La séance est ouverte à 16 h 15.

La Présidente, Mme Lucas (Luxembourg) : Conformément à l’article 37 du règlement intérieur provisoire du Conseil, j’invite le représentant de l’Ukraine à participer à la présente séance.
Le Conseil de sécurité va maintenant aborder l’examen de la question inscrite à son ordre du jour.
Je salue la présence parmi nous aujourd’hui du Vice-Secrétaire général, S. E. M. Jan Eliasson, et je lui donne la parole.

Le Vice-Secrétaire général, M. Jan Eliasson (parle en anglais) : Depuis l’exposé fait hier au Conseil par le Sous-Secrétaire général, M. Fernández-Taranco (voir S/PV.7123), plusieurs rapports font état d’une aggravation continue de la situation en Ukraine. En Crimée, des sites clefs tels que des aéroports, des locaux servant aux communications et des bâtiments publics, dont le Parlement régional, continueraient d’être bloqués par des hommes armés non identifiés. Selon d’autres rapports, du personnel armé s’est emparé de bâtiments administratifs régionaux dans plusieurs villes de l’est et du sud de l’Ukraine.
Le nouveau Premier Ministre de la Crimée, Sergeï Aksenov, a fait une déclaration aujourd’hui dans laquelle il appelle le Président Poutine à fournir une assistance afin « d’assurer la paix et la tranquillité sur le territoire de la République autonome de Crimée ». Dans la même déclaration, il a annoncé qu’il prenait le contrôle de la sécurité en Crimée « à titre temporaire ». Il a ordonné à tout le personnel de sécurité de lui déclarer allégeance plutôt qu’aux autorités de Kiev. Suite à l’annonce du déploiement de contingents supplémentaires et de véhicules blindés russes en Crimée, la chambre haute du Parlement de la Fédération de Russie a aujourd’hui approuvé la requête du Président Poutine, qui a demandé à ce que des forces russes soient mobilisées en Ukraine « dans l’attente d’une normalisation de la situation publique et politique dans le pays ».
Néanmoins, il y a, dans cette situation mouvante, quelques signes encourageants. L’un d’entre eux est que Kiev viendrait juste d’annoncer son intention d’élargir le Gouvernement pour y intégrer des représentants de l’est de l’Ukraine. Nous prenons également note du fait que les appels au dialogue entre toutes les autres parties intéressées, à l’intérieur comme à l’extérieur de l’Ukraine, semblent avoir une résonance.
S’agissant des délibérations qui se sont tenues hier au Conseil de sécurité à propos de la mission d’établissement des faits de Robert Serry et de son éventuel déplacement en Crimée, M. Serry était en contact avec les autorités de la République autonome de Crimée. Il est parvenu à la conclusion qu’un déplacement en Crimée aujourd’hui n’était pas possible pour des raisons logistiques. Dans sa déclaration d’aujourd’hui, M. Serry a souligné que s’il s’était rendu en Crimée, il aurait transmis, au nom du Secrétaire général, un message à toutes les parties pour les engager à apaiser la situation et à s’abstenir de tout acte de nature à aggraver une situation déjà tendue. Robert Serry se rendra à Genève aujourd’hui pour rendre compte au Secrétaire général de sa mission en Ukraine et discuter de nouvelles mesures à prendre éventuellement.
Le Secrétaire général est gravement préoccupé par le fait que la situation s’est encore détériorée depuis la séance du Conseil d’hier. À cet égard, j’aimerais réitérer ici les importants messages transmis par le Secrétaire général, dans sa déclaration d’aujourd’hui :
« Le Secrétaire général continue de suivre étroitement les évènements qui évoluent gravement et rapidement en Ukraine, dont l’évolution de la situation en Crimée. Il est gravement préoccupé par la détérioration de la situation.
Il réitère son appel au plein respect et au maintien de l’indépendance, de la souveraineté et de l’intégrité territoriale de l’Ukraine.
Le Secrétaire général appelle à un retour immédiat au calme et à un dialogue direct entre toutes les parties concernées pour résoudre la crise actuelle.
