Monsieur le Président de l’Assemblée générale des Nations unies,
Monsieur le Secrétaire général,
Mesdames et Messieurs les Chefs d’Etat et de Gouvernement,
Mesdames et Messieurs,
Nous sommes toutes et tous ici les héritiers d’un formidable espoir, celui de préserver les générations futures du fléau de la guerre, de construire un ordre international fondé sur le droit et le respect de la parole donnée, de faire avancer l’humanité vers un progrès économique, social, moral dans une liberté toujours plus assurée.
Et nous avons eu des résultats : les droits de l’homme se sont diffusés, le commerce et la prospérité se sont développés, la pauvreté a reculé. C’est cela notre acquis des dernières décennies.
Cependant, nous devons regarder avec lucidité le moment que nous traversons. Nous vivons aujourd’hui une crise profonde de l’ordre international libéral westphalien que nous avons connu. D’abord, car il a échoué pour partie à se réguler lui-même. Ses dérives économiques, financières, environnementales et climatiques n’ont pas trouvé de réponse encore à la hauteur à ce jour.
Ensuite, parce que notre capacité collective à apporter une réponse aux crises est encore trop souvent entravée par les divisions du Conseil de sécurité. Notre organisation en est trop souvent réduite à déplorer des violations des droits qu’elle s’était jurée de garantir. 70 ans après l’adoption par cette assemblée à Paris de la Déclaration des droits de l’homme, un relativisme culturel, historique, religieux conteste aujourd’hui les fondements de leur universalité.
Née d’une espérance, l’ONU peut devenir, comme la Société des Nations qui l’a précédée, le symbole d’une impuissance. Et nul n’est besoin de chercher les responsables de ce délitement, ils sont ici, dans cette assemblée. Ils prennent la parole aujourd’hui. Les responsables, ce sont les dirigeants que nous sommes.
A partir de ce constat, trois grandes voies se présentent au fond devant nous. La première, c’est celle de penser qu’il s’agit d’un moment, d’une parenthèse dans l’Histoire avant un retour à la normale. Je n’y crois pas. Je n’y crois pas car nous traversons une crise d’efficacité et de principe de notre ordre mondial contemporain qui ne pourra plus retrouver ses repères et son fonctionnement d’avant. Le moment que nous vivons n’est pas une parenthèse : il exprime nos propres insuffisances passées.
La deuxième voie, ce serait celle de la loi du plus fort. C’est la tentation pour chacun de suivre sa propre loi. Cette voie, je l’affirme ici, celle de l’unilatéralisme, elle nous conduit directement au repli et au conflit, à la confrontation généralisée de tous contre tous, au détriment de chacun, même de celui à terme qui se croit le plus fort. La responsabilité de la paix ne se délègue pas, ne se refuse pas, ne se préempte pas, elle s’exerce collectivement. La loi du plus fort ne protège aucun peuple contre quelque menace que ce soit, qu’elle soit chimique ou nucléaire.
Qu’est-ce qui permettra de régler véritablement la situation en Iran et qu’est-ce qui déjà a commencé à permettre de la stabiliser ? La loi du plus fort, la pression d’un seul ? Non ! Nous savons que l’Iran était sur la voie du nucléaire militaire, mais qu’est-ce qui l’a stoppé ? L’Accord de Vienne de 2015. Nous devons aujourd’hui, comme je le disais il y a un an, non pas exacerber les tensions régionales, mais proposer un agenda plus large permettant de traiter toutes les préoccupations nucléaires, balistiques, régionales causées par les politiques iraniennes, mais dans le dialogue et le multilatéralisme. Sans naïveté ni complaisance, mais sans des postures qui, à terme, ne manqueraient pas d’être stériles.
Qu’est-ce qui réglera le problème des déséquilibres commerciaux et toutes leurs conséquences sur nos sociétés ? Des règles communes adaptées à la réalité d’aujourd’hui et permettant d’assurer des conditions de concurrence loyale, égale et en aucun cas un traitement bilatéral de tous nos différends commerciaux ou un nouveau protectionnisme.
