Mesdames les ambassadrices, Messieurs les ambassadeurs,
Mesdames, Messieurs,
Chers amis.

Je dois vous dire que je suis particulièrement heureux de vous retrouver pour cette nouvelle édition de la conférence des Ambassadeurs après deux années où le contexte sanitaire mondial nous a empêché d’honorer ce rendez-vous. Cela manquait, même si l’année dernière, cela s’était tenu à travers d’autres moyens, mais la convivialité, les échanges informels, les voies et moyens de bâtir des convergences ne sont pas les mêmes. Et, permettez-moi de vous dire, en ouvrant ce propos, d’abord mes remerciements, parce que cette longue crise de la Covid-19 qui a touché notre pays profondément a aussi beaucoup éprouvé, je le sais, vos équipes, parfois vous-mêmes et vos familles. Plusieurs parmi vous ont eu à servir dans des pays qui étaient lourdement frappés, ont eu des contraintes fortes, sont restés pendant de long mois dans des conditions difficiles. Mais surtout, vous avez, avec vos équipes, contribué à cette mission essentielle qui fut la nôtre durant cette période de protéger les Françaises et les Français. Et je veux saluer l’engagement exceptionnel dont vous avez fait preuve avec l’ensemble de vos équipes à l’égard de nos ressortissants : protéger, parfois rapatrier, nous nous en souvenons dans les premiers temps de l’épidémie ; permettre l’accès aux vaccins, les rapatriements en cours de crise, la prise en charge de l’éducation des enfants et l’ensemble de la somme des épreuves auxquelles cette période inédite a confronté notre réseau diplomatique, consulaire, culturel et éducatif.

Je veux aussi saluer, en même temps chacune et chacun d’entre vous dans vos postes d’action du Centre de crise et de soutien qui a accompli un travail exceptionnel face à cette crise sanitaire, comme il l’a accompli avec l’aide et le relais de plusieurs d’entre vous également en Afghanistan l’été dernier et aujourd’hui en Ukraine. Durant ces dernières années, les crises se sont donc multipliées, exacerbées si je puis dire, mais souhaitant qu’une crise ne chasse pas l’autre, je voulais commencer par saluer cet engagement fort qui a été tout particulièrement le vôtre durant cette période.

Malgré la pandémie, j’ai pu compter sur vous et sur votre engagement au cours des cinq dernières années au service de notre pays. Malgré parfois des vents contraires, des événements inattendus, je crois pouvoir dire que nous avons bâti à la fois des actions concrètes, mais aussi des cadres de référence utiles pour l’action collective. Nous avons fait du renforcement de la souveraineté européenne une réalité tangible. Et je le dis ici avec beaucoup de force, lorsque, en septembre 2017 à la Sorbonne, je me suis exprimé en proposant en votre nom, en notre nom à tous, une Europe plus unie, plus souveraine, plus démocratique, les commentaires étaient nombreux partout en Europe pour dire : "lubie française, l’Europe plus souveraine, qu’est-ce que c’est que cette affaire ? L’autonomie stratégique, qu’est-ce que c’est que cette réalité ?" On aura tôt fait de revenir aux principes dans lesquels on avait vécu jusque-là. La réalité sera différente, cela restera des mots. Nous avons posé le cadre. J’ai plaisir à constater que ce cadre aujourd’hui s’est généralisé. Il a été progressivement adopté par l’Europe entière et il est maintenant assumé par l’Allemagne. Et je veux ici saluer le discours que le Chancelier Scholz a tenu il y a deux jours à Prague, qui s’inscrit complètement dans le droit fil de cette pensée et de cette action. Surtout, nous avons ensemble agi, bâti une Europe de la défense plus forte, brique après brique. Nous l’avons fait sur le plan multilatéral et bilatéral, avec des accords particuliers avec la Grèce ou la Croatie, pour ne citer qu’eux. Nous avons renforcé cette Union européenne. Nous avons aussi structuré des accords bilatéraux inédits avec l’Allemagne ou avec l’Italie.

Et puis notre Europe a avancé face aux crises. Face à la pandémie, par l’action de notre réseau, c’est notre Europe qui a fourni les vaccins et qui a donc contribué à protéger. C’est notre Europe aussi qui a assuré une relance économique essentielle par un accord entre l’Allemagne et la France dès le mois de mai 2020, puis un accord européen en juillet 2020 qui nous a permis une capacité d’investissement inédite à 27 et la mutualisation de dettes communes pour des investissements à venir. Là aussi, cela paraissait totalement impensable. Et face au retour de la guerre sur notre continent, nous avons apporté une réponse unie, rapide et forte en imposant des sanctions massives et inédites à la Russie deux jours après le début du conflit, en gardant notre unité, en bannissant de nos démocraties les organes de propagande du Kremlin et en actant le pas historique de l’octroi du statut de candidat à l’Ukraine et à la Moldavie.

Mais ça n’est pas simplement en répondant aux crises que notre Europe a avancé. Il y a un bilan, je le disais, celui de l’Europe de la défense, par exemple, pour n’en citer qu’un. Celui d’une Europe aussi plus souveraine sur le plan technologique, avec une régulation de l’Internet absolument fondamentale. Il y a le bilan de la présidence française de l’Union européenne qui est votre bilan. Celui mené par justement l’action du Quai d’Orsay, notre représentation permanente, qui a piloté l’interministérialité en lien avec aussi le SGAE qui a mobilisé beaucoup de ministres ici présents. Mais malgré la guerre commencée dès le 24 février, malgré la pandémie qui était encore là, malgré le contexte sur lequel je n’ai pas besoin de revenir dans notre pays, sur le plan politique, notre présidence française de l’Union européenne a permis des avancées là aussi fondamentales pour notre continent.

Dans la lutte contre le changement climatique pour atteindre notre objectif de 55% de réduction de nos émissions à l’horizon 2030. Le fameux paquet "Fit for 55" pour parler en bon breton, a avancé, avec plus d’une dizaine de textes qui ont été consacrés. Sur l’amélioration des conditions de travail et de vie des citoyens européens, avec la directive sur les salaires minimaux, sur l’égalité salariale entre les femmes et les hommes, mais aussi sur l’égalité de représentation, justement au sein des comités de direction. Des textes qui parfois étaient bloqués depuis plus de 10 ans, et qui, grâce à la nouvelle coalition allemande, a permis de changer les équilibres. Sur la régulation des géants du numérique pour mettre fin à la loi du plus fort avec les deux directives dites DSA DMA. Sur la défense aussi, avec l’adoption de notre Boussole stratégique, exercice que nous avions lancé aux côtés de nos amis allemands sous leur présidence. Nous avons transformé notre Europe. Elle n’est plus la même qu’il y a cinq ans. Elle est plus consciente d’elle-même, plus souveraine, plus forte. Et ce faisant, nous avons démenti par les actes tous ceux qui voyaient dans le Brexit le début d’une longue série de renoncements et apporté la démonstration de la force et de la vigueur d’une Europe unie et de ses principes.

Deuxième élément sur lequel je voulais insister en rendant hommage au travail fait ces dernières années, c’est celui de ce multilatéralisme efficace que nous avons défendu. Il faut bien le dire, il y a cinq ans, nous étions aux côtés d’une puissance américaine qui est normalement, et elle est heureusement redevenue, le garant de beaucoup d’équilibres et de textes, qui décidait de sortir de la plupart des accords qu’elle avait contribué à construire, pour lesquels elle avait largement oeuvré : sur le climat et les accords de Paris ou dans la lutte contre la prolifération nucléaire et avec le JCPoA. Et donc nous étions dans un moment de grande fragilisation de ce multilatéralisme. Tout est-il réglé ? Loin de là, mais j’y reviendrai. Mais face aux défis communs, sans jamais renoncer justement à la lucidité, ce sera un des fils pour moi de cette expression devant vous aujourd’hui, je crois que nous avons essayé collectivement de préserver ce multilatéralisme efficace en associant tous les acteurs : Etats, ONG, sociétés civiles, entreprises.

Pour ne prendre que l’un des derniers exemples, parce ce que nous avons collectivement bâti et la diplomatie française y a pris une part éminente, face à la pandémie. Quelques semaines après celle-ci, nous avons été aux avant-postes sur l’initiative dite Act-A. À quelques Européens, nous avons travaillé avec les Etats africains qui étaient touchés comme nous par la pandémie, mais encore plus fragiles. La France s’est trouvée invitée pour la première fois à un bureau exécutif de l’Union africaine pour partager une stratégie. Et entre l’Union africaine et très rapidement le G20 où nous l’avons portée, nous avons construit une stratégie inédite pour l’accès aux vaccins, le développement des capacités de production, le renforcement des systèmes de santé. Dès 2017, face aux fragilités de l’accord de Paris et au retrait américain, là aussi, nous avons mobilisé, tout le réseau. Et là où la France avait réussi en 2015 à réunir le monde et sceller l’accord de Paris, nous avons réussi entre 2017 et 2020 à préserver cet accord. Plusieurs puissances, je le rappelle, ou n’avaient pas signé, ou n’avaient pas ratifié et les Etats-Unis se sont retirés. Au moment où je vous parle, les Etats-Unis ont décidé d’y revenir, mais Turquie et Russie ont ratifié, quel que soit le contexte international.

Dès le 12 décembre 2017, avec le One Planet Summit, nous avons remobilisé, mis en place des coalitions d’acteurs nouvelles avec des Etats, des entreprises, des ONG, des chercheurs, attiré aussi beaucoup de chercheurs américains par des initiatives fortes et débouché sur un agenda concret pour le climat. Et nous avons adopté la même méthode, nous l’avons ensuite scandée sur le financement et le financement privé. Nous avons adopté la même méthode sur la question de la biodiversité en lançant ici même en janvier 2021 la même initiative pour la biodiversité face aux tâtonnements de la COP qui était en cours et qui, évidemment, avait été percutée par la pandémie.

De la même manière, sur la régulation du numérique et de ses contenus, nous avons pris l’initiative dès 2018 de Tech for Good, associant là aussi les grands acteurs internationaux du numérique et notre réseau diplomatique pour essayer de trouver des voies de régulation positive. Nous l’avons complétée par une régulation européenne que j’évoquais et nous avons cristallisé cette action avec l’appel de Christchurch qui s’est tenu ici même à Paris dès après les attentats en Nouvelle-Zélande et qui nous permet aujourd’hui de mieux lutter contre les contenus terroristes et haineux en ligne.

Nous avons inventé le Forum de Paris sur la Paix à l’occasion du centenaire de l’armistice de la Première Guerre mondiale où chaque année, les porteurs de projets venus du monde entier se retrouvent et bâtissent là aussi de la convergence, des nouveaux consensus et une pensée des nouveaux équilibres.

