Tarek Mitri, Représentant spécial du Secrétaire général et Chef de la Mission d’appui des Nations Unies en Libye
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Résolution 2174

Le Conseil de sécurité,


Rappelant toutes ses résolutions sur la Libye depuis la résolution 1970 (2011), ainsi que la déclaration de son président (S/PRST/2013/21) du 16 décembre 2013,

Réaffirmant son ferme attachement à la souveraineté, à l’indépendance, à l’intégrité territoriale et à l’unité nationale de la Libye,

Déplorant l’aggravation de la violence en Libye, en particulier autour de Tripoli et de Benghazi, condamnant les combats en cours menés par des groupes armés et l’incitation à la violence, et s’inquiétant vivement de leurs conséquences pour la population civile et les institutions libyennes, ainsi que du danger que cela représente pour la stabilité et la transition démocratique de la Libye,

Saluant les appels à un cessez-le-feu immédiat lancés par le Gouvernement libyen et la Chambre des représentants, soulignant que toutes les parties doivent engager un dialogue politique pacifique et sans exclusive et respecter le processus démocratique, et engageant tous ceux qui ont une influence sur les parties, en particulier les pays voisins et les pays de la région, à promouvoir la cessation immédiate des hostilités et l’ouverture d’un échange constructif dans le cadre de ce dialogue,

Rappelant la décision qu’il a prise dans sa résolution 1970 (2011) de saisir le Procureur de la Cour pénale internationale de la situation en Libye, et réaffirmant qu’il importe que le Gouvernement libyen coopère avec la Cour pénale internationale et le Procureur,

Réaffirmant qu’il importe d’amener à répondre de leurs actes les responsables de violations du droit international des droits de l’homme et du droit international humanitaire, et d’atteintes à ces droits, y compris les auteurs d’attaques dirigées contre la population civile,

Se déclarant vivement préoccupé par la menace que font peser sur la stabilité du pays et de la région la présence d’armes et de munitions non sécurisées en Libye et leur prolifération, notamment leur transfert à des groupes terroristes et extrémistes violents, et soulignant qu’il importe de coordonner le soutien international apporté à la Libye et à la région face à cette menace,

Préoccupé par le nombre croissant de terroristes et de groupes terroristes liés à Al-Qaida opérant en Libye, réaffirmant qu’il faut combattre par tous les moyens, dans le respect de la Charte des Nations Unies et du droit international, notamment du droit international des droits de l’homme, du droit international des réfugiés et du droit international humanitaire, les menaces que les actes de terrorisme font peser sur la paix et la sécurité internationales, et rappelant à cet égard, les obligations découlant de la résolution 2161 (2014),

Se déclarant résolu à user de sanctions ciblées pour rétablir la stabilité en Libye, et à l’encontre des personnes ou entités qui mettent en danger sa stabilité et qui entravent ou compromettent la réussite de sa transition politique,

Conscient que la Charte des Nations Unies lui confie la responsabilité principale du maintien de la paix et de la sécurité internationales,

Agissant en vertu du Chapitre VII de la Charte des Nations Unies,

1. Demande à toutes les parties de conclure immédiatement un cessez-le-feu et de mettre fin aux combats, et exprime son ferme appui aux efforts que font la Mission d’appui des Nations Unies en Libye (MANUL) et le Représentant spécial du Secrétaire général à cet égard ;

2. Condamne le recours à la violence contre les populations et les institutions civiles et exige que les responsables de ces actes aient à en répondre ;

3. Invite la Chambre des représentants et l’Assemblée constituante à s’acquitter de leurs tâches dans un esprit d’ouverture et demande à toutes les parties d’engager un dialogue politique sans exclusive sous conduite libyenne pour aider à rétablir la stabilité, et à forger un consensus sur les prochaines mesures à prendre dans le cadre de la transition de la Libye ;