Qu’est ce qui permettra de régler la crise entre Israël et la Palestine ? Pas des initiatives unilatérales, ni le fait d’ignorer les droits légitimes des Palestiniens pour obtenir une paix durable, ni de sous-estimer le droit légitime des Israéliens à leur sécurité. Il n’y a pas d’alternative crédible à la solution de deux Etats vivant côte à côte en paix et en sécurité avec Jérusalem pour capitale. Israël sait que la France a pour elle une amitié indéfectible et c’est au nom de cette amitié que je l’appelle à mettre rapidement un terme à la politique des faits accomplis qui menace la possibilité même d’aboutir à un accord de paix. Poursuivre dans cette voie serait une erreur.
Sur cette question, je suis prêt et nous devons être prêts à sortir des dogmes, des positions historiques, à prendre des initiatives nouvelles, mais à condition que cela déclenche des changements positifs sur le terrain. La loi du plus fort là aussi ne fera que renforcer les frustrations et les violences.
Vous l’avez compris, face aux déséquilibres contemporains, je ne crois pas à la loi du plus fort, quand bien même elle s’habillerait d’une forme de légitimité là où elle a perdu en réalité toute espèce de légalité.
Je crois à une troisième voie possible devant nous, sans doute la plus difficile, sans doute la plus exigeante, qui nous impose de forger ensemble un nouveau modèle, de trouver ensemble un nouvel équilibre mondial. Car après une forme de modèle d’hyperpuissance, nous assistons depuis plusieurs années à une nouvelle instabilité du monde marquée par le retour des puissances multiples.
Le nouvel équilibre que nous devons créer doit reposer sur de nouvelles formes de coopérations régionales et internationales et se structurera selon moi autour de trois principes : le premier, c’est le respect des souverainetés, au fondement même de notre charte ; le second, c’est le renforcement de nos coopérations régionales ; et le troisième, c’est l’apport de garanties internationales plus robustes. Et c’est cette méthode, c’est autour de ces trois principes que nous devons veiller à régler les situations de crise contemporaines.
Ainsi, en Syrie, nous poursuivons la lutte contre le terrorisme islamiste. Les engagements militaires de certains pays ont permis au régime de se rétablir au prix de crimes dont les responsables devront un jour rendre compte. Le peuple syrien en a tragiquement payé le prix, et il n’y aura pas de vainqueurs dans une Syrie en ruines. Ce qu’il faut maintenant, c’est gagner la paix sous l’égide des Nations unies. Il ne nous revient pas de décider pour le peuple syrien, mais bien de construire les voies et moyens de cette méthode que je viens de définir et donc de construire une solution portée, non seulement par les Etats garants d’Astana, mais aussi d’autres Etats régionaux et la communauté internationale à travers le Small Group, de le faire sous la coordination des Nations unies et du représentant spécial du secrétaire général, afin de créer, d’une part, de régler la crise humanitaire, et d’autre part, de construire une solution politique inclusive durable à travers la réforme constitutionnelle et l’organisation d’élections libres.
C’est cela, respecter véritablement la souveraineté syrienne ! Ça n’est ni se substituer au peuple syrien pour décider qui doit être son dirigeant ni accepter de couvrir tous les crimes en acceptant que ce dirigeant reste jusqu’à la fin des temps en considérant que nous n’avons plus de principes et, au fond, plus de droits.
En Libye, là aussi, c’est cette nouvelle méthode qui doit nous permettre de faire advenir une solution durable. Le statu quo actuel permet aux milices, aux trafiquants de gagner du terrain, déstabilisant toute la région. Nous ne donnerons pas au Libyens les moyens d’en sortir si nous continuons de nous diviser, si la Libye devient le terrain, comme elle l’est encore trop souvent, de confrontations des influences étrangères.
A Paris, les Libyens ont pris l’engagement d’organiser rapidement des élections qui permettront de réunifier les institutions de l’Etat. Il faut que ces engagements soient tenus sous l’égide des Nations unies, avec une coopération étroite de l’Union africaine.
Hier, une étape importante a été franchie et je veux ici la saluer, c’est l’intérêt des Libyens comme de leurs voisins, des Européens et de la communauté internationale qui doit être unie autour de ces objectifs d’avancer ainsi.
Nous sommes, tous ensemble, forts face au terrorisme quand les Etats peuvent compter sur leurs propres forces pour assurer leur sécurité et quand cette sécurité sait aussi s’articuler sur des solutions régionales et internationales suivant le principe que je viens d’édicter.