Nous n’avons rien lâché non plus dans cette période du combat contre les inégalités en soutenant le Partenariat mondial pour l’éducation aux côtés du Sénégal, en organisant le Forum Génération Egalité, en obtenant des avancées tangibles sur l’autonomisation des femmes, l’éducation des filles, le droit à la santé sexuelle et reproductive, la lutte contre les violences, le soutien aux combattantes et combattants de la liberté.

Nous avons aussi, durant toute cette période, porté le combat pour la protection des droits fondamentaux en défendant, au travers du Partenariat information et démocratie, l’exercice de la liberté d’opinion, d’expression, l’accès à une information fiable. Nous nous sommes engagés aux côtés de tous les acteurs humanitaires pour la justice internationale et la lutte contre l’impunité et nous avons traduit cet engagement en apportant notre soutien concret à la lutte contre les crimes de guerre commis par la Russie sur le sol ukrainien, pour n’en citer qu’un. Et remercier ce faisant, tous les acteurs humanitaires qui sont des relais soutiens et volontaires si courageux et nous l’avons vécu dans notre chair au Niger il y a deux ans.

Et puis, nous avons fait en sorte que la France demeure dans cette période une puissance d’équilibres qui permettent justement de limiter les désordres et de construire des partenariats nouveaux avec une armée forte, et je pense qu’elle est un élément clé de cette stratégie, en assumant un exercice stratégique dès 2017, en bâtissant une loi de programmation militaire 2019-2024 respectée à l’euro près, qui nous a permis de réparer des éléments capacitaires, mais aussi de rebâtir une stratégie, je crois, plus adaptée aux réalités du monde et à faire de l’armée française la première armée européenne à coup sûr, de consolider notre dissuasion nucléaire et d’avoir la place qui est la nôtre aujourd’hui, et qui soutient notre diplomatie.

Nous avons aussi, en tant que puissance d’équilibres, placé notre partenariat avec l’Afrique au coeur de notre action multilatérale, là aussi dans une grammaire nouvelle, en associant pour le G7 de Biarritz - que la France a eu à organiser en 2019 - l’Afrique au coeur. Pas simplement invitée de la dernière demi-journée dans ce qu’on appelle joliment l’outreach, mais en l’associant au coeur de la stratégie, à la conception de tous les rendez-vous et en portant ensemble des initiatives sur la scène internationale en développant un axe euro-africain. Nous avons aussi bâti ce partenariat nouveau avec l’Afrique. J’aurai l’occasion d’y revenir en regardant notre passé en face et en particulier en renouant avec le Rwanda qui est aujourd’hui un partenaire important de nos initiatives sur le continent.

Partout dans le monde, nous avons fait face aux crises en jouant, je crois ici pouvoir le dire, tout notre rôle de membre permanent du Conseil de sécurité, avec à chaque fois la même détermination à avoir un effet utile pour prévenir les escalades et trouver des voies diplomatiques à la résolution des conflits. Nous avons, ce faisant, démultiplié nos efforts pour répondre aux besoins humanitaires urgents de nos ressortissants et des populations civiles en Ukraine, en Syrie, en Afghanistan, au Liban, ces derniers jours encore au Pakistan. A la cavalcade, je ne fais là qu’un bilan partiel. Mais autour d’une Europe plus forte, de ce multilatéralisme efficace que je crois pouvoir dire, nous avons contribué à préserver ou sauver, et à la participation à la construction de nouveaux équilibres, je veux ici vous dire que vous pouvez être fiers de ce que nous avons collectivement accompli durant ces dernières années.

La France n’a pas tout fait seule, ni pensé tous les concepts. Nous en avons poussé certains, en tout cas nous avons toujours fait partie si je puis dire des avant-gardes de bonne volonté. Et c’est à mes yeux la plus grande des fiertés, avec constamment le souci de trouver les chemins les plus efficaces pour rassembler et réunir, avec - ce qu’il faut garder pour les années à venir - un souci d’efficacité. Oublions que l’idée vient d’ici, si la condition pour qu’elle se diffuse est qu’elle ait plusieurs paternités. C’est ce qu’il faut faire partout. C’est beaucoup mieux. Mais je crois pouvoir dire que votre action, à la fois la défense des intérêts de la France, les convictions qui sont les nôtres, notre volonté aussi de porter notre influence et notre attractivité - j’y reviendrai - ont été absolument clés dans cette période.

C’est aussi pourquoi, depuis 2017, j’ai voulu que les moyens de notre action internationale soient consolidés et adaptés. Au travers de la loi du 4 août 2021 - je salue la présence, Madame la ministre, de votre prédécesseur et la continuité d’action dans laquelle nous nous inscrivons - à travers la loi du 4 août 2021, nous avons acté une trajectoire de croissance des moyens de notre aide publique au développement qui se poursuivra au cours de ce second quinquennat. Nous avons veillé à ce que ces moyens redonnent à notre diplomatie une agilité, une capacité d’entraînement, je le sais dont beaucoup d’entre vous avaient le sentiment qu’elles s’étaient affaiblies. Nous avons engagé une évolution structurante qui sera poursuivie pour passer d’une politique de développement, que nous étions déjà en train de changer mais ce n’était pas assez perceptible pour nos partenaires, à une politique d’investissement solidaire qui nous permet d’agir avec un plus grand nombre d’acteurs, pays, organisations internationales, entreprises, acteurs de la société civile. Et surtout, avec cette volonté de bâtir des partenariats d’égal à égal, sur le continent africain tout particulièrement mais plus largement. Et donc nous avons, à travers ce texte, redonné des moyens très forts, et mis fin à plusieurs années de diminution des crédits sur notre aide publique au développement, mais surtout réimpulsé une philosophie nouvelle. Le ministère la porte, les ministères de tutelle aussi puisque le Quai et l’Economie et les Finances ont un rôle clé à cet égard. Et l’opérateur de cette action principale qu’est l’AFD, y a un rôle clé avec en particulier la philosophie qui se dégage derrière “Finances en commun" et qui a permis là aussi de restructurer notre action et de la démultiplier à travers le réseau de relations avec les banques de développement et les banques régionales du monde entier. Et je crois que nous avons là le début d’abord d’une nouvelle grammaire, mais d’une action beaucoup plus forte, plus puissante à travers le monde.

Cela n’est néanmoins pas suffisant. C’est pourquoi, en 2023, pour la première fois depuis au moins trois décennies, votre administration, celle du Quai d’Orsay, verra son nombre d’emplois augmenter en même temps que se poursuivra la hausse de ses moyens financiers. Depuis trois décennies. Je sais vos attentes et votre engagement à servir. Je veux donc ici vous dire toute ma confiance pour que votre énergie et que les moyens de notre politique étrangère soient efficacement mis en oeuvre au service des intérêts de la France. Je sais aussi le trouble qu’a pu susciter chez vous la nécessaire adaptation de l’action publique que nous avons engagée. Notre diplomatie est d’ores et déjà l’oeuvre de praticiens venus de multiples horizons et dont les compétences ne tiennent pas à leur appartenance à un corps, mais à leur expérience et leur capacité d’exercer de nombreux métiers en même temps. Et je veux ici apporter une clarification très simple : défendre un métier, ce que je fais profondément et ce à quoi je suis attaché comme vous, n’a jamais signifié défendre un corps. Et donc défendre un métier est essentiel, et je le dis dans un ministère qui est l’un des plus ouverts à l’interministériel, agrégeant déjà énormément de talents à des postes éminents qui viennent d’autres ministères, ce qu’il nous faut d’ailleurs pouvoir généraliser chez les voisins. Ce que la réforme de la haute fonction publique doit permettre d’enrichir, c’est de consolider précisément les filières d’expertise et les filières métiers qui sont indispensables à la réussite de notre action diplomatique. Ce sont des métiers, ils ont leurs spécificités. Ce sont des talents que nous formons, puis que nous continuons de former, dont nous bâtissons les carrières. Il faut continuer de le faire et de le faire encore mieux. Et ensuite, il nous faut pouvoir déployer encore plus largement ces talents au sein de l’Etat, parce que nous en avons besoin, et mieux agréger aussi les compétences techniques venant d’autres horizons au coeur de notre diplomatie, et vous le savez parfaitement. Et cette réforme doit nous permettre d’avoir une diplomatie encore plus agile là où - la pandémie nous l’a montré - comme ce que j’évoquais par exemple sur la régulation du numérique, il nous faut à la fois agréger ce qu’est le métier d’être diplomate avec des connaissances extrêmement pointues dans les technologies, les réseaux sociaux, ou dans l’épidémiologie. Et donc le temps est à la capacité dans des task force utiles et extrêmement mobiles, de savoir utiliser au mieux les compétences du métier diplomatique que nous savons former et qui est une force de la France, avec les technicités de plus haut niveau. Nous ne pouvons-nous satisfaire d’avoir, sinon des bons généralistes partout. Ce n’est pas le cas, mais nous devons encore renforcer cette cohérence et cette force de notre action. C’est cette philosophie qui nous guidera.

C’est pourquoi je vous encourage à vous approprier pleinement cette réforme qui à mon avis est bonne, en particulier pour le Quai d’Orsay, de telle manière que le Ministère de l’Europe et des Affaires étrangères soit véritablement le chef de file interministériel de l’action internationale. Et c’est aussi cela, ce que ça permettra de faire, là où depuis plusieurs années, pour ne pas dire de décennies, il y avait une forme de tentation progressive, à cause de matières de plus en plus techniques à l’international, de voir les sujets sortir du Quai d’Orsay pour avoir des irrédentismes à l’international dans chaque ministère. C’est par cette réforme aussi, qu’on retrouvera cette cohérence d’action où le Quai d’Orsay a cette vocation interministérielle de porter en bonne synergie et connaissance, avec un chef de file clair.

Je vous demande à cet égard de pouvoir enrichir la réforme sous l’autorité de la ministre et de l’ensemble de son équipe, pour que notre diplomatie soit encore meilleure demain, encore plus agile, encore plus experte, encore plus forte. J’ai demandé à la ministre de l’Europe et des Affaires étrangères d’y travailler avec vous en lien avec nos élus, le Parlement, dans le cadre des Etats généraux de la diplomatie qui seront ouverts dans quelques semaines, sur les missions et l’organisation qu’il nous faut pour avancer. Cela, il faut le faire avec le même esprit de responsabilité, d’exigence que je vous connais en poste à l’étranger. Le même esprit de pondération et de recul, la même volonté d’action, parce que c’est un moment de réflexion collective et parce que nous vivons aussi, je vais y venir, un moment de bascule du monde si intimidant, qu’en quelque sorte nous avons chacune et chacun d’entre nous avant tout des devoir d’être encore meilleurs au service des Françaises et des Français, d’être plus efficaces.