Il compte s’entretenir très bientôt de la situation en Ukraine avec le Président de la Fédération de Russie, M. Vladimir Poutine. »
J’aimerais dire, pour terminer, qu’en cette heure cruciale, il importe de rappeler la mission de l’Organisation. L’ONU recherche toujours un règlement pacifique des différends. C’est l’essence de la Charte des Nations Unies et c’est ce qui doit nous guider, avant tout, dans cette situation. Il est maintenant temps de calmer les esprits.

La Présidente : Je remercie le Vice-Secrétaire général de son exposé.
Je donne maintenant la parole au représentant de l’Ukraine.

M. Sergeyev (Ukraine) (parle en anglais) : Je vous remercie sincèrement, Madame la Présidente, d’avoir organisé la présente séance dans un délai aussi court. Je remercie M. Eliasson de ses observations et de nous avoir présenté la déclaration du Secrétaire général, qui est très prometteuse. Les observations que je vais maintenant faire, notamment les informations récentes concernant l’évolution de la situation en Ukraine, en particulier en Crimée, ont été communiquées à toutes les missions cet après-midi.
La situation continue de se détériorer. Comme je l’ai déclaré hier (voir S/PV.7123), les troupes russes sont entrées illégalement sur le territoire de l’Ukraine, dans la péninsule de Crimée, sous le prétexte ambigu de protéger la population russophone de l’Ukraine. Il y a quelques heures, la chambre haute du Parlement russe, le Conseil de la Fédération, a autorisé à l’unanimité l’emploi de la force militaire contre l’Ukraine sur la demande du Président de la Fédération de Russie, Vladimir Poutine, mais les troupes sont déjà sur place et leur nombre augmente d’heure en heure.
Cependant, cet acte de la Fédération de Russie constitue un acte d’agression contre l’État ukrainien et une violation grave du droit international, et il menace gravement la souveraineté et l’intégrité territoriale de notre pays, ainsi que la paix et la stabilité de l’ensemble de la région. La Fédération de Russie ne se conforme pas à ses obligations en tant qu’État garant de l’Ukraine en vertu du Mémorandum de Budapest, qui l’oblige, ainsi que les autres membres permanents du Conseil de sécurité, à s’abstenir de recourir à la menace ou à l’emploi de la force pour porter atteinte à l’intégrité territoriale de l’Ukraine. Cela remet gravement en question le principe même du Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires.
La Russie a officiellement rejeté la proposition ukrainienne visant à convoquer immédiatement des consultations bilatérales en vertu de l’article 7 du Traité d’amitié, de coopération et de partenariat entre l’Ukraine et la Fédération de Russie de 1997. La Fédération de Russie a brutalement violé les principes fondamentaux de la Charte des Nations Unies, qui oblige notamment tous les États Membres à s’abstenir de recourir à la menace ou à l’emploi de la force contre l’intégrité territoriale ou l’indépendance politique de tout autre pays.
Confronté à l’intervention militaire annoncée en Ukraine, le Gouvernement ukrainien a demandé la convocation de la présente séance du Conseil de sécurité. Nous prions le Conseil de sécurité de faire tout son possible dans l’immédiat pour mettre un terme à l’agression de la Fédération de Russie contre l’Ukraine. Il y a encore une chance.
L’Ukraine appelle les États garants à réagir immédiatement afin de prévenir une intervention. Nous appelons au déploiement d’observateurs internationaux pour évaluer la situation en Ukraine en ce qui concerne l’agression de la Fédération de Russie. Nous exhortons tous les États Membres de l’ONU à faire preuve de solidarité avec la nation ukrainienne afin de protéger la souveraineté et l’intégrité territoriale du pays ainsi que les principes de base même de l’ONU, qui sont actuellement violés brutalement par un membre permanent du Conseil de sécurité.

La Présidente : Je donne maintenant la parole aux membres du Conseil de sécurité.

