Chers collègues,
Mesdames et messieurs,

Je me réjouis de cette possibilité de prononcer une nouvelle fois un discours pendant la Conférence de Moscou sur la sécurité internationale organisée par le Ministère russe de la Défense. Je salue ses participants – les hauts représentants de différents pays, les dirigeants des organisations internationales, du pouvoir législatif, de la société civile, les chercheurs et les experts émérites.

Au fil des ans, le forum a confirmé son utilité en tant qu’espace pour un échange d’avis professionnel sur les principaux problèmes militaro-politiques de notre époque. Un tel dialogue constructif ouvert permet de déboucher sur des ententes mutuellement acceptables s’appuyant sur un équilibre des intérêts.

Mes collègues russes ont déjà exposé hier en détail nos approches des thèmes régionaux et internationaux d’actualité. Je voudrais également partager ma vision de la situation complexe dans les relations internationales, puisque depuis la conférence de l’an dernier elle a continué de s’aggraver en dépit de tous nos efforts.

La raison principale - et c’est déjà évident pour beaucoup - en est les démarches unilatérales incessantes de l’Occident, USA en tête, qui dans la plupart des cas ont un caractère destructif et conduisent à un déséquilibre dangereux des mécanismes de gouvernance mondiale.

Washington, Londres et d’autres capitales n’ont toujours pas tiré les enseignements des tragédies en Yougoslavie, en Irak, en Libye, en Syrie et en Ukraine. Dans les stratégies américaines de sécurité nationale et de défense nationale récemment publiées, le monde contemporain est directement observé sous le prisme de la rivalité militaro-politique selon la logique "ami-ennemi", "avec ou contre nous".

La négligence du droit international et des structures multilatérales, Onu compris, se renforce. De plus en plus de questions surviennent quant à la capacité des USA à trouver des ententes, notamment sur fond de tentatives de faire échouer d’importants accords internationaux comme le Plan d’action global commun sur le programme nucléaire iranien, la décision de l’Onu sur le processus de paix au Proche-Orient, la déclaration de la Conférence de Paris sur le climat et les principes de base de l’OMC. La tendance révisionniste dans les affaires mondiales est flagrante.

On cherche également à modifier les Accords de Minsk visant à régler la crise en Ukraine, dont la mise en œuvre est sabotée par les autorités actuelles de Kiev. Leurs superviseurs aux USA et en Europe ferment les yeux et encouragent les agissements du "parti de la guerre" de Kiev qui cherche à régler le problème du Donbass par la force.

Dans différentes régions du monde se poursuivent des jeux géopolitiques douteux "à somme nulle", et de facto à "somme négative". Les tentatives se poursuivent de flirter avec les terroristes, de les séparer en "mauvais" et "pas très mauvais", ce dont les représentants russes ont parlé en détail hier à l’ouverture de notre conférence, notamment en prenant l’exemple de l’évolution de la situation en Syrie et dans d’autres pays du Proche et du Moyen-Orient. On a clairement l’impression que les Américains cherchent à maintenir un état de chaos contrôlé dans cet immense espace géopolitique, espérant l’utiliser pour justifier la présence militaire des USA dans la région sans limite de temps pour promouvoir leur propre ordre du jour.

Dans la sphère de la stabilité stratégique, Washington a pour priorité politique de dominer militairement et de saboter la parité. Il redouble d’efforts pour déployer le bouclier antimissile américain (ABM) à travers le monde. Le potentiel et l’activité militaire de l’Otan à proximité des frontières russes se renforcent. La plus grande préoccupation est suscitée par la ligne des USA visant à réduire le seuil d’utilisation des armes nucléaires. On entend des suggestions d’appliquer, dans le cadre de l’Otan, l’article 5 du Traité de Washington vis-à-vis des problèmes qui surviennent dans le cyberespace. Sachant que nos appels insistants à entamer une conversation professionnelle sur les mesures de confiance et pour parer les menaces dans ce secteur ne rencontrent d’écho positif ni à Washington ni à Bruxelles.

