la plus élémentaire que nos hommes défendent aujourd’hui avec les forces africaines. Cette cause est juste. Elle correspond à l’idée même que la France se fait de sa place dans le monde. Le Président de la République et le Gouvernement ont donc fait le choix de l’action.

À l’heure d’assumer à nouveau cette responsabilité, je sais que nous continuerons à nous rassembler. L’Assemblée, je l’espère, le démontrera de manière solennelle et digne cet après-midi pour que nos soldats, se sentant soutenus, soient plus forts et que les objectifs de la France soient pleinement atteints.

Voilà, mesdames et messieurs le message du Gouvernement. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste et RRDP.)

M. le président. La parole est à M. Christian Jacob, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.

M. Christian Jacob. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mes chers collègues, nos soldats ont entamé une mission extrêmement périlleuse en Centrafrique. Deux d’entre eux ont perdu la vie et c’est d’abord à eux que nous pensons. Nous mesurons toute l’ampleur de leur sacrifice.

Monsieur le Premier ministre, notre engagement en Centrafrique ne méritait pas le ton polémique que vous avez voulu employer. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et UDI.)

Quelle méconnaissance de notre continent africain, permettez-moi de vous le dire ! (Protestations sur les bancs du groupe SRC.)

M. Jean-Christophe Cambadélis. Et vous, quelle condescendance !

M. Nicolas Bays. C’est sûr que Sarkozy le connaissait, le continent africain !

M. le président. Je vous en prie, mes chers collègues ! Écoutons l’orateur.

M. Christian Jacob. Nous le déplorons d’autant plus que nous soutenons la décision du Président de la République de déclencher l’opération Sangaris.

M. Jean-Luc Laurent. Eh bien alors ?

M. Christian Jacob. Cela n’excuse pas, cher collègue, toutes les erreurs historiques que nous avons pu entendre. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Nous la soutenons car c’est une décision que le Président ne pouvait pas ne pas prendre au regard du drame qui se noue dans ce pays si intimement lié à l’histoire de France.

Nous soutenons d’abord un débat parlementaire respectueux en tout point de la lettre et de l’esprit de nos institutions.

Le Président de la République – et c’est sa responsabilité – a décidé l’envoi des troupes françaises vendredi dernier. Vous disposiez, monsieur le Premier ministre, en vertu de l’article 35, de trois jours pour informer le Parlement. Ce matin, vous avez réuni les principaux responsables parlementaires à Matignon et nous voici dans l’hémicycle pour en débattre.

Si j’insiste sur ce point, ce n’est pas par je ne sais quel juridisme tatillon. C’est simplement parce que nous avions mal vécu le débat sur la Syrie en septembre dernier. Vous nous aviez convoqués pour débattre d’une intervention militaire virtuelle. Cela avait créé un trouble dans de nombreux rangs, sur tous les bancs de cette assemblée.

Les choses sont beaucoup plus claires aujourd’hui. C’est une bonne chose et cela a permis de créer les conditions d’un consensus.

M. Jean Glavany. Grâce à vous, bien sûr !

M. Christian Jacob. Ce consensus est évidemment renforcé par le vote d’une résolution du Conseil de sécurité des Nations unies. La France, sauf si ses intérêts vitaux étaient menacés, n’intervient pas sans la force du droit international avec elle.

M. Jacques Myard. Bravo !

M. Christian Jacob. C’est une constante de notre politique diplomatico-militaire depuis cinquante ans.

M. Christian Paul. Comme en Libye !

M. Christian Jacob. Nous pourrions en reparler.

Une fois la résolution 2127 votée, tout était donc en place pour que le Président de la République prenne sa décision. J’entends ici et là quelques reproches selon lesquels nos troupes se seraient déployées trop lentement depuis vendredi dernier. Ce sont des reproches que nous ne pouvons pas laisser prospérer. Nos soldats agissent au prix de leur vie et ont déjà payé un lourd tribut. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et UDI et sur quelques bancs du groupe SRC.)

Mme Patricia Adam, présidente de la commission de la défense nationale et des forces armées. En effet !

M. Christian Jacob. Leur sécurité n’est pas négociable et il est de la responsabilité du Gouvernement et de nos chefs militaires de la garantir.

Ce que nous disons aujourd’hui à nos soldats, c’est qu’ils peuvent être fiers de la cause juste qu’ils servent en Centrafrique. Et nous leur disons, alors qu’ils sont au feu, que nous les soutenons totalement. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et UDI et sur plusieurs bancs du groupe SRC.)

Notre contingent de plus de 1 600 soldats, aux côtés de la Mission internationale de soutien à la Centrafrique, est en première ligne dans un pays qui est devenu une véritable poudrière en proie à des exactions, des pillages, des viols, des massacres de masse. La France ne pouvait laisser perdurer cette situation qui risquait de déboucher sur une tragédie génocidaire.

Cette mission de la France est noble, elle est juste et conforme aux valeurs de la République. Mais nous devons sans hypocrisie la vérité aux Français qui doutent du sens de notre présence sur un théâtre d’opérations qui leur semble si lointain.

Le Président de la République nous a annoncé une « opération rapide et qui n’a pas vocation à durer ». Nous partageons cet objectif. Mais est-il vraiment réaliste ?

Plusieurs députés du groupe UMP. Mais non !

M. Christian Jacob. Ce pays est en proie à ce qui s’apparente à une guerre civile. Le président Djotodia – dont nous ne savons d’ailleurs pas si vous le soutenez toujours – n’a manifestement pas la capacité de désarmer ses ex-alliés. Nos soldats, dans le délai fixé par François Hollande, en seront-ils capables ? Rien n’est moins sûr.

Voilà pourquoi nous pensons qu’il est responsable de dire précisément à nos concitoyens ce qui se joue en Centrafrique.

Ce qui se joue en réalité, c’est la stabilité d’une très vaste zone africaine, une zone qui déborde peu à peu la bande sahélienne, une zone où la criminalité et le terrorisme islamiste tentent de prendre le pouvoir. En Centrafrique aussi, ce mouvement puissant est à l’œuvre et la dimension confessionnelle du conflit ne doit pas être minimisée. Les chrétiens sont en grave danger en Centrafrique. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et UDI et sur plusieurs bancs du groupe RRDP.)

Nous attendons que le Président de la République ait ce discours de vérité. II est plus que jamais indispensable de rappeler que la Centrafrique est une pièce de ce puzzle où nos intérêts géostratégiques sont nombreux.

Cet effort de pédagogie et de vérité sur notre stratégie militaire en Afrique nous revient collectivement. Du Mali à la Centrafrique en passant par le Niger avec ses sites d’extractions d’uranium, la France ne met pas seulement en œuvre une diplomatie des bons sentiments, elle défend ses intérêts. Dites-le clairement, monsieur le Premier ministre, cela renforcera la légitimité politique de cette intervention au-delà de sa légitimité morale et internationale. (« Assumez ! » et applaudissements sur les bancs des groupes UMP et UDI.)

Mais nous devons, à ce stade, monsieur le Premier ministre, exprimer nos doutes et nos inquiétudes. Une fois de plus, la France est bien seule. Des questions essentielles auxquelles vous n’avez pas répondu se posent.

La première est celle de notre capacité à tenir budgétairement un tel rythme d’engagement. Le vote récent d’une loi de programmation militaire très faible et sans ambition pose avec acuité cette question : aurons-nous dans la durée les moyens d’une stratégie où la France serait le seul gendarme de cette partie du monde ?

M. Jean-François Lamour. Très juste !

M. Christian Jacob. La loi de programmation militaire va peser sur nos capacités de projection et, plus grave, sur la capacité d’entraînement de nos armées. Dans ces conditions, on peut douter que la France aura demain les moyens de projeter des troupes en Afrique ou ailleurs. Vous avez pris avec cette loi de programmation militaire une lourde responsabilité, monsieur le Premier ministre. (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes UMP et UDI.)

La deuxième question est celle de la stratégie partagée de l’Union européenne, partagée en termes de moyens matériels, de financement et d’effectifs. Il faut beaucoup plus de solidarité dans les opérations conduites dans l’intérêt de tous. Il est urgent de créer un fonds européen de financement des opérations extérieures, comme l’a proposé récemment notre collègue Pierre Lellouche. Ce doit être un enjeu du prochain Conseil européen.

Enfin, la dernière question est celle de la capacité d’intervention des organisations africaines. Cette intervention sera financée par des contributions volontaires des États. Les promesses de dons sont malheureusement toujours supérieures aux dons effectifs. Les forces africaines de la MISCA, hier débordées, sauront-elles prendre demain le relais de nos soldats ? On peut l’espérer et tenter de les préparer. Mais le principe de réalité s’imposera et nos soldats n’auront d’autres choix que de rester.

Monsieur le Premier ministre, je conclurai en réitérant le soutien du groupe UMP à cette opération menée dans le cadre d’un mandat de l’ONU. Nous avons pris acte de l’annonce par le Président de la République d’une mission courte. Nous appelons toutefois votre attention sur les deux points faibles de la résolution des Nations unies : d’une part, le financement incertain ; d’autre part, la frilosité de la communauté internationale devant la nécessité de déployer une opération de maintien de la paix le plus vite possible. Nous soutiendrons toutes les initiatives de notre diplomatie dans cette direction car c’est la clef de la réussite de l’intervention française.

Nos soldats n’auront posé les bases d’un succès dans la durée qu’à deux conditions : que nous n’y restions pas seuls, et que nous transmettions rapidement la responsabilité de l’ordre et du maintien de la paix à une force internationale, de préférence africaine. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et UDI.)

M. le président. La parole est à M. Bruno Le Roux, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.

M. Bruno Le Roux. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, le groupe SRC se joint d’abord aux autres groupes pour rendre hommage aux deux soldats français du huitième régiment de parachutistes d’infanterie de Castres, Antoine Le Quinio et Nicolas Vokaer qui ont perdu la vie dans la nuit de lundi à mardi, dans l’exercice de leur mission au service de la France. Leur dévouement exemplaire doit être ici salué.