M. Churkin (Fédération de Russie) (parle en russe) : Je tiens tout d’abord, Madame la Présidente, à vous exprimer ma sollicitude après que nous venons, sous votre présidence, de gâcher deux heures à débattre du format de la présente séance. Nous avions convenu que trois personnes seulement feraient une déclaration publique : M. Eliasson, mon collègue ukrainien, M. Sergeyev, et le Représentant permanent de la Fédération de Russie. Or je crois comprendre que certains de mes collègues du Conseil de sécurité ont déjà l’intention de passer outre cet accord, mais que pouvons-nous faire lorsqu’un jeu n’est pas encadré par des règles ?
Je voudrais remercier M. Eliasson de son exposé et j’en appuie la conclusion, à savoir que, dans la présente situation, il faut calmer les esprits. Malheureusement, je ne peux que noter que mon collègue ukrainien a choisi de ne pas suivre ce conseil, et ce que j’ai entendu dans sa déclaration comporte un certain nombre de termes, par lesquels il caractérise la situation en Ukraine et l’action de la Fédération de Russie d’une manière que nous ne pouvons absolument pas accepter.
Nous évoquons ici une crise qui n’aurait pas dû se produire. Il n’existait aucune raison objective pour qu’elle survienne. L’Ukraine, notre voisine, était et reste un pays frère. Si nous évoquons la situation à partir de ce qu’elle était en automne dernier, l’Ukraine a un Président élu démocratiquement et légalement, M. Yanukovych. Il s’acquitte de ses fonctions en s’appuyant sur la majorité parlementaire au sein d’un parlement démocratiquement élu. Son pays doit certes faire face à de graves difficultés économiques, et les dirigeants ukrainiens ont dû prendre des décisions difficiles. Ils ont dû, en particulier, décider s’ils allaient adhérer à l’Union européenne ou signer un accord d’association avec elle. C’est une décision complexe. L’une des erreurs des dirigeants ukrainiens a peut-être été de reconnaître à la dernière minute que cet accord d’association pourrait avoir d’importantes conséquences économiques pour l’Ukraine.
Dans ces conditions, le Président de l’Ukraine, M. Yanukovych, a pris la décision, en tout point constitutionnelle et pleinement conforme aux prérogatives de tout chef d’État, de s’abstenir de signer un accord d’association avec l’Union européenne. Cela ne signifiait pas, contrairement à ce que beaucoup ont dit, qu’il rejetait totalement toute orientation européenne, mais qu’il devait peser le pour et le contre, compte tenu des circonstances. Par conséquent, je le répète, cette décision relevait pleinement de ses prérogatives en tant que dirigeant de l’Ukraine.
Cela m’amène à poser la question suivante : pourquoi fallait-il que ce problème donne lieu à des manifestations dans les rues ? Pourquoi fallait-il que ces manifestations soient encouragées depuis l’étranger, par des membres de l’Union européenne ? Pourquoi fallait- il que les représentants de plusieurs pays membres de l’Union européenne s’affichent dans les réunions organisées en marge des manifestations contre cette décision prise par les dirigeants ukrainiens ? Pourquoi fallait-il que des hauts responsables prennent la parole pour ameuter le public et les responsables de l’opposition ? Pourquoi fallait-il s’ingérer de manière si flagrante dans les affaires intérieures d’un État souverain ?
Il y a une autre question qu’il convient de poser. Je ne veux pas excuser les actes posés par le Président Yanukovych pendant la crise, en réaction aux manifestations. Il y aurait beaucoup à dire à ce sujet, mais je me contenterai de revenir sur les faits. Le poste de Premier Ministre a été proposé à M. Yatsenyuk, un leader de l’opposition. Pourquoi n’a-t-il pas accepté cette proposition ? Pourquoi continuer d’attiser la situation ? M. Yatsenyuk aurait pu former un gouvernement. S’il avait voulu signer un accord d’association avec l’Union européenne, il aurait pu le faire – il aurait alors porté la responsabilité des conséquences économiques catastrophiques qui s’en seraient suivies pour le pays. De plus, dans la mesure où l’élection présidentielle était prévue en 2015 en Ukraine, si la population n’était pas satisfaite de la position de M. Yanukovych, elle aurait pu élire quelqu’un d’autre à cette occasion. Cela est déjà arrivé. M. Yanukovych a perdu une élection et d’autres Présidents ont été élus en Ukraine.
