Page de titre des « Règles à observer par les militaires exerçant dans le corps des gardes-frontières de l’État ukrainien », dûment estampillée par l’Union européenne et le département d’État des USA.

Au début de ce mois d’avril, les gardes-frontières ukrainiens ont considérablement restreint l’entrée, dans le pays, des hommes adultes en provenance de la Russie. Les organisations internationales de défense des Droits de l’homme n’ont prêté pratiquement aucune attention à cet événement. En ce vingt-et-unième siècle, dans ce territoire en proie à la violence et au chaos, qu’on appelait autrefois la République d’Ukraine, la ghettoïsation des populations est une affligeante réalité.

Selon le Service national des gardes-frontières de l’Ukraine, les autorités de Kiev interdisent désormais l’entrée du pays à tous les hommes de nationalité russe, de 16 à 60 ans. Cet oukase vaut également pour les personnes originaires de Crimée et de la ville de Sébastopol (Sont concernés les hommes de 16 à 60 ans, et les femmes de 20 à 35 ans.)

« Cette décision émane d’un gouvernement aux abois ! » C’est ce qu’indique, en substance, dans une interview à l’agence RIA Novosti, Alexander Strakanov, le directeur de l’Institut pour l’étude de la langue, de l’histoire et de la culture de la Russie, de l’Université du Vermont (Lyndon State College). « C’est l’expression d’un jugement défaillant et d’une pensée indigente. Je ne crois pas que les gens de cette clique gouvernementale autoproclamée de Kiev comprennent ce qu’ils sont en train de faire. »

Les gardes-frontières ukrainiens ont entériné la mise en œuvre du soi-disant « dispositif de filtration et de vérification » , espérant ainsi (vainement) châtier les militants antifascistes du soulèvement populaire de la Nouvelle Russie [1]. En outre, des révélations publiées dans la presse locale, qui n’ont pu être vérifiées, font état de la mise en chantier, par les autorités de Kiev, de vastes établissements de détention dans les régions centrales du pays. Ces prisons seraient destinées à servir de camps de concentration pour les contestataires, les dirigeants de l’opposition et les dissidents arrêtés au cours de l’opération anti-insurrectionnelle annoncée par Turchinov, le chef de guerre de la junte au pouvoir. On comprend aisément que de très nombreux résidents de Donetsk, de Kharkov, de Dniepropetrovsk puissent se sentir insultés et trahis par les nationalistes extrémistes qui se sont emparés du pouvoir à Kiev.

L’instrumentalisation et la radicalisation politique des gardes-frontières a débuté en 2004, sous la présidence de Victor Iouchtchenko. C’est durant cette période qu’a été publiée, avec l’argent des contribuables de l’Union européenne et des États-Unis, la nouvelle version amendée des Règles à observer par les militaires exerçant dans le corps des gardes-frontières de l’État ukrainien. Cette publication n’était que l’un des volets du projet HUREMAS 2, financé de la même façon, pilotant la réorganisation de la gestion des personnels concernés. [2]

Ce document est extrêmement important. C’est là que sont édictées les règles de base que doivent respecter tous les personnels militaires du Service national des gardes-frontières de l’État ukrainien. C’est par un décret spécial, en date du 29 décembre 2009, numéroté 1115/2009, que le président Iouchtchenko a inscrit dans la loi ces dispositions réglementaires.

On peut légitimement penser que les spécialistes du département d’État de Washington et les hauts fonctionnaires de l’Union européenne ont supervisé la rédaction du document dont ils ont financé l’élaboration. Selon John E. Herbst, l’ancien ambassadeur des États-Unis en Ukraine, le département d’État a dépensé au bas mot 425 000 dollars pour financer la phase initiale du projet HUREMAS de 2006 à 2008. Ian Tindall Boag, l’ex-tête de file de la Délégation de l’Union européenne en Ukraine, promit pour sa part 4 millions de dollars pour assurer le financement du projet jusqu’en 2008. Les dispositions détaillées du projet HUREMAS n’ont toujours pas été publiées à ce jour. La fin de l’opération est programmée en 2015. Les services des gardes-frontières de Pologne et de Hongrie, récemment intégrés dans ce dispositif, ont été pressentis pour aider leurs homologues ukrainiens à mettre le fonctionnement de leurs propres structures en conformité avec la législation européenne et les procédures de l’Otan.

Le dessein ultime du dispositif HUREMAS 2 pourrait bien être la transformation des gardes-frontières ukrainiens en un outil de dissuasion opérant aux confins de la sphère d’influence sur laquelle l’Otan entend exercer son contrôle. Mykola Lytvyn , l’un des protégés de Iouchtchenko, a été l’un des prosélytes les plus ardents du projet HUREMAS 2. Il a bénéficié d’une formation militaire, dispensée à Harvard, dans le cadre d’un cursus universitaire achevé en 1997.

Ironie amère, grâce à « l’aide technique » multiforme, circonstanciée, octroyée par l’Union européenne et les États-Unis, et aux miracles ainsi réalisés, l’Ukraine n’aura vraisemblablement plus aucune frontière à défendre à l’horizon 2015.

Traduction
Gérard Jeannesson
Source
Oriental Review (Russie)

[1Les territoires de la « Nouvelle Russie » couvrent la partie Sud-Est de l’Ukraine, incluant notamment les régions de Dniepropetrovsk, Kharkov, Louhansk, Donetsk et Odessa. Ils ont été intégrés dans l’Empire Russe au dix-huitième siècle, aux dépens de l’Empire Ottoman. Ils ont constitué jusqu’en 1920 une subdivision administrative de la Russie. Après la guerre civile, la région où résidaient de nombreux Ukrainiens au côté de la population russe, fut rattachée par les dirigeants soviétiques à la République socialiste d’Ukraine, dans le cadre de l’URSS.

[2HUREMAS : Human Resources Management System (Système de gestion des ressources humaines). Ce dispositif, financé par l’UE et les États-Unis, a été mis en place en Ukraine, à partir de 2006, pour modifier l’organisation, le fonctionnement, les missions, le recrutement du SBGS, le corps des gardes-frontières ukrainiens, dans le cadre du rapprochement avec l’Union européenne et l’Otan, décidé dans le sillage de la « révolution orange » de 2004.