4. Réaffirme que les mesures énoncées aux paragraphes 15, 16, 17, 19, 20 et 21 de la résolution 1970 (2011), telles que modifiées par les paragraphes 14, 15 et 16 de la résolution 2009 (2011), s’appliquent aux personnes et entités désignées par cette résolution et par la résolution 1973 (2011) ainsi que par le Comité créé par le paragraphe 24 de la résolution 1970 (2011), décide qu’elles s’appliqueront également aux personnes et entités dont le Comité a déterminé qu’elles se livraient ou qu’elles apportaient un appui à d’autres actes qui mettent en danger la paix, la stabilité ou la sécurité en Libye, ou qui entravent ou compromettent la réussite de sa transition politique, et décide que ces actes peuvent comprendre, entre autres :

a) Le fait de préparer, de donner l’ordre de commettre ou de commettre, ou d’inciter d’autres personnes à commettre, des actes qui violent le droit international des droits de l’homme ou le droit international humanitaire, ou qui constituent des atteintes aux droits de l’homme, en Libye ;

b) Les attaques contre les aéroports, les gares et les ports en Libye, ou contre une installation ou un bâtiment public libyens, ou contre toute mission étrangère en Libye ;

c) La fourniture d’un appui à des groupes armés ou des réseaux criminels par l’exploitation illégale du pétrole brut ou de toute autre ressource naturelle en Libye ;

d) Le fait d’agir pour une personne ou une entité inscrite sur la Liste, ou en son nom ou sur ses instructions ;

5. Réaffirme que les personnes et entités dont le Comité a établi qu’elles ont violé les dispositions de la résolution 1970 (2011), y compris l’embargo sur les armes, ou aidé d’autres à les violer, peuvent faire l’objet d’une désignation, et précise qu’il en va de même des personnes ou entités qui prêtent leur concours à la violation des mesures de gel des avoirs et d’interdiction de voyager imposées par la résolution 1970 (2011) ;

6. Prie le Groupe d’experts créé en application du paragraphe 24 de la résolution 1973 (2011), en plus des tâches qui lui sont déjà confiées, de fournir des renseignements sur les personnes et entités qui répondent aux critères de désignation énoncés aux paragraphes 4 et 5 de la résolution ;

7. Demande que le Comité prenne dûment en considération les demandes de radiation de la Liste présentées par les personnes et entités qui ne remplissent plus les critères de désignation ;

8. Décide que la fourniture, la vente ou le transfert à la Libye d’armes et de matériel connexe, y compris les munitions et pièces détachées correspondantes, conformément au paragraphe 13 a) de la résolution 2009 (2011), tel que modifié par le paragraphe 10 de la résolution 2095 (2013), doit être approuvé à l’avance par le Comité ;

9. Demande à tous les États, en particulier aux États voisins de la Libye, en accord avec leur jurisprudence et leur législation internes et le droit international, en particulier le droit de la mer et les accords pertinents sur l’aviation civile internationale, de faire inspecter sur leur territoire, y compris dans les ports maritimes et aéroports, tous les chargements à destination et en provenance de Libye, si l’État concerné dispose d’informations lui donnant des motifs raisonnables de penser que ce chargement contient des articles dont la fourniture, la vente, le transfert ou l’exportation sont interdits par les paragraphes 9 ou 10 de la résolution 1970 (2011), tels que modifiés par le paragraphe 13 de la résolution 2009 (2011) et les paragraphes 9 et 10 de la résolution 2095 (2013), afin de garantir une stricte application de ces dispositions ;

10. Réaffirme que tous les États Membres sont tenus, lorsqu’ils découvrent des articles interdits par les paragraphes 9 ou 10 de la résolution 1970 (2011), tels que modifiés par le paragraphe 13 de la résolution 2009 (2011) et les paragraphes 9 et 10 de la résolution 2095 (2013), de saisir et neutraliser ces articles (en les détruisant, en les mettant hors d’usage, en les entreposant ou en les transférant aux fins d’élimination à un État autre que l’État d’origine ou de destination), tout en les autorisant à prendre des mesures à cet effet, et demande de nouveau à tous les États Membres de coopérer à cette entreprise ;

11. Demande à tout État Membre effectuant une inspection en application du paragraphe 9 de la présente résolution, de présenter rapidement un premier rapport écrit au Comité dans lequel il exposera en particulier les motifs et les résultats de l’inspection et expliquera s’il a ou non bénéficié d’une coopération, et, si des articles dont le transfert est interdit sont trouvés, demande également à ces États Membres de présenter au Comité, à un stade ultérieur, un rapport écrit circonstancié sur les opérations d’inspection, de saisie et de destruction, donnant des précisions sur le transfert, y compris une description des articles en question, leur origine et leur destination prévue, si ces informations ne figurent pas déjà dans le rapport initial ;

12. Se déclare prêt à examiner l’adéquation des mesures énoncées dans la présente résolution dans l’optique de les renforcer, de les modifier, de les suspendre ou de les lever, et à revoir les mandats de la MANUL, selon que de besoin, en fonction de l’évolution de la situation en Libye ;

13. Décide de rester activement saisi de la question.

Débats

La séance est ouverte à 10 h 15.