Tout cela, je l’évoque au service en effet de la France dans un moment particulier. Et permettez-moi, à cet instant du discours, d’essayer, à vos côtés, modestement, de qualifier le moment international que nous vivons aujourd’hui. Je pense que moi-même ici précédemment et beaucoup de mes prédécesseurs ont dû dire que les moments que nous vivions avaient quelque chose d’exceptionnel, c’est indéniable à chaque fois. Je crois néanmoins que les preuves s’accumulent pour ce qui nous concerne cette année. Et il y a quelque chose dans le moment que nous vivons qui, je crois, relève à la fois de tendances très profondes et de long terme, mais aussi de l’accélération par la multiplication des crises et tout particulièrement le retour de la guerre sur le sol européen. Qui n’est pas un événement, si je puis dire, à isoler du reste, mais arrive comme presque une conséquence logique, une catalyse de beaucoup de phénomènes qui étaient à l’oeuvre.

Je vais avec un raisonnement qui est sans doute très incomplet et très partiel, mais en essayant de mettre quelques briques, essayez de vous dire comment à vos côtés, je vois les choses sur ce sujet. D’abord, je le disais, le moment que nous vivons est un moment de tendances lourdes. Le monde dans lequel nous vivons a des forces extraordinaires, et je ne veux pas ici d’abord commencer par un discours catastrophiste. Nous vivons dans un monde, depuis quelques décennies, qui n’a jamais sorti autant de nos concitoyens de la pauvreté - le système d’organisation du commerce international a permis cela durant les dernières décennies, c’est une réalité - qui a permis une accélération de l’innovation et de sa diffusion de manière inédite. Jamais l’humanité n’avait réussi à inventer un vaccin face à une pandémie en moins d’un an et le rendre aussi vite accessible à une bonne partie de l’humanité, avec des inégalités que nous avons vu à l’oeuvre, mais aussi avec une mobilisation pour essayer de les conjurer le plus vite possible.

Nous avons aussi une interconnexion du monde inédite qui est une force - elle est au service de l’intelligence, de l’innovation, de cette diffusion - et qui donne une conscience universelle à beaucoup de pays et d’opinions publiques. Mais force est de constater, je n’égrènerai pas là tout ce qui est source d’optimisme dans le monde où nous vivons, que nous sommes plongés dans une réalité où il y a au fond une forme de paradoxe. Jamais la scène nationale n’avait été aussi liée à la scène internationale, jamais les problèmes que nous avions à régler étaient essentiellement mondiaux, et jamais l’ordre mondial n’a été si fracturé et en accélération de fracturation. Et c’est ça notre principale difficulté.

C’est la difficulté de ce contexte qui rend encore, je dirais plus dramatique la guerre lancée par la Russie en Ukraine. Je m’explique. En effet, il y a une interdépendance croissante de nos économies et de nos opinions publiques avec le reste du monde pour les raisons d’innovations que j’évoquais, et qui ont changé profondément nos sociétés, nos démocraties. Nos économies sont ouvertes et interdépendantes, nos peuples voyagent, et donc nos pays sont interdépendants à tous égards et nous sommes branchés avec le reste du monde. Nous comparons, nous savons, nous sommes informés. Donc tout cela est une grande bascule et bouscule nos pays intimement et l’ordre établi. Nous l’avons vécu directement dans la pandémie qui a mis le monde entier à l’arrêt et désorganisé d’un seul coup toutes les chaînes de valeurs, et cela durablement, par une pandémie qui s’est diffusée d’une manière extraordinairement accélérée, qui est le fruit de la mondialisation que nous avions vécu. Et qui, durablement, je le disais, a pour conséquence d’avoir fracturé les chaînes de valeurs - j’y reviendrai - mais d’avoir plongé près de 78 millions de citoyens du monde dans la pauvreté.

La crise climatique, problème global qui nous percute tous, nous l’avons vécu dans ses dérèglements ces dernières semaines dans notre pays, mais de la tragédie en cours au Pakistan, au Lac Tchad et dans beaucoup d’autres. Le dernier rapport du GIEC a montré que près de la moitié de l’humanité vit désormais dans la zone de danger, que de nombreux écosystèmes ont d’ores et déjà atteint un point de non-retour. Ce qui veut dire que le dérèglement climatique et la vulnérabilité, évidemment, de notre biodiversité, c’est un phénomène mondial qui touche l’intimité de chacune de nos sociétés, mais qui dérègle notre organisation. D’ores et déjà, puisqu’elle a commencé à être source de migrations et elle sera la principale source de migrations dans les prochaines années. Elle sera aussi la source de rééquilibres internationaux compte tenu de la magnitude de ces impacts.

De la même manière, ce qui semblait relever d’un ajustement spontané du monde et de la main invisible du marché ; pour n’en citer que deux, l’énergie et l’alimentation, redeviennent par la conséquence des crises des sujets de géopolitique profonds. De fait, ils l’étaient un peu, ils le sont maintenant résolument et de manière assumée. C’est un changement complet de notre grammaire. Mais ce qui veut dire qu’y compris pour nos pays : l’Europe est en train de le vivre dans sa chair, certains voisins plus que nous, compte tenu de la force de notre mix énergétique et de notre modèle. Mais ce qui veut dire que ce qui avait force d’évidence recrée des dépendances.

Et puis les risques de sécurité, sans doute aujourd’hui plus encore qu’hier, dont la grammaire est avant tout internationale, viennent déstabiliser plusieurs régions. Je pense en particulier à la prolifération nucléaire au moment où la 10e conférence d’examen du Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires, qui est depuis un demi-siècle un élément fondamental de notre architecture de sécurité, vient de se conclure par un échec. Je pense aussi à la menace terroriste qui reste très importante en Afrique comme au Levant, et qui se nourrit d’ailleurs, parce que tous ces grands phénomènes mondiaux ont un effet qui se renforce, qui se nourrit beaucoup de déstabilisation, des inégalités et de l’accroissement de la pauvreté ou des déstabilisations climatiques.

Devrais-je citer, et je ne suis là pas encore exhaustif, aussi, le fait démographique qui va massivement, profondément structurer la géopolitique des prochaines années. Il commence à le faire dans notre Europe, de manière implicite par les mouvements profonds et la déprise démographique qu’ont beaucoup de pays de l’Est. Mais surtout à un moment où l’humanité n’a jamais été aussi nombreuse par les profonds déséquilibres qui se sont instaurés entre les continents et qui vont s’accroître dans les prochaines années. Je le dis là, pour ne citer qu’une partie des défis qui sont les nôtres. Mais vous le voyez, tous les défis ont une dynamique qui est profondément internationale et qui scelle l’interdépendance parfois de nos vulnérabilités, de nos défis, de notre agenda national, avec notre capacité à les régler à l’international. Nous ne pouvons régler, apporter de solutions efficaces et durables à ces sujets en aucun cas simplement à l’échelle de la nation, en aucun cas. Nous ne pouvons le faire que si un ordre national est fort et si des coopérations sont établies avec des objectifs qui sont partagés. Or, et c’était le paradoxe que j’évoquais, sans doute rarement en tout cas dans l’époque contemporaine, les cadres, les structures et les normes de l’ordre international ont été si bousculées et si affaiblies.

Il faut regarder avec lucidité, même si la réalité est cruelle pour nous, et sans pour autant nous affaiblir nous-mêmes, la situation dans laquelle nous sommes. L’ordre économique, le capitalisme ouvert, libéral, qui était une force qui, je crois, le demeure, et qui avait permis de sortir tant de millions de citoyens du monde de la pauvreté, s’est déréglé. Et la confiance dans celui-ci n’est plus la même, dans notre pays et à l’international. C’est une réalité. Elle s’est déréglée au moment de la crise financière où l’impensable est arrivé. Elle s’est déréglée dans le règlement de la crise financière où ceux qui en ont le plus souffert ont été les classes moyennes, en particulier en Europe, et donc il y a une forme d’injustice de facto dans le règlement de cette crise. Et elle a contribué à fragiliser le consensus international sur ce modèle, et au fond, son extension, dans nos frontières et à l’extérieur.

La réalité de la crise climatique que j’évoquais et la crise de la biodiversité, ont montré aussi, en même temps que les inégalités dans nos sociétés, que ce modèle-là n’était plus soutenable parce qu’il ne pouvait plus laisser tant d’externalités gérées par d’autres. Le climat et l’équilibre social sont des externalités du modèle financier qui ne sont pas réintégrées dans celui-ci. Et le troisième épisode qui l’a profondément fracturé, c’est la pandémie. Là aussi, c’est un autre impensable. D’un seul coup, tout s’est refermé et nos économies ont fait l’expérience subie de l’autarcie. Alors, elles ont vu que ce n’était pas possible. Elles ont vu que ce n’était pas soutenable. Mais elles ont vu aussi que des vulnérabilités liées à un commerce international parfait où en quelque sorte plus aucun bien n’était stratégique parce qu’il était porté comme hypothèse qu’il circulerait librement de toute éternité, n’était plus vrai. Et donc la réalité, c’est que la pandémie a fracturé les chaînes de production. Elle a re-régionalisé, parfois renationalisé, certaines chaînes de production. Et je pense qu’elle a durablement démondialisé une large partie de la production mondiale. Ça, c’est une première réalité qui fracture, qu’on le veuille ou non, l’ordre économique international. Ce qui n’est pas aisé pour régler une partie du problème.

Deuxième élément, c’est que dans le même temps, le libéralisme politique qui était au coeur de ce projet, et je regarde là aussi la réalité du monde, est de plus en plus bousculé. Alors, ils avaient quelque chose de jumeau, tant il est vrai que nos démocraties ont progressé sur un consensus politique et social, primat de l’individu rationnel et libre, système politique ouvert et Etat de droit et progrès assuré aux classes moyennes. Mais nous sommes en train de vivre le début d’un moment illibéral. Et la téléologie, dans laquelle nous étions plongés depuis 1990 qui était l’extension de nos valeurs, de nos systèmes de droit et de nos systèmes politiques, n’est plus une réalité. La capacité à convaincre ou l’imposer comme un modèle qui est en quelque sorte non-contestable et qui serait l’aboutissement de l’humanité, je le dis ici, ne fonctionne plus. Modeste expérience lucide de discussions avec beaucoup de chefs d’Etat et de gouvernement de plusieurs continents. Parce qu’elle est bousculée d’abord chez nous, et ensuite parce que beaucoup nous disent : "ce modèle est-il si fort, vous semblez si malheureux. On a regardé le Capitole l’année dernière, on vous voit chez vous, les extrêmes montent partout. Vous n’arrivez pas à régler la grande pauvreté. Vous débattez sur le climat." Je ne fais pas de plaidoyer, je dis juste c’est une réalité. Nous aurons à le régler, c’est un immense défi pour nous, parce que je crois malgré tout et surtout à l’universalité des valeurs qui sont les nôtres et des combats que la France a portés quand elle a contribué à bâtir l’humanisme et surtout les valeurs des Lumières qui ont présidé à cela. Mais force est de constater que les choses sont aujourd’hui plus fracturées et que ce moment-là est une fragilité.