C’est la décision prise par les Etats du Sahel qui agissent ensemble au sein de la Force du G5. C’est le sens du processus lancé par l’Union africaine pour mieux prendre en charge ses responsabilités au travers des opérations africaines de paix. C’est le sens des initiatives prises dans la région du lac Tchad, elles aussi accompagnées par le Nigeria, le Tchad, le Cameroun et portées par l’Union africaine.
C’est pourquoi nous devons soutenir cette initiative de l’Union africaine, pousser à une meilleure articulation entre l’Union africaine et l’Organisation des Nations unies. Je souhaite que d’ici la fin de l’année, une résolution puisse être prise en ce sens.
Nous sommes forts face au terrorisme quand nous savons prendre ensemble nos responsabilités pour lutter contre toutes les formes de son financement, quand nous sommes capables, comme nous le faisons dans l’Alliance pour le Sahel, d’agir ensemble pour le développement, l’agriculture, l’éducation, contre les racines du désespoir qui ont permis aux terroristes de capturer les âmes.
7,5 milliards de dollars sont d’ores et déjà engagés dans 500 projets définis conjointement avec tous les Etats concernés et les partenaires de l’Alliance pour le Sahel. Ce sont ces premiers résultats que nous devons consolider.
Et vous le voyez sur chacune de ces crises, la réponse n’a pas été de laisser des Etats seuls, n’a pas été de substituer à eux ou de dire d’ici quel était le droit ou la solution, mais de savoir articuler consciencieusement le principe de souveraineté des peuples, de coopération régionale et d’un vrai engagement de la communauté internationale. C’est autour de ce triptyque que se construisent les solutions contemporaines.
Seule l’action collective permet de préserver la souveraineté et l’égalité des peuples qui nous ont donné mandat. C’est cette même exigence que nous devons porter face aux défis démographique, climatique, numérique qui sont ceux devant nous et qu’aucun d’entre nous ne pourra affronter seul.
Face au grand défi migratoire, je ne crois pas au discours d’ouverture inconditionnelle, ils ne font que provoquer l’inquiétude et accroître l’intolérance. Je ne crois pas davantage aux discours mensongers de ceux qui prétendent, par exemple, en Europe comme ailleurs, qu’ils seront plus forts abrités derrière une fermeture des frontières, ce n’est pas vrai.
La seule façon efficace de gérer de manière organisée et maîtrisée les flux migratoires qui touchent tous nos continents, c’est de créer les conditions d’une mobilité internationale choisie et non subie, de travailler ensemble, pays d’origine, de transit, de destination, pour s’attaquer aux causes profondes de ces migrations, surtout quand elles sont subies, démanteler les réseaux de trafiquants qui sont le pire fléau de cette situation et protéger nos frontières de manière respectueuse tout en assurant le respect de notre droit international et en particulier la protection inconditionnelle de ceux qui ont droit à l’asile. C’est cela que nous avons décidé de faire ensemble dans le pacte des Nations unies qui sera adopté à Marrakech en décembre et que je soutiens.
Face aux dérèglements climatiques, là non plus, il n’y a pas de passagers clandestins ou de solution facile. Même ceux qui ont contestent la réalité en subissent les conséquences comme tous les autres. Les phénomènes météorologiques extrêmes sont aujourd’hui quotidiens. Et en affaiblissant l’action collective, certains ne font que s’exposer davantage eux-mêmes.
Face à la grande transformation numérique, notre devoir est là aussi de nous tenir ensemble afin de construire les règles contemporaines qui permettront de concilier le développement de l’intelligence artificielle et nos règles éthiques, d’accompagner la transformation numérique de nos sociétés.
Vous le voyez, mes chers amis, je crois profondément à la souveraineté des peuples qui, aujourd’hui, est présente, forte, est une demande de tous nos peuples sur la scène internationale et dans le même temps, à une coopération renforcée aux formes multiples et à une légitimité renouvelée de l’engagement international dans ce contexte. Le grand combat de nos aînés a été celui de la paix et il nous incombe toujours. Nous ne le gagnerons au XXIe siècle qu’en restaurant un multilatéralisme fort, capable de régler ses conflits de manière pragmatique, mais aussi et plus largement de nous attaquer aux causes de ces dérèglements.