Le Président (parle en anglais) : En vertu de l’article 37 du règlement provisoire du Conseil, j’invite les représentants de l’Allemagne, de l’Italie et de la Libye à participer à la présente séance.

En vertu de l’article 39 du règlement intérieur provisoire du Conseil, j’invite M. Tarek Mitri, Représentant spécial du Secrétaire général et Chef de la Mission d’appui des Nations Unies en Libye, à participer à la présente séance.

Le Conseil de sécurité va maintenant aborder l’examen de la question inscrite à son ordre du jour.

Les membres du Conseil sont saisis du document S/2014/629, qui contient le texte d’un projet de résolution présenté par l’Allemagne, l’Australie, la France, l’Italie, la Jordanie, le Luxembourg, la République de Corée, le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord et le Rwanda.

Je crois comprendre que le Conseil de sécurité est prêt à voter sur le projet de résolution dont il est saisi. Je vais maintenant mettre aux voix le projet de résolution.

Il est procédé au vote à main levée.

Votent pour :

Argentine, Australie, Tchad, Chili, Chine, France, Jordanie, Lituanie, Luxembourg, Nigéria, République de Corée, Fédération de Russie, Rwanda, Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord, États-Unis d’Amérique

Le Président (parle en anglais) : Le résultat du vote est le suivant : 15 voix pour. Le projet de résolution est adopté à l’unanimité en tant que résolution 2174 (2014).

Je donne maintenant la parole à M. Tarek Mitri.

M. Mitri, Représentant spécial du Secrétaire général et Chef de la Mission d’appui des Nations Unies en Libye (parle en anglais) : Ces derniers jours, les affrontements armés, qui sont à la fois la cause et la conséquence des profondes divisions qui existent entre les diverses factions politiques libyennes, connaissent une gravité sans précédent, et sont évidemment très inquiétants. La Chambre des représentants a déclaré que les groupes opérant sous les noms de Fajr Libya - Aube libyenne – et d’Ansar al-Charia étaient des terroristes et des hors-la-loi. La coalition Aube libyenne a accusé le Gouvernement de transition et la Chambre des représentants nouvellement élue d’avoir violé la Déclaration constitutionnelle et perdu toute légitimité, considérant que leur appel en faveur d’une intervention étrangère constituait un acte de trahison. Elle a demandé à l’ancien Congrès général national de siéger. Ce dernier, dont le mandat a expiré avec l’élection de la nouvelle Chambre des représentants, a nommé Omar Al-Hasi Premier Ministre et lui a demandé de former un gouvernement « de salut national ».

Depuis le dernier exposé que j’ai présenté au Conseil, le 17 juillet (voir S/PV.7218), les combats, attisés par des frappes aériennes, se sont poursuivis quasiment sans interruption à Tripoli, à Benghazi et d’autres régions du pays. À Tripoli, nous avons assisté à un déplacement sans précédent de population tentant d’échapper aux combats. Certaines estimations prudentes évaluent le nombre de personnes déplacées à plus de 100 000, sachant qu’au moins 150 000 autres, parmi lesquelles de nombreux travailleurs migrants, ont fui le pays pour se réfugier à l’étranger. Nous assistons à une dégradation générale des conditions de vie. Les denrées alimentaires, le carburant, l’eau et l’électricité commencent à manquer. Le départ du personnel médical étranger et les pénuries de fournitures médicales compromettent plus encore la situation des civils. L’augmentation de la criminalité a entraîné une aggravation de la situation. Il est également probable que les combats se solderont par la dissémination de restes explosifs de guerre et d’engins non explosés qui présenteront de nouvelles menaces pour les civils.

L’utilisation par tous les camps d’armes lourdes dans des zones à forte densité de population a propagé la terreur et fait un nombre croissant de victimes innocentes, dont des enfants. En outre, il y a eu de nombreux cas d’enlèvements, de maisons incendiées, de pillage et d’autres actes de vengeance. Les dégâts infligés aux infrastructures publiques du sud et de l’ouest de Tripoli, notamment à l’aéroport, aux principaux dépôts de pétrole, à des routes et à des ponts, sont absolument catastrophiques.

