Cet article est extrait du livre Sous nos yeux.
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L’amiral Arthur Cebrowski divisa le monde en deux : les États globalisés et tous les autres. Ces derniers sont condamnés à n’être que des réservoirs de richesses naturelles et de main d’œuvre. La mission du Pentagone post-11-Septembre n’est plus de gagner des guerres, mais de priver les régions non-globalisées de structures étatiques et d’y installer le chaos.

La stratégie de Washington

Revenons à notre narration. En 2001, Washington avait fini par s’intoxiquer et se persuader d’une pénurie imminente de sources d’énergie. Le Groupe de travail, présidé par Dick Cheney, sur le Développement de la politique énergétique nationale (NEPD) avait auditionné tous les responsables privés et publics de l’approvisionnement en hydrocarbures. Ayant rencontré à l’époque le secrétaire général de cet organisme, que le Washington Post qualifiait de «  société secrète  » [1], j’ai été impressionné par sa détermination et par ses plans pour faire face à la pénurie. De sorte que, ne connaissant rien à cette question, j’ai adhéré un moment à cette vision malthusienne.

Quoi qu’il en soit, Washington en conclut qu’il lui fallait s’emparer au plus vite des réserves connues de pétrole et de gaz pour continuer à assurer le fonctionnement de son économie. Cette politique sera abandonnée lorsque l’élite US constatera la possibilité d’exploiter d’autres formes de pétrole que le crude oil saoudien, le pétrole texan ou celui de la mer du Nord. En prenant le contrôle de Pemex [2], les États-Unis s’empareront des réserves du Golfe du Mexique et proclameront leur indépendance énergétique en masquant leur forfait derrière la promotion du pétrole et du gaz de schiste. Aujourd’hui, contredisant les prévisions de Dick Cheney, l’offre de pétrole n’a jamais été aussi importante et reste bon marché.

Pour contrôler le «  Proche-Orient élargi  », le Pentagone exige de disposer de toute latitude et de distinguer son objectif stratégique des desiderata des compagnies pétrolières. S’appuyant sur des travaux britanniques et israéliens, il envisage de remodeler la région, c’est-à-dire de bouleverser les frontières héritées des Empires européens, de supprimer les grands États capables de lui résister et de créer de petits États ethniquement homogènes. Outre qu’il s’agit d’un projet de domination, ce plan traite l’ensemble de la région sans tenir compte des spécificités locales. Si les populations sont parfois géographiquement distinctes, elles sont aussi totalement imbriquées, rendant illusoire leur séparation sauf à conduire de vastes massacres.

Selon la doctrine Rumsfeld/Cebrowski, il ne faut plus gagner de guerres. La stabilité est l’ennemi des États-Unis. C’est pourquoi les guerres d’Afghanistan, d’Iraq, de Libye et de Syrie, qui devaient être gagnées en quelques semaines se poursuivent toujours.

En réalité, l’équipe qui a organisé les attentats du 11-Septembre —dont Dick Cheney fait partie— sait tout cela et y a réfléchi bien avant. Aussi applique-t-elle une vaste réforme des armées selon le modèle de l’amiral Arthur Cebrowski. Cet homme a déjà transformé les pratiques militaires US en fonction des nouveaux outils informatiques [3]. Il a aussi élaboré une stratégie pour détruire les États en tant qu’organisations politiques et permettre aux grandes entreprises informatiques de diriger le monde globalisé à leur place [4]. Le lendemain même du 11-Septembre, la revue de l’armée de Terre, Parameters [5], expose le projet de remodelage du « Moyen-Orient élargi » en précisant qu’il sera particulièrement sanglant et cruel. Elle indique qu’il faudra mettre en œuvre des crimes contre l’humanité qui pourront être sous-traités à des tiers. Puis, le secrétaire à la Défense, Donald Rumsfeld, donne un bureau au Pentagone à l’amiral Cebrowski pour superviser tout cela.

Le 11-Septembre n’est donc pas seulement un moyen de faire adopter en urgence un Code antiterroriste, l’USA Patriot Act, rédigé au moins deux ans à l’avance, mais aussi d’entreprendre une vaste réforme des institutions : la création du secrétariat pour la Défense de la Patrie (Department of Homeland Security, souvent improprement traduit par Département de la Sécurité intérieure) et celle des Forces spéciales clandestines (au sein des armées).