Pour tout vous dire, je ne crois pas en un grand peuple mondialisé. En rien, c’est irénique, ça n’existe pas. Mais je crois dans des valeurs universelles et sur ce point nous ne devons rien céder, ça n’est pas la même chose ! Je crois dans la défense non négociable de nos valeurs, les droits de l’homme, la dignité des individus, l’égalité entre les sexes. Je crois dans notre capacité à bâtir des équilibres respectueux des peuples et des cultures en ne négociant rien de cette universalité, c’est ça la réalité ! Et je ne laisserai en rien le principe de souveraineté des peuples dans la main des nationalistes ou de toutes celles et ceux qui prônent aujourd’hui dans la communauté internationale le repli, qui veulent utiliser la souveraineté des peuples pour attaquer l’universalisme de nos valeurs, la force de celle-ci et ce qui nous tient ici tous ensemble dans cette salle !
Nous avons tous ici, même ceux qui font profession de la critiquer, bénéficié de la structuration de l’ordre international qui a accompagné la mondialisation. Aujourd’hui, nous devons nous attaquer aux causes profondes de nos déséquilibres, nous devons regarder ensemble en face les faiblesses de notre ordre international et, au-delà des crises que je viens d’évoquer, regarder les inégalités profondes qui se sont installées.
C’est pour moi aujourd’hui le cœur de notre problème, qu’est-ce qui fait renaître les nationalismes, le doute sur notre assemblée ? Qu’est-ce qui fait naître partout les crises ? Ce sont ces inégalités profondes que nous n’avons pas su régler.
Il y a 10 ans, lorsque la crise financière internationale a sévi, nous avons pris des mesures d’urgence mais nous n’avons pas réglé le problème le plus profond, nous n’avons pas endigué ce mouvement d’hyper-concentration des richesses sur notre planète et nous n’avons pas véritablement apporté une réponse à tous les laissés-pour-compte de la mondialisation. Tous ceux qui en étaient tenus à l’écart, et qui ont nourri ainsi des frustrations en raison des humiliations subies, ont nourri un désespoir dont nous payons aujourd’hui le prix collectivement.
Nous devons une réponse à tous ces concitoyens. Nous devons, mes amis, une réponse aux 265 millions d’enfants qui n’ont pas accès à l’école, dont plus de la moitié vit en Afrique subsaharienne, aux jeunes filles auxquelles moins de 40 % des pays offrent un accès équitable à l’éducation.
Nous devons une réponse aux 700 millions d’enfants qui vivent dans les régions les plus exposées aux conséquences du changement climatique, victimes des inondations, des sécheresses, de la montée des eaux, de la raréfaction des ressources.
Nous devons une réponse aux 200 millions de femmes qui n’ont pas accès à la contraception, aux plus d’un milliard qui ne sont pas protégées par la loi si elles venaient à subir des violences dans leur foyer. A toutes les femmes dont l’écart de rémunération avec les hommes est de 23 % dans le monde en moyenne, allant jusqu’à 40 % dans les zones rurales. Nous devons une réponse aux 783 millions de personnes qui vivent en dessous du seuil de pauvreté, à celles qui souffrent de la faim ou de la malnutrition chronique, à celles et ceux qui n’ont pas accès aux soins élémentaires.
Nous devons une réponse aux aspirations de la jeunesse la plus importante de l’histoire, la nôtre, soit près de deux milliards de personnes qui ont aujourd’hui entre 10 et 24 ans et qui vivent pour 90% d’entre eux dans un pays en développement.
Nous devons une réponse à tous ceux qui tournent leur regard vers nous parce que leur destin dépend de ce que nous sommes capables ou non de faire ici ensemble dans cette assemblée. Et ceux qui oublient que nous devons une réponse à tous ceux-là se trompent parce qu’ils préparent les crises de demain, d’après-demain parce qu’ils laisseront leurs successeurs, parce que nous laisserons alors nos enfants dans une situation bien pire que la nôtre à l’heure actuelle.
Nous avons progressé pour réduire les inégalités entre nos pays, et nous nous en sommes donné le cadre avec l’agenda 2030 pour le développement, mais ce combat n’est pas derrière nous, il est loin d’être achevé. La richesse par habitant est 50 fois supérieure dans les pays de l’OCDE à ce qu’elle est dans les pays à faibles revenus. Pensons-nous que durablement nous pouvons construire la stabilité, les équilibres avec une telle situation ? Non, nous devons agir !