Des provocations politiques grossières sont organisées pour attiser intentionnellement la confrontation et continuer de diaboliser la Russie. Ce qu’on appelle l’"affaire Skripal" était un prétexte – inventé ou mis en scène – pour une expulsion massive infondée de diplomates non seulement des USA et du Royaume-Uni, mais aussi d’autres États dont on a majoritairement "forcé la main". Cela fait longtemps que nous n’avions pas constaté un tel outrage non dissimulé au droit international, à l’éthique diplomatique et à la décence élémentaire. Je souligne que nous continuons de réagir de manière adéquate aux démarches hostiles, mais que dans le même temps nous voulons rétablir la vérité. Nous insistons sur une enquête substantielle et responsable en parfaite conformité avec les termes de la Convention sur l’interdiction des armes chimiques (CIAC). Il sera impossible d’ignorer les questions légitimes que nous avons posées sur la base de cette Convention, comme l’a confirmé la session spéciale du Conseil exécutif de l’OIAC réunie par la Russie le 4 avril.

Il est inadmissible – aussi bien par rapport à l’incident de Salisbury que dans bien d’autres cas (des élections aux USA aux incidents chimiques en Syrie en passant par le référendum en Catalogne) – d’avancer des accusations infondées au lieu de présenter des faits concrets, au lieu d’une enquête honnête. C’est seulement dans le fameux livre de Lewis Carroll que la reine exige d’abord une condamnation, et seulement ensuite entendre le verdict des jurés – coupable ou innocent. Mais après tout, Lewis Carroll écrivait de la satire en utilisant le genre du conte de fées. La discussion d’hier à La Haye a montré que les hommes adultes qui se respectaient ne croyaient pas aux contes de fées. Nous appelons de nouveau nos partenaires à examiner tous les problèmes dans le cadre du droit international, honnêtement et en apportant des preuves. Nous sommes prêts à un tel travail conjoint, comme l’a souligné à nouveau hier le Président russe Vladimir Poutine en conférence de presse à Ankara.

Chers collègues,

La montée de la confrontation et de la méfiance réciproque engendre une incertitude stratégique, provoque une course aux armements et, ce qui est particulièrement dangereux, contribue à la militarisation de la pensée. Tout cela conduit à une érosion de l’architecture de sécurité créée après la Seconde Guerre mondiale et basée sur la primauté de la Charte de l’Onu.

Cette situation réduit considérablement les possibilités de coopération, dont nous avons pourtant cruellement besoin si nous voulons réagir efficacement aux défis et aux risques communs à toute l’humanité, notamment au terrorisme international, au crime organisé, au trafic de stupéfiants, à la prolifération des armes de destruction massives, aux changements climatiques globaux et bien d’autres.

Devant un public aussi représentatif, il n’est certainement pas nécessaire de dire que le paysage mondial a foncièrement changé depuis 25 ans, et continue d’évoluer. De nouveaux centres de puissance économique et financière se renforcent, qui mènent une politique étrangère répondant à leurs intérêts nationaux. Personne ne peut leur refuser ce droit parfaitement naturel. La voix du monde émergent, qui exige que ses attentes et aspirations soient réalisées, s’est raffermie.

Il est dans notre intérêt commun de faire en sorte que la multipolarité qui se forme objectivement ne devienne pas chaotique mais constructive, qu’elle contribue à l’établissement d’une coopération mutuellement bénéfique et d’un partenariat productif entre les principaux États. Pour cela, il faut renoncer aux phobies, aux stéréotypes, aux différends conjoncturels, aux ambitions impériales et néocoloniales, apprendre à respecter les intérêts de l’autre, et trouver la force d’établir un travail conjoint au nom de l’avenir sûr et prospère de toute l’humanité. En d’autres termes, il faut reconnaître la tâche que représente la démocratisation des relations internationales. Mais pour l’instant nos collègues occidentaux, se positionnant comme des adeptes de l’affirmation de la démocratie dans tous les autres pays, refusent par tous les moyens de fixer dans les documents multilatéraux la démocratisation du système global de communication interétatique.