Dans l’est du pays, les combats continuent d’opposer deux coalitions de forces comprenant les brigades Bouclier de Libye, des brigades armées et le groupe extrémiste Ansar al-Charia d’une part, et les forces alliées au général Khalifa Haftar et les forces spéciales de l’armée, d’autre part. La violence a fait un nombre considérable de victimes civiles.

Dans mon dernier exposé au Conseil, j’avais signalé l’évacuation du personnel international de la Mission d’appui des Nations Unies en Libye (MANUL) du pays en raison de l’escalade du conflit et des combats à Janzour et dans les environs, où se trouvent nos locaux. Nous rappelons encore une fois qu’il s’agit d’une mesure temporaire et que le personnel sera redéployé dès que les conditions de sécurité le permettront.

En dépit de cette mesure, la Mission a continué de suivre de près l’évolution de la situation en Libye. Le 7 août, une petite équipe dirigée par mon adjoint s’est rendue à Tripoli pour examiner les possibilités d’un cessez-le-feu inconditionnel. Cette visite a été facilitée par l’Ambassade d’Italie, et je tiens à remercier l’Italie pour sa générosité. Pendant 12 jours, la délégation a rencontré un large éventail d’acteurs militaires et politiques. Bien qu’ils aient tous accueilli de façon constructive nos propositions constructive, il est bien clair qu’il y a beaucoup plus de travail à faire pour triompher de la méfiance qui sépare les parties au conflit.

Si l’intention de la Mission est de faire fond sur ces pourparlers, nous croyons également qu’il faut envoyer aux parties belligérantes un message sans équivoque leur rappelant leurs obligations au regard du droit international humanitaire – et je crois que c’est ce que vient de faire la résolution 2174 (2014) – tout en soulignant la nécessité pour ces parties de participer d’une manière constructive au dialogue facilité par l’ONU.

Le 4 août, nous avons assisté à la session inaugurale de la Chambre des représentants nouvellement élus à Tobrouk. Malheureusement, les nombreux efforts déployés, dont les nôtres, pour parvenir à un accord sur des questions de procédures et autres, n’ont pas réussi à rallier la pleine participation de tous les membres élus. Plusieurs représentants ont décidé de boycotter la session. Conscients de l’importance de préserver la transition fragile actuellement en place en Libye, et alors que la Chambre des représentants est la seule législature légitime élue, nous avons déclaré qu’il ne fallait ménager aucun effort pour donner aux parlementaires qui boycottent cet organe les moyens de se joindre à leurs collègues.

L’évolution de la situation sur le champ de bataille en Libye ces dernières semaines est source de graves préoccupations. Nous condamnons avec force les bombardements aveugles. Les responsables de la mort de civils et de la destruction de propriétés privées et d’infrastructures publiques, de même que les responsables de torture et de mauvais traitements infligés à des prisonniers devront répondre de leurs actes. Nous jugeons particulièrement préoccupantes les informations en provenance de Derna selon lesquelles un groupe extrémiste aurait procédé à des procès et à des exécutions sommaires en marge du système judiciaire.

À cet égard, je salue la déclaration faite le 17 août par le Procureur général libyen de son intention d’enquêter sur les crimes commis lors des récents combats qui se sont déroulés à Tripoli. J’engage instamment son bureau à mener des enquêtes impartiales, même en l’absence de plaintes officielles. Je me félicite également des déclarations faites récemment par la Procureure de la Cour pénale internationale et le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme rappelant aux parties au conflit que les auteurs de crimes contre les civils, de même que leurs commanditaires ou les personnes qui les perpétuent, sont passibles de poursuites, tout comme les personnes qui incitent à la violence.

La menace que pose l’expansion des groupes terroristes est désormais bien réelle. Leur présence et leurs activités dans plusieurs villes libyennes sont connues de tous. À l’heure actuelle, la situation sécuritaire anarchique et la capacité très limitée du Gouvernement à contrer cette menace ont probablement créé un terrain fertile propice à entraîner une situation de plus en plus dangereuse en Libye et au-delà.