Le 3ème secrétaire de l’ambassade US à Moscou, Ryan C. Fogle, a été arrêté par le FSB en 2013. C’était un des hommes des Forces spéciales secrètes du Pentagone. Il s’apprêtait à recruter un espion au sein de la Direction anti-terroriste du Caucase. Lors de son arrestation, il était en possession de tout un attirail lui permettant de se déguiser et de modifier ses empreintes digitales.

Le Département de Sécurité de la Patrie ne chapeaute pas seulement diverses agences comme les Gardes-côtes ou les services d’immigration. C’est aussi un vaste système de contrôle de la population états-unienne, employant à plein temps 112 000 ’espions intérieurs [6]. Les Forces spéciales clandestines sont une armée de 60 000 hommes hyper entrainés, agissant sans uniforme au mépris des Conventions de Genève [7]. Elles peuvent assassiner qui le Pentagone veut, n’importe où dans le monde. Et le Pentagone ne va pas se priver de rentabiliser cet investissement dans le plus grand secret.

Les guerres
contre l’Afghanistan et contre l’Irak

Les opérations commencent avec la guerre contre les Talibans, en application de la doctrine Cheney après la rupture des négociations pour construire un pipeline à travers l’Afghanistan, à la mi-juillet 2001. L’ambassadeur Niaz Naik, qui représentait le Pakistan aux négociations de Berlin avec les Talibans, était revenu à Islamabad en considérant l’attaque US inévitable [8]. Son pays avait commencé à se préparer à ses conséquences. La flotte britannique s’était déployée en mer d’Oman, l’OTAN avait acheminé 40 000 hommes en Égypte, et le leader tadjik Ahmed Shah Massoud avait été assassiné deux jours avant les attentats de New York et de Washington.

Les représentants des États-Unis et du Royaume-Uni à l’ONU, John Negroponte et Sir Jeremy Greenstock, assurent que le Président George W. Bush et le Premier ministre Tony Blair appliquent le droit à la légitime défense en attaquant l’Afghanistan. Or, toutes les chancelleries savent que Washington et Londres voulaient faire cette guerre indépendamment des attentats. Au mieux, elles concluent qu’ils instrumentent le crime dont seul le premier a été victime. Cependant je parviens à jeter le doute mondialement sur ce qui s’est vraiment passé ce 11-Septembre. En France, le Président Jacques Chirac fait évaluer mon travail par la DGSE. Après une vaste enquête, celle-ci constate que tous les éléments sur lesquels je m’appuie sont véridiques, mais elle ne peut pour autant confirmer mes conclusions.

Le quotidien Le Monde, qui a ouvert une campagne pour me discréditer, brocarde mes prévisions selon lesquelles les États-Unis vont attaquer l’Irak [9]. Pourtant, l’inévitable se produit. Washington accuse Bagdad d’héberger des membres d’Al-Qaïda et de préparer des armes de destruction massive pour attaquer le «  pays de la liberté  ». Ce sera donc bien la guerre, comme en 1991.

Donald Rumsfeld savait que l’Irak détenait des armes chimiques parce qu’il les lui avait lui-même vendues pour faire la guerre contre l’Iran. Mais il les avaient toutes utilisées.

Chacun est alors face à un cas de conscience. En persistant à fermer les yeux sur le coup d’État du 11-Septembre, on s’interdit de contester le discours des États-Unis et l’on se trouve contraint d’approuver le crime suivant  : l’invasion de l’Irak en l’occurrence. Seul, un haut fonctionnaire international, Hans Blix, décide de défendre la vérité [10]. Ce diplomate suédois est l’ancien directeur de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA). Il préside la Commission de contrôle, de vérification et d’inspection des Nations Unies, chargée de surveiller l’Irak. Tenant tête à Washington, il affirme que l’Irak n’a pas les moyens dont on l’accuse. Une pression sans précédent pèse bientôt sur ses épaules  : non seulement l’Empire états-unien, mais tous ses alliés font pression sur lui pour qu’il cesse ses enfantillages et laisse la première puissance du monde détruire l’Irak. Il ne cédera pas, même lorsque son successeur à l’AIEA, l’Égyptien Mohamed el-Baradei, feindra de jouer les conciliateurs.