C’est pour cette raison, comme je l’avais annoncé ici l’année dernière, que j’ai décidé d’augmenter l’aide publique au développement de la France d’un milliard d’euros dès 2019. Nos crédits humanitaires augmenteront quant à eux de 40 %.
Mais c’est aussi pour cela que la lutte contre les inégalités sera la priorité de la présidence française du sommet du G7 en 2019. En effet, la France aura après le Canada, dont je veux ici saluer le leadership, la prochaine présidence du G7, dont je souhaite revoir le format en profondeur pour mieux associer plusieurs autres puissances et travailler à de nouvelles formes de coordination.
C’est aux Nations Unies que je tenais à dire en premier que cet agenda des inégalités sera au cœur du prochain G7. C’est devant vous aussi que je m’engage à venir rendre compte des résultats du G7 de Biarritz en septembre prochain, parce que le temps où un club de pays riches pouvait définir seul les équilibres du monde est depuis longtemps dépassé. Parce que le destin de chacun des pays qui le composent est indissociable de celui de tous les membres de cette assemblée.
Oui, nous devons aujourd’hui nous attaquer aux inégalités contemporaines car elles sont à la racine de ce mal que je dénonçais au début de mon discours. Nous devons nous attaquer aux inégalités de destin. Ce sont des aberrations morales autant qu’une réalité insoutenable. Il n’est pas acceptable de ne pas avoir les mêmes chances selon le pays où l’on est né, de ne pas pouvoir aller dans certains pays à l’école parce qu’on est une femme, de ne pas avoir accès à certains soins élémentaires.
Nous avons tenu l’engagement pris ici même l’an dernier avec le président du Sénégal, la Conférence de financement du Partenariat mondial pour l’éducation en février à Dakar a permis de lever 2,5 milliards de dollars pour développer l’accès à l’éducation dans le monde. C’est un montant historique. La France y a multiplié par 10 sa contribution. La mobilisation du G7 déjà engagée sous la présidence canadienne devra permettre d’aller plus loin.
Nous sommes à un moment clé sur ce sujet, celui où nous serons capables ou non de prendre la mesure du défi qui nous est lancé. Il y a 620 millions d’enfants à scolariser en plus dans le monde d’ici à 2030 dont 444 millions d’Africains. Allons-nous nous donner les moyens ? Allons-nous leur donner les moyens à tous d’avoir des bases robustes leur permettant d’être acteurs de leur vie, d’une vie fraternelle dans le monde de demain ? Si nous ne le faisons pas, quel monde nous préparons-nous ?
C‘est pour cela que j’ai engagé la France à ce point dans ce combat, c’est pour cela que j’insiste tant sur la formation des professeurs, l’enseignement professionnel et l’égalité fille-garçon en matière d’éducation. C’est pour cela que je vous appelle tous à ce grand élan mondial pour l’éducation. L’éducation et la santé seront non seulement les piliers de nos sociétés du XXIème siècle, mais aussi les constituants fondamentaux de nos économies.
Nous devons aussi lutter ardemment contre les inégalités liées au genre. J’ai fait en France de l’égalité femme-homme la grande cause de mon quinquennat et je lance ici un appel pour en faire avec vous une grande cause mondiale. Les femmes et les filles sont les premières touchées par la pauvreté, les conflits, les conséquences du réchauffement climatique, elles sont les premières victimes des violences sexistes et sexuelles qui les empêchent trop souvent de circuler librement, de travailler, de disposer de leur corps selon leur choix.
Notre responsabilité au XXIème siècle est de mettre fin à ces violences, du harcèlement de rue jusqu’au féminicide. Il est temps que notre monde cesse de faire des femmes des victimes et leur construise enfin la place qu’elles méritent, celle d’être aussi des leaders ! Nous devons leur garantir partout l’accès à l’éducation, la santé, l’emploi, à la prise de décision économique et politique, lutter contre toutes les formes de violences qui s’exercent contre elles.
La France proposera ainsi aux gouvernements qui souhaitent avancer avec nous de créer une coalition pour l’adoption de nouvelles lois pour l’égalité entre les femmes et les hommes. 50 % de notre aide au développement sera consacré à des projets permettant de réduire les inégalités de genres.