Dans mon dernier exposé, j’avais qualifié la réunion avortée des 18 et 19 juin pour un dialogue politique, que j’avais l’intention de tenir, d’occasion manquée. Chaque initiative de dialogue manquée est une occasion perdue pour la Libye. Nous devons rappeler aux dirigeants politiques libyens et aux commandants des brigades que le dialogue reste la seule option possible face aux affrontements armés de longue durée. Une solution militaire n’est pas possible, et l’impasse actuelle ne sera qu’aggravée par le recours à la force. Bien que la perspective d’un accord politique semble éloignée, l’ONU ne doit épargner aucun effort pour ramener les divers acteurs à la table du dialogue. L’intimidation et la diffamation ne doivent pas nous faire oublier que nous avons l’obligation d’être un médiateur impartial.

À l’exception d’une minorité qui se méfie du rôle de l’ONU en Libye ou qui y est hostile, la présence de la MANUL – qui suscite de grandes attentes – est généralement bien acceptée. La demande principale et récurrente est que l’ONU contribue plus efficacement à la protection de la population civile. Il existe peut- être en Libye un large appui en faveur d’une présence renforcée des Nations Unies, mais les modalités de cette aide et le type d’appui qui peuvent être attendus de manière réaliste ne sont pas clairement définis. De plus, il faut s’attacher très sérieusement à corriger certains malentendus, condition nécessaire à un rôle accru des Nations Unies en Libye.

Encore une fois, on nous a demandé d’assumer un plus grand rôle dans le renforcement des institutions. La solution idoine exigerait un développement supplémentaire des capacités de la MANUL. Toutefois, cela ne constitue pas en soi une garantie du résultat souhaité. L’expérience nous montre que, en l’absence de volonté politique collective en Libye et de priorités nationales clairement définies, la MANUL est susceptible de rencontrer des difficultés de mise en œuvre. La prise en charge nationale ne consiste pas seulement à s’assurer que l’action de l’ONU concorde avec les stratégies libyennes ; elle implique également une réceptivité constante et durable de la part de la Libye aux conseils et à l’assistance technique apportés par la suite. En outre, cette prise en charge nationale libyenne implique un effort constant de coordination de l’appui international pour en assurer l’efficacité. Dans le mandat qu’il a confié à la MANUL, le Conseil demande à la Mission de jouer un rôle moteur à cet égard, mais il n’a eu qu’un succès mitigé. Il importe que nous voyions la Libye jouer un rôle cohérent en facilitant les efforts concertés. La mesure dans laquelle tous les amis de la Libye sont disposés à permettre une meilleure coordination de leurs activités n’a pas moins d’importance.

Comme cela s’est passé ailleurs dans la région, des transformations radicales ont fait naître de nouvelles possibilités et suscité des espoirs. L’expérience libyenne illustre le fait que la transition est émaillée de risques considérables, dont certains sont dus à une impression de conflits d’intérêts et à des craintes réciproques – séquelles de plus de 40 ans de régime despotique – ainsi qu’au réveil des animosités et à la réinvention des haines, dans le cadre d’une lutte de pouvoir. Au nombre de ces risques figure celui que l’avenir de la Libye soit marqué par une polarisation régionale et des rivalités par adversaires interposés. Le risque de voir capoter les changements amorcés par la révolution est très probablement en train de s’accroître. La dérive vers plus d’instabilité et une plus grande incertitude ne pourra être inversée, à moins que différents acteurs de la vie publique libyenne ne s’engagent, en paroles et en actes, dans le sens d’un processus politique démocratique. Ce processus ne peut se réduire aux urnes et à l’émergence de majorités et de minorités numériques. Sa progression est subordonnée à la défense des principes de pluralisme, d’ouverture, de séparation des pouvoirs, et au respect des valeurs et normes démocratiques convenues.

De nombreux Libyens restent sceptiques à l’égard du processus politique dans leur pays et désenchantés vis-à-vis de leurs élites politiques. La faiblesse du taux de participation aux deux dernières élections est symptomatique d’un effritement de cette crédibilité. Cette déception, encore aggravée par les souffrances et la crainte suscitées par les affrontements armés, augmente le risque d’un revers majeur pour la Libye. Un grand nombre de Libyens, désespérés ou désillusionnés, nous contactent ou nous écrivent. Néanmoins, de nombreux autres refusent de se laisser décourager. Nous ne pouvons nous dérober à notre tâche, à savoir les aider tous – aussi bien les déçus que les plus résolus – dans cette période difficile de l’histoire de leur pays.