Alors, pourquoi continuer d’exacerber la situation ? Pourquoi certains de nos collègues occidentaux essaient- ils de prolonger le bras de fer ? Pourquoi amènent-ils des militants armés dans les rues ? Pourquoi ces militants armés doivent-ils lancer des cocktails Molotov contre la police ? Pourquoi s’en prennent-ils à la police ? Avons-nous entendu les Occidentaux qui appuient la démocratie en Ukraine condamner ces actes ? En ce qui nous concerne, nous n’avons rien entendu en ce sens de la part des nombreuses institutions qui promeuvent la démocratie. Nous nous demandons d’ailleurs quelle est leur raison d’être, si elles ne réagissent pas face à ce genre de manifestations.
Suite au déclenchement de la crise, un accord a été signé le 21 février, entre le Président Yanukovych et l’opposition. Les Ministres des affaires étrangères de l’Allemagne, de la France et de la Pologne y ont apposé leurs signatures. Il s’agissait d’un accord très important. Et à ce stade avancé de la crise, il aurait pu permettre d’y trouver une issue. En vertu de cet accord, un gouvernement d’union nationale devait être formé dans les 10 jours, des réformes constitutionnelles entreprises, une nouvelle constitution adoptée et l’élection présidentielle organisée d’ici au mois de décembre 2014. Les leaders et les membres de l’opposition s’y engageaient à ne pas recourir à la force.
Ils devaient déposer les armes et les remettre à ceux qui seraient chargés de les récupérer.
Pourquoi cet accord n’a-t-il pas été respecté ? Pourquoi des menaces ont-elles été proférées contre le Président Yanukovych, forçant ce dernier à quitter Kiev ? Pourquoi, après ces changements dramatiques, la première décision prise par le Parlement ukrainien et ses nouveaux membres a-t-elle été d’abroger la loi sur les langues, en vertu de laquelle les différentes minorités ukrainiennes – pas seulement les Russes, mais d’autres minorités également – avaient le droit d’utiliser leur propre langue ? Pourquoi cette décision a-t-elle été prise dès le premier jour ? Cette décision n’est pas le résultat d’une coalition ou d’un processus politique, mais simplement la conséquence du fait qu’un des leaders de l’opposition a voulu s’imposer, s’accaparer la victoire et imposer sa volonté au peuple. Je ne m’avancerai pas à donner leur nombre approximatif, mais le fait est que plusieurs groupes politiques comptent parmi leurs membres des extrémistes radicaux qui travaillent dans le secteur de la sécurité en Ukraine.
Que s’est-il vraiment passé ces derniers jours, et qui est la raison pour laquelle nous sommes réunis aujourd’hui ? La situation est devenue très difficile ces derniers jours en Crimée et dans la partie orientale de l’Ukraine, provoquant de graves inquiétudes, surtout en Crimée. Des gens sont venus de Kiev avec l’intention manifeste d’agir comme ils l’avaient fait à Kiev et dans la partie occidentale de l’Ukraine pour renverser les gouvernements régionaux. Cela a suscité de vives préoccupations dans la partie orientale du pays, en particulier dans la République de Crimée.
Face à cette situation, le Président du Conseil des Ministres de la Crimée, M. Aksyonov, a fait une déclaration, à laquelle M. Eliasson a fait référence aujourd’hui, et dans laquelle il disait ceci :
« Malgré l’accord conclu par les autorités centrales en vertu duquel la nomination des responsables à des postes d’autorité sans le consentement du Conseil suprême de la République autonome de Crimée est irrecevable, hier, le 28 février, M. Igor Avrutsky a été nommé chef de la milice locale de la Crimée, en violation des dispositions de la Constitution de la République autonome de Crimée et des lois ukrainiennes régissant la police. Cette nomination, la présence de groupes armés et de matériel militaire non identifiés et l’incapacité des structures du pouvoir de la République autonome de Crimée de contrôler la situation sur le territoire de la République ont entraîné des troubles durant lesquels des armes à feu ont été utilisées. »
Je voudrais à présent citer la déclaration faite aujourd’hui par le Ministre russe des affaires étrangères.