Permettez-moi de ne pas m’adresser seulement à vous comme il est d’usage, mais de parler directement aux Français qui se demandent pourquoi nos forces armées sont amenées à risquer des vies à plusieurs milliers de kilomètres d’ici.

Il y a quelques jours, la République centrafricaine était le théâtre sanguinaire d’une situation qualifiée de pré-génocidaire. Dans les faubourgs de Bangui, à Bossangoa et dans plusieurs autres localités, des massacres à l’intensité croissante étaient perpétrés. Alors que la violence la plus aveugle ressurgissait, il était de la responsabilité de la communauté internationale d’empêcher la République centrafricaine de sombrer dans le chaos et la barbarie.

Depuis l’adoption de la résolution 2127 du Conseil de sécurité des Nations unies, la France a l’opération Sangaris pour mettre fin sans plus tarder aux exactions et pour pacifier avec l’aide des armées de nos partenaires qui sont déjà sur le terrain – je pense en particulier aux soldats africains – un pays aujourd’hui à feu et à sang. Le déploiement de 1 600 soldats français conjugué à l’engagement de 2 500 hommes de la MISCA doit permettre de restaurer la stabilité et la paix.

Le Président de la République a pris une décision courageuse et responsable en engageant nos forces dans ce conflit. Oui, il était impératif de répondre à l’appel de toutes les composantes de la société centrafricaine pour ne pas laisser la République centrafricaine se transformer, vingt ans après, en un nouveau Rwanda.

Notre débat d’aujourd’hui se tient en application de l’article 35 de notre Constitution. Les dispositions de cet article offrent la possibilité d’un débat qui n’a jamais manqué d’être mis en œuvre depuis plusieurs mois, à chaque fois que des opérations réclament l’engagement de nos armées. Les présidents de groupe sont systématiquement associés et consultés et un débat a lieu au Parlement.

M. Christian Jacob. C’est la Constitution !

M. Bruno Le Roux. Je me félicite de cette pratique constante du Président de la République et de votre gouvernement, monsieur le Premier ministre. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. Yves Censi. C’est incroyable : il n’y a rien là d’extraordinaire !

M. Bruno Le Roux. Depuis maintenant une décennie, dans le cadre de l’opération Boali, la France apporte un soutien à la force africaine de stabilisation en Centrafrique désormais sous l’égide de l’Union africaine. Lors de la prise de pouvoir par les rebelles de la Séléka à la fin du mois de mars 2013, un renforcement du détachement Boali a été décidé. C’est sur ce dispositif que s’appuie l’opération Sangaris que nous venons d’engager.

Cette opération diffère très nettement, vous l’avez souligné, monsieur le Premier ministre, de l’opération Serval engagée pour répondre à l’appel du peuple malien il y a près d’un an.

À court terme, il ne s’agit pas de défendre un État contre l’agression armée de groupes terroristes, mais de protéger une population en proie aux exactions de milices mues par une logique de prédation. Voilà ce qui se passe sur le terrain, à Bangui et en Centrafrique. Le pays a plongé dans un véritable chaos depuis la prise de Bangui par les rebelles de la Séléka, lesquels ont ciblé en particulier les églises et les quartiers chrétiens, dans la capitale et dans de nombreuses villes du pays.

Ces pillages, ces exactions, ont suscité des réactions violentes de la part des chrétiens, qui représentent 85 % de la population centrafricaine. À leur tour, ils se sont constitués en groupes d’autodéfense, les « anti-balaka », s’en prenant aveuglément à leurs compatriotes musulmans. Ainsi, les affrontements en Centrafrique, ravagée depuis tant d’années par les coups d’État, prennent une dimension interconfessionnelle qui était jusqu’alors inexistante dans ce pays.

Face à cette catastrophe annoncée, la France ne pouvait pas fermer les yeux et devait être à la hauteur de ses responsabilités. Parmi ces responsabilités, figure justement la responsabilité de protéger les populations du génocide, des crimes de guerre, du nettoyage ethnique et des crimes contre l’humanité. Appliquer cette responsabilité de protéger à la situation centrafricaine est une évidence quand on est un responsable politique français.

Tout d’abord, la cause de l’urgence humanitaire : 1,6 million de Centrafricains ont besoin d’une aide d’urgence, soit environ un tiers de la population ; un Centrafricain sur dix est déplacé aujourd’hui.

Les règlements de compte entre milices pro et anti-Séléka, les exécutions sommaires, les arrestations arbitraires, les massacres à la machette qui ont visé indistinctement hommes, femmes et enfants, les actes de torture et les violences sexuelles, les pillages et les brigandages en tous genres constituent désormais le lot quotidien du peuple centrafricain.

Cela justifie pleinement, mes chers collègues, une intervention armée lancée pour assurer la sécurité des Banguissois et de tous les Centrafricains, et je suis heureux que, sur cet objectif, nous nous retrouvions aujourd’hui, comme nous avons pu le constater ce matin, dans une unité qui transcende les camps. La vocation de la France est en effet de s’interposer quand des peuples sont exterminés, quand on se bat à coups de machette pour sa religion, quand on devient le prédateur de l’autre, afin de rétablir le calme et la tranquillité. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

À ce stade, il convient de rappeler l’étendue des ravages causés par l’impuissance passée de la communauté internationale dans la sous-région. À l’Est de la République Centrafricaine, le Soudan a connu une guerre civile qui a fait quatre millions de victimes et s’est conclue par la partition du pays. Au sud de la République Centrafricaine, la République du Congo a été le théâtre de la deuxième guerre du Congo. Cette guerre a, elle aussi, engendré plus de 4 millions de morts et ne s’est véritablement achevée que le mois dernier avec la reddition des combattants du M23.

Au-delà de l’enjeu humanitaire, nous devons aussi relever un défi sécuritaire considérable. Un flot important de réfugiés affecte tous les pays limitrophes – République Démocratique du Congo, Tchad, Cameroun, Soudan –, pays déjà fragilisés par leurs propres problèmes internes.

Or, la République Centrafricaine se trouve au carrefour de trois zones elles-mêmes en crise : le Sahel, l’Afrique de l’Est et la région des Grands Lacs. Elle incarne malheureusement ce que le dernier Livre Blanc sur la défense et la sécurité nationale appelle « le risque de la faiblesse » : faute de structures étatiques dignes de ce nom, elle devient un terreau propice aux trafics d’ivoire et de diamants, ainsi qu’aux réseaux armés. Cela favorise l’implantation de réseaux s’articulant autour des ex-opposants tchadiens au sein de la Séléka, d’activistes de la LRA, et pouvant constituer demain des réseaux terroristes comme Boko Haram, chassé du Nigeria et du Cameroun voisin. Ce danger existait et existe toujours aujourd’hui en République Centrafricaine, et personne ne peut se résoudre à cette évolution inacceptable.

Ainsi, les forces françaises et la MISCA engagées dans l’opération Sangaris doivent rétablir la sécurité sur l’ensemble du territoire centrafricain.

Mes chers collègues, je voudrais, pour finir, déjà tirer quelques enseignements de la crise centrafricaine.

Tout d’abord, le développement d’une forme d’égoïsme international : alors qu’un consensus s’est dégagé pour constater que la RCA se trouvait dans une situation pré-génocidaire, au-delà de nos partenaires africains, seule la France a pris toutes ses responsabilités pour répondre à l’urgence. Je regrette, même s’ils nous accompagnent au niveau logistique en mettant des avions à disposition, que les États-Unis aient refusé le déploiement de 6 000 casques bleus, préconisé par le secrétaire général des Nations unies. Pourtant, Samantha Power, l’ambassadrice des États-Unis auprès des Nations unies, fut l’une des premières à ouvrir les yeux de la communauté internationale sur les ravages de son impuissance face aux génocides.

De la même façon, cela a été dit avant moi, l’Union européenne ne joue pas pleinement son rôle. Notre groupe sait que le Gouvernement profitera pleinement du prochain Conseil européen dédié aux questions de défense pour obtenir de l’Europe qu’elle déploie enfin tous les outils dont elle dispose pour défendre la paix et la sécurité au-delà de ses frontières.

Monsieur le Premier ministre, alors que notre nation s’apprête à commémorer le centenaire de la Grande Guerre, il ne faut pas oublier, dans ces combats pour la liberté de la France, ce que nous devons à ceux qui sont venus combattre à nos côtés. Dans notre réflexion comme dans notre action, cette leçon sert de guide pour engager aujourd’hui la France sur ces théâtres d’opération. Le peuple centrafricain, nous le savons, aspire à renouer avec les piliers de sa devise patriotique : unité, dignité, travail. Notre honneur, monsieur le Premier ministre, est de l’accompagner sur le chemin de sa renaissance. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste et RRDP.)

M. le président. La parole est à M. Roger-Gérard Schwartzenberg, pour le groupe RRDP.

M. Roger-Gérard Schwartzenberg. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs, je tiens avant tout à m’incliner en mémoire des deux soldats tués hier en Centrafrique, et à rendre hommage à tous les militaires de l’opération Sangaris, qui risquent leur vie en Centrafrique pour que la population de ce pays puisse retrouver la paix et la sécurité. Leur mission, c’est de protéger les civils, abandonnés à la violence meurtrière des diverses milices par un État devenu impuissant ; c’est d’empêcher le chaos et la terreur ; c’est d’agir dans un but strictement humanitaire et sécuritaire. Nos soldats ne poursuivent aucun objectif de puissance : ce sont des combattants de la paix. Notre collègue Gérard Charasse, qui préside le groupe d’amitié avec la Centrafrique, a souvent appelé l’attention du Gouvernement sur la gravité de la situation et sur la nécessité d’une intervention rapide. Il l’a fait notamment par des questions d’actualité les 29 mai et 10 octobre derniers.

La population de la RCA vit en effet un drame humanitaire, terrorisée par des groupes armés rivaux. Intolérance, insécurité, inhumanité : les pires violences s’accomplissent – massacres et tueries, viols et mutilations, pillages et incendies.