Nous devons aussi relancer la mobilisation contre les inégalités en matière de santé à l’échelle internationale. Nous accueillerons en 2019 à Lyon la conférence de reconstitution du Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme. Nous reprendrons l’initiative sur la lutte contre les faux médicaments et nous intensifierons notre action face aux grandes pandémies. J’appelle ici chacun à la mobilisation.
Nous devons enfin lutter, avec le sens de l’urgence chevillée au corps, contre les inégalités environnementales. Il n’est pas acceptable que 45 % des émissions de gaz à effet de serre soient produites par 10 % des habitants les plus riches de la planète. Il n’est pas efficace, comme c’est le cas pour le solaire, que les pays qui ont le plus gros potentiel et les plus grands besoins soient ceux qui aient le moins accès aux technologies adaptées.
Il n’est pas soutenable que 100 millions de personnes de plus soient condamnées d’ici 2030 à une situation d’extrême pauvreté, si nous n’arrivons pas à tenir nos engagements en matière de lutte contre le réchauffement climatique. Là aussi, c’est un combat qui doit nous rassembler.
Il y a ici des pays qui souffrent plus que d’autres et nous leur devons solidarité. Mais nous aurons tous à rendre compte de ces désastres qui se multiplient devant nos peuples et devant nos propres enfants.
La décomposition annoncée de l’Accord de Paris a été déjouée, parce que nous avons su rester unis, malgré la décision américaine de s’en retirer. Cette force doit continuer de nous porter pour conjurer tous les fatalismes.
On nous dit que les solutions existent, mais que les financements ne sont pas au rendez-vous. Alors allons les chercher, innovons. C’est ce que nous avons fait l’an dernier à Paris, le 12 décembre, avec beaucoup d’entre vous, au Sommet One Planet, avec des engagements concrets et des premiers résultats. C’est ce que nous avons fait en début d’année à Delhi avec l’Alliance solaire internationale. C’est ce que nous ferons encore demain à New York, avec la deuxième édition du Sommet One Planet.
On nous dit qu’il est déjà trop tard, que nous ne tiendrons pas les objectifs. Alors accélérons, adoptons ensemble les règles d’application de l’Accord de Paris, à la COP 24 en décembre. Mettons en œuvre le protocole contre les gaz HFC qui pourrait nous faire baisser d’un degré la température moyenne de la planète d’ici à 2050. Fixons-nous pour objectif de conclure en 2020 un projet de pacte mondial pour l’environnement ambitieux, de faire de la COP de Pékin sur la biodiversité et le Congrès mondial de l’UICN en France en 2020 des étapes décisives.
Engageons-nous clairement et soyons toutes et tous aussi clairs, concrets et cohérents. Il y a urgence. Alors, mettons-nous en conformité avec les engagements que nous avons pris. Ne signons plus d’accords commerciaux avec les puissances qui ne respectent pas l’Accord de Paris. Faisons en sorte que nos engagements commerciaux intègrent nos contraintes environnementales et sociales. Mobilisons plus fortement les fonds souverains, les financeurs dans cette stratégie d’une politique bas-carbone.
La France continuera d’exercer, avec tous ceux qui le veulent, le leadership mondial de ce combat. Nous travaillerons au G7 pour que les engagements pris à la COP 21 soient revus à la hausse et si l’un des membres ne veut pas avancer, nous avancerons quand même, en allant chercher de nouvelles coalitions, de nouveaux formats. Parce que la vocation du G7 est de rester un groupe uni de pays attachés à la démocratie. Mais il doit aussi aujourd’hui contribuer à créer de nouvelles coalitions qui permettent d’avancer et de recomposer le système collectif mondial.
Alors, construisons de nouvelles formes de coopération pour, sur ces sujets fondamentaux, avancer, décider.
Ce n’est qu’ensemble que nous pourrons lutter efficacement contre toutes ces inégalités qui ont fracturé chacune nos sociétés. La défiance dans nos sociétés, les tentations de repli se nourrissent de cela. Elles se nourrissent de toutes ces inégalités que nous avons laissé se créer et de notre incapacité collective à y répondre avec efficacité.