Pour terminer, je voudrais remercier le Conseil de l’appui qu’il m’a apporté durant les deux années de mon mandat, qui s’achève très bientôt. Je voudrais également adresser mes chaleureuses félicitations à tout le personnel – local et international – de la MANUL et de l’ONU en Libye, pour l’allant dont il continue de faire montre envers et contre tout en dépit des énormes problèmes rencontrés et des risques personnels qu’il encourt dans l’exercice de ses fonctions.

Le Président (parle en anglais) : Je remercie M. Mitri de son exposé. Au nom de mes collègues du Conseil de sécurité, je tiens à le féliciter et à le remercier des efforts qu’il a déployés ces deux dernières années dans le cadre du dossier libyen.

Je donne maintenant la parole au représentant de la Libye.

M. Dabbashi (Libye) (parle en arabe) : Je vous remercie, Monsieur le Président, de me donner l’occasion de prendre la parole à la présente séance du Conseil de sécurité. Je vous félicite de votre accession à la présidence du Conseil ce mois et vous remercie, ainsi que la délégation du Royaume-Uni, d’avoir élaboré la résolution 2174 (2014) que le Conseil vient d’adopter et d’avoir mené les consultations relatives à ce texte.

Je voudrais cependant signaler que je ne sais pas ce que signifie le fait que la délégation libyenne n’a pas été conviée à participer à une partie de la présente séance et n’a pas été invitée à prendre place à la table du Conseil, comme il est d’usage, pendant le vote sur cette résolution. S’agit-il d’une nouvelle mesure du Conseil, qu’il a adoptée à l’unanimité ? Ce comportement procède-t-il d’une décision du Président du Conseil ou du Secrétariat ? Le fait est que j’en ignore les raisons et que je ne sais pas quel message le Conseil ou la présidence souhaitent faire passer à la délégation libyenne.

Pour commencer, je voudrais remercier M. Tarek Mitri, Représentant spécial du Secrétaire général, de son exposé. Comme il s’apprête à quitter ses fonctions, je me permets d’insister sur l’expérience de M. Mitri, et la patience, la persévérance et la détermination avec lesquelles il s’est attaché à faire avancer les choses, quand son équipe et lui le pouvaient, afin d’aider la Libye à sortir de la situation difficile qu’elle traverse. J’affirme à nouveau aujourd’hui que M. Mitri a réussi, durant les deux années qu’il a passées à la tête de la Mission d’appui des Nations Unies en Libye (MANUL), à nouer de nombreuses amitiés et qu’il s’est attiré le respect de tous ceux qui connaissent la nature du mandat de la MANUL, ainsi que la situation politique complexe et les conditions de sécurité difficiles en Libye. Je suis certain que la majorité des citoyens libyens le respectent et l’apprécient. Je ne doute nullement que la plupart de ceux qui ont travaillé avec lui le considèrent comme un frère ou un ami. Puisqu’il a choisi de quitter ses fonctions, il ne nous reste plus qu’à lui souhaiter plein succès dans ses activités futures. Nous attendons avec intérêt ses mémoires, qu’il pourra désormais écrire loin des contraintes de ce poste.

Par la même occasion, je salue la nomination de M. Bernardino León, successeur de M. Mitri. Il n’est pas étranger à la Libye, ni à la tâche qui l’attend en raison de son expérience au poste de représentant spécial de l’Union européenne en Libye. Je le félicite de la confiance que lui accorde le Secrétaire général et je lui souhaite plein succès. Il peut être assuré que le Gouvernement libyen n’épargnera aucun effort pour l’aider à mener à bien sa mission.

Je n’apprends rien au Conseil en disant que la situation en Libye est complexe. Cependant, il est certain que cette situation est devenue, depuis le 13 juillet, encore plus compliquée et qu’elle menace de tourner à la guerre civile de grande ampleur si elle n’est pas traitée par toutes les parties avec la rationalité et la prudence qui s’imposent. J’ai toujours personnellement exclu la possibilité d’une guerre civile, mais la donne a changé. Dans le passé, les incidents de sécurité étaient limités, isolés et rares, mais les nouveaux affrontements qui ont eu lieu dans la ville de Tripoli et ses environs opposaient deux groupes armés combattant à l’arme lourde. Chacun de ces groupes armés a des alliés dans toutes les autres régions du pays. Malheureusement, ces deux groupes armés étaient les premiers acteurs à participer à la révolution du 17 février. Ils ont combattu côte à côte contre la dictature et la tyrannie. C’étaient également les deux groupes les plus lourdement armés après la révolution.