Troisième élément, c’est aussi l’affirmation de puissances autoritaires et de déséquilibre que nous avons du mal à contrer ou endiguer : l’Iran, j’espère que dans les prochains jours le JCPoA sera conclu, mais nous voyons la difficulté qui est la nôtre collectivement. Et la Russie, membre permanent du Conseil de sécurité, puissance dotée, qui viole délibérément la Charte des Nations unies dans une logique impérialiste assumée. C’est un changement profond. Mais le fait que par le droit et le jeu des puissances et l’équilibre des capacités de dissuasion, ces dernières années, nous n’ayons pas réussi collectivement à contenir ou endiguer ces puissances de déséquilibre, est un problème évidemment qui fragilise l’ordre international.

Et le dernier point, chacun est lié, mais il n’est pas le moindre, c’est qu’émerge de manière de plus en plus évidente et c’est le fait qui va devenir le plus en plus structurant et que malgré l’actualité, nous ne devons pas perdre de vue : la géopolitique se structure progressivement autour d’une compétition entre les Etats-Unis et la Chine. Et cette compétition, elle est problématique pour nous à plusieurs égards. D’abord parce qu’elle incite la Chine, et nous le voyons à l’oeuvre, à redéfinir les règles du jeu international en installant un narratif selon lequel ces règles, au fond, seraient centrées sur la puissance américaine et que ce qui était un consensus universel établi, est maintenant quelque chose qu’ils peuvent légitimement contester. En proposant d’ailleurs des solutions, des valeurs qui conviennent mieux à plusieurs géographies du monde. Donc, il y a en quelque sorte une compétition d’universalisme qui est à l’oeuvre. La Chine, ce faisant, cherche à bâtir à l’aune de son intérêt propre un ordre international qui soit en concurrence, en compétition avec celui dont Washington était le garant en dernier ressort, mais enfin qui était aussi le nôtre à tous ces égards. Cela fragilise la capacité de l’ordre international.

Par contre, il y a une chose dans ce contexte, qui est claire : c’est la force, je le crois, de la diplomatie française et de notre Nation. Nous n’avons jamais été ni alignés, ni vassalisés derrière quelque puissance que ce soit. Nous avons des partenaires, nous avons des alliés, nous avons une convergence de valeurs avec les Etats-Unis d’Amérique qui est forte, mais nous avons toujours gardé, et j’y reviendrai, notre indépendance. La menace de ce moment est évidemment qu’on somme chacun de choisir son camp, et que cette compétition structure, fracture profondément et fragilise les initiatives internationales. Nous avons vu cette compétition à l’oeuvre au sein même de l’Organisation mondiale de la santé, au coeur de la crise. Tout ça pour dire que - et je ne dresse là encore une fois qu’un panorama partiel - la capacité de l’ordre international à agir collectivement sur des consensus établis et partagés par tous, malgré des désaccords partiels, s’est affaibli ces dix dernières années. C’est un état de fait. Et au moment même ou pour régler les problèmes qui sont aussi les nôtres et ceux de la planète, nous avons besoin de plus de coopération, la capacité à en produire s’est affaiblie. C’est ça notre défi.

C’est dans ce contexte-là que la guerre décidée par la Russie en Ukraine et le retour de la guerre sur le sol européen, prend une nature toute particulière, et est un moment, je le crois, de profonde bascule pour nous, notre continent et l’ordre international. L’invasion de l’Ukraine par la Russie est une rupture historique parce qu’elle affecte directement notre sécurité dans le contexte que je viens d’évoquer. Elle viole et sape les principes sur lesquels nous avions bâti la paix depuis des décennies : l’intégrité territoriale des Etats, leur égalité souveraine, la Charte des Nations unies. Elle rend plus difficile encore la résolution des crises internationales par la division profonde du Conseil de sécurité des Nations unies et la déconstruction des traités et des cadres de notre architecture de sécurité. Donc elle vient appuyer ce qui était déjà à l’oeuvre.

Elle est aussi une rupture par la nature de cette guerre et les conséquences mondiales qu’elle emporte et la puissance de ses conséquences sur à la fois l’énergie, l’alimentation, l’immigration, l’information mondiale - on le voit dans nos opinions. Et d’ores et déjà cette guerre, j’y reviendrai, pour laquelle nous faisons tout pour qu’elle ne se mondialise pas, c’est une guerre hybride mondialisée. C’est la première guerre hybride qui, par les techniques utilisées par la Russie et ce dès l’utilisation du fait migratoire par le truchement de la Biélorussie, plusieurs mois avant la guerre, a décidé d’utiliser ce qu’elle avait théorisé, il y a quelques années, l’hybridité, et par le truchement de cette hybridité et des quelques leviers que je viens d’évoquer, a mondialisé le conflit. Elle fait aussi que nous sommes plongés dans une guerre de narratif, dans une guerre d’interprétation parce que la Russie veut utiliser le contexte que je viens d’évoquer, et en quelque sorte installe un relativisme contemporain où avec le travail de sape qui a été fait sur l’universalisme de nos valeurs et le consensus qui existait jusque-là sur les principes de l’ordre international, ayant été fragilisé ou bousculé chez certains, elle invoque en quelque sorte la rationalité, la logique, elle change le système de culpabilité en le mettant du côté de l’OTAN, et elle naturalise et en quelque sorte, légitime en totalité dans une logique implacable sa propre intervention.. Ce faisant, elle scelle un travail qui est à l’oeuvre d’affaiblissement, mais qui est extrêmement dangereux pour l’ordre international et pour l’intimité de nos démocraties.

Elle ajoute aussi à la somme des déséquilibres qui lui préexistaient, le danger d’une déflagration à l’impact mondial. Et au fond, de rendre ces fragmentations que j’évoquais, ces fracturations totalement irréversibles. Elle engendre aussi de nouveaux et profonds déséquilibres. Elle aggrave la fracture Nord-Sud, d’abord parce que nous devons regarder tous les pays qui se sont abstenus lorsque nous avons demandé à chacun de choisir. En quelque sorte, cela a révélé le doute sur un consensus qu’on pouvait penser beaucoup plus puissant. C’est une réalité qui doit nous conduire au travail, j’évoquerai cela dans un instant, parce que plus d’1 milliard 700 millions de personnes dans le monde sont directement affectées par la hausse des prix des aliments, de l’énergie et beaucoup plus encore dans les semaines à venir.

Donc cette guerre, au fond, risque ce faisant d’accélérer, elle est en train de le faire, les fracturations, mais aussi la summa divisio mondiale, la Russie étant en quelque sorte le déclencheur, la puissance de déséquilibre qui va accélérer cette summa divisio entre les Etats-Unis et la Chine. Car la Chine est tapie derrière, ayant structuré le camp de l’abstention, cherche à pousser ses intérêts profonds et à instaurer, au fond, un rééquilibrage, en tout cas une scission de l’ordre international qui n’est absolument pas dans notre intérêt et que nous devons prévenir. Enfin, les forces sont là, à l’oeuvre, qui doivent y conduire. Et les tensions actuelles dans le détroit de Taïwan de ces dernières semaines contribuent à ce que cette grammaire ait quelque chose d’implacable.

C’est bien à cette réalité, dans le contexte que je viens d’évoquer, que nous devons faire face : une guerre d’annexion à nos portes menée par une puissance dotée, membre permanent du Conseil de sécurité, adossée à une guerre hybride, déployée à l’échelle mondiale et une déconstruction historique des cadres qui permettaient de réguler la mondialisation et les relations entre nations. C’est ça la guerre en Ukraine. Et donc, je le dis ici avec beaucoup de force parce que c’est un changement profond pour notre pays et notre diplomatie, le temps où nous pouvions espérer tirer les dividendes de la paix est révolu et je pense pour longtemps, parce qu’il va nous falloir la défendre et la rebâtir. Le temps où nous pensions pouvoir jouir de nos libertés sans en payer le prix est dépassé. Il nous faut chérir notre liberté, nos valeurs, mais il va nous falloir les défendre, nous battre pour elles et accepter toutes les conséquences que cela implique quand d’autres se battent en notre nom. C’est ce qui se passe exactement aujourd’hui en Ukraine. Et le temps où l’ordre international défini après la Seconde guerre mondiale, consolidé à l’issue de la Guerre froide, était au coeur des relations entre les nations et est battu en brèche, il nous faut le reconstruire.

Voilà le constat, et à mes yeux, le coeur de ce moment que nous vivons. Vous le voyez bien, tout ça ne doit pas inciter ni au pessimisme ni à la fatalité. C’est un immense défi, immense. Et donc, pour ce faire, il nous faut vraiment une diplomatie de combats au pluriel et essayer de définir très clairement quelques principes et quelques objectifs pour éviter en quelque sorte que le mouvement gravitaire que j’ai décrit ne se poursuive et qu’au fond, la guerre d’une part ne s’étende, mais d’autre part, n’accélère les phénomènes à l’oeuvre et le désordre international que j’évoquais. C’est ça le défi d’aujourd’hui qui est celui de la France et de sa diplomatie.

Alors, pour ce faire, de manière très prosaïque, mais dans ces moments complexes je trouve qu’il est toujours bon de rappeler des choses simples, je voudrais ici juste donner quelques invariants à mes yeux et moyens de bâtir cette diplomatie et nous donner trois grands objectifs. Ils ne seront pas exhaustifs, mais je pense qu’ils nous donnent un cap utile. Les invariants et les moyens, je veux qu’on garde en tête, c’est d’abord le respect de la souveraineté de chaque Etat et de son intégrité territoriale. Je pense que c’est très important. D’abord parce que c’est le meilleur argument que nous avons aujourd’hui face à la Russie. Parfois, nous avons pu, l’Occident a pu introduire le doute sur ces sujets au nom même de nos valeurs. Parfois, avons-nous nous-mêmes, par nos actions, documenté le procès que d’autres nous faisaient à cet égard. Je veux ici que ce soit clair : c’est pour moi un invariant. On ne bouge pas le destin des peuples en se substituant à eux. On peut construire des coalitions pour qu’ils soient contraints de changer leurs dirigeants, on peut faire pression, on peut construire des actions utiles. On pourra légitimement, à travers le temps, interroger les mécanismes pour le faire utilement. Je crois aux coalitions régionales, aux pressions multiples d’acteurs. Nous devrons d’ailleurs réévaluer collectivement tout notre dispositif de sanctions à l’aune de ce que nous sommes en train de faire et des résultats que nous aurons dans les prochains mois et les prochaines années. Mais je veux ici le poser : la souveraineté des peuples et l’intégrité territoriale des Etats, c’est un invariant.