La France pouvait-elle rester indifférente à un tel drame ? Bien sûr que non, vu notre histoire, nos liens très anciens avec ce territoire. Notre intervention se situe pleinement dans le cadre de la légalité internationale, fondée sur la base de la résolution 2127 du Conseil de sécurité, qui autorise le déploiement de la force africaine – la MISCA – afin de protéger les civils, rétablir l’ordre et la sécurité. De même, elle autorise les forces françaises en RCA à soutenir la MISCA dans l’accomplissement de son mandat.

Tout en approuvant, bien sûr, cette opération à visée essentiellement humanitaire, l’on peut toutefois formuler quelques observations.

Première observation, qui a trait à la procédure : vous appliquez fidèlement, monsieur le Premier ministre, la Constitution et son article 35, révisé en 2008, qui dispose que « Le Gouvernement informe le Parlement de sa décision de faire intervenir les forces armées à l’étranger, au plus tard trois jours après le début de l’intervention. Cette information peut donner lieu à un débat, qui n’est suivi d’aucun vote. » Mais on peut regretter deux aspects de cet article 35, dont vous n’êtes évidemment nullement l’auteur. D’une part, mieux vaudrait que cette information et ce débat parlementaire aient lieu avant le début de l’intervention, et non après, car cette situation rend l’échange avec le Parlement un peu académique. Bref, on décide d’abord,…

M. Jacques Myard. On tire d’abord !

M. Roger-Gérard Schwartzenberg. …et on débat après. D’autre part, le fait que ce débat ne puisse être suivi d’aucun vote prive les parlementaires du droit de se prononcer sur un problème pourtant majeur pour notre pays. Paradoxe là aussi, car l’article 3 de la Constitution confie à ces représentants du peuple l’exercice de la souveraineté nationale. Peu importe toutefois dans le cas présent, car nul ne doute que votre déclaration aurait été largement approuvée par le Parlement.

Mais venons-en au fond. Tout d’abord, la France a l’obligation d’agir, mais il est souhaitable qu’elle ne soit pas la seule à le faire. Or, une fois encore, comme au Mali, aucune autre puissance non africaine n’intervient militairement sur le terrain. Plusieurs grands États s’intéressent vivement au continent africain et à ses potentialités économiques mais, alors qu’il faudrait intervenir sur place pour protéger les populations civiles, ils restent inactifs, laissant ce soin exclusivement à notre pays et s’en tenant au service minimum, c’est-à-dire à un soutien logistique ou financier.

Le président ivoirien, Alassane Ouattara, le soulignait récemment : « Quoi qu’on dise de l’influence grandissante de la Chine, des États-Unis ou du Brésil sur notre continent, ces pays ne se sont pas engagés chez nous sur le front de la défense et de la sécurité. Ils ne prennent pas les mêmes risques que la France. Tous ceux qui profitent des richesses de l’Afrique doivent aussi contribuer à sa sécurité. »

M. Gérard Charasse. Très bien !

M. Roger-Gérard Schwartzenberg. L’attitude de l’Europe est particulièrement décevante.

M. François Loncle. Elle est même lamentable !

M. Roger-Gérard Schwartzenberg. Comme ce fut déjà le cas pour Serval, aucun des grands États européens n’accompagne nos forces dans l’opération Sangaris.

M. Jean-Paul Bacquet. S’ils ne veulent pas intervenir, qu’ils payent !

M. Roger-Gérard Schwartzenberg. Cette inaction n’est pas convenable. Les responsables de l’Union européenne, M. Barroso, M. Van Rompuy, Mme Ashton, souvent si loquaces, si prolixes, si prompts à dispenser leurs leçons, sont ces temps-ci bien silencieux et bien discrets.

M. Jean-Paul Bacquet. Personne ne les connaît !

M. Roger-Gérard Schwartzenberg. Pourtant, depuis les traités de Maastricht et de Lisbonne, l’Europe est censée avoir une politique de sécurité et de défense commune. À ce titre, il est prévu depuis longtemps qu’un Conseil axé sur la défense se tienne les 19 et 20 décembre. Ce serait l’occasion de traiter de la RCA et de convenir d’agir ensemble, sans laisser la France intervenir seule.

M. Jean-Paul Bacquet. Nous ne sommes pas seuls !

M. Roger-Gérard Schwartzenberg. Mais attendre l’Europe pour agir en Afrique, ce serait comme attendre Godot, c’est-à-dire entretenir un espoir assez vain : en réalité, l’Europe de la défense n’existe pas ! (Applaudissements sur quelques bancs des groupes RRDP et UMP.)

M. Jacques Myard. Eh oui !

M. Roger-Gérard Schwartzenberg. Deuxième observation : au départ, on assurait qu’il s’agirait d’une opération ponctuelle, limitée dans le temps. Comme François Hollande l’a déclaré initialement, cette opération sera rapide et n’a pas vocation à durer. Ensuite, notre pays projette de passer le relais, dans un délai raisonnable, aux forces africaines.

Toutefois, les opérations précédentes menées en Afrique par notre pays ont souvent duré plus que prévu ou ont dû se répéter et se reproduire. Avec Serval, l’armée restera au Mali assez durablement, certes dans un format plus réduit qu’au début. En Centrafrique, depuis 1979 et la chute de Bokassa, nos forces en sont à leur septième opération. Machiavel disait : « On peut commencer la guerre quand on veut, mais on ne la finit pas de même. »

Dernière observation : depuis septembre, la crise en RCA a pris la tournure d’une guerre civile confessionnelle, avec son lot d’intolérance, d’intégrisme, voire de fanatisme. D’un côté, les anciens rebelles de la Séléka, à majorité musulmane, partisans du pouvoir issu du coup d’État du 24 mars ; de l’autre côté, des groupes paysans d’autodéfense chrétiens, comme les anti-balaka.

Les affrontements actuels reflètent de plus en plus ces tensions interreligieuses et intercommunautaires.

Le XXe siècle avait été marqué, en France et ailleurs, par la laïcité, par la séparation de la religion et de la vie publique. Le XXIe semble, au contraire, revenir parfois à la situation antérieure, où les conflits politiques étaient liés à des conflits religieux.

La laïcité permet à tous de vivre ensemble, par-delà les différences confessionnelles. Il serait très utile de restaurer pleinement cette valeur, ici et ailleurs, car elle est un facteur de paix civile, de concorde et d’unité nationale.

Monsieur le Premier ministre, le groupe RRDP approuve et soutient l’action de votre Gouvernement en Centrafrique, action conforme à l’évidence aux valeurs de la République. L’hymne national de la RCA s’intitule La Renaissance. Il faut souhaiter, en effet, qu’avec l’aide de la France, une renaissance succède aux temps troublés et souvent tragiques d’aujourd’hui qui blessent ou meurtrissent ce pays. Nous avons avec lui une longue histoire commune, avec ce qui fut le territoire de l’Oubangui-Chari, avec ce pays qui se rallia dès septembre 1940 à la France libre.

Nous nous devons d’agir pour arracher à la détresse ce pays de 5 millions d’habitants, l’un des plus pauvres du monde. Nous le devons par fidélité, par solidarité, pour qu’il puisse connaître, demain, une société libre et juste, une société de fraternité et peut-être un avenir d’espérance. (Applaudissements sur les bancs du groupe RRDP.)

M. le président. La parole est à M. André Chassaigne.

André Chassaigne. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, madame et messieurs les ministres, chers collègues, c’est avec émotion que je m’associe, au nom de mon groupe, à l’hommage unanime rendu aux soldats morts en Centrafrique.

Un an à peine après l’engagement de la France au Mali, notre pays se lance dans une nouvelle opération sur le continent africain. Après l’opération Serval qui devait s’achever en juillet dernier, le Président de la République vient de déclencher l’opération Sangaris qui se traduit par le déploiement de 1 600 soldats français. Il s’agit de la cinquantième intervention française en Afrique subsaharienne depuis les indépendances d’il y a cinquante ans.

Cette intervention en Centrafrique s’inscrit dans une longue lignée d’opérations menées par les troupes françaises dans cette colonie, indépendante officiellement depuis 1960, en proie à la pauvreté, à l’instabilité et aux conflits. Autant d’interventions qui n’ont jamais permis de répondre aux maux qui gangrènent la Centrafrique.

La Centrafrique, si elle n’est pas dénuée de ressources naturelles, est classée parmi les États les plus pauvres de la planète, occupant la 171e place sur 177 selon le classement de l’indicateur de développement humain du programme des Nations unies pour le développement. La France y est le premier investisseur. Il est impossible, dès lors, de prendre part à ce débat sur l’engagement des troupes françaises en Centrafrique sans ouvrir le dossier de la Françafrique.

Tous les dix ans ou presque, un président de la République centrafricaine chasse l’autre par un coup d’État, derrière lequel la France n’est jamais très loin. Le peuple centrafricain a ainsi vu défiler des personnages insensibles à son sort, aussi corrompus qu’irresponsables.

M. Bertrand Pancher. Eh oui !

André Chassaigne. Les uns après les autres, les dictateurs ont été choisis et maintenus, au gré de « nos intérêts », mais aussi pour protéger des bases militaires françaises dans ce pays considéré comme un porte-avions au centre de l’Afrique, utilisé lors des nombreuses interventions militaires dans la région.

La France n’est pas étrangère à la situation chaotique que connaît ce pays. Elle porte une responsabilité historique dans la tragédie centrafricaine. Elle n’est donc pas la plus qualifiée pour intervenir. C’est un paramètre que nous ne pouvons ignorer même si, je le dis clairement, il n’est pas question de tergiverser pour la protection des populations civiles, premières victimes des violences sanglantes qui déchirent ce pays.

M. le ministre des affaires étrangères a déclaré, face à la communauté française de Bangui le 13 octobre dernier : « Sachez que l’amitié traditionnelle qu’a portée la France à la Centrafrique, nous voulons la manifester de nouveau pour aujourd’hui et pour demain ».

