Objet : Développements dans le marché commun

Participants :
[Thomas C. Mann], Sous-secrétaire d’État aux Affaires économiques
Robert Marjolin, Vice-président de la CEE
John R. Schaetzel, adjoint au Secrétaire d’État
Deane R. Hinton, bureau des affaires européennes, section des affaires politiques et militaires atlantiques
Andrew F. Ensor, bureau des affaires économiques, section des ressources internationales, division des carburants et de l’énergie
Stephen C. Schott, assistant

M. Mann demande quels sont les développements dans le marché commun maintenant et pour l’avenir. M. Marjolin indique qu’il vient tout juste de préparer une conférence sur ce que sera le marché commun en 1975. Tout d’abord, en 1975, il s’agira d’une union douanière à part entière. Cependant, il y aura toujours des diversités entre les législations douanières des différents pays et leur harmonisation sera nécessaire. Les droits de douane sont déjà en baisse de 70 % à l’intérieur [du marché commun] et seront en baisse de 80 % d’ici la fin de l’année. Cela rend impératif un tarif extérieur commun. Le taux des droits varie encore selon le point d’entrée des produits de base, puisque le tarif extérieur commun n’en est en réalité qu’aux deux tiers.

M. Marjolin parle de l’harmonisation des taxes sur le chiffre d’affaires et déclare que le système français de taxe sur la valeur ajoutée sera probablement adopté. Il ajoute par ailleurs qu’en 1975 il y aura une fiscalité relativement uniforme ; il fait remarquer que même aux États-Unis les taxes peuvent varier d’un État à l’autre. Il déclare que le marché commun avance rapidement vers une politique agricole commune. Un accord de prix communs sur les semences a été trouvé et un accord de prix communs sera trouvé sur le sucre, la viande et les produits laitiers. À l’heure actuelle, le problème majeur est de travailler à un système de financement pour une politique agricole commune. Sur ce point, M. Mann réplique qu’un financement agricole tend à avoir un contenu plus social qu’économique.

M. Marjolin explique le financement du marché commun. Tout d’abord, l’agriculture nécessitera environ les deux tiers du budget de la communauté et il y aura d’autres dépenses telles que le Fonds social, l’Euratom et l’administration. Les besoins financiers totaux avaient été estimés à 2 milliards de dollars, mais il indique avoir personnellement estimé que le chiffre serait plus proche de 2 milliards et demi de dollars ; il explique qu’un objet actuel de débat est la source des fonds ; vont-ils provenir des contributions nationales ou des droits de douane [?]. M. Mann demande à quel montant il estime que s’élèveront finalement les recettes douanières totales. M. Marjolin dit qu’elles devraient être dans l’horizon des 2 milliards. M. Hinton mentionne qu’environ 700 millions de dollars proviendront des prélèvements agricoles et que les autres droits de douane feront le reste. Mais, bien sûr, comme le fait remarquer M. Marjolin, cela dépendra du niveau des droits. M. Marjolin souligne ensuite que la question de la politique financière de la Communauté est également liée à la question du rôle et des pouvoirs du parlement. Il suggère, toutefois, que cette question pourra probablement être éludée durant quelques années.

M. Mann pose la question de l’union monétaire dans le marché commun. M Marjolin déclare qu’on l’envisageait, mais il fait remarquer qu’une fois que la communauté aura une politique agricole commune les Six formeront une union monétaire à des fins pratiques. M. Mann fait observer que bien sûr ces politiques ainsi que l’harmonisation fiscale contribueront à ce développement. M. Marjolin fait référence à l’unité de compte, qui sera utilisée dans les prix agricoles et qui maintiendra la stabilité des prix dans les États de la Communauté même si l’un d’eux vient à dévaluer. C’est pourquoi la question est de savoir s’il doit y avoir des propositions monétaires maintenant ou si l’on doit attendre jusqu’à ce que les autres politiques entrent en vigueur. Il dit craindre qu’il n’y ait des résistances aux propositions monétaires à présent. C’est pourquoi il lui parait préférable d’attendre que l’adoption de ces propositions devienne pratiquement inéluctable. M. Schaetzel évoque un document qui avait été émis par le centre de Bologne, dont la thèse était que l’union monétaire arriverait dans le droit fil de la dynamique inhérente au Traité de Rome. De ce fait, en accord avec ce qui semble avoir été la politique des rédacteurs du traité de Rome, ces décisions pourraient être reportées jusqu’à ce qu’elles soient devenues inévitables.