« Dans la nuit du 1er mars, des individus armés non identifiés envoyés de Kiev ont essayé de prendre d’assaut les locaux du Ministère de l’intérieur de la République autonome de Crimée. Ces provocations perfides ont fait plusieurs victimes. L’action déterminée des groupes d’autodéfense a permis de faire échouer cette tentative de prise de contrôle du Ministère. Ces faits illustrent la volonté de certains milieux politiques bien connus à Kiev de déstabiliser la situation sur la péninsule. Exacerber les tensions en Crimée, où la situation est déjà très tendue, est un procédé très irresponsable. »
Au vu de cette situation, le Premier Ministre de la Crimée, M. Aksyonov, s’est adressé au Président russe pour lui demander de l’aide afin de rétablir la paix en Crimée. Selon les informations dont nous disposons, cette demande a été appuyée par M. Yanukovych, dont la destitution, à nos yeux, est illégale. À la suite de cet appel, le Président russe, conformément à nos procédures constitutionnelles, a soumis au Conseil de la Fédération la demande suivante.
« Étant donné la situation extraordinaire qui règne en Ukraine et les menaces qui pèsent sur la vie des citoyens russes, nos compatriotes, et des membres de l’armée de la Fédération de Russie stationnés sur place au titre de l’accord international sur le territoire de l’Ukraine, la République autonome de Crimée – en vertu du paragraphe g de la section I de l’article 102 de la Constitution de la Fédération de Russie – a demandé que des forces armées de la Fédération de Russie soient déployées sur le territoire de l’Ukraine jusqu’à ce que la situation sur les plans civil et politique se normalise en Ukraine ».
Je voudrais donc attirer l’attention du Conseil sur le fait qu’il est expressément indiqué « sur le territoire de l’Ukraine » et pas « contre l’Ukraine », contrairement à ce qu’a dit mon collègue ukrainien. Il est bien dit « sur le territoire de l’Ukraine jusqu’à ce que la situation sur les plans civil et politique se normalise en Ukraine ». Selon les dernières informations que j’ai reçues, y compris la déclaration faite par le représentant du Président à la presse, le Président de la Fédération de Russie n’a pas pris de décision concernant l’utilisation des forces armées sur le territoire de l’Ukraine.
S’agissant de savoir comment trouver une issue à cette situation, je répète, comme l’a dit M. Eliasson à juste titre, que la raison doit l’emporter et que nous devons revenir sur la voie politique dans un cadre constitutionnel. Nous devons revenir à l’accord du 21 février et former un gouvernement d’union nationale. Il faut également cesser les tentatives d’utiliser le langage de la force dans les rapports avec les opposants politiques ou les personnes appartenant à d’autres groupes ethniques. Les acteurs internationaux qu’intéresse particulièrement la situation en Ukraine doivent rappeler les éléments radicaux à l’ordre. Ils doivent conseiller à l’opposition ukrainienne, ou à quiconque se trouve à Kiev, de se distancier des radicaux et de ne pas leur permettre d’avoir la main haute en Ukraine. De tels agissements pourraient en effet rendre la situation très difficile, ce que la Fédération de Russie essaie d’éviter.

Mme Power (États-Unis d’Amérique) ( parle en anglais) : Les États-Unis appellent de nouveau la communauté internationale à appuyer le Gouvernement qui vient d’être formé en Ukraine et à prévenir des violences inutiles.
Je voudrais prendre un moment pour répondre aux observations faites ici par le représentant de la Fédération de Russie. Les actes sont plus éloquents que les paroles. Ce matin, la Douma a pris la décision d’autoriser l’emploi de la force militaire en Ukraine. C’est aussi dangereux que c’est déstabilisant. Nous sommes profondément troublés par les informations de ce matin relatives à une intervention militaire russe en Crimée. Cette intervention n’a pas de fondement légal ; de fait, elle viole l’engagement pris par la Russie de protéger la souveraineté, l’intégrité territoriale et l’indépendance de l’Ukraine.