La deuxième chose, dans ce monde complexe, c’est qu’il faut assumer à chaque instant de pouvoir et de toujours continuer à parler à tout le monde. Si la diplomatie était l’art de parler avec les gens avec lesquels nous sommes d’accord, je ne vous proposerais pas l’ambition pour le réseau que j’exposais tout à l’heure, parce que nous aurions besoin de beaucoup de moins de postes et de beaucoup moins de moyens. Mais il faut totalement l’assumer et il ne faut céder à aucune forme de fausse morale qui nous impuissanterait. Qui a envie que la Turquie soit la seule puissance du monde qui continue à parler, et à être membre de l’OTAN dois-je le rappeler, à la Russie ? Et demain, à ce que les mêmes d’ailleurs qui oublient de le dénoncer puissent dire "C’est formidable, regardez comme la Turquie est forte, la France n’est même pas capable de construire la paix." La belle affaire, vous la sommez chaque jour de ne plus parler ! Oui, le métier de diplomate, c’est bien de parler à tout le monde, y compris aux gens et surtout aux gens avec lesquels nous ne sommes pas d’accord. Et donc nous continuerons de le faire, mais avec là aussi une grammaire simple. Nous avons des coalitions, nous avons des alliés, nous défendons la cohérence avec nos alliés. C’est pour ça que, étant allié de l’OTAN, nous avons décidé, avec les autres membres, de sanctions. Et nous ne faisons pas partie de certains membres de l’OTAN qui n’ont pas mis les sanctions mais vont faire du commerce avec la même Russie. Je le dis ici en fermant la parenthèse, mais comme ça se fait dans un silence assourdissant, c’est bon de le rappeler. Nous, nous avons des alliances, des coalitions d’actions. Nous sommes cohérents, mais nous devons défendre une liberté d’action, de dialogue, pour avoir une action utile.

Et puis, le troisième élément, c’est que je crois que nous allons devoir de plus en plus - et je pense que c’est une force de notre réseau, c’est dans ses gènes - bâtir des partenariats équilibrés, d’égaux à égaux. Les grandes structures avec une puissance faîtière qui essaie de vassaliser les autres, ça ne marche plus. Ça marchera de moins en moins. Mais l’idée de bâtir des partenariats qui soient régionaux, j’y reviendrai, ou qui soient bilatéraux où, avec beaucoup de respect on redéfinit des équilibres, avec une grammaire qui est d’ailleurs différente. Le sport, la culture, j’y reviendrai tout à l’heure, des éléments de gastronomie, ce qu’on appelle l’influence ou le soft power en bon français, je crois, sont des éléments clés d’une capacité à agir utilement et à compléter encore plus notre axe.

C’est à la fois les invariants et les principes de méthode. Je voulais les rappeler ici pour que les choses soient claires pour chacun et pour qu’on puisse ici avancer. Ensuite, je voudrais nous assigner trois objectifs simples, qui d’ailleurs s’inscrivent dans la cohérence de notre action, parce que je pense que ce que nous avons fait, ces dernières années, n’était pas orthogonal, bien au contraire, avec ce que nous sommes en train de voir se jouer devant nous.

Je pense que le premier objectif de notre diplomatie, ça doit être de défendre la force, l’influence et l’indépendance de la France. Le premier, et parfois quand il n’y en a qu’un à suivre, c’est celui-là. C’est cohérent et ça scelle cette intimité entre l’objectif national et international. D’abord parce qu’il n’y a pas de diplomatie forte s’il n’y a pas une économie forte. Ça n’est pas vrai. Les gens vous regardent, ils regardent vos armées, je l’évoquais tout à l’heure. Ça, on l’a. Ils regardent votre économie. Nous avons mis fin à une longue période de désindustrialisation. Je suis fier que nous soyons les premiers en création de startups, en développement. Nous sommes en train de réindustrialiser. Mais enfin, on est loin du compte. La diplomatie doit servir cet agenda, pour aujourd’hui et pour demain. Parce que plus le pays sera fort économiquement, plus nous aurons une capacité à rayonner, installer, développer notre force. Et donc, à cet égard, je veux vraiment saluer le travail qui a été fait ces dernières années par l’ensemble des opérateurs, par tout le réseau, parce que moi, j’aime la cohérence aussi sur le terrain. On a des opérateurs mais sur le terrain, c’est l’ambassadrice ou l’ambassadeur qui doit piloter les différents ambassadeurs. Il y a une France, partout dans le monde, il y a une France. Puis, elle utilise des leviers, le réseau diplomatique, ses conseillers et conseillères culturelles et les instruments qu’on lui donne, que ce soit l’AFD, Business France, etc. C’est très important. Je ferme cette parenthèse. Mais il y a un très gros travail qui a été fait. Je vous en remercie.

Je veux qu’on continue l’accélération du travail pour notre attractivité. Et donc nous allons évidemment pérenniser les fameux Choose France. Nous allons continuer d’ailleurs d’y porter à la fois notre force économique, mais également notre force culturelle, sportive et gastronomique parce que je crois à la synergie de ces agendas, elle est très puissante. La force, il ne faut pas mettre les choses en silo, les grandes entreprises sont comme les citoyens, ils cherchent une expérience. La France, ce sont des valeurs, c’est un rapport justement à la beauté qui nourrit son attractivité. Tout ça a beaucoup de synergies, et nous avons su parfaitement le développer. Et je vous dis, ça marche beaucoup mieux de faire Choose France à Versailles, de pouvoir parler culture, de faire rencontrer toutes celles et ceux qui portent nos grands projets culturels en même temps, d’expliquer nos réformes, c’est d’ailleurs un avantage comparatif de la France par rapport à beaucoup d’autres. Et je vous l’écris, d’ici à 10 ans, ça marchera mieux que des stations isolées du reste du monde de réunir les gens à proximité de Paris dans de très beaux lieux. Donc, nous allons continuer, mais cet agenda d’attractivité est clé à mes yeux, clé. Et donc, vraiment, je salue le travail de toutes celles et ceux qui l’ont porté. Mais je vous demande qu’on continue à aller encore plus fort. De la même manière, tout ce que je veux qu’on poursuive sur la diplomatie gastronomique, le développement de notre tourisme est absolument clé. Et donc, là aussi, le rôle de Business France, d’Atout France, des initiatives pour la gastronomie, des prix que nous avons su créer, de ce qui a été conduit, est absolument nécessaire, ça n’est pas une mission accessoire parce que là aussi, elle a énormément de synergies avec le reste.

Je veux ensuite que nous puissions évidemment continuer de développer notre stratégie de commerce extérieur au service de cet agenda économique. Je voudrais juste donner deux actions toniques, en complément de tout ce qui est fait. Moi, je suis frappé de voir - vous me direz, les délégations du Président de la République sont mes meilleurs exemples de ce que je vais ici non pas dénoncer, mais on a collectivement beaucoup d’habitudes - souvent les mêmes groupes dans mes délégations et parfois dans quelques voyages, je m’aperçois qu’ils ne sont pas forcément ceux qui ont le plus besoin de moi pour s’installer dans les pays. Puis, après, je regarde même quelquefois, est-ce que ça crée beaucoup d’emplois en France ? Ce n’est pas toujours ceux qui ont créé le plus d’emplois en France. Donc je pense qu’il faut qu’on arrive à resynchroniser ces agendas pour que ce soit compris et soutenu par nos compatriotes. Il faut qu’on accompagne beaucoup plus - encore qu’on a commencé à le faire ces dernières années - les petites et moyennes entreprises et les entreprises de taille intermédiaire à l’international. Si on est différenciant, c’est là. Et ce qu’on a réussi à faire en mettant en synergie la Banque publique d’investissement, Business France : le réseau est clé. Mais on change la vie d’une petite et moyenne entreprise, d’un territoire français si on amène dans un déplacement ministériel, ou si une ambassade prend une initiative beaucoup plus que pour un grand groupe, on le sait bien. Et donc là, ce travail a été largement commencé ces dernières années. Mais il faut qu’on l’accélère absolument pour pouvoir démultiplier cette stratégie d’accompagnement qui est une démonstration, je dirais, la plus parfaite et automatique de la force de notre réseau, de sa puissance pour les acteurs économiques du territoire français. Ils sont après, si je puis utiliser cette formule, vos meilleurs ambassadeurs.

Ensuite, je souhaite qu’on puisse mettre en cohérence notre stratégie de commerce extérieur avec France 2030. Nous sommes en train d’investir massivement sur plusieurs segments d’innovation, mais aussi de transformation de notre tissu créatif, agricole, industriel. Il est absolument clé que le réseau accompagne les priorités de France 2030 parce que c’est comme ça qu’on arrivera tout de suite à avoir des acteurs qui ont la bonne maille d’action et qui trouveront les bons partenaires. C’est ce qui nous permettra aussi de mieux servir certaines PME agricoles, par exemple, qui sont au coeur de ces projets, nos industries culturelles et créatives qui sont un élément clé à mes yeux de ce que nous pouvons faire à cet égard.

Et puis, dernier point sur la contribution à rendre la France plus forte et participer à justement son influence et son rayonnement. C’est au-delà de ce que j’ai pu dire, d’assumer totalement une stratégie d’influence et de rayonnement de la France. Le mot de rayonnement, certaines et certains le trouvent passé. J’aime, moi, le mot d’influence, il faut l’assumer. L’influence consiste simplement à expliquer ce que nous sommes et pouvoir le porter en respectant d’ailleurs les uns et les autres et en assumant qu’il n’y a pas forcément, si je puis dire, de rapport déséquilibré. Mais c’est expliquer ce que nous sommes. C’est au coeur de notre stratégie, et ça permet de rendre la France plus forte, plus compréhensible dans le reste du monde, et donc plus en effet influente à la fin. Et donc, au-delà de ce que j’ai pu dire sur notre stratégie d’attractivité, notre stratégie de commerce extérieur, je veux qu’on continue le travail qui a été commencé et qu’on le renforce sur l’école et l’éducation. La réforme que nous avons conduite de l’AEFE, à qui je veux rendre ici hommage, était absolument clé et a permis de démultiplier en changeant les cadres. Alors, ça a créé parfois des contrariétés parce qu’on a assumé ce qui était parfois une réalité sur le terrain, mais on a permis d’en faire un vrai tissu permettant de scolariser nos enfants partout à l’étranger. Et on sait d’ailleurs les géographies où nous devons aider à faire mieux, mais aussi très souvent, de scolariser des enfants d’autres pays du monde entier qui souhaitent avoir accès à la langue française et à la qualité de notre enseignement. C’est une immense force. Et donc, nous allons continuer d’investir, d’accompagner et de démultiplier aussi les coopérations, de la même manière que je veux que nous puissions renforcer encore nos coopérations universitaires avec les acteurs dans les pays clés pour nous sur ce volet.