Pourtant, notre histoire commune est marquée par de sombres affaires. Nous gardons en mémoire le pitoyable sacre de l’ancien sous-officier de l’armée française devenu l’empereur Bokassa 1er en présence de la diplomatie française. Malgré ce soutien, le président Valéry Giscard d’Estaing a décidé de débarquer son ancien ami devenu trop encombrant, incontrôlable, qui menaçait nos intérêts, pour réinstaller au pouvoir le président David Dacko, pour ensuite favoriser la dictature du général Kolingba. Il sera remplacé par le dictateur Ange-Félix Patassé qui sera, quant à lui, chassé du pouvoir en mars 2003 par le général Bozizé. Un jeu de chaises musicales orchestré par l’ancienne puissance coloniale.

En 2007, face à la multiplication des mouvements rebelles sous influence soudanaise et tchadienne, les parachutistes français sautent sur Birao, dans le nord de la République centrafricaine. C’est de ce nord musulman qu’est venue, en décembre 2012, l’offensive des rebelles de la Séléka qui, le 24 mars dernier, porta au pouvoir Michel Djotodia. Dans un réflexe hérité de l’histoire, le président Bozizé a vainement appelé à l’aide la France avant de prendre la fuite.

C’est ainsi que l’actuel président centrafricain est arrivé au pouvoir avec le soutien des rebelles de la Séléka, qui sont devenus ses propres ennemis, Michel Djotodia qui en a appelé à la France après avoir dissous la coalition rebelle de la Séléka.

Aussi, au regard de notre histoire en Centrafrique, on peut légitimement s’interroger sur les différentes motivations d’une nouvelle intervention dans l’ancienne colonie.

M. François Loncle. Vous mélangez tout !

André Chassaigne. L’ordre du jour réel du Sommet pour la paix et la sécurité en Afrique qui s’est tenu à Paris il y a quelques jours était clair : avant de parler de paix et de sécurité, Paris et ses alliés du continent africain se sont intéressés à leurs préoccupations économiques et financières. Ce sommet était avant tout une offensive diplomatique pour la sauvegarde des intérêts de la France en Afrique.

M. François Loncle. Caricature !

André Chassaigne. Riche de ses ressources naturelles – mines d’or, de diamants, de mercure, d’uranium, de fer, mais aussi culture de manioc, de bananes, de maïs, de café, de tabac, de coton, de canne à sucre, une forêt de 3,8 millions d’hectares aux essences précieuses – la République centrafricaine suscite l’intérêt du monde des affaires et du monde politique.

Pourtant, ce n’est pas de cet intérêt dont le peuple centrafricain a besoin. Le peuple centrafricain a besoin que nous l’aidions à profiter pleinement de ses richesses et que nous l’aidions à mettre fin à la situation de confiscation du pouvoir politique et économique aux mains de quelques-uns. Car, les germes de la crise actuelle sont aussi d’essence économique et sociale.

Le peuple centrafricain a besoin du soutien de la communauté internationale pour que cessent les massacres qui se multiplient, alors que les affrontements entre les milices Séléka et anti-balaka terrorisent la population civile.

La terreur et la misère ont déjà poussé un demi-million de réfugiés dans des camps de fortune. Aussi, je le redis, il n’est pas question de tergiverser pour la protection des populations civiles.

M. Avi Assouly. Eh bien alors ?

André Chassaigne. Pour autant, il convient d’agir avec discernement pour ne pas reproduire les erreurs du passé. C’est pourquoi, dans les circonstances que je viens d’évoquer, il revient aux Africains et à toute la communauté internationale d’aider ce peuple en danger.

M. François Loncle. C’est ce qu’on a dit !

André Chassaigne. Or derrière l’unanimité de la résolution onusienne autorisant le recours à la force, la réaction internationale est en réalité d’inspiration franco-française et sa teneur est purement militaire.

M. Jean-Paul Bacquet. C’est faux !

André Chassaigne. En effet, le texte, adopté par les quinze pays membres du Conseil sur proposition de la France, autorise les soldats français en Centrafrique à – je cite – « prendre toutes les mesures nécessaires pour soutenir la MISCA dans l’accomplissement de son mandat ». Dans ce cadre, la France va tripler son contingent sur place.

L’Afrique demeure donc un terrain d’actions militaires pour la France, ce qui fait d’ailleurs regretter à Amnesty international et à la Fédération internationale des ligues des droits de l’Homme l’absence de mise en place plus rapide d’une véritable force de maintien de la paix des Nations unies.

M. François Loncle. Vous mélangez tout ! On ne comprend rien !

André Chassaigne. Vous l’avez compris, nous avons, pour qualifier le sentiment qui nous anime, un réel malaise face à cette intervention. Nous pensons, en effet, que la France n’a pas vocation à jouer le rôle de gendarme de l’Afrique. Les valeurs anticoloniales, toujours défendues par les communistes, nous l’interdisent.

M. Jean-Paul Bacquet. C’est sûr !

André Chassaigne. Ces valeurs de solidarité doivent, au contraire, nous pousser à mettre sur pied un partenariat équitable et durable, un système d’aide au développement plus efficace, plus proche des populations. Ces valeurs nous obligent également à rompre définitivement avec la Françafrique et à encourager les démocrates africains et les diasporas militantes, pour faire tomber les honteuses tyrannies africaines qui n’ont que faire des peuples qui ne cessent de s’appauvrir.

M. François Loncle. Démagogie !

André Chassaigne. Ces dictatures préfèrent défendre les intérêts des firmes privées, tentaculaires, exploitant aujourd’hui 80 % des gigantesques gisements africains, et dont les bénéfices sont rapatriés dans des paradis fiscaux.

Notre pays a une dette morale considérable envers le peuple de Centrafrique, une dette qui nous oblige à reconnaître que nous n’étions pas les mieux à même pour intervenir dans la situation dramatique qui le frappe. Oui, nous sommes favorables au recours à une force d’interposition sous l’égide de l’ONU, mais une force qui soit multilatérale. Cela suppose que la France ne soit pas la seule à être impliquée, sur le terrain, aux côtés de la MISCA. C’est la communauté internationale, dans son ensemble, qui doit être mobilisée.

M. Guy Geoffroy. Très bien !

M. François Loncle. Ce discours, c’est un vrai délire !

André Chassaigne. Cette force doit avoir pour mission de créer les conditions d’un cessez-le-feu, d’un secours organisé aux populations en détresse et d’ouvrir la voie à l’État de droit.

Mme Claude Greff. Très bien !

André Chassaigne. Elle ne le pourra que si elle ne peut être soupçonnée d’agir au nom d’intérêts à préserver dans une ancienne colonie. C’est en lanceur d’alerte…

M. François Loncle. D’alerte rouge ! (Sourires.)

André Chassaigne. …que je m’adresse aujourd’hui à vous : les interventions militaires françaises vont à contre-courant de l’histoire.

Mme Claude Greff. La France n’a pas les moyens !

André Chassaigne. La mission de la France, c’est de défendre la stabilité et la paix des peuples en Afrique. Notre pays n’a pas vocation à défendre des dictatures et des États artificiels. La mission de la France, pour être en harmonie avec ses valeurs et ses idéaux des Lumières, n’est pas d’être le gendarme de l’Afrique, elle est de remiser les visions géostratégiques nées du temps de la colonisation pour en écrire d’autres, respectueuses des peuples, de leurs richesses et de leur souveraineté.

Mes chers collègues, c’est ainsi que la France se grandira ! (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR.)

M. Olivier Véran. Assez de ces discours moralisateurs !

M. le président.La parole est à M. Jean-Louis Borloo.

M. Jean-Louis Borloo. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, madame et messieurs les ministres, mes chers collègues, permettez au groupe UDI de s’associer au reste de la représentation nationale pour saluer la mémoire d’Antoine Le Quinio et Nicolas Vokaer et, d’une manière générale, l’ensemble du 8e RPIMa qui, partout, sur tous les continents, s’est illustré, notamment en 2008, huit des dix soldats tués le même jour appartenant à ce régiment. (Applaudissements sur les bancs des groupes UDI et UMP.) Je sais que Philippe Folliot est particulièrement affecté.

Le Président de la République a décidé d’engager l’armée française en République centrafricaine aux côtés des forces de la MISCA, conformément à une résolution du Conseil de sécurité de l’ONU. C’est une décision extrêmement lourde et grave que d’engager notre pays dans une guerre et les enfants de France au combat, au feu, avec tous les risques que cela suppose, y compris celui du prix de la vie.

Une telle décision nécessite une analyse sereine, républicaine, sans concession, prenant en compte toutes ses dimensions dans la durée.

La République centrafricaine est en plein chaos. Un cyclone de violence communautaire et inter-religieuse s’est abattu sur le pays. Des bandes armées se livrent à des razzias et à des massacres, des villages sont ravagés, brûlés, pillés, des habitants tués, des femmes violées. S’ils ne sont pas tués, ils prennent la fuite : on en compte 60 000 en république démocratique du Congo et 500 000 déplacés sur leur propre sol.

Lorsqu’un pays est dans un tel chaos, terroristes et trafiquants de tout poil pénètrent et se déploient à grande vitesse.

La République centrafricaine est un territoire vaste, entouré du Tchad, du Cameroun, des deux Soudan, du Congo-Brazzaville, de la République démocratique du Congo. Cette grande zone, riche de son avenir et qui nous est si proche, se trouve fragilisée.

Oui, pour des raisons humanitaires immédiates, pour s’opposer à un risque de génocide et au développement du terrorisme, cette intervention, faite dans le cadre de l’ONU en appui de la force africaine de la MISCA, est légitime, monsieur le Premier ministre. C’est en tout cas la position du groupe UDI. Rarement autant de circonstances auront justifié une opération militaire d’urgence. (Applaudissements sur les bancs des groupes UDI, RRDP, écologiste et SRC.)

De tout cœur, nous sommes aux côtés de nos 1 600 soldats de l’opération Sangaris qui, par leur courage et au risque de leur vie, vont éviter, nous l’espérons, que le massacre vire au génocide et faire en sorte que le sang cesse de couler. Nous leur disons notre reconnaissance et notre admiration.

C’est un paradoxe mais pas une contradiction, bien au contraire, de constater que cet engagement a lieu précisément au moment où le monde entier salue l’homme du combat pour toutes les libertés et pour la réconciliation des femmes et des hommes de toutes couleurs et de toutes appartenances, Nelson Mandela, et, à un jour près, alors que nous assistons à un conflit inter-religieux, à la date anniversaire de la loi sur la laïcité, de la loi de 1905. (Applaudissements sur les bancs des groupes UDI et RRDP.)