Le 5 février 2003, le secrétaire d’État et ancien chef d’état-major interarmées Colin Powell prononce un discours au Conseil de sécurité, dont le texte a été rédigé par l’équipe de Cheney. Il accuse l’Irak de tous les maux, y compris de protéger les auteurs des attentats du 11-Septembre et de préparer des armes de destruction massive pour attaquer les États occidentaux. Au passage, il révèle l’existence d’un nouveau visage d’Al-Qaïda, Abou Moussab Al-Zarqaoui.

Le ministre français des Affaires étrangères, Dominique de Villepin, est venu au Conseil de sécurité de l’Onu pour s’opposer à la guerre états-unienne contre l’Irak.

Mais, à son tour, Jacques Chirac refuse de se joindre au crime. Il ne s’imagine pas pour autant dénoncer les mensonges de Washington. Il envoie son ministre des Affaires étrangères, Dominique de Villepin, au Conseil de sécurité. Celui-ci laisse à Paris les rapports de la DGSE et concentre son intervention sur la différence entre une guerre imposée et une guerre choisie. Il est clair que l’attaque de l’Irak n’a aucun rapport avec le 11-Septembre, mais est un choix impérial, une conquête. Villepin va alors souligner les résultats déjà obtenus par Blix en Irak. Puis il va dégonfler les accusations US pour montrer que l’usage de la force ne se justifie pas à ce stade et conclure que rien ne prouve que la guerre puisse obtenir de meilleurs résultats que la poursuite des inspections. Croyant que cette intervention va offrir une porte de sortie à Washington et que la guerre sera évitée, le Conseil de sécurité l’applaudit. C’est la première fois que des diplomates applaudissent l’un des leurs dans cette salle.

Non seulement Washington et Londres imposeront leur guerre, mais oubliant Hans Blix, les États-Unis vont entreprendre toutes sortes d’opérations pour «  faire payer  » Chirac. Le Président français ne tardera pas à baisser sa garde et à servir plus que de nécessaire son suzerain états-unien.

Malgré les menaces, Hans Blix, président de la Commission de contrôle, de vérification et d’inspection des Nations unies (COCOVINU), a refusé de confirmer que l’Irak détenait en 2003 des armes de destruction massive. C’était pourtant l’argument utilisé par le président Bush pour justifier sa guerre contre ce pays.

Nous devons tirer les leçons de cette crise. Hans Blix, comme son compatriote Raoul Wallenberg durant la Seconde Guerre mondiale, a refusé l’idée que les États-uniens (ou les Allemands) soient supérieurs aux autres. Il a décidé de tenter de sauver des hommes qui n’avaient commis d’autres crimes que d’être Irakiens (ou juifs hongrois). Jacques Chirac aurait voulu être comme eux, mais ses erreurs précédentes et les secrets de sa vie privée l’ont exposé à un chantage qui ne lui a laissé que le choix de se démettre ou de se soumettre.

Washington prévoit de placer au pouvoir à Bagdad des Irakiens en exil qu’il a sélectionnés au sein d’une association britannique, le Conseil national irakien, présidé par Ahmed Chalabi. Que celui-ci soit par ailleurs considéré comme un escroc international après sa condamnation dans la faillite de la Banque Petra de Jordanie n’est pas pris en compte. L’avionneur Lockheed Martin créé un Comité pour la libération de l’Irak [11], dont l’ancien secrétaire d’État et mentor de Bush Jr, George Shultz, prend la présidence. Ce Comité et le Conseil de Chalabi vendent cette guerre à l’opinion publique états-unienne. Ils assurent que les États-Unis se borneront à prêter assistance à l’opposition irakienne et que ce ne sera pas long.

Comme l’attaque de l’Afghanistan, celle de l’Irak a été préparée avant les attentats de New York et de Washington. Le Vice-président Dick Cheney avait lui-même négocié au début 2001 l’implantation de bases militaires US au Kirghizstan, au Kazakhstan et en Ouzbékistan dans le cadre du développement des accords Central Asia Battalion (CENTRASBAT) de la Communauté économique d’Asie centrale. Les planificateurs ayant anticipé que pour faire cette guerre, les troupes nécessiteraient 60 000 tonnes de matériel par jour, le Centre de gestion des transports militaires (Military Traffic Management Command – MTMC) avait été chargé de commencer à l’avance à y transporter la logistique.