L’autre point, c’est la culture, je l’ai évoquée rapidement. Le réseau a un rôle clé aux côtés de l’Institut français qui est à cet égard là aussi l’entité faîtière, et dont je remercie la mobilisation et celle de tous les agents pour nous permettre de bâtir des projets culturels partout dans le monde. Vous le faites chaque jour, mais je souhaite qu’on lui donne une nouvelle impulsion. On a réussi à le faire ces dernières années, on en voit la force dans beaucoup de pays où je me suis rendu récemment, en particulier en Afrique. Mais ces projets culturels, je veux qu’on les bâtisse sur cette philosophie du partenariat d’égal à égal et en s’appuyant aussi sur les risques que nous avons pris collectivement. Le changement de philosophie profond que la France a porté sur la restitution des oeuvres d’art est un levier extraordinaire de partenariat culturel et de création. Le Bénin en est le meilleur exemple. La restitution des 26 oeuvres du trésor d’Abomey a permis, pas simplement ce qui est à mes yeux une oeuvre de justice et de cohérence scientifique et culturelle, mais d’irriguer la créativité contemporaine et de la faire ensuite circuler en France et de la donner à voir. Et c’est ça qu’il nous faut déployer partout, parce que ça change profondément le regard que beaucoup de pays ont de la France, que leurs opinions publiques ou leur jeunesse ont de la France. A cet égard, nous devons aussi démultiplier nos coopérations sur l’industrie culturelle et créative, sur le patrimoine et réussir là aussi à utiliser des formes partenariales que nous réinvestissons. C’est ce qui a été fait il y a maintenant plusieurs années et sous l’autorité de François Hollande avec ALIPH qui est, je pense, une formidable capacité pour la France à rayonner sur le patrimonial dans les zones de crise ou de guerre et à avoir cette puissance justement scientifique et culturelle. C’est ce que nous sommes en train de faire sur la francophonie où nous avons assumé en quelque sorte que l’épicentre et les acteurs aujourd’hui clés étaient sans doute les pays d’Afrique - et comme je l’ai dit plusieurs fois, l’épicentre est dans le bassin du fleuve Congo - mais en assumant là aussi un rôle pour la France, accompagnant les projets de traduction, les projets de reconnaissance des écrivains, de défense des écrivains, un jeu par les opinions publiques et la création, aussi le déploiement de nos valeurs et de notre agenda diplomatique, mais par d’autres voies. Et également avec des initiatives fortes comme Villers-Cotterêts que nous ouvrirons au printemps 2023, où nous aurons au coeur de la France un projet qui donnera à voir, pas simplement un musée, mais aussi un lieu de recherche, d’éducation, de création de la langue française. Et pas simplement en France, mais à travers le monde. Et donc vous le voyez, cet ensemble d’initiatives - et là aussi je suis partiel - est clé pour cette stratégie d’influence de la France et place la culture au coeur de cet agenda.

Notre sport doit aussi être au coeur de cet agenda d’influence parce que la possibilité que nous nous sommes offerte d’organiser les Jeux Olympiques et Paralympiques en France en 2024, est un moment de mobilisation de tout notre réseau inédit. D’abord parce que nous aurons un événement diplomatique et protocolaire unique organisé à Paris, en Seine-Saint-Denis, à Marseille, en Polynésie française et dans tous les territoires qui sont mobilisés autour de cet événement. Mais surtout, nous avons des jalons à mettre en place et à avoir une stratégie sport-éducation qui est à mettre au coeur de notre diplomatie, parce que c’est aussi un des truchements de notre influence et de notre capacité à parler différemment aux opinions publiques et à certains pays. Avec le continent africain, avec le continent asiatique, avec le continent latino-américain, la stratégie sportive et éducative est un levier de création de projets communs, comme le ministère a su le faire, entre autres avec l’AFD, mais c’est un changement complet des perspectives, ce sont d’autres acteurs. C’est la capacité que nous avons par le sport aussi à valoriser nos diasporas et c’est un changement complet également de la perception de la France. Donc la puissance créatrice qu’il y a derrière ces initiatives fait que, c’est pour ça que j’y insiste tant, ce ne sont pas du tout des sujets anecdotiques.

Vous le voyez bien, cette stratégie d’influence au service d’une France plus forte, qui passe par la gastronomie, par l’école, la culture, le sport, est absolument coeur dans les missions de notre réseau. Coeur, parce qu’elle permet de changer les perspectives. Elle nous donne plus de force. Elle permet d’avoir beaucoup plus de leviers sur les sociétés civiles. De créer d’autres connexions de société civile à société civile pour un pays comme la France, qui a des diasporas si fortes et qui est un levier aussi de reconnaissance de la force de nos diasporas pour elles-mêmes et par elles-mêmes.

Parlant d’influence, je veux ici aborder également un levier plus défensif, et c’est une mission nouvelle des dernières années qui doit être au coeur des missions du réseau. Le monde a changé, je l’ai évoqué, et notre pays est souvent attaqué. Il est attaqué dans les opinions publiques par les réseaux sociaux et des manipulations. Le continent africain en est le meilleur laboratoire. Alors, par tout ce que je viens de dire, je veux qu’on sape en quelque sorte les sous-jacents. C’est parce qu’on aura une vraie politique partenariale qui passe par la culture, le sport et qui valorise nos diasporas, qu’on enlèvera, si je puis dire, les sous-jacents du narratif russe, chinois ou turc, qui viendraient leur expliquer que la France est un pays qui fait de la néo-colonisation et qui installe son armée sur leur sol. C’est ça qui se passe. Il faut donc casser, en quelque sorte, les éléments qu’on leur laisserait employer.

Mais on doit être beaucoup plus agressifs, mobilisés sur ce sujet. C’est pourquoi nous avons créé ces dernières années un poste d’ambassadeur dédié spécifiquement à cette question, qui est absolument fondamentale et qui, à mes yeux, est, comme je viens de l’évoquer, clé. Celle-ci, permet justement de travailler sur la diplomatie publique en Afrique, d’installer notre narratif et de donner nos arguments. Je pense que collectivement, nous devons être beaucoup plus réactifs, beaucoup plus mobilisés sur les réseaux sociaux, travailler avec des alliés, des partenaires de la France dans les opinions publiques. Pas simplement pour contrecarrer évidemment ces fausses informations, mais pour pouvoir les stopper de manière très claire, au plus vite et porter la valorisation de nos propres actions.

A cet égard, nous devons beaucoup mieux utiliser le réseau France Médias Monde, qui est absolument clé et qui doit être une force pour nous. Je pense que nous avons collectivement à repenser notre grammaire commune. Parce qu’il y a parfois un décalage conceptuel entre l’idée que nous nous faisons dans nos frontières de l’indépendance, ce qui est tout à fait légitime de la part des journalistes et des rédactions et la réalité à laquelle ces mêmes rédactions sont confrontées sur le terrain quand il y a des propagandes anti-françaises réelles. Nous avons besoin d’avoir des instruments de communication qui disent quand la France est attaquée à tort, qui disent ce que fait la France et qui relaient notre action : l’action de nos écrivains, de nos artistes, de nos sportifs et de nos diplomates. Aujourd’hui, on subit trop, ou on ne fait pas assez. C’est donc un changement de conception profond, d’organisation et d’outils. On a commencé à le mettre en oeuvre et c’est très cohérent avec ce que nous faisons sur le sol national aussi parce que nous avons à en subir les conséquences et parce que cette propagande maintenant est aussi très active chez nous.

Mais je compte vraiment sur vous toutes et tous et sur le réseau pour vous mobiliser dans cette stratégie d’influence, et, vous le voyez bien aussi, de contre-influencer pour combattre les narratifs mensongers, les informations fausses et défendre la réalité de notre action. Il ne s’agit pas de faire de la propagande, il s’agit, pour les uns de défendre de l’information libre dans un cadre construit - j’y reviendrai pour l’action plus large - et pour les autres, de défendre partout des raisons encore plus fortes et on va vous en donner les moyens d’action commune. C’est à mes yeux, vous l’avez compris un point clé.

Défendre et permettre à la France d’être plus forte et plus influente passe par cette mobilisation et tous ces éléments que j’attends de la part du réseau. Cela passe aussi par une mobilisation de notre diplomatie à l’échelle européenne pour justement renforcer cette indépendance. On est dans un moment clé qui va structurer notre action, en particulier européenne, sur ce volet. On a commencé de le faire, on en a posé les soubassements, mais il va falloir aller beaucoup plus loin. Dès le sommet de Versailles, il y a quelques mois, sous présidence française, nous avons acté la généralisation de l’agenda que la France avait porté dès 2017 sur ce volet. Les mois et les années seront clés pour bâtir notre souveraineté énergétique et technologique. C’est absolument clé. Nous en avons les moyens mais là aussi c’est un changement profond et l’Europe est le bon truchement.

Il ne faut pas choisir entre la souveraineté énergétique et le climat. Il faut faire les deux en même temps et c’est au niveau européen qu’on peut faire les deux en même temps. C’est pourquoi, nous aurons à défendre un agenda très volontariste en la matière pour mettre fin à notre dépendance énergétique vis-à-vis de la Russie, accélérer la mise en oeuvre de nos ambitions climatiques, réduire évidemment nos recours aux fossiles, diversifier nos approvisionnements et accélérer notre stratégie de transition.

Ce qui passe par quoi ? Avoir une vraie Europe de l’énergie puis avoir une vraie Europe des réseaux électriques, qui est un des chantiers sur lesquels nous nous retrouvons avec l’Allemagne. Mais je le dis aussi avec beaucoup de force, la France devra défendre un agenda où il ne s’agit pas d’aller recréer d’autres dépendances. Quand j’entends qu’on pourrait substituer au gaz l’hydrogène, c’est vrai, si on produit l’hydrogène. Mais si on substitue au gaz l’hydrogène - qui certes est un moyen plus propre - qui est produit ailleurs, la belle affaire ! On va recréer les dépendances géopolitiques dont nous voyons aujourd’hui tout le prix. Parce que nous avons à la fois le renouvelable et le nucléaire et que nous avons une stratégie dans le temps qui le portera - mais ça doit être une ambition européenne - nous avons la possibilité de produire de l’énergie décarbonée. Et donc, nous aurons à être vigilants en Europe pour qu’il n’y ait pas, à l’aune de la crise que nous vivons, de nouvelles dépendances énergétiques qui n’apparaissent. Et ça, pour moi, c’est au coeur des missions de la France.

Nous aurons également sur les matières premières critiques, les semi-conducteurs, la santé, les produits alimentaires, le numérique évidemment, un agenda d’autonomie européenne renforcé à bâtir. Ce que nous sommes déjà en train de faire, mais qui sera clé pour les prochains mois. De la même manière, c’est au niveau européen que nous aurons, pour bâtir cette indépendance de la France, à parachever le travail sur les sujets de sécurité et de migration et sur les sujets de défense. Nous avons commencé sous présidence française avec la réforme de Schengen et le pacte sur l’asile et l’immigration, pour mieux protéger ensemble et dans la solidarité face aux crises migratoires. Il nous reste beaucoup à faire pour mieux prévenir les arrivées et mieux organiser la coopération pour les retours vers les pays d’origine et surtout pour homogénéiser et rapprocher, on le sait, nos systèmes d’accueil et d’asile.

