Monsieur le Président,
Madame,
Messieurs les Premiers Ministres, Ministres,
Mesdames et Messieurs, chers amis

"Un grand peuple, le plus nombreux de la terre, un très vaste pays étendu depuis l’Asie mineure et les marches de l’Europe jusqu’à la rive immense du Pacifique, et depuis les glaces sibériennes jusqu’aux régions tropicales des Indes et du Tonkin, un Etat plus ancien que l’histoire." C’est par ces mots, dans cette salle, qu’il y a 55 ans, le général de Gaulle reconnut la République populaire de Chine, scellant l’établissement de nos relations diplomatiques, et c’est avec ces mots que je suis très heureux de vous accueillir ce soir, pour votre seconde visite d’Etat dans notre pays. Les décennies qui nous séparent du geste historique de 1964 ont vu le monde se transformer. L’extraordinaire émergence de la Chine, arrivée aujourd’hui aux premiers rangs mondiaux, et la construction d’un projet inédit de paix, de prospérité et de liberté sur le continent européen ne sont pas les moindres de ces transformations. Et nous voilà, à l’aube de ce siècle, réunis ici, au chevet d’un ordre international à la croisée des chemins.

Je crois, Monsieur le Président, très profondément dans la capacité de la Chine et de la France à trouver les voies de la pondération, de l’équilibre et de la justice quand les vents mauvais de l’obscurantisme et de la confrontation se lèvent à nouveau. C’est dans cet esprit que nous avons engagé notre conversation, il y a un peu plus d’un an, lors d’une visite d’Etat dont nous gardons, Monsieur le Président, Madame, un souvenir intense, mon épouse et moi-même. J’avais débuté mon chemin par Xi’an, à la rencontre de l’antique [...], qui fut, au XVIIIème siècle, la plus grande ville du monde, là où tant de dynasties se sont succédées. Et vous avez fait, à votre tour, chemin vers nous depuis l’Italie, par les rives de la Méditerranée où s’est noué le destin de la civilisation européenne. Nous étions hier ensemble, à Nice puis à la villa Kérylos, née de l’imagination d’Emmanuel Pontremoli et de Théodore Reinach, habitée par la pensée de la Grèce antique, l’oeuvre de créateurs qui auraient pu, au fond, par leur connaissance, leur curiosité, leur maîtrise des techniques et des arts, être des hommes de la Renaissance. Et il n’est sans doute pas indifférent, Monsieur le Président, que nous employions tous deux ce terme de renaissance pour décrire ce que nous voulons respectivement pour l’Europe et pour la Chine dans ce siècle qui s’ouvre.

La Chine a cette capacité à se projeter dans le temps long des grands desseins historiques, incarnée dans une pensée de l’espace, comme elle le fait aujourd’hui, en reprenant le fil des anciennes routes de la soie, ces routes des voyageurs et des caravanes d’Asie centrale, de Perse, de Bagdad, de Venise. L’Europe doit, elle aussi, dans une période de doute où les tentations des divisions et du repli sont là, réinventer les formes de sa civilisation dans un monde qui se transforme, en renouant avec ses valeurs de tolérance, d’empathie et de dialogue qui furent celles de la Renaissance italienne et française. Une ancienne maxime de la pensée chinoise dit que les sages recherchent ce qui les rassemblent. Oui, je crois que notre tâche, dans le moment historique que nous traversons, est de faire preuve, par-delà nos différences, d’entendement réciproque et d’intelligence commune. Dépasser les rivalités de puissance, les antagonismes et les chocs pour leur privilégier obstinément, patiemment, la recherche équilibrée d’un horizon partagée dans les affaires du monde. Sans doute devrons-nous nous inspirer, ce faisant, de la sagesse millénaire des rencontres entre nos civilisations. On dit que Marcel Granet, l’un de nos plus grands sinologues, laissait entendre, dans ses cours, que la route de la soie avait probablement permis aux Grecs de connaître plus qu’un peu de la civilisation chinoise. Puis ce fut la Rome antique, se prenant de passion pour les soieries avec une telle frénésie que Pline le Jeune s’en offusqua et que les patriciens, dit-on, se ruinèrent. Et c’est l’Europe de la fin de la Renaissance, prenant conscience d’elle-même, qui, sur le chemin du livre des merveilles, redécouvrit la civilisation chinoise dans les pas d’un Italien, Matteo Ricci. Ce Mozart des caractères, qui connaissait par coeur les quatre livres du confucianisme, sût réconcilier nos connaissances de la géographie dans une seule et unique mappemonde. S’ouvrit alors ce que l’on a parfois appelé l’âge d’or des liens entre l’Europe et la Chine, où chacune de nos civilisations trouvait, dans le miroir de l’autre, une plus grande compréhension d’elle-même. C’est Leibniz, appelant entre nous à une communication des Lumières, les philosophes du XVIIIème siècle puisant dans une Chine connue ou rêvée, les principes sur lesquels fonder un ordre de raison et de concorde entre les nations. Cette longue et belle histoire fut, certes, interrompue par l’impérialisme européen, il faut bien le dire, et l’aveuglement mandchou, prétendant fermer la Chine au monde, mais nous avons toujours su la chérir, la préserver, pour en reprendre, le temps venu, le fil. Nous en avons toujours nourri la nostalgie pour pouvoir bâtir à nouveau.