Il est temps que l’intervention russe en Ukraine cesse. L’armée russe doit se retirer, les aspirations du peuple ukrainien doivent être respectées, et le dialogue politique doit pouvoir se poursuivre. Nous applaudissons à cet égard à la remarquable retenue et à l’attachement au dialogue dont a fait preuve le nouveau Gouvernement ukrainien à Kiev face à l’hostilité.
Nous avons dit dès le départ que nous reconnaissions et respections les liens historiques de la Russie avec l’Ukraine mais, plutôt que de s’ouvrir
au Gouvernement ukrainien et aux institutions internationales de ses préoccupations concernant les Ukrainiens de souche russe, la Russie a ignoré l’un et l’autre, choisissant la voie unilatérale et militaire. Il est paradoxal que la Fédération de Russie prenne régulièrement la peine dans cette salle d’insister sur l’inviolabilité des frontières nationales et de la souveraineté, alors que les actes de la Russie en Ukraine violent la souveraineté de l’Ukraine et représentent une menace à la paix et à la sécurité.
La Russie invoque différents actes et menaces à l’encontre de groupes minoritaires en Ukraine. Nous ne voyons pour l’instant aucune preuve de tels actes, mais les actes de provocation de la Russie pourraient facilement porter une situation tendue au point de rupture. Le fait que la Russie encourage des groupes à aller manifester ne constitue pas un comportement responsable dans la situation actuelle. Il existe clairement une voie à suivre qui permettrait de préserver la souveraineté et l’intégrité territoriale de l’Ukraine, et de répondre aux préoccupations de la Russie.
Premièrement, la Russie doit prendre directement langue avec le Gouvernement ukrainien. Deuxièmement, des contrôleurs et observateurs internationaux, notamment de l’ONU et de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), doivent être dépêchés en Ukraine. C’est le meilleur moyen d’établir les faits, de surveiller les comportements et de prévenir tout abus. La Russie est un membre de premier plan de ces deux institutions et peut jouer un rôle actif pour veiller à ce que ses intérêts soient préservés. Le déploiement immédiat en Crimée d’observateurs internationaux de l’OSCE ou de l’ONU permettrait également d’assurer la transparence des mouvements et activités des forces militaires et paramilitaires dans la région et d’apaiser les tensions entre les différents groupes. Nous nous employons également à mettre en place une mission de médiation internationale en Crimée afin de commencer à désamorcer la situation et de faciliter un dialogue politique fructueux et pacifique entre toutes les parties ukrainiennes.
Nous sommes avant tout préoccupés de mettre fin aux affrontements et de trouver une solution qui permette aux Ukrainiens de décider de leur propre sort, de leur propre gouvernement et de leur propre avenir. Ce doit être l’objectif du Conseil et de la communauté internationale. Les États-Unis travailleront avec l’Ukraine, nos alliés et partenaires en Europe et dans le monde entier, et ici, à l’ONU, pour défendre et protéger la souveraineté, l’unité et l’avenir démocratique de l’Ukraine.

Sir Mark Lyall Grant (Royaume-Uni) ( parle en anglais) : Le Représentant permanent de la Russie ayant laissé entendre que certains États membres de l’Union européenne auraient quelque chose à voir dans l’aggravation de la crise en Ukraine, je tiens à présenter clairement la position de mon gouvernement.
Le Royaume-Uni est profondément préoccupé par l’exacerbation des tensions dans la péninsule de Crimée et par l’autorisation donnée par le Parlement russe à une action militaire russe sur le sol ukrainien, contre la volonté du Gouvernement ukrainien. Cet acte est une grave menace à la souveraineté, à l’indépendance et à l’intégrité territoriale de l’Ukraine. Nous condamnons tout acte d’agression contre l’Ukraine. Nous avons donc sollicité une explication immédiate et complète de la Fédération de Russie au sujet de la décision d’autoriser une action militaire en territoire ukrainien souverain, ainsi que du fondement de cette action en droit international.