Opposant déterminé du tandem Rumsfeld/Cebrowski, le général Paul Van Riper (déjà à la retraite) est venu commander les "forces rouges" (l’Irak) lors d’une simulation de l’attaque de ce pays. Il est parvenu à provoquer des dégâts qui auraient coûté au moins 20 000 hommes aux États-Unis. Avant d’attaquer ce pays, le Pentagone a préféré corrompre les généraux du président Saddam Hussein plutôt que d’affronter son armée.

L’entraînement des troupes n’a eu lieu, lui, qu’après les attentats. Ce furent les plus importantes manœuvres militaires de l’Histoire  : «  Défi du Millénaire 2002  » (Millennium Challenge 2002). Ce jeu de guerre mêlait des manœuvres réelles et des simulations en salle d’état-major réalisées grâce aux outils technologiques utilisés à Hollywood pour le film Gladiator. Du 24 juillet au 15 août 2002, 13 500 hommes ont été mobilisés. Les îles de San Nicola et San Clemente, au large de la Californie, et le désert du Nevada avaient été évacués pour servir de théâtre d’opérations. Cette débauche de moyens nécessita un budget de 235 millions de dollars. Pour la petite histoire, les soldats simulant les troupes irakiennes étaient commandés par le général Paul Van Riper  ; mettant en œuvre une stratégie non conventionnelle, ils l’emportèrent haut la main sur les troupes états-uniennes de sorte que l’état-major cessa l’exercice avant sa fin [12].

Ne tenant compte ni des rapports de Hans Blix, ni des objections françaises, Washington lance l’«  Opération Libération de l’Irak  » (Operation Iraqi Liberation), le 19 mars 2003. Compte tenu du sens que revêt son acronyme anglais, OIL (pétrole), elle est renommée «  Opération Liberté irakienne  » (Operation Iraqi Freedom). Un feu d’une puissance inégalée s’abat sur Bagdad, causant le «  choc et la stupeur  » (Shock and Awe). Les Bagdadis sont hébétés, tandis que les États-Unis et leurs alliés s’emparent du pays.

Donald Rumsfeld a confié l’Irak conquise à l’adjoint dans le privé d’Henry Kissinger, L. Paul Bremer III. Il y a dirigé une société privée pompeusement baptisée « Autorité provisoire de la Coalition ». On ignore qui furent les heureux bénéficiaires de cette opération.

Le gouvernement est d’abord assumé par un bureau du Pentagone, l’ORHA (Office of Reconstruction and Humanitarian Assistance), puis au bout d’un mois par un administrateur civil nommé par le secrétaire à la Défense, L. Paul Bremer III, l’adjoint dans le privé d’Henry Kissinger. Il prend bientôt le titre d’administrateur de l’Autorité provisoire de la Coalition. Or, contrairement à ce que cette dénomination laisse supposer, cette Autorité n’a pas été créée par la Coalition qui ne s’est jamais réunie et dont on ignore exactement la composition [13].

Pour la première fois, un organe apparaît qui dépend du Pentagone, mais ne figure sur aucun organigramme des États-Unis. Il est l’émanation du groupe qui a pris le pouvoir le 11 septembre 2001. Dans les documents publiés par Washington, l’Autorité est désignée comme un organe de la Coalition si le document est destiné à des étrangers, et comme un organe du gouvernement US s’il est destiné au Congrès. À l’exception d’un fonctionnaire britannique, tous les employés de l’Autorité sont payés par des administrations états-uniennes, mais ne sont pas soumis aux lois US. Aussi prennent-ils leurs aises par rapport au Code des marchés publics. L’Autorité saisit le Trésor irakien, soit 5 milliards de dollars, mais seul un milliard apparaît dans sa comptabilité. Que sont devenus les 4 milliards restants  ? La question est posée à la conférence de Madrid pour la reconstruction. Elle ne recevra jamais de réponse.

L’ambassadeur Peter W. Galbraith, qui a inventé le mythe du président Saddam Hussein comme un génocideur de Kurdes, a été chargé d’appliquer le plan du sénateur Joe Biden de division de l’Irak en trois États distincts.