Cependant, nombreux sont ceux qui estiment que les modalités de partage du pouvoir entre les deux groupes, le contrôle de la ville de Tripoli, les actes de terrorisme perpétrés par ces groupes contre les autorités nationales et leur ingérence dans les travaux du Conseil national de transition sont les principales causes du chaos actuel. Toutefois, il faut aussi reconnaître que l’un de ces deux groupes appuie actuellement la Chambre des représentants et le Gouvernement, alors que l’autre groupe s’oppose à la Chambre des représentants et au Gouvernement et remet en cause leur légitimité.

Il ne s’agit pas ici de dire qui a raison ou qui a tort dans le contexte des derniers affrontements, car tous les groupes armés en Libye, y compris des unités de l’armée, agissent dans la plupart des cas en marge de la légalité. Ces groupes ne relèvent pas du Ministère de la défense ou du Gouvernement. Toutefois, je tiens à indiquer que les destructions infligées aux institutions de l’État et le fait de prendre pour cible l’aéroport de Tripoli, ses avions, le siège du Gouvernement, les ministères et les institutions de l’État sont tous des actes qui pourraient être considérés comme des crimes graves et dont les auteurs et les instigateurs portent la responsabilité. De même, ces acteurs doivent assumer la responsabilité de la mort de civils innocents, y compris des jeunes qu’ils ont exposés au danger dans le contexte de la guerre, le déplacement de population, le pillage des maisons et le pillage des bibliothèques publiques, qui constituent tous des crimes graves relevant de la compétence de la Cour pénale internationale, qui a ouvert des enquêtes à ce sujet.

Tous les affrontements armés, où qu’ils se produisent, créent de nouvelles animosités et incitent à de nouveaux actes de représailles, créant un nouveau climat qui ne laisse pas de place à la patience et à la tolérance. Malheureusement, en Libye, la majorité des dirigeants politiques et religieux et les médias incitent au combat et au non-respect du droit et des institutions de l’État. Aucun d’eux n’appelle désormais à la tolérance, à l’amour, à la fraternité, au rejet de la violence ou à laisser les principes de la justice et de l’égalité prévaloir. Les principes et les préceptes de l’islam ne sont malheureusement pas enracinés dans les cœurs des combattants.

Beaucoup de voix s’élèvent avec force dans les médias pour propager des rumeurs, inciter à la violence et déformer les faits. Nombreuses de ces voix sont celles des personnes qui ont la double nationalité, qui vivent à l’extérieur du pays avec leurs familles, qui ne se soucient pas de ceux qui sont morts ou des destructions, mais plutôt uniquement de leurs intérêts personnels.

Il faut absolument aider le peuple libyen à désarmer les groupes armés, en particulier ceux qui détiennent des armes lourdes. C’est le seul moyen de mettre fin au carnage et de sauver la vie des jeunes qui sont instrumentalisés par les personnalités politiques. Ceux qui s’accrochent au pouvoir utilisent les jeunes pour alimenter cette guerre sale qui va à l’encontre de tous les principes religieux et moraux. Ce ne sont que ces principes qui peuvent garantir que les combats n’aient pas lieu dans les villes et prévenir les déplacements de population, constatés ces dernières semaines.

Je crois que les groupes armés n’ont qu’un seul choix, s’ils veulent mener une vie normale et avoir un avenir, à savoir respecter la décision de la Chambre des représentants de les démanteler et de les amener à déposer les armes. À cet égard, deux conditions doivent être remplies. Premièrement, ces groupes doivent comprendre l’importance qu’il y a à réformer l’armée. Deuxièmement, ils doivent accepter la présence d’une force arabe et musulmane, de taille restreinte, chargée de les aider à déposer et à détruire leurs armes. Je crois que quand la Chambre des représentants nommera au poste de chef d’état-major un général issu des rangs des révolutionnaires, il y aura une nouvelle mentalité au sein de l’armée. J’espère que tous les groupes armés coopéreront avec ce nouveau chef d’état-major après le démantèlement des groupes armés.