Au début de la journée, le Premier Ministre britannique a appelé toutes les parties à réfléchir soigneusement à leurs actions et à s’employer à faire retomber les tensions plutôt que de les aviver. Hier, le Ministre britannique des affaires étrangères s’est entretenu avec le Président ukrainien par intérim, M. Turchynov, et a clairement fait part de l’appui du Royaume-Uni au nouveau Gouvernement ukrainien. Il l’a exhorté à faire en sorte que le Gouvernement prenne des mesures pour unifier le pays et protège les droits des citoyens ukrainiens, y compris les groupes minoritaires, sans exclusive. Il l’a également assuré de l’attachement du Royaume-Uni à l’intégrité territoriale, à l’unité et à la souveraineté de l’Ukraine.
Le Gouvernement britannique appuie la demande de consultations d’urgence formulée par le Gouvernement ukrainien, conformément au Mémorandum de Budapest de 1994, signé par le Royaume-Uni, les États-Unis, la Russie et l’Ukraine. Nous ne voyons pas pourquoi ces consultations ne pourraient pas avoir lieu immédiatement.
Hier, le Conseil a exprimé son appui à l’unité, à la souveraineté et à l’intégrité territoriale de l’Ukraine, et convenu que tous les acteurs politiques devaient faire preuve de retenue. Il est absolument essentiel que la Fédération de Russie respecte la souveraineté, l’indépendance et l’intégrité territoriale de l’Ukraine, et prenne des mesures immédiates pour apaiser cette situation dangereuse.

M. Araud (France) : Depuis le début de la crise actuelle, la France a œuvré à une solution qui permette la stabilisation de l’Ukraine, d’une Ukraine démocratique, respectueuse des droits de toutes les communautés et membre de la grande famille européenne. C’était le sens des efforts de médiation conduits par les Ministres des affaires étrangères de la République fédérale d’Allemagne, de Pologne et de France. C’était le sens de l’accord du 21 février auquel, d’ailleurs, la Fédération de Russie avait à l’époque refusé d’apporter son soutien.
Il ne s’agit pas aujourd’hui d’une querelle géopolitique d’une autre époque. Il ne s’agit pas aujourd’hui d’exiger de l’Ukraine que ce pays choisisse entre l’Est et l’Ouest. Ce serait contraire à toutes les valeurs qui ont fondé l’Union européenne, dont je rappelle que l’existence repose précisément sur le refus de revenir à des pratiques d’un autre âge qui ont conduit notre continent à deux désastres en un siècle.
L’autorisation donnée par le Conseil de la Fédération de Russie de déployer des troupes en Ukraine pourrait se révéler, si elle était suivie d’effets, une menace pour l’intégrité territoriale de ce pays et serait un développement dangereux pour la paix. Dans la crise ukrainienne, la France s’efforcera de trouver une solution politique qui serve les intérêts du peuple ukrainien et préserve l’intégrité territoriale et la souveraineté du pays.
Nous appelons donc toutes les parties à la retenue et à faire preuve de responsabilité. Nous demandons aux autorités ukrainiennes de prendre toutes les mesures nécessaires pour assurer la paix civile et la coexistence entre les communautés, relever le pays et tenir compte des intérêts légitimes de la Fédération de Russie. Nous attendons de tous les voisins de l’Ukraine qu’ils l’aident dans cette tâche difficile.
La France et l’Union européenne se tiennent prêtes à contribuer à un règlement pacifique de la crise. Le Président de la République française a appelé à une action rapide et coordonnée de l’Union européenne, qui sera décidée lors du Conseil des affaires étrangères du 3 mars prochain.

La Présidente : Il n’y a plus d’orateurs inscrits sur ma liste. J’invite à présent les membres du Conseil à poursuivre l’examen de la question dans le cadre de consultations.

La séance est levée à 16 h 50.