L’adjoint de Paul Bremer n’est autre que Sir Jeremy Greenstock, le représentant du Royaume-Uni au Conseil de sécurité qui a justifié les attaques de l’Afghanistan et de l’Irak. Durant l’occupation, les États-Unis examinent les possibilités de remodelage de l’Irak, en l’occurrence de la partition en trois États, selon le plan du sénateur démocrate Joe Biden. Bremer envoie donc l’ambassadeur Peter Galbraith – qui a organisé la partition de la Yougoslavie en sept États distincts – comme conseiller du Gouvernement régional kurde.

Le professeur Leo Strauss avait choisi certains de ses élèves juifs pour constituer un groupe d’hoplites (soldats de Sparte). Il les envoyaient perturber les cours de ses rivaux à l’université de Chicago. Il leur apprenait qu’il vaut mieux constituer une dictature que d’être victime d’un tel régime.

Bremer travaille directement avec le secrétaire adjoint à la Défense, Paul Wolfowitz, qui a défini la stratégie US future lors de la dissolution de l’URSS. C’est un juif trotskiste qui a été formé à la pensée de Leo Strauss. Il a installé au Pentagone de nombreux adeptes du philosophe allemand. Ils forment ensemble un groupe structuré, très cohérent et solidaire. Selon eux, tirant la leçon de la faiblesse de la République de Weimar face aux nazis, les juifs ne peuvent pas avoir confiance en des démocraties pour les prémunir face à un nouveau génocide. Ils doivent au contraire prendre le parti des régimes autoritaires et se placer du côté du pouvoir. Ainsi, l’idée d’une dictature mondiale est légitimée de manière préventive [14].

Wolfowitz fixe les grandes lignes du travail de l’Autorité provisoire de la Coalition, à savoir la débaasification du pays – c’est-à-dire le limogeage de tous les fonctionnaires membres du parti laïc Baas – et son pillage économique. Sur ses instructions, Bremer attribue tous les contrats publics à des sociétés amies, généralement sans appels d’offres  ; ce qui exclut par principe les Français et les Allemands coupables de s’être opposés à cette guerre impériale [15].

La totalité des membres du Projet pour un nouveau siècle américain, le think tank qui a préparé le 11-Septembre, est incorporée, directement ou indirectement, dans l’Autorité provisoire de la Coalition ou travaille avec elle.

Dès le début, ces gens soulèvent une vive réticence. D’abord celle du représentant du secrétaire général de l’ONU, le Brésilien Sérgio Vieira de Mello. Il est assassiné le 19 août 2003, prétendument par le jihadiste Abou Moussab Al-Zarqaoui que Powell avait dénoncé à l’ONU. Les proches du diplomate soulignent au contraire le conflit qui l’opposait à Wolfowitz et accusent directement une faction états-unienne. Puis, c’est le général James Mattis, commandant de la 1re division des Marines, qui s’inquiète des conséquences désastreuses de la débaasification. Il finira par rentrer dans le rang.

Emportés par leurs succès aux États-Unis, en Afghanistan et en Irak, les hommes du 11-Septembre orientent leur pays vers de nouvelles cibles.

La théopolitique

Du 12 au 14 octobre 2003 se tient une étrange réunion à l’hôtel King David de Jérusalem. Selon le carton d’invitation  : «  Israël est l’alternative morale au totalitarisme oriental et au relativisme moral occidental. Israël est le "Ground Zero" de la bataille centrale de notre civilisation pour sa survie. Israël peut être sauvé, et le reste de l’Occident avec lui. Il est temps de nous unir à Jérusalem.  »

Plusieurs centaines de personnalités des extrêmes droites israélienne et états-unienne sont reçues aux frais de la mafia russe. Avigdor Lieberman, Benyamin Nétanyahou et Ehud Olmert congratulent Elliot Abrams, Richard Perle et Daniel Pipes.

Le professeur Leo Strauss a inculqué à ses disciple que la theopolitique leur permettrait de dominer le monde.

Tous partagent une même croyance  : la théopolique. Selon eux, la «  fin des Temps  » est proche. Bientôt le monde sera gouverné par une institution juive basée à Jérusalem [16].

Cette réunion inquiète les progressistes israéliens, d’autant que certains orateurs désignent Bagdad, qui a été conquise six mois plus tôt, comme l’antique «  Babylone  ». Il est évident pour eux que la théopolitique dont se réclame ce congrès est une résurgence du talmudisme. Ce courant de pensée – dont Leo Strauss était un spécialiste – interprète le judaïsme comme une prière millénaire du Peuple juif pour venger les crimes des Egyptiens contre leurs ancêtres, leur déportation à Babylone par les Assyriens et même la destruction des juifs d’Europe par les nazis. Il considère que la «  doctrine Wolfowitz  » prépare l’Armaggedon (la bataille finale) que sera l’instauration du chaos d’abord au Moyen-Orient élargi, puis en Europe. Une destruction générale qui marquera la punition divine de ceux qui ont fait souffrir le Peuple juif.