En matière de défense, nous aurons à renforcer nos capacités européennes de défense en augmentant les dépenses communes, en encourageant les projets communs. Mais je veux le dire très clairement, la France aura une stratégie à trois étages. D’abord le national. C’est pourquoi j’ai demandé au ministre et au chef d’état-major des armées de construire un exercice stratégique qui sera parachevé pour la fin du mois de septembre. Celui-ci donnera lieu ensuite à un exercice de reprogrammation d’une loi de programmation militaire qui, en fin d’année ou au début de l’année prochaine, sera parachevée et qui donnera lieu ensuite à un texte de loi qui pourra, début 2023, arriver au Parlement. Avec, là aussi, la prise en compte des nouvelles réalités, des nouveaux besoins.

Le deuxième étage sera évidemment l’étage européen, avec la consolidation de la coopération nouvelle, avec une cohérence plus forte que nous devons avoir. Si chaque Etat européen dépense davantage, ce n’est pas pour acheter non-européen. Là aussi, il faut sortir progressivement d’une logique de dépendance qui est clé pour avoir notre capacité d’action stratégique et ne pas subir les normes qui sont imposées hors de l’Europe. Absurde serait le continent qui déciderait de massivement, dans un contexte économique comme le nôtre, investir pour acheter ailleurs et ne pas avoir la liberté d’action. Donc, nous allons devoir continuer à porter le fer, parce que ce n’est pas automatique chez tous nos partenaires, mais je crois que c’est cohérent.

Puis le troisième étage est celui de l’OTAN. Je crois que nous avons collectivement démontré que l’Europe de la défense n’était pas en concurrence ou un substitut à l’OTAN, mais qu’elle en était un des piliers. Là aussi, il se trouve que dans l’Alliance nous ne voulons pas être simplement des partenaires vassalisés, qui ne dépendons que d’une puissance qui a la capacité. Avoir une Europe plus forte, c’est aussi acter que l’Europe a besoin parfois de pouvoir choisir pour elle-même la sécurité sur son sol ou dans son voisinage. Je me félicite aujourd’hui que nous ayons un président comme le Président Biden, qui partage nos valeurs et qui a remis les Etats-Unis d’Amérique sur le fil d’un progressisme et d’une coopération avec nous tous. Nous avons payé le prix de l’incertitude. Peut-on toutefois suspendre notre sécurité collective au choix de l’électeur américain ? À titre personnel pour avoir vécu les conséquences, non. C’est pourtant formidable d’avoir un allié fort, mobilisé, qui pense sur beaucoup de choses avec nous et qui est prêt à agir. C’est encore mieux de pouvoir le mobiliser à nos côtés, mais de ne pas en dépendre. C’est cette grammaire que nous sommes en train d’installer au sein de l’OTAN. Je pense qu’elle est indispensable. Je me félicite à cet égard que ces derniers mois, nous ayons consolidé l’Europe de la défense avec le choix fait par le Danemark de rejoindre nos politiques communes en la matière et consolider l’OTAN avec le choix fait par la Suède et la Finlande, choix souverain, de rejoindre l’Alliance.

Vous le voyez, à travers ça, c’est bien notre indépendance que nous renforçons et que nous consolidons. C’est cette même volonté d’indépendance que je veux aussi au niveau géopolitique. En effet, l’Europe est de plus en plus autonome et se pense de plus en plus en termes géopolitiques. Toutefois, l’Europe ne se limite pas à l’Union européenne. Vous m’avez souvent entendu le dire : si nous ne pensons pas à l’Europe hors de l’Union européenne nous nous condamnons à ce que l’Union européenne épouse à termes l’Europe. Nous aurons à choisir entre l’intimité de nos politiques, la proximité des Etats et la cohérence géopolitique de ce qu’est l’Europe. C’est fort de cette tension et de cette réalité qu’il y a quelques mois, j’ai proposé ce projet de Communauté politique européenne, s’inspirant d’ailleurs de projets français de confédération qui avaient été portés juste après la chute du mur de Berlin. Je parle sous le contrôle de celles et ceux qui y ont participé. Ceux-ci n’avaient sans doute pas été suivis parce qu’ils étaient trop apparus comme un substitut à l’élargissement pour certains, dont ils considéraient que c’était un dû - je pense à beaucoup de pays qui étaient de l’autre côté du mur européen - et parce que la Russie en était membre dès le début. Vous avez donc raison de rappeler qu’elle l’était parce qu’elle avait un dirigeant qui l’honorait et qui avait pris des risques politiques éminents. Ce qui me permet à ce stade du discours d’avoir un mot et de pouvoir rendre hommage à Mikhaïl Gorbatchev, pour l’action historique qu’il a conduite dans cette période.

Néanmoins, fort de cette expérience et de la réalité dans laquelle nous vivons, la Communauté politique européenne doit nous permettre d’abord de nous réunir tous les six mois entre membres de l’Union européenne, mais aussi Britanniques, Norvégiens, Suisses, Etats des Balkans occidentaux, Ukrainiens, etc. La question de la Turquie est posée par beaucoup d’autres membres, elle sera débattue et la France n’a pas de veto à mettre, en tout cas au profit d’une formation large et la plus inclusive possible, mais où les institutions de l’Union européenne ne sont pas au coeur du projet, ni ce qui la structure. Sinon nous reviendrons dans toutes les formes qu’on connaît déjà de partenariat où les Etats qui ne sont pas membres de l’Union européenne ne viennent là que pour avoir des crédits ou rejoindre à un moment le club. Non. Il nous faut bâtir avec tous ces Etats, de manière très intergouvernementale de l’intimité stratégique sur les questions clés. Il faut pouvoir bâtir avec eux autour des changements climatiques, de l’approvisionnement énergétique, la politique étrangère et de sécurité, les matières premières, la sécurité alimentaire et ce, tous les six mois au moins. Je peux vous l’écrire, ce sera un changement radical, parce que c’est ce qui nous permettra d’abord de stopper l’influence croissante que dans, pour ne prendre qu’un exemple, la région des Balkans occidentaux, la Russie ou la Turquie peuvent avoir parce qu’il n’y a pas assez de contacts à haut niveau politique. Cela me permettra aussi de stopper une espèce de musique de non-reconnaissance de beaucoup de ces Etats et gouvernements. Ça nous permettra de stopper cette logique d’expansion infinie de l’Union européenne qui, compte tenu de tout ce que j’ai dit, a plutôt besoin d’être plus forte, plus souveraine et plus autonome, et donc, doit déjà régler ses problèmes. Mais on a besoin de cet espace géopolitique.

Je me félicite que dans son discours de Prague, le Chancelier Scholz ait adhéré à cette idée. Au-delà de saluer son discours, je me félicite que, en octobre à Prague, le Premier ministre tchèque organisera la première réunion de cette Communauté politique européenne qui nous permettra ainsi de bâtir, j’en suis sûr, de nouvelles alliances, de penser d’autres formes de coopération politique, à l’échelle du continent et de bâtir cette Europe qui est faite à la fois de diversité et de volontés communes. Nous pourrons ainsi parler de projets stratégiques, de projets culturels et de beaucoup de choses.

Il nous faut aussi affirmer notre indépendance à l’échelle européenne dans cette confrontation sino-américaine - je terminerai par là le chapitre de l’indépendance - avec la même exigence que celle que j’évoquais tout à l’heure. L’indépendance, ce n’est pas l’équidistance. J’ai lu ce qui avait pu être dit quand je parlais de la France puissance d’équilibres. Nous sommes indépendants, c’est-à-dire que nous avons des Etats-Unis d’Amérique qui sont nos alliés, qui est une grande démocratie avec laquelle nous partageons des valeurs et des intérêts communs, mais nous ne voulons pas en dépendre, ce que j’ai dit. Nous avons la Chine, qui est un rival systémique, avec laquelle nous ne partageons pas nos valeurs démocratiques, mais avec laquelle il nous faut continuer d’agir pour trouver des réponses aux défis communs - le climat, la biodiversité - et avec laquelle nous voulons continuer de parler pour essayer de contribuer à régler des crises régionales et des éléments de déstabilisation. La France et l’Europe doivent donc bâtir cette indépendance aussi géopolitique, par rapport au duopole qui est en train de se constituer. Nous n’avons pas à être sommés de choisir sur la manière de guider notre politique. Nous devons partout pouvoir garder cette liberté d’action qui va avec la fidélité aux alliances et aux coalitions.

C’est aussi pour ça, pour ne prendre qu’un exemple qu’est le théâtre de l’Indopacifique, que nous avons établi une stratégie. D’abord, une stratégie française au printemps 2018, qui s’est ensuite européanisée. La déconvenue, je dois bien le dire, de l’annonce AUKUS, certains ont voulu y voir un affaiblissement de la France. J’y ai vu une trahison, essentiellement de deux dirigeants qui n’auront d’ailleurs pas à décider pour leur pays dans les mois et les années à venir et avec l’arrivée de nouveaux dirigeants qui sont prêts à reconsidérer cette stratégie. Mais nous sommes cohérents : nous ne sommes pas prêts à avoir une stratégie de confrontation avec la Chine dans l’espace Indopacifique. Nous avons dans l’espace Indopacifique une stratégie qui est de préserver la liberté de la souveraineté, la protection de notre espace, oserais-je le dire aussi la protection de notre espace maritime - il se trouve en grande partie dans cette région - et de nos ressortissants, de nos partenaires. Nous défendons donc la liberté de la souveraineté. Nous voulons endiguer les volontés d’hégémonie dans cette région et y contribuer, en particulier avec l’Inde et avec l’Australie. Nous avons une stratégie militaire, diplomatique, climatique. Mais nous ne sommes pas dans une logique confrontationnelle et nous ne considérons pas que des alliances qui ont été structurées pour certaines oppositions doivent s’étendre sur l’espace Indopacifique. Voilà de manière très claire ce que ça veut dire l’indépendance géopolitique française dans ce contexte.

Ça, c’est pour le premier grand objectif, celui de l’indépendance et donc d’oeuvrer à une France plus forte, plus influente, plus indépendante.

Le deuxième objectif que je voulais assigner à notre diplomatie, c’est évidemment d’agir pour la paix et la stabilité, d’être cette puissance d’équilibres au pluriel que j’évoquais il y a quelques années. Pas parce que nous aurions vocation à nous substituer au Secrétariat général des Nations unies, mais parce qu’il y a certains endroits où agir pour la paix et la stabilité est notre intérêt. Parce qu’on n’a pas intérêt à ce que ça s’étende, parce que ça nuit à nos compatriotes, parce que ça menace certaines de nos alliances, et parce que nous avons des partenaires, des amis qui sont bousculés par ces déséquilibres.

Premier théâtre d’expression de cet objectif, évidemment, la guerre en Ukraine menée par la Russie. Je vais donner très clairement les objectifs de notre diplomatie.