Or, aucun de nous ne pourra lutter efficacement contre les inégalités que je viens de dénoncer, s’il agit seul. Sinon, il n’y aura au fond que deux solutions. La première, ce serait de toujours s’aligner vers le bas, d’aller rejoindre un standard qu’on connait, c’est ce que nous avons fait pendant des décennies. Il y a une guerre commerciale, alors diminuons les droits des travailleurs, baissons les taxes toujours davantage, nourrissons les inégalités pour essayer de répondre à nos difficultés commerciales. Ceci mène à quoi ? Au renforcement des inégalités dans nos sociétés et à cette cassure que nous sommes en train de vivre.
L’autre réponse, ce serait de dire ce qui ne fonctionne pas, ce sont les règles. Alors replions-nous sur nous-mêmes. L’isolationnisme, le protectionnisme. Mais cela ne conduit qu’à une chose, l’accroissement des tensions. Cela ne répond en rien aux inégalités profondes.
Je propose, au contraire, que nous mettions en place un mécanisme collectif pour travailler ensemble à ce que nous faisons, dans chacun de nos pays, pour réduire les inégalités.
D’évaluer, mais aussi de mieux mettre en cohérence nos actions, de diffuser les bonnes pratiques. Je propose ainsi que les institutions internationales, les Nations unies, mais aussi bien sûr l’OCDE nous appuient dans la mise en place de ce mécanisme sur lequel le G7 devra être moteur.
Pour gagner contre les inégalités, nous devons changer de méthode et d’échelle. D’abord, revoir nos règles en matière commerciale comme en matière sociale, nous devons, plutôt que poursuivre le protectionnisme, œuvrer tous ensemble pour revoir en profondeur les règles de l’OMC. Nous devons restaurer la capacité de l’OMC à résoudre les conflits, à édicter des règles pour traiter les pratiques commerciales déloyales, le non respect de la propriété intellectuelle, les transferts de technologies forcés qui ne permettent plus de lutter à armes égales.
Dès cette année, le G20 en Argentine doit nous permettre de disposer d’une feuille de route crédible pour refonder l’OMC.
C’est aussi ce que nous aurons à faire sur le plan social, l’année prochaine, lors du centenaire de l’Organisation internationale du travail.
Deuxièmement, nous devons aussi faire évoluer les modalités de notre action, faire entrer dans le champ de notre action collective les grands absents de cette salle et de notre Assemblée générale, les grands acteurs non étatiques qui contribuent à changer le monde, mais qui ne participent pas assez à la résorption des inégalités que ces transformations entrainent. Je pense aux grands acteurs du numérique, en matière de fiscalité comme de responsabilité dans la lutte contre les manipulations de l’information.
Sur tous nos grands défis, nous devons avoir, là aussi, un fonctionnement différent de notre action collective et inclure un dialogue avec ces nouveaux acteurs privés et ces géants de l’Internet.
Troisièmement, nous devons faire toute sa place à l’Afrique, pour que son rôle soit central dans la recomposition du système international. Ce n’est pas seulement sur ce continent que nous gagnerons ou que nous perdrons collectivement notre grande bataille contre les inégalités. C’est avec ce continent.
Car, c’est bien aujourd’hui en Afrique que l’on trouve les plus fervents défenseurs du multilatéralisme, de l’intégration régionale. Car nos partenaires africains ont bien compris que c’est ensemble que nous serons en mesure de relever nos défis communs. Et c’est aussi à cette nouvelle alliance avec l’Afrique que la présidence française du G7 s’attèlera.
Vous le voyez, je crois très profondément que face à ces fractures, à ces défis de l’ordre mondial contemporain, nous pouvons construire une nouvelle grammaire d’action et nous devons en même temps nous attaquer aux causes profondes que sont les inégalités contemporaines.
Et c’est la responsabilité de la France et de l’ensemble de ses partenaires européens, de l’Union européenne d’être à l’avant-garde de ce combat, de construire ce nouvel humanisme contemporain qui ne doit céder en rien aux tentatives de repli et rien à la naïveté et, dans le même temps, de bâtir en tant que puissances médiatrices ces nouvelles règles de l’ordre international.
Mesdames et Messieurs, au moment où notre système collectif se fracture, je dois dire que nous n’en avons jamais autant eu besoin.