La situation à Tripoli et à Benghazi a forcé la Chambre des représentants à tenir des réunions en dehors de ces deux villes. Cela ne va pas à l’encontre de la Déclaration constitutionnelle, qui prévoit que le siège de la Chambre des représentants est Benghazi, mais que la Chambre peut se réunir dans d’autres villes. La communauté internationale doit aider la Chambre l des représentants et le Gouvernement libyen à asseoir l’autorité de l’État sur l’ensemble du territoire national, en luttant contre le terrorisme et en désarmant les groupes armés.

Nous saluons le rôle que jouent les pays de la région s’agissant d’aider les autorités libyennes à rétablir la paix et la stabilité. Nous nous félicitons des résultats de la réunion des Ministres des affaires étrangères tenue au Caire le 25 août. Le communiqué final de cette réunion contient plusieurs points, y compris, premièrement, la cessation de tous les affrontements armés afin de faciliter le processus politique et de renforcer le dialogue avec toutes les parties qui renoncent à la violence, afin de parvenir à la réconciliation et d’élaborer une nouvelle constitution pour le pays. Le communiqué met l’accent sur le rôle important des pays de la région, notamment s’agissant de faire le suivi de l’évolution de la situation en Libye, et de l’importance que revêt la participation de la Libye à toutes les initiatives régionales et internationales visant à trouver une solution à la crise.

Deuxièmement, ce communiqué appelle toutes les milices et tous les éléments armés à déposer les armes dans le cadre d’un processus de désarmement progressif. Ces groupes doivent également renoncer à l’option militaire sur la base d’un accord entre tous les partis politiques rejetant la violence, selon un mécanisme appuyé par les pays de la région.

Troisièmement, il souligne que les parties étrangères doivent s’abstenir d’exporter des armes à des groupes illégaux en Libye, et insiste sur l’importance d’une intensification des contrôles aux aéroports et aux autres points d’entrée du pays. En outre, l’État libyen est le seul à pouvoir faire une demande d’importation d’armes, et ce uniquement après avoir reçu l’aval du Comité des sanctions.

Quatrièmement, il souligne l’importance de la lutte contre le terrorisme sous toutes ses formes, de la suppression de ses sources de financement et de la lutte contre la criminalité transnationale organisée et contre toutes les activités illicites.

Cinquièmement, il affirme la nécessité de promouvoir le rôle des institutions légitimes de l’État, notamment de la Chambre des représentants, de mettre en place et de réhabiliter les institutions de l’État, y compris la police et l’armée, au moyen de programmes spécifiques axés sur le rétablissement de la paix, dans l’objectif d’asseoir les fondements de la stabilité et de la paix, et de promouvoir le développement.

Sixièmement, il déclare qu’une aide au Gouvernement libyen s’impose afin de lui permettre de contrôler ses frontières avec les pays de la région, dans le cadre d’un programme global, et de mettre ainsi un terme à toutes les activités d’exportation illégales.

Septièmement, il insiste sur la nécessité de mettre en place un mécanisme chargé de prendre des mesures en cas de non-respect des sanctions, y compris les sanctions ciblées contre les individus et entités qui portent atteinte à la situation politique et à la stabilité.

La résolution qui vient d’être adoptée par le Conseil de sécurité marque une étape d’importance, assortie d’un message très clair à l’attention des parties au conflit. Toutefois, le peuple libyen attend toujours un effort actif de la communauté internationale, conformément au plan adopté par la Chambre des représentants et le Gouvernement. Ce plan, que j’ai transmis au Conseil hier et dont j’ai demandé la distribution comme document officiel, vise à rétablir la sécurité et la stabilité, à dissiper le spectre de la peur et du terrorisme, et à permettre à tout un chacun d’exprimer librement son point de vue légitime sans être accusé de prendre parti, ou risquer la mort ou un enlèvement. Ce sont en effet les pratiques de certains groupes armés à l’encontre des personnalités politiques, des défenseurs des droits de l’homme et de tous ceux qui ont fui le pays à cause de ces menaces. Nombre d’entre eux ont également été assassinés.

Enfin, je tiens à dire que la liberté d’expression en Libye s’est dégradée en raison des menées des groupes armés et de l’absence d’état de droit. Nous voulons croire que toutes les parties feront désormais passer l’intérêt public avant leurs propres intérêts.

Le Président (parle en anglais) : Il n’y a pas d’autre orateur inscrit sur ma liste. J’invite à présent les membres du Conseil à poursuivre le débat sur la question dans le cadre de consultations.

La séance est levée à 10 h 55.