Premier objectif, c’est d’aider l’Ukraine dans ce conflit qu’elle a subi. D’aider l’Ukraine sur le plan économique, sur le plan humanitaire, en livrant les armes qui lui permettent de faire face à l’agression et défendre son territoire, et travailler dès maintenant à la reconstruction. L’objectif est simple dans une grammaire que j’ai fixé dès le début : nous ne participons pas à la guerre. Nous n’avons pas envie de participer à la guerre. Nous ne pouvons pas laisser la Russie gagner militairement cette guerre et conquérir des territoires, et en même temps montrer la défaite de nos valeurs et de l’ordre international sur la base d’une agression.

Nous voulons construire les conditions qui permettront, à un moment que choisira l’Ukraine, soit une victoire militaire, soit une paix négociée dans des termes qui ne seront pas simplement ceux auxquels elle serait livrée si nous l’abandonnions à son sort. C’est ça notre objectif premier : aider l’Ukraine, avec cet objectif, ce volontarisme. Je dois dire que l’aide que les Etats-Unis d’Amérique, que les pays européens et quelques autres ont d’ores et déjà apportée à l’Ukraine, grâce avant tout à la bravoure de ce peuple et la force de son armée, fait que la situation est très différente de ce que beaucoup anticipaient parmi les meilleurs experts il y a quelques mois, et surtout - je crois pouvoir le dire - ce que la Russie anticipait.

Le deuxième objectif que nous devons avoir, c’est de maintenir l’unité européenne. On ne doit pas laisser l’Europe se diviser face à cette guerre. Défi de chaque jour parce que nous n’avons pas les mêmes expériences de la Russie, parce que nous n’avons pas les mêmes histoires avec la Russie dans notre Europe. Assurant la présidence du Conseil de l’Union pendant six mois, j’y ai veillé, mais ce sera un défi de chaque jour pour nous tous. On ne doit pas laisser l’Europe se diviser ni s’aligner sur en quelque sorte sur les plus va-t’en-guerre, qui feraient courir le risque d’extension du conflit, de fermeture totale des lignes de communications. Ni non plus considérer que nous pourrions laisser quelques Etats européens à notre flanc est se livrer seuls à des actions. L’Unité européenne est clé. Et oserais-je dire d’ailleurs, que la division de l’Europe est un des buts de guerre de la Russie. Donc notre responsabilité, c’est précisément de préserver l’Union européenne et sa force dans ce contexte.

Troisième objectif, c’est que nous devons nous préparer à une guerre longue. Pour ce faire, nous avons évidemment une organisation nationale à avoir et européenne, en particulier sur l’énergie, sur l’alimentation et beaucoup d’autres. Mais très clairement, face à cette guerre longue, nous devons avoir une action qui est d’éviter l’escalade et préparer la paix. Eviter l’escalade, c’est que le rôle, pour moi, de la France, c’est d’éviter qu’il y ait une escalade sur le nucléaire, ou une escalade géographique. Donc tout faire pour que des pays ne s’engagent pas dans le conflit de manière inconsidérée, conduisant à une extension géographique ; et tout faire avec notre diplomatie pour éviter que ou le nucléaire civil, ou les menaces sur le nucléaire, ne conduisent à une escalade "verticale", diraient certains. À cet égard, la France, comme vous le savez, s’est beaucoup mobilisée ces derniers mois, depuis le début, depuis mars avec Tchernobyl, et ces derniers jours pour que le nucléaire civil soit bien en quelque sorte protégé de la guerre, et que nous essayons au maximum, d’abord de permettre à l’Agence Internationale compétente, l’AIEA, de mener cette mission, d’assurer les éléments de sécurité et de sûreté de la centrale, et aussi de rappeler les nécessités de souveraineté de cette centrale nucléaire dans le cadre qui est le nôtre. Préparer la paix suppose de continuer à parler dans ce contexte, comme je le disais à toutes les parties prenantes, et donc la France continuera comme je l’ai fait il y a quelques jours et comme je le referais après la mission de l’AIEA, à parler à la Russie, pour sur chaque point où son rôle est utile, pouvoir préparer les termes de la paix.

Cela veut dire à chaque moment du conflit, éviter l’escalade, et par exemple parler de nucléaire civil. Cela veut dire aussi préparer et travailler les termes de ce que sera une paix négociée, mais en actant que le moment sera à déterminer par les deux parties prenantes, conformément aux invariants et aux objectifs que j’ai donnés. La France, les Européens, ou qui que ce soit n’a pas à choisir pour l’Ukraine la paix qu’elle voudra, ni le moment de la négocier. Mais nous devons tout faire pour qu’une paix négociée soit possible au moment où les deux protagonistes se remettront autour de la table.

Quatrième objectif, c’est d’essayer de tout faire pour contrer la partition du monde qui est à l’oeuvre à l’occasion de cette guerre, répondant ce faisant à ce que je décrivais il y a un instant. Donc nous devons mobiliser le réseau diplomatique pour aller chercher et emporter la conviction de ceux qui ne partagent pas nécessairement nos choix. Soyons lucides, le nombre de pays qui ont soutenu ouvertement la Russie est très faible, et les pays qui l’ont fait sont assez peu fréquentables - nous les fréquentons, mais enfin ils ont des choix clairs de géopolitique, il n’y a pas de surprise. Mais la masse des pays qui ont choisi l’abstention lors des votes qui ont été sollicités au printemps et l’été dernier a pu rassurer certains commentaires, mais enfin quand je les regarde sur le plan démographique, ils représentent une bonne partie de l’humanité. Cela veut dire que cette bonne partie de l’humanité ne comprend pas totalement ce qui se passe, et dans les dialogues que nous pouvons avoir avec nombre de dirigeants africains, asiatiques, latino-américains ou du Pacifique, les discours sont là pour dire qu’il s’agit d’une guerre régionale, dont ils subissent les effets sans comprendre exactement ce qui s’y passe. Notre travail est d’abord de ne pas laisser s’installer une confusion. C’est une agression portée par la Russie et c’est la violation des principes de l’ordre international. Je peux vous dire qu’il n’y a pas une opinion publique africaine qui peut soutenir la violation de frontières et la souveraineté populaire. Elle s’est construite dans la décolonisation sur ce point. Et si on considère que cela peut être un nouveau dogme de l’ordre international, bon courage pour la paix sur le continent africain demain. Donc on doit reposer les bases claires, sinon on s’installera et on laissera s’installer une forme de relativisme contemporain sur ce sujet. Et vous verrez que nous serons de plus en plus bousculés.

Donc nous devons aller au contact, expliquer la genèse, la réalité des faits, et ce pourquoi nous sommes là, nous parlons à la Russie, mais nous désapprouvons et combattons les racines de ce conflit. La deuxième chose, c’est qu’on doit répondre à leurs angoisses, leurs difficultés, leurs problèmes. C’est le cadre de l’initiative FARM que nous avons prise, et c’est pourquoi dès le mois de mars, la France a porté une initiative pour la sécurité alimentaire et aider à l’autonomie alimentaire de nombre de ces pays. Nous l’avons fait avec le Sénégal, et il a été endossé par l’Union européenne et l’Union africaine. Parce que si nous ne montrons pas chaque jour à nombre de ces pays que nous traitons les conséquences non-voulues sur le plan alimentaire, ils finiront par nous lâcher. Nous devons maintenant réussir à faire de même sur la question des engrais qui est absolument décisive pour justement développer l’agriculture de nombre de ces pays, là où il y avait des vulnérabilités et des dépendances à l’égard justement de la Biélorussie ou de la Russie. Puis, il nous faut bâtir progressivement des coalitions, même imparfaites, même incomplètes, avec plusieurs de ces pays. Je pense à l’Inde, je pense à la Chine, je pense à l’Afrique du Sud, à l’Ethiopie, à l’Algérie, au Sénégal ou à l’Indonésie, pour n’en citer que quelques-uns qui peuvent partager une partie des objectifs que nous avons à nous donner pour ce conflit, en tout cas qui peuvent se retrouver à nos côtés pour éviter une extension géographique de ce conflit en Ukraine ou des moments de bascule qui pourraient advenir dans les prochains mois. Je pense que le rôle de notre diplomatie et par ce travail de conquête en quelque sorte, au-delà de celles et ceux qui sont acquis avec nous, de travailler à un regroupement progressif et de tout faire, de tout faire pour éviter une grande partition où il y aurait in fine - ce que certains veulent écrire - l’Ouest contre le reste.

Il y aurait beaucoup d’autres crises sur lesquelles je pourrais illustrer évidemment ce rôle de puissance d’équilibres de la France et les partenariats. De la Corée du Nord à un travail que beaucoup d’entre vous font à nos côtés sur les Balkans occidentaux ou le Caucase. Et pour suivre plus en détail ce que j’évoquais sur l’Indopacifique - je ne vais pas ici me livrer à cet exercice qui serait encore plus long que celui que je vous fais déjà subir.

Je voudrais simplement prendre un autre théâtre d’opérations pour illustrer ce qu’est le sujet de puissance d’équilibres et ce rôle que je vous demande pour la paix et la stabilité : c’est l’Afrique. La France pour le continent africain a joué de manière clé, avec beaucoup d’autres, un rôle absolument fondamental pour la sécurité par son armée. Je veux ici rendre un hommage appuyé à nos forces armées, au choix qui a été fait par mon prédécesseur François Hollande en 2013, de lancer l’opération Serval puis l’opération Barkhane. A nos armées, sans lesquelles le Mali aujourd’hui ne serait plus un pays souverain avec intégrité territoriale, puisqu’un califat s’y préparait. Et je veux ici rappeler que cette intervention s’est faite à la demande d’un Etat souverain et de l’organisation régionale qui était la CEDEAO. Je veux saluer l’efficacité de nos armées qui ont jusqu’à encore ces derniers jours, porté des coups extrêmement durs, grâce à l’appui de nos services et de notre réseau, à de nombreux terroristes et groupes terroristes. Je veux saluer la mémoire des familles de nos soldats perdus sur ce théâtre d’opérations et saluer évidemment tous nos blessés. Tout ça a été fait avec courage et efficacité et à la demande du chef de l’Etat. Et je veux féliciter nos armées de la parfaite exécution de ce que j’avais décidé en janvier dernier, à savoir le retrait du Mali, parce que simplement, le cadre politique n’était plus là. Un Etat souverain ne voulait plus qu’on soit là, nous mettait en insécurité et ne voulait plus lutter contre le terrorisme. Nous avons réorganisé notre dispositif, restant impliqués dans la lutte contre le terrorisme en appui des armées du Sahel, et réorganisés essentiellement autour du Niger. Cela a été fait en bon ordre, de manière remarquable et finalisé à la mi-août. Soyez-en remerciés et félicités.

Il nous faut tirer les conclusions de ce que nous avons vécu. Notre puissance militaire est clé, c’est un élément de crédibilité. Notre capacité institutionnelle et politique à l’activer quand on en a besoin