Oui, nous avons des liens fraternels avec l’Afrique et avec nos frères africains. Oui, nous avons des capacités militaires pré-positionnées. Oui, nous sommes dans notre zone d’influence et de responsabilité. II ne s’agit pas de faire triompher le bien contre le mal, mais de sauver des vies humaines, de permettre qu’elles cohabitent et bâtissent ensemble.

Mais en même temps, monsieur le Premier ministre, nous devons la vérité aux Français. Il faut leur dire que cette opération, si elle se fait en appui des 2 500 hommes de la MISCA, force africaine dont les effectifs devraient monter à 6 000, elle sera extrêmement délicate, car nos hommes doivent désarmer, avant de cantonner leur armement, des milices éparses difficilement identifiées et identifiables, certains de leurs membres ayant même quitté leur treillis.

Oui, elle est extrêmement difficile, car le territoire est vaste, aussi grand que la France. Même si, grâce au Mali, la bravoure de nos hommes et l’efficacité de nos armées donnent un prestige d’intimidation qui peut aider dans ces opérations.

Des difficultés, il y en aura, monsieur le Premier ministre. Et c’est parce que ce sera difficile que nous serons à vos côtés. Mais permettez-nous, sans compter le moins du monde notre soutien, de vous faire part de nos grandes déceptions, de nos interrogations et de nos réelles inquiétudes.

Comme au Mali, seuls des enfants de France, parmi les pays occidentaux, risqueront leur vie aux côtés de nos frères africains. Notre impression sourde, mais réelle, est que notre capacité militaire l’emporte considérablement sur notre capacité de persuasion politique et diplomatique. (Applaudissements sur les bancs du groupe UDI.)

Nous vous le disons : nous ne mégotons pas notre soutien, mais enfin, c’est la deuxième fois que, de manière invraisemblable, un pays européen s’engage seul sur un territoire étranger, sans aucun soutien humain des pays occidentaux : la deuxième fois en dix-huit mois ! (Applaudissements sur les bancs des groupes UDI et UMP.)

Mme Claude Greff. Eh oui ! Incroyable ! La fleur au fusil !

M. Jean-Louis Borloo. Avons-nous raison contre tout le monde ? Ou sommes-nous dans l’incapacité totale de persuader quiconque ?

En 2008, monsieur le Premier ministre, nous étions dans la même situation au sujet du Tchad. Le Président de la République de l’époque avait pris le problème à bras-le-corps. Hervé Morin, ministre de la défense, a fait le tour des capitales européennes pour bâtir l’Eufor Tchad-RCA avec douze contingents européens pour intervenir au Tchad. Cela, ça s’appelle une mobilisation internationale.

Vraiment, l’absence de capacité à mobiliser nos partenaires est extrêmement troublante.

La deuxième interrogation concerne le coût des opérations extérieures. Il faut en parler aux Français : ce n’est pas déshonorant en période de crise. Les OPEX représentent cette année à peu près un milliard. Nous avions soutenu l’opération au Mali, même si nous étions préoccupés par votre emballement pour la Syrie, mais un Conseil européen va se tenir au mois de décembre. Il faut, monsieur le Premier ministre, que la France obtienne au minimum la création d’un fonds européen d’opérations extérieures pour des pays qui n’engagent pas d’hommes – par tradition, parce qu’on ne les a pas mobilisés –, mais qui accepteraient de contribuer ainsi.

M. Pierre Lellouche.Merci de reprendre mon idée !

M. Jean-Louis Borloo. Il est absolument invraisemblable que nous soyons en état de mendicité. On nous parle de 50 millions d’euros pour raisons humanitaires : même pas pour les opérations militaires ! Vous devez obtenir cela, ou sinon boycotter cette réunion du mois de décembre ! (Applaudissements sur les bancs des groupes UDI et UMP.)

La vérité aussi force à dire que si la partie strictement militaire prendra le temps qu’il faudra, selon l’heureux euphémisme du Président – nous avons compris que nous avons une perspective de six à douze mois –, la reconstruction sera beaucoup plus longue.

M. Jacques Pélissard. Évidemment !

M. Jean-Louis Borloo. En réalité, nous sommes là depuis longtemps et pour très longtemps. Car il faut reconstruire – et comme nous sommes en première ligne, ce sera à nous de le faire, c’est ainsi – un État, une administration et une armée.

Monsieur le Premier ministre, vous savez très bien que parler d’élections fin 2014, ce n’est pas crédible, parce que ni les forces politiques, ni les fichiers électoraux, ni même un recensement n’existent.

Mme Patricia Adam, présidente de la commission de la défense nationale et des forces armées. Au Mali, c’était pareil !

M. Jean-Louis Borloo. Savez-vous, monsieur le Premier ministre, quel est le premier problème de ce pays, l’unique problème, ce qui constitue une particularité mondiale ? La République centrafricaine est le pays qui a le moins accès à la lumière : au-delà d’un taux d’accès à l’énergie de 3 %, ce sont 16 000 personnes qui sont abonnées à l’électricité pour quatre millions d’habitants. Sans lumière, il n’y a pas de redressement économique possible.

M. Jacques Myard. Les socialistes, c’est les soviets plus l’électricité !

M. Jean-Louis Borloo. Oui, monsieur le Premier ministre, l’Europe et l’Afrique, cette Afrique du Nord de la Mauritanie jusqu’au Sahel, c’est notre grand sujet. L’Europe – l’Europe avec l’Afrique et non la Chinafrique – doit y apporter sa capacité de développement.

Avant le vote qui interviendra dans quatre mois – puisqu’il n’y aura pas de vote cette fois, conformément à une Constitution qui a toutefois amélioré les choses –, nous vous demandons de nous présenter le plan de développement de l’Afrique, le plan de développement de la Centrafrique, au niveau énergétique, au niveau vivrier, au niveau agricole, au niveau éducatif.

Sans cela, la France passera son temps à aller en permanence éteindre des incendies que la solidarité internationale n’aura pas pu prévenir. (Applaudissements sur les bancs des groupes UDI et UMP.)

M. le président.La parole est à M. François de Rugy, pour le groupe écologiste.

M. François de Rugy. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mesdames et messieurs les ministres, mesdames les présidentes des commissions, mes chers collègues, avant toutes choses je souhaite à mon tour exprimer, en mon nom et en celui du groupe écologiste, une profonde solidarité à l’égard des familles des soldats Vokaer et Le Quinio, tués hier soir près de l’aéroport de Bangui alors qu’ils effectuaient une patrouille de nuit.

Jeudi 4 décembre, au terme d’une semaine de violences opposant rebelles de la Séléka et milices anti-balaka, le Conseil de sécurité des Nations unies a décidé d’autoriser le recours à la force en République centrafricaine. Il l’a décidé à l’unanimité, au titre du chapitre VII de sa charte.

Depuis plusieurs mois, responsables politiques et observateurs avaient alerté sur les risques d’une dérive du conflit inter-religieux en Centrafrique et mis en garde contre la menace d’un génocide ethnique. La crise qui sévit en Centrafrique est en réalité beaucoup plus complexe que cela. Elle résulte de causes multiples et ne saurait se résoudre à une analyse monolithique.

N’ayons pas peur de le dire, la France a une responsabilité liée à l’histoire coloniale dans la faillite de l’État centrafricain. C’est notamment parce qu’elle a eu recours à des sociétés concessionnaires privées durant la colonisation que l’État centrafricain s’est trouvé dépourvu des moyens budgétaires et institutionnels nécessaires à l’exercice de sa souveraineté sur l’ensemble du territoire, à partir de l’indépendance.

Cette configuration a engendré une fracture entre la capitale, où s’exerçait le contrôle de l’État et l’exploitation organisée des richesses, et le reste du pays, marginalisé et livré à lui-même.

C’est cet éclatement de l’État centrafricain qui a constitué le terreau propice a l’émergence de groupes armés, d’abords dans les régions de l’est, puis sur l’ensemble du pays lorsque ces groupes se sont structurés en rébellion.

Initialement motivée par des ambitions économiques, la violence s’est progressivement propagée sur les terrains politiques et identitaires. Aujourd’hui, le risque d’une dérive confessionnelle mettant aux prises plus de quatre-vingt-dix groupes ethniques est réel et menace la stabilité de la région tout entière.

Dans ce contexte, la France a pris le parti d’intervenir militairement pour endiguer une dynamique de catastrophe humanitaire. Elle le fait dans le cadre strict de la légalité internationale. Elle le fait avec le concours des organisations panafricaines. Elle le fait, enfin, à la demande des partenaires africains et de ce qu’il reste d’État en Centrafrique.

Dans la mesure où l’opération Sangaris répond à une situation d’urgence sanitaire et s’inscrit dans un cadre multilatéral adapté, le groupe écologiste la soutient. Pour autant, cette adhésion ne saurait nous conduire à faire l’économie d’une réflexion sur les objectifs de cette intervention, et plus globalement sur le sens que nous souhaitons donner à la politique étrangère de la France sur le continent africain.

La finalité première de cette intervention est de « sauver des vies », comme l’a indiqué le Président de la République dans son allocution du 6 décembre dernier. En intervenant militairement, la France doit mettre fin aux exactions et offrir une aide humanitaire aux 500 000 réfugiés recensés dans l’ensemble du pays. À cet égard, il est essentiel de préciser que la reprise de l’aide française, suspendue depuis le coup d’État de mars 2013, doit satisfaire aux critères de bonne gestion et de transparence. Nous faisons toute confiance au Gouvernement et au ministre délégué chargé du développement pour restaurer cette coopération avec efficacité.

Pour permettre aux acteurs locaux et internationaux de remplir pleinement leur mission d’assistance, les forces françaises devront assurer la sécurité du territoire. À cette fin, le désarmement de la rébellion et des milices d’autodéfense a été érigé en priorité. Mais plusieurs interrogations demeurent. Comment identifier les anciens combattants, désormais cachés dans la population ? Comment éviter un climat de délation qui enracinerait les tensions ethnico-religieuses pour longtemps ? Comment parvenir à démilitariser 20 000 hommes en quelques mois ? Et à qui confier la responsabilité du traitement judiciaire des belligérants qui pourraient être faits prisonniers ? De toute évidence, la sécurisation du pays ne peut être traitée indépendamment du processus de transition politique.