C’est pourquoi nous soutiendrons les agences qui œuvrent à un projet de paix et d’humanité : l’UNESCO, cette conscience même des Nations unies, le Conseil des droits de l’homme, la Cour pénale internationale, l’UNRWA pour laquelle nous augmenterons notre contribution car je le rappelle ici, il s’agit simplement de permettre à des centaines de milliers d’enfants d’aller à l’école. Rien de moins, rien de plus.
Nous défendrons l’élargissement du Conseil de sécurité dans les deux catégories de ses membres pour que sa composition reflète les équilibres contemporains et qu’il se renforce comme lieu de la concertation et non de l’obstruction.
Nous ferons en sorte que d’ici à la fin de l’année dans cette assemblée générale, les deux tiers de ses membres, puissent soutenir l’encadrement du droit de veto en cas d’atrocité de masse.
Nous défendrons le droit international humanitaire en soutenant les personnels qui prennent tous les risques pour aider les civils sur le terrain en négociant un par un les accès humanitaires dans tous les théâtres.
Nous rappellerons lors du 70e anniversaire de la Déclaration de 1948 que les droits de l’homme ne sont pas un fait culturel, des valeurs ou des options révocables, mais un corpus juridique consacré par des traités internationaux auquel les membres de cette assemblée ont librement consenti. Nous rappellerons que leur universalité n’est pas contraire à la souveraineté des peuples mais qu’elle est la seule condition possible de la préservation et de l’exercice de leurs droits.
La France sera là pour que le monde n’oublie pas que le fracas des nationalismes conduit toujours vers l’abîme, que les démocraties sont faibles si elles manquent de courage dans la défense de leurs principes et que les ressentiments accumulés, adossés à un système international fragile, peuvent conduire deux fois en l’espace d’une vie humaine au déchaînement mondial de la violence. Je parle là de notre propre expérience.
Dans quelques semaines, le 11 novembre 2018, le Forum de la Paix à Paris sera l’opportunité d’un sursaut d’intelligence et de courage pour retrouver ce qui nous tient ici ensemble. Ce doit être l’occasion de renouveler et de ressourcer, unis par les tragédies du XXe siècle, notre serment de préserver les générations futures du fléau de la guerre. Je veux qu’avec nos homologues, nous prenions ensemble les responsabilités nouvelles pour tracer au cours de ce Forum la voie d’actions concrètes au service de la paix.
Je sais, mes chers amis, que beaucoup peuvent être fatigués du multilatéralisme. Je sais que dans un monde où l’information s’entrechoque et où nous sommes en quelque sorte, de manière décomplexée, entrés dans une société du spectacle, où dire les pires choses consiste à être à la mode, à faire les nouvelles, que dénoncer les conséquences dont on a chéri les causes peut créer des succès d’estrade, je sais que défendre la coopération et le multilatéralisme peut ne plus être à la mode.
Alors, ne soyons pas à la mode parce que nous le devons à ceux qui nous ont permis d’être assis là. Parce que n’oubliez jamais que les génocides qui ont fait que vous êtes là aujourd’hui, ils étaient nourris par les discours auxquels nous nous habituons, parce qu’ils ont été nourris par les succès d’estrade que nous applaudissons, parce que nous sommes en train aujourd’hui de voir se déliter ce droit international, toutes les formes de coopération comme si de rien n’était par peur, par complicité, parce que ça fait bien !
Non, moi, je ne m’y résous pas parce que je viens d’un pays qui a porté ces Déclarations qui nous font là, parce que je viens d’un pays qui se tient debout, qui a fait beaucoup d’erreurs, beaucoup de mauvaises choses, mais qui a su tenir à chaque moment de son Histoire et de l’Histoire internationale une forme d’universel ! C’est aujourd’hui, c’est maintenant !
Alors, ne vous habituez pas, n’acceptons pas toutes ces formes d’unilatéralisme ! Chaque jour, ces pages déchirées, ces trahisons à notre Histoire, moi, je ne m’y habitue pas !
Alors je vous le dis très clairement, le siècle qui s’ouvre nous regarde et nos enfants nous attendent ! Réglons les crises ! Œuvrons ensemble à lutter contre toutes ces inégalités mais faisons-le à hauteur d’homme et avec l’exigence de nos principes, de nos histoires, avec notre universalisme chevillé au corps !
En tout cas, ce sera mon engagement devant vous et pour cela, je compte sur vous.
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