L’ancien Premier ministre Ehud Barak réalise l’erreur qu’il a commise en refusant la paix qu’il avait lui-même négociée avec les Présidents Bill Clinton et Hafez el-Assad  ; une paix qui aurait préservé les intérêts de toutes les populations de la région et dont les théopoliticiens ne voulaient pas. Il commence à rassembler les officiers qui tenteront en vain d’empêcher la réélection de Benyamin Nétanyahou, en novembre 2014, au sein de Commanders for Israel Security (Les Officiers supérieurs pour la sécurité d’Israël). Il poursuivra son combat jusqu’à prononcer son discours de juin 2016, à la conférence d’Herzliya, dans lequel il dénoncera la politique du pire de Nétanyahou et sa volonté d’institutionnaliser l’Apartheid. Il appellera ses compatriotes à sauver leur pays en faisant barrage à ces fanatiques.

(À suivre …)

Ce livre est disponible en français en version papier.

[1Energy Task Force Works in Secret, Dana Milbank & Eric Pianin, The Washington Post, Avril 16, 2001.

[2Muerte de Pemex y suicidio de México (2014), Alfredo Jalife-Rahme, Orfila (Mexico).

[3Transforming Military Force : The Legacy of Arthur Cebrowski and Network Centric Warfare, James R. Blaker, Praeger (2007).

[4The Pentagon’s New Map, Thomas P.M. Barnett, Putnam (2004). Contrairement à ce que laisse croire ce livre, Barnett était l’assistant de Cebrowski au Pentagone.

[5“Stabiliy American’s Ennemy”, col. Ralph Peters, Parameters #31-4 (winter 2001).

[6Top Secret America : The Rise of the New American Security State, William M. Arkin & Dana Priest, Back Bay Books (2012).

[7“Exclusive : Inside the Military’s Secret Undercover Army”, William M. Arkin, Newsweek, May 17, 2021.

[8Interview de Naiz Naik par Benoît Califano, Pierre Trouillet et Guilhem Rondot, Dokumenta-ITV (2001). Non diffusé.

[9« Le Net et la rumeur », Editorial, Le Monde, 20 mars 2002.

[10Disarming Iraq, Hans Blix, Knopf Doubleday (2013).

[11« Une guerre juteuse pour Lockheed Martin », Réseau Voltaire, 7 février 2003.

[12« Apocalypse Tomorrow », Réseau Voltaire, 26 septembre 2002.

[13« Qui gouverne l’Irak ? », par Thierry Meyssan, Réseau Voltaire, 13 mai 2004.

[14Il est indispensable de lire les témoignages des élèves de Leo Strauss pour comprendre la différence entre son enseignement public et celui réservé à ses disciples choisis. Political Ideas of Leo Strauss, Shadia B. Drury, Palgrave Macmillan (1988). Children of Satan : the ’ignoble liars’ behind Bush’s no-exit war, Lyndon H. LaRouche, EIR (2004). Leo Strauss and the Politics of American Empire, Anne Norton, Yale University Press (2005). Leo Strauss and the conservative movement in America : a critical appraisal, Paul Edward Gottfried, Cambridge University Press (2011). Leo Strauss, The Straussians, and the Study of the American Regime, Kenneth L. Deutsch, Rowman & Littlefield (2013). Leo Strauss and the Invasion of Iraq : Encountering the Abyss, Aggie Hirst, Routledge (2013). Straussophobia : Defending Leo Strauss and Straussians Against Shadia Drury and Other Accusers, Peter Minowitz, Lexington Books (2016).

[15Determination and Findings, Paul Wolfowitz, December 5, 2003. Version française : « Instructions et conclusions sur les marchés de reconstruction et d’aide en Irak », par Paul Wolfowitz, Réseau Voltaire, 10 décembre 2003.

[16« Sommet historique pour sceller l’Alliance des guerriers de Dieu », Réseau Voltaire, 17 octobre 2003.