J’en arrive ainsi au troisième objectif de l’intervention française : l’organisation d’un processus électoral, seul mécanisme pouvant redonner à l’État centrafricain une figure et une légitimité. Dans ce cas encore, la question de l’encadrement de la transition politique doit être clarifiée. La France a vocation à construire la paix, non l’État qui en résultera. Un point d’équilibre doit impérativement être trouvé pour qu’à l’assistance militaire et humanitaire ne succède pas l’ingérence. La question se pose donc de savoir quels acteurs locaux et régionaux seront associés à l’élaboration d’une feuille de route pour la transition politique et qui en assurera le respect.

Par ailleurs, il est clair que la tenue d’élections ne suffira pas à ramener le calme et la stabilité dans l’ensemble du pays. Les agences internationales n’ont pas attendu mars 2013 pour mener des initiatives de consolidation de la paix et nombre d’entre elles ont été infructueuses, à l’instar du processus de désarmement, de démobilisation et de réinsertion lancé par l’ONU en 2009. La France aujourd’hui, la communauté internationale demain, doivent prendre acte du fait que l’objectif d’un État centralisé et démocratique n’est pas partagé par l’ensemble des acteurs locaux.

Dans certaines régions, des économies parallèles se sont créées, outrepassant parfois la logique des frontières territoriales et générant des richesses et des intérêts. Une sortie de crise ne s’obtiendra qu’au prix d’une réponse globale comprenant certes des élections, mais également une structure étatique sur l’ensemble du territoire, un meilleur contrôle des frontières et, surtout, des mécanismes de paix et de réconciliations permettant de reconstruire un tissu social éclaté.

Enfin, mes chers collègues, l’opération Sangaris appelle de notre part une réflexion plus générale sur la trajectoire et le sens que nous entendons donner à notre politique extérieure sur le continent africain. Le sommet de l’Élysée qui s’est tenu la semaine dernière, dans le sillage des opérations malienne et centrafricaine, est justement venu rappeler la nécessité de soutenir ce que l’on appelle l’ « africanisation de la sécurité » en Afrique.

L’objectif de ce processus, à terme, est de mettre en place des forces de réaction rapides capables d’intervenir sur n’importe quel théâtre africain sous l’autorité des agences régionales que sont l’Union africaine et la communauté économique des États de l’Afrique centrale. La France devra soutenir ce projet en participant aux programmes de formation et d’entraînement, à l’image de ce qu’elle fait aujourd’hui en Ouganda et à Djibouti, par exemple.

Mais, encore une fois, des initiatives ont déjà été menées dans ce sens, notamment, le programme RECAMP lancé en 1997 destiné à renforcer les capacités africaines de maintien de la paix. Leurs résultats se font toujours attendre.

A cet égard, je soulignerai simplement que le sommet de l’Élysée a fixé comme objectif de créer en Afrique ce que la France n’est jamais parvenue à impulser en Europe, à savoir une défense à l’échelle du continent. Pour sa part, le groupe écologiste l’appelle toujours de ses voeux.

Puisque nous parlons d’Europe, la lucidité commande de constater que la crise centrafricaine confirme combien la France est bien seule lorsqu’il faut agir. La séquence qui a précédé le vote de la résolution de l’ONU a illustré, une fois de plus, des comportements que je qualifierais d’individualistes de la part de certains partenaires. Il est temps de placer les puissances face à leurs responsabilités. Le non-interventionnisme allemand, par exemple, qui a été érigé en concept au lendemain de la deuxième guerre mondiale, est depuis longtemps dépassé.

L’argument de l’absence de liens historiques ne peut plus conditionner la solidarité internationale, bien au contraire. Notre diplomatie devra s’atteler à défendre le principe d’une plus grande implication sécuritaire de nos partenaires européens sur la scène africaine. La question de l’effort financier ou, a contrario, de l’égoïsme financier, se pose également en Europe.

Cette implication européenne doit s’inscrire dans le cadre d’un engagement des pays de l’Union européenne dans la construction progressive d’un ordre international fondé sur le droit et la défense des valeurs universelles. Il ne sert à rien de prétendre, comme M. Jacob vient de le faire au nom du groupe UMP, que nous agissons au nom d’intérêts sécuritaires ou économiques propres à la France en République centrafricaine, sauf à retomber dans le schéma que l’on a appelé « la Françafrique ».

Si tant est que la page soit clairement et définitivement tournée, il ne faut rien faire qui puisse donner prétexte, en Europe comme en Afrique et donc à l’ONU, à l’expression des égoïsmes des intérêts nationaux. Le chemin pour en sortir est long et ardu mais si l’on ne regarde que les intérêts économiques, autant acter dès aujourd’hui ce que l’on devrait appeler « la Chinafrique ».

En définitive, c’est animés par l’esprit de responsabilité que nous soutenons cette intervention militaire et c’est avec le même esprit de responsabilité que nous appelons de nos vœux une sortie de crise politique concertée et accompagnée dans la durée ainsi qu’à une redéfinition de ce que l’on appelle la politique africaine de la France. (Applaudissements sur les bancs du groupe écologiste.)

M. le président.La parole est à Mme Élisabeth Guigou, présidente de la commission des affaires étrangères.

Mme Élisabeth Guigou, présidente de la commission des affaires étrangères. Monsieur le président, Monsieur le Premier ministre, madame et messieurs les ministres, mes chers collègues, à mon tour je veux rendre hommage à nos soldats qui assurent des missions dangereuses en Afrique et je présente mes condoléances aux familles des deux militaires du 8e RPIMa de Castres tués cette nuit à Bangui, qui ont sacrifié leur vie au service de notre pays. Nous ressentons tous de l’émotion et de la tristesse et nous voulons, autant que possible, partager le deuil des familles.

Chers collègues, nous savons que nos soldats sont en République centrafricaine pour une noble cause : protéger des enfants, des femmes, des hommes terrifiés, massacrés par des bandits, éviter la propagation d’affrontements religieux et le risque de voir des groupes terroristes prospérer. Fallait-il continuer à laisser des enfants se faire enlever, des femmes se faire violer, des hommes être violentés, des villages entiers massacrés, une population entière terrorisée ? À cela, la France dit « non », et c’est tout à son honneur.

Cette cause est noble, mais elle est également légitime. Le Premier ministre a largement expliqué que cette opération militaire, nécessaire et urgente, est réalisée à la demande des Africains et approuvée par le Conseil de sécurité des Nations unies. La résolution 2127 adoptée à l’unanimité jeudi dernier dote la force de l’Union africaine, la MISCA, créée en juin 2013, d’un mandat sous Chapitre VII. Cette force, dont le déploiement est autorisé pour douze mois, a pour objectif d’apporter la sécurité, de rétablir la stabilité et de protéger la population.

La résolution autorise par ailleurs nos forces armées à prendre toutes les mesures nécessaires pour appuyer l’opération africaine. L’objectif final est donc clair : l’organisation d’élections libres et le retour à une situation politique normale.

J’entends, ici et là, que notre pays serait une fois de plus abandonné par ses partenaires. Quelle est la réalité ? Le sommet informel sur la Centrafrique organisé par le Président de la République à l’Élysée, le 7 décembre, a montré le soutien de la totalité de la communauté internationale…

M. Bernard Deflesselles. Paroles !

Mme Élisabeth Guigou, présidente de la commission des affaires étrangères. …à l’intervention française et a salué l’adoption de la résolution 2127.

M. Bernard Deflesselles. Paroles, paroles !

Mme Élisabeth Guigou, présidente de la commission des affaires étrangères. L’Union africaine met en place la MISCA – et cela, ce ne sont pas que des paroles –, laquelle se déploie sur le terrain. L’armée américaine va offrir aux forces africaines un soutien en matière de transports de troupes – cela aussi, c’est concret – dont nous savons combien ils sont décisifs. De surcroît, ce sont eux qui coûtent le plus cher.

Comme cela a été le cas au Mali, l’Europe est présente. En 2013, l’Union européenne a plus que doublé son aide humanitaire à hauteur de 20 millions. Jeudi dernier elle a également accepté de contribuer au financement de la MISCA à hauteur de 50 millions. L’Union européenne a confirmé son soutien politique et financier à l’opération française. Le Royaume-Uni apporte une aide logistique pour le transport de troupes – et je répète combien cela est décisif. D’autres États membres de l’Union européenne se sont engagés à concourir à l’opération – je pense, en particulier, à la Belgique. La France, soutenue par le Conseil de sécurité, par l’Union africaine, par l’Union européenne, n’est donc pas seule.

Toutefois, c’est un fait indéniable, notre pays est, comme au Mali, le seul État européen à combattre sur le terrain.

M. Bernard Deflesselles. Eh oui !

Mme Élisabeth Guigou, présidente de la commission des affaires étrangères. La France est d’ailleurs l’un des derniers États en Europe – si ce n’est le dernier – à détenir encore les capacités militaires permettant un engagement conséquent et en urgence sur un théâtre extérieur.

Se pose évidemment la question du partage du fardeau financier de telles opérations militaires. Car la France, quand elle intervient au Mali ou en Centrafrique, protège aussi la sécurité des Européens.

Je salue donc la volonté du Président de la République d’évoquer la question d’une plus grande mutualisation des coûts lors du prochain Conseil européen consacré à la relance de l’Europe de la défense.

Monsieur le Premier ministre, dans un rapport d’information sur l’Europe de la défense que j’ai présenté la semaine dernière à la commission des Affaires étrangères, j’ai fait deux propositions : que soit examinée la création d’un fonds permettant de financer les interventions militaires soutenues par l’Europe ; que l’Union européenne qui, depuis 2007, dispose de groupements tactiques opérationnels créés pour participer à des opérations militaires extérieures, les utilise enfin.