Alors, Monsieur le Président, nous aurons besoins des Paul Claudel, des Victor Segalen et des Saint-John Perse du XXIème siècle. Il nous faudra des créateurs et des artistes pour faire vivre cette relation, il faudra ne jamais oublier de les défendre, partout dans le monde. Il faudra que les artistes européens et chinois croisent leurs regards sur le monde et sur l’histoire, tels Yan Pei Ming revisitant l’oeuvre de Léonard de Vinci dans Les funérailles de Mona Lisa, hommage au maîtres anciens dans la création la plus contemporaine et trait d’union entre nos deux pays. Nous aurons besoin de traducteurs pour nous faire redécouvrir la grâce éternelle des vers de Du Fu et de Li Bo, où se lit l’essence la plus ancienne des civilisations vivantes restées fidèles à elles-mêmes, dans la plus vibrante des modernités. Il nous faudra des sinologues européens pour nous faire comprendre la Chine d’hier, d’aujourd’hui et de demain, ses défis, sa vision, ses aspirations. Il nous faudra des spécialistes, des érudits, des femmes et des hommes d’affaires pour nourrir cette relation, lui donner de nouvelles perspectives. Il nous faudra des étudiants, des étudiants comme ceux venus en France il y a 100 ans parmi lesquels Deng Xiaoping et Zhu Henlai partageant un appartement au 17 rue Godefroy dans le 13ème arrondissement de Paris, travaillant et fraternisant avec nos ouvriers avant de retourner construire le destin de la Chine contemporaine.

C’est pourquoi nous sommes fiers d’accueillir aujourd’hui près de 40.000 étudiants chinois dans notre pays et nous sommes prêts, Monsieur le Président, à renforcer les échanges entre nos jeunesses pour qu’elles s’emparent à leur tour de l’écriture de nos liens. Il nous faudra tous ces passeurs de mots, d’idées, d’espérance, de projets inscrits dans le quotidien des vies. Car dans notre entendement, au sens des Lumières, c’est-à-dire de notre capacité à nous comprendre, dépendra à coup sûr notre faculté d’agir ensemble dans le monde.

Et nous avons à bâtir l’avenir, une ouverture partagée, mutuellement respectueuse pour nos deux pays, pour la relation entre la Chine et l’Europe et pour le reste du monde. Nous avons à bâtir une gouvernance mondiale nouvelle et je vous remercie, Monsieur le président, pour la tenue d’un séminaire franco-chinois aujourd’hui au Quai d’Orsay pour réfléchir ensemble sur l’avenir de celles-ci. Nous le prolongerons demain à l’Elysée par une rencontre inédite avec la chancelière de la République fédérale d’Allemagne et le président de la Commission européenne. Et c’est un geste important que nous posons ensemble. Il témoigne de votre attachement profond à la coopération de la Chine avec l’Europe sur les grands défis du multilatéralisme et de la volonté que je porte de construire une Europe forte, capable enfin d’être pour la Chine un interlocuteur uni, ouvert et fiable dans ses positions comme dans sa volonté de coopération. Cela est essentiel si vous voulons préserver ensemble un cadre multilatéral dans lequel nous pourrons définir les règles du jeu international. Monsieur le Président, durant votre visite, dans tous les domaines, nous avons décidé des avancées, conclu de nouveaux accords, permis de nouvelles ouvertures, laissé fleurir de nouveaux projets.

Dans quelques mois, à nouveau, je me rendrai en Chine à votre invitation et nous pourrons poursuivre ce chemin. Parce qu’aujourd’hui sans doute, au-delà de la relation entre nos deux pays, notre responsabilité compte-tenu de l’état du monde et en tant que membres permanents du Conseil de sécurité des Nations unies est de continuer à prendre l’initiative, à renouer avec l’esprit pionnier qui anime depuis 55 ans nos relations. Je sais que le voyage en Occident a un tour tout particulier lorsqu’on en parle depuis la Chine. C’est un livre d’aventure et en même temps de sagesse. Le voyage vers l’Orient est toujours plein de promesses, rêvées, fantasmées. Il fut à plusieurs reprises pour l’Europe un moyen de se redécouvrir. Je crois que ce que nous savons l’un l’autre, Monsieur le Président, c’est qu’aucune de ces routes n’existe dans un seul sens et que ce sont ces routes partagées d’équilibre, parfois de tâtonnement et de projet que nous voulons réinventer.

Je vous remercie à nouveau, Monsieur le président, Madame, pour votre présence parmi nous ce soir et je veux vous dire la fierté et le bonheur que tous et toutes nous avons de vous accueillir et qu’avec mon épouse nous avons ce soir de vous recevoir à l’Elysée. [...], vive la France, vive la Chine, vive l’amitié entre nos deux pays et vivent les projets qu’ensemble nous continuerons à porter !