Dans ces conditions, la Russie, en tant que centre autonome de la politique mondiale, continuera de promouvoir un ordre du jour positif dans les affaires internationales au profit de la stabilité mondiale. Nous n’imposons rien à personne, nous ne revendiquons pas l’exclusivité ni, qui plus est, la permissivité. En construisant les relations avec les partenaires nous sommes guidés immuablement par le droit international, la reconnaissance du rôle central de l’Onu, nous respectons les intérêts, les traditions et l’identité de tous les peuples et nations.

Nous ne souhaitons ni la confrontation ni l’accélération de la course aux armements. Mais la Russie défendra ses intérêts, sa souveraineté et son indépendance de manière ciblée et efficace en utilisant tout l’arsenal de moyens à sa disposition. Le Président russe Vladimir Poutine l’a évoqué à plusieurs reprises, notamment dans son allocution devant l’Assemblée fédérale russe le 1er mars 2018. L’Occident doit enfin prendre conscience du fait qu’il ne sera plus possible de "jouer à sens unique", qu’il est inutile d’essayer d’obtenir des avantages unilatéraux à nos dépens : que la sécurité dans la région euro-atlantique, en Asie-Pacifique et dans le monde doit être égale et indivisible.

Nous prônons continuellement un large dialogue sur les questions d’actualité, notamment le maintien de la stabilité stratégique sous tous ses aspects et en prenant en compte tous les facteurs qui l’influencent dans les conditions actuelles. Les présidents de la Russie et des USA en ont parlé au téléphone le 20 mars. Nous voudrions que la compréhension de l’importance particulière de ce sujet par les dirigeants des deux pays ne s’enlise pas dans les jeux bureaucratiques et ne soit pas l’otage d’intrigues politiques intérieures.

La Russie souhaite travailler spécifiquement au renforcement des régimes de contrôle des armements et de non-prolifération des armes de destruction massive en s’appuyant sur les principes de transparence et de prévisibilité. Nous avons terminé le processus de destruction des réserves russes d’armes chimiques, nous avons rempli tous nos engagements dans le cadre du traité START et nous appelons les USA, conformément aux procédures prévues par le Traité, à régler ensemble les questions liées au rééquipement d’une partie des vecteurs stratégiques américains. Sur la table de la Conférence pour le désarmement à Genève se trouvent nos propositions pour élaborer la convention sur la lutte contre les actes de terrorisme chimique et biologique, et l’initiative sino-russe visant à empêcher l’apparition d’armes offensives dans l’espace.

Bien sûr, la Russie continuera d’apporter sa contribution au règlement politique et diplomatique de nombreux conflits, notamment au Moyen-Orient et en Afrique du Nord, et de la situation autour de la péninsule coréenne. Nous continuerons de contribuer au développement durable du partenariat dans l’espace de la CEI à travers l’approfondissement de l’intégration eurasiatique, et d’aider à régler les problèmes qui surviennent entre nos voisins.

Dans son allocution devant l’Assemblée fédérale russe, le Président russe Vladimir Poutine a appelé à s’asseoir à la table des négociations et à réfléchir ensemble à un nouveau système renouvelé et prometteur de sécurité internationale, ainsi qu’au développement stable de la civilisation. L’OCS, l’OTSC et les Brics apportent leur contribution à l’avancée vers cet objectif. Les perspectives sont également bonnes pour le G20, où sont représentés tous les pays du G7 et des Brics à la fois. La Russie est prête à un travail honnête, ouvert, équitable et dans le respect réciproque avec tous ceux qui souhaitent sincèrement un avenir pacifique commun et la prospérité de l’humanité.