Ces groupes militaires, qui n’ont donc jamais été utilisés, auraient pu être très utiles pour soutenir, en amont, l’action de l’ONU en Centrafrique. Ils auraient pu être utilisés en attendant que la situation soit suffisamment stabilisée pour permettre le déploiement d’une opération de maintien de la paix. D’ailleurs, je sais que l’éventuel déploiement d’un groupement tactique a été évoqué dans le cadre de la crise en République centrafricaine.

Monsieur le Premier ministre, ne pensez-vous pas qu’il y aurait là deux pistes essentielles pour l’avenir de l’Europe de la défense qui, je l’espère, à l’initiative de notre pays, avancera lors du Conseil européen des 19 et 20 décembre prochains ? (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. Bernard Deflesselles. Personne n’y croit !

M. le président. La parole est à Mme Patricia Adam, présidente de la commission de la défense nationale et des forces armées.

Mme Patricia Adam, présidente de la commission de la défense nationale et des forces armées. Monsieur le Premier ministre, mesdames et messieurs les ministres, chère Élisabeth, présidente de la commission des Affaires étrangères, mes chers collègues, alors que deux de nos soldats sont morts, ceux de Castres – à nouveau, dirais-je –, le temps n’est pas à la polémique, mais à la responsabilité et au soutien unanime à nos forces présentes en RCA et en pré-positionnement.

Alors que Mandela nous a laissé un témoignage de paix et de réconciliation, l’Afrique est encore victime du terrorisme – après l’épisode malien – mais aussi du pillage et de la corruption. Comme elle l’a fait au Mali, la France a su convaincre le Conseil de sécurité de l’ONU parce que nos militaires, nos forces armées, avec le courage et le professionalisme qui les caractérisent, sont admirés par nombre de pays amis qui, aujourd’hui, nous font confiance quant au respect de nos engagements, que je tiens d’ailleurs à rappeler.

Le Président de la République a donné trois missions à nos forces armées : instaurer un minimum de sécurité tout en préparant le désarmement ; rendre possible l’acheminement de l’aide humanitaire ; permettre à la mission africaine d’intervenir et de mettre en place un processus démocratique.

N’en déplaise à certains esprits chagrins, l’armée française est la première armée d’Europe par le nombre de ses soldats et par son budget – la loi de programmation militaire est discutée cet après-midi au Sénat en deuxième lecture – et elle le restera grâce aux engagements qui ont été pris pour les quinze prochaines années.

M. Jean-Pierre Dufau. Très bien !

Mme Patricia Adam, présidente de la commission de la défense nationale et des forces armées. Pourquoi la France intervient-elle ? D’abord, rappelons-le, nous avons un Livre blanc – seule la Grande-Bretagne en possède également un, qui est d’ailleurs en train de le revoir. L’Afrique y est explicitement considérée comme une zone d’intérêt prioritaire pour notre pays. Mais, dans le fond, bien d’autres pays européens pourraient dire la même chose car, en fait, l’Afrique est un continent stratégique pour l’Europe entière en raison même de sa géographie. Cet intérêt stratégique, combiné à l’ampleur des dangers que court la Centrafrique, doit nous inciter à prendre nos responsabilités, en soutien des États africains. Or, ne nous leurrons pas : seule la France est prête à intervenir…

M. Jean-Paul Bacquet. Capable d’intervenir !

Mme Patricia Adam, présidente de la commission de la défense nationale et des forces armées. …car, malheureusement, et on peut en effet le regretter, beaucoup d’autres pays européens considèrent que c’est à elle de le faire et ne seront présents à nos côtés que parce que nous aurons décidé d’intervenir. Nous devons aujourd’hui assumer cette responsabilité mais nous devons aussi, comme nombre d’entre nous l’ont dit, travailler à faire progresser une politique européenne en matière de défense, idée, je le rappelle, que la précédente majorité avait plutôt abandonnée au profit d’accords bilatéraux.

Assiste-t-on au retour de la « Françafrique » ? Sans doute certains commentateurs évoquent-ils la pérennité d’une forme d’immixtion française en Afrique par goût de la formule. Or, tel n’est pas le cas. Personne ne peut dire que la France soutient l’une ou l’autre des parties en présence, personne ne pourrait décrire les intérêts économiques que notre pays aurait à défendre sur place car ils n’existent pas. En revanche, on doit affirmer que des massacres de populations civiles en Afrique sont aujourd’hui aussi insupportables qu’ils l’étaient hier dans les Balkans.

Le refus de l’ingérence n’est jamais un blanc-seing donné aux fauteurs de guerre civile. Doit-il en être autrement lorsque les victimes sont africaines ? Non, évidemment non. L’intervention française n’est pas une ingérence. C’est une décision qui procède d’une vision stratégique que nombre de nos voisins ont abdiquée, laissant à d’autres le soin d’y penser et d’en décider pour eux. En France, nous nous refusons à endosser ce prêt-à-porter stratégique et affirmons avec force que, par leur capacité autonome d’anticipation, les autres pays européens doivent définir leur capacité d’analyse pour intervenir.

Risque-t-on l’enlisement ? Les massacres de ces derniers jours ne doivent pas occulter une fragilité ancienne de la République centrafricaine. N’oublions pas qu’environ 450 militaires français y sont présents depuis un certain nombre d’années à travers l’opération Boali. Personne ne peut espérer régler tous les problèmes en quelques semaines. Il y aurait toutefois un paradoxe à considérer qu’à défaut de pouvoir tout régler, il faut ne rien faire. Le soutien de notre pays à la MISCA s’inscrit dans la première étape d’un processus. Cette étape, c’est la fin des massacres et la tenue d’élections l’année prochaine.

L’intervention française demeurera donc limitée en ampleur et dans le temps, comme l’intervention au Mali. La France contribuera ainsi à créer les conditions d’un avenir meilleur pour ce pays. La suite appartient à la communauté internationale, et en premier lieu aux Centrafricains.

J’informe enfin le Parlement que je serai la semaine prochaine au Tchad avec deux collègues de la commission de la défense, Christophe Guilloteau et Jacques Moignard. Nous apporterons aux militaires français prépositionnés le soutien de l’ensemble de l’Assemblée. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et écologiste.)

M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.

M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre. Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, je tiens à remercier les orateurs des différents groupes, qui ont tous exprimé leur haute conscience de la gravité de la situation en Centrafrique. L’engrenage qui a eu lieu ces derniers jours, non seulement ne pouvait nous laisser indifférents, mais obligeait la France, en vertu de ses engagements et des valeurs qui sont les siennes, à agir.

La France a donc pris ses responsabilités. Conformément à la Constitution, le Président de la République, après avoir réuni le Conseil de défense, a engagé nos forces. Le Parlement est informé et le sera tout au long du processus. D’ailleurs, si cette intervention devait se prolonger au-delà de quatre mois, l’Assemblée nationale serait à nouveau appelée à se prononcer, comme le prévoit la Constitution. D’ici là, puisque plusieurs orateurs en ont exprimé le souhait à juste titre, je répète ce que j’ai déjà dit ce matin lors de la réunion à Matignon : autant que de besoin, autant que vous le souhaiterez – et je m’adresse en particulier à Mmes les présidentes des commissions – les ministres sont à votre disposition pour répondre à toutes les questions qui se posent.

Certaines ont déjà été posées aujourd’hui, auxquelles je voudrais essayer de répondre précisément. Le président Jacob, qui m’a fait savoir qu’il ne pourrait rester parce qu’il avait un autre engagement, ce que je comprends fort bien, m’a reproché, au sujet du financement de cette opération, d’avoir fait allusion à la loi de programmation militaire. Mais je l’ai fait volontairement ! Lui-même l’a critiquée dans son intervention, et je n’ai fait qu’anticiper son propos. Je conteste en tout cas ses affirmations.

Le volume total de nos forces engagées en OPEX en 2014, même en y ajoutant l’opération Sangaris, sera très inférieur à celui constaté en 2013, où il a atteint près de 10 000 hommes. Et ce n’est pas parce que nous n’aurions plus les moyens de nous projeter à l’extérieur, mais en raison d’ajustements de notre présence à l’étranger, permis par l’évolution de la situation, notamment la décision qui a été prise de se désengager d’Afghanistan et du Kosovo et le retour à un effectif de l’ordre d’un millier de soldats au Mali, une fois passé le deuxième tour des élections. Tout cela compte évidemment dans le bilan général.

La prise en charge du coût des OPEX est prévue au budget de l’État, via la prévision spécifique au budget de la défense et la clause de garantie figurant, je le répète, dans le projet de loi de programmation militaire. Le financement de l’opération Sangaris est donc assuré.

D’une manière générale, et Mme la présidente de la commission de la défense a eu raison de le redire, la France conservera à l’avenir ses capacités de projection, dans le cadre défini par le Livre blanc et la loi de programmation militaire, avec un format parfaitement adapté à la conduite simultanée d’opérations telles que celles engagées au Mali et en République Centrafricaine, et avec un équipement renouvelé.

Nous devons nous féliciter, même si cela représente un effort, que la France soit l’un des rares pays, en tout cas le seul en Europe, avec peut-être la Grande-Bretagne, à s’engager et à avoir un tel niveau d’engagement.

Souvent, la droite dit que nous ne faisons pas assez pour la défense…

M. Bernard Deflesselles. En effet !

M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre.…mais elle nous dit aussi que nous devrions faire des économies.

M. Bernard Deflesselles
. Pas sur la défense !

M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre. Nous avons choisi un projet de défense cohérent pour défendre les intérêts et la sécurité des Français et intervenir uniquement lorsque c’est nécessaire, exclusivement dans le cadre du droit international : c’est ce que nous faisons.

M. Guy Geoffroy. Et la Syrie ?

M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre. À propos de la Syrie, est-ce que nous avons décidé d’intervenir unilatéralement ? La question s’est-elle posée ?

Face à la situation dramatique de ce pays, la France a lancé l’alerte, et elle a eu raison de le faire, car ses prises de position politique ont fait bouger la communauté internationale. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et écologiste.) J’entends dire que la France n’aurait pas de diplomatie offensive et utile. Je vous demande seulement, mesdames et messieurs les députés, d’observer avec un peu d’objectivité les résultats de cette politique et de cette diplomatie ! (Mêmes mouvements.)