M. Marjolin soulève la question de la balance des paiements américaine et des liquidités internationales et il interroge M. Mann sur ce qu’il pense de ces questions. M. Mann répond qu’il n’a pas eu autant de temps qu’il le souhaitait à consacrer aux problèmes économiques. Toutefois, il déclare que le sentiment général est que des taux d’intérêt faibles sont directement liés à un niveau élevé d’activité économique et qu’une forte liquidité est favorisée. Cependant, c’est encore un sujet de débat et M. Martin, de la réserve fédérale, semble pencher pour des taux d’intérêt plus élevés. M. Marjolin déclare qu’il pense que la balance américaine devrait être proche de l’équilibre à la fin de cette année, mais qu’il est difficile de dire si elle pourra s’y maintenir. Cependant, dans tous les cas, des restrictions capitales resteront nécessaires pendant une longue période. Il ajoute que le problème n’est pas seulement celui de l’augmentation des taux d’intérêt, quoiqu’une augmentation puisse être utile si elle peut être gérée. Il ajoute qu’il y a quelque chose d’anormal à avoir des taux à long terme faibles aux États-Unis (4,5 %) et élevés en Europe (7 %).

M. Mann questionne ensuite sur le développement de la politique commerciale extérieure de la communauté et l’octroi de préférences tarifaires aux pays associés et aux autres pays. Il demande en particulier quelle forme les préférences prendront, que ce soit les quotas, les droits de douane ou les contingents tarifaires, etc. M. Marjolin répond que la Communauté n’impose pas de droits de douane sur les importations en provenance des pays associés alors que, d’autre part, l’AOC peut imposer des quotas et augmenter les tarifs sur des produits communautaires. M. Mann demande avec quelle générosité les préférences seront accordées. M. Marjolin se réfère à un accord d’intention précisant que le marché commun sera ouvert aux anciennes colonies de langue anglaise.

À ce stade, la question du Nigéria est mise sur le tapis et il est dit que les préférences accordées au Nigeria se fonderont sur les contingents tarifaires, alors même que le Nigeria pourra offrir à la communauté très peu de concessions. Il fait aussi observer que les concessions accordées par le Nigéria à la communauté passeront outre la position britannique, étant donné que les Britanniques ne recevront pas les mêmes avantages. M. Marjolin souligne que le traité de Rome prévoit une association avec les États du Maghreb et qu’en outre l’accord conclu avec le Nigeria sera ouvert aux autres anciennes colonies britanniques. Il ne pense pas que ces accords soient particulièrement souhaitables et il reconnaît qu’ils pourraient causer des difficultés aux États-Unis en ce qui concerne l’Amérique latine. Il fait remarquer, néanmoins, qu’ils ont une durée limitée et doivent expirer en 1970, lorsqu’un système plus rationnel pourra être créé.

M. Mann déclare que les problèmes d’association et de préférences ne sont pas uniquement une question commerciale, mais sont liés à la façon dont les pays développés peuvent contribuer au développement de pays moins développés, que les pays développés ont acquis certaines disciplines économiques, alors que les pays les moins avancés ont de grandes aspirations, mais peu de disciplines et la question est de savoir si ces aspirations sont possibles sans détruire les disciplines. M. Marjolin répond chaleureusement à M. Mann en s’étendant sur le problème et reconnaît qu’il s’agit là d’un problème auquel il n’existe aucune réponse facile.

Traduction : Union Populaire Républicaine (UPR)