S’agissant maintenant du format et de la durée de l’opération Sangaris, le volume de 1 600 hommes actuellement déployés sur le terrain correspond aux besoins que nous estimons nécessaires pour atteindre les objectifs que j’ai rappelés, et qui sont conformes au mandat de la résolution no 2127 du Conseil de sécurité. Je les rappelle une nouvelle fois pour que tout soit très clair, puisque la question m’a été posée par certains orateurs, qui n’avaient visiblement pas assimilé tout ce que je leur ai dit, aussi bien ce matin que cet après-midi, au cours de mon intervention.

Il s’agit d’abord de rétablir la sécurité en République centrafricaine et de permettre la montée en puissance rapide et le plein déploiement opérationnel de la Mission internationale de soutien à la Centrafrique sous conduite africaine. À ceux qui craignent que la France ne reste longtemps sur le terrain, je rappelle que notre objectif est bien que la MISCA se substitue à l’intervention française. Elle est déjà là, mais il faut la former davantage et lui donner davantage de moyens logistiques, car c’est à elle qu’il revient d’assurer, dans la durée, le contrôle de la situation sécuritaire et le désarmement des milices.

Il importe, enfin, de faciliter la transition politique. À cet égard, j’ai été surpris par vos propos, monsieur le président Borloo. Vous aviez tenu les mêmes au moment de l’intervention au Mali. Je m’en souviens, car j’avais déjà été surpris à l’époque : vous doutiez de la cohérence des engagements de la France.

M. Philippe Folliot. C’est faux !

M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre. Sans les remettre en cause sur le fond, vous doutiez de la capacité de la France à les respecter dans la durée. Ces engagements, je les rappelle : il s’agissait d’arrêter la menace terroriste, de redonner au Mali sa pleine souveraineté, et d’engager un processus militaire permettant le remplacement des forces françaises par les forces maliennes, la force internationale, puis la force multinationale dans le cadre de l’ONU. C’est bien ce qui s’est passé sur le plan militaire !

Par ailleurs, nous nous sommes engagés à ce que les élections présidentielles, puis législatives, aient lieu dans le meilleur des délais. À l’époque, vous aviez dit que c’était impossible, parce qu’il n’y avait pas de listes électorales.

M. Jean-Louis Borloo. Ce n’est pas vrai !

M. Philippe Folliot. Vous avez des problèmes de mémoire, monsieur le Premier ministre !

M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre. Il n’y a pas plus de listes électorales en République centrafricaine, mais les fonctionnaires des Nations unies sont déjà sur place, afin de les établir sans perdre de temps. Au Mali, on nous avait dit que ce ne serait pas possible, or les élections présidentielles ont eu lieu à la date prévue et les élections législatives aussi ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. Philippe Folliot. Vous racontez n’importe quoi !

M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre. Vous êtes tout à fait dans votre droit de parlementaire lorsque vous me posez cette question, mais je tiens à vous rassurer, car notre détermination est totale. À tous les orateurs qui ont posé des questions similaires sur la nécessité d’une solution politique, je rappellerai qu’au sommet de l’Élysée, où tous les pays africains étaient représentés, les chefs d’État qui étaient présents ont tous demandé que la voie politique soit privilégiée pour rétablir la situation en République centrafricaine, et que le processus électoral, qui est prévu au plus tard pour février 2015, soit avancé. Tel est le souhait des chefs d’État africains. Nous partageons ce souhait et la France veut respecter cet engagement.

Je répète, une fois encore, que la France n’est pas seule. La MISCA regroupe des militaires du Cameroun, du Congo Brazzaville, de la République démocratique du Congo, du Gabon, de la Guinée équatoriale et du Tchad.

M. Philippe Folliot. Nous connaissons tous la faiblesse de ces forces !

M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre. Dans les prochains jours, le Burundi et le Rwanda viendront la renforcer, et l’Union africaine a décidé de poursuivre ce renforcement jusqu’à 6 000 hommes. Pour la suite, la résolution no 2127 prévoit une opération de maintien de la paix des Nations unies, qui pourra succéder à la MISCA, en vertu d’une prochaine résolution. Il est important de le rappeler.

Que font nos partenaires européens ?

M. Philippe Folliot.
Rien !

M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre. Ils sont déjà intervenus, à commencer par les Britanniques – comme c’est souvent le cas – sur le plan logistique…

M. François Rochebloine. Comment ?

M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre.…mais aussi par un soutien financier à la MISCA. Même l’Allemagne envisage, bien que sa Constitution limite ses capacités d’intervention, d’y prendre sa part. L’idéal, pour vous, serait que des soldats appartenant à une force armée internationale, ou en tout cas européenne, soient déjà déployés sur le terrain.

Vous aviez fait la même remarque au moment de l’intervention au Mali et je vous avais déjà répondu. Le danger étant imminent, si nous avions attendu qu’une telle force soit constituée, alors que cette absence d’organisation militaire européenne est justement l’une des difficultés auxquelles nous devons faire face, il aurait été trop tard.

Au moment de l’intervention au Mali, pour des raisons différentes, et aujourd’hui pour arrêter la catastrophe humanitaire, la France a pris ses responsabilités. Je vous l’ai dit d’emblée : l’inaction n’est pas une option pour les autorités françaises. Nous avons pris nos responsabilités pour désarmer et cantonner les milices, rétablir la paix civile dans ce pays, reconstituer une administration, préparer la transition électorale, remettre des institutions en place et assurer le développement de ce pays, qui est effectivement l’un des plus pauvres du monde.

La France prendra donc ses responsabilités, mais elle ne le fera pas seule, puisqu’un engagement européen a été pris en vue de développer ce pays. C’est indispensable, car il n’y aura pas de paix civile dans la durée, pas de respect des institutions et de l’État, si ce pays n’a pas de perspectives de développement pour son peuple, et en particulier pour sa jeunesse. Oui, nous prenons aussi cet engagement !

Mais ce que nous devons faire dans l’urgence, c’est permettre aux organisations non gouvernementales humanitaires d’intervenir à nouveau sur le territoire de ce pays. Aujourd’hui, en effet, les ONG ne peuvent pas intervenir, car tous les professionnels et les bénévoles qui les composent n’ont pas de moyens et se retrouvent dans des situations tellement dangereuses qu’on laisse à l’abandon des populations entières, des enfants, des familles, des vieillards, qui sont victimes des violences.

Rétablir la sécurité et démanteler les milices, c’est la première des priorités. Et si la France est engagée, ce n’est pas pour défendre ses intérêts, comme je l’ai entendu tout à l’heure, quand M. Jacob me pressait de le reconnaître. C’est d’abord pour défendre nos valeurs que nous intervenons. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC et sur quelques bancs du groupe RRDP.) En ce soixante-cinquième anniversaire, jour pour jour, de la Déclaration universelle des droits de l’homme, qui a été adoptée le 10 décembre 1948, la France est fidèle à ses propres valeurs et aux valeurs universelles. C’est ce qui l’a conduite à s’engager. (Mêmes mouvements.)

Quant à la transition politique, j’ai dit tout à l’heure qu’elle serait respectée.

J’ai déjà évoqué l’action européenne sur le développement…

M. Philippe Folliot. Et sur le financement ?

M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre.…qui viendra compléter l’intervention de la France.

Je dirai un mot, pour finir, sur l’Europe de la défense. Sur le financement d’abord, l’Europe et les Européens ont déjà apporté un appui logistique au déploiement des troupes françaises et africaines et contribué à la formation, comme ce fut le cas au Mali, où ils formèrent d’abord trois, puis finalement huit bataillons, soit 6 000 hommes au total. Ce fut l’intervention de l’Europe, et on l’a oublié ! Par ailleurs, sont en train de s’organiser des opérations héliportées impliquant des hommes des Pays-Bas, tandis que d’autres pays, comme la Belgique, la Grande-Bretagne et l’Allemagne vont s’engager, cette dernière sur le plan logistique.

Mais il est vrai que la question d’une politique de défense en Europe est plus que jamais posée. La France ne demande pas que l’on prenne ses responsabilités à sa place, mais qu’il y ait au moins une stratégie, une vision et une organisation globales. Nous devrions avancer ensemble de manière mutualisée, en matière de transport aérien, de ravitaillement en vol, de financement des drones. Il est vrai que ces questions doivent être posées, et si des avancées ont certes eu lieu, elles sont très loin d’être suffisantes.

Ce sera l’objet du prochain Conseil européen, à la fin du mois, auquel participera le Président de la République, et qui sera consacré à l’Europe de la défense. La France y défendra ses options. Elle continuera à proclamer son indépendance et sa volonté d’autonomie de décision, mais elle fera valoir ce que l’Europe peut faire en commun sur le plan de la défense et sur le plan politique et diplomatique. Il y va de la cohérence et de la crédibilité de l’Europe. Cette question est posée, plus que jamais, et la France sera en première ligne pour la faire avancer.

Mesdames et messieurs les députés, j’aurai à vous rendre compte du rythme d’avancement de ce projet, mais sachez que nous sommes totalement déterminés. En tout cas, pour l’heure, je voudrais à nouveau réaffirmer ma solidarité avec nos hommes sur le terrain, qui mènent un combat très difficile.

Monsieur Chassaigne, j’ai été surpris des propos que vous avez tenus il y a un instant, et je n’ai pas bien compris ce que vous vouliez dire.

Vous avez décrit une situation catastrophique sur le plan humanitaire, je partage ce constat. Mais que préconisez-vous ? De ne rien faire ? Simplement témoigner, proclamer ?

Par solidarité avec nos hommes, nous avons décidé de les soutenir. La France est à leur côté pour leur dire que c’est une noble mission qu’ils mènent, au péril de leur vie. Nous sommes fiers de ce qu’ils font. Ils le font pour défendre des valeurs, pour faire reculer la violence, pour faire reculer la misère, pour redonner une chance au peuple de la République Centrafricaine. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et RRDP.)

M. le président. Merci monsieur le Premier ministre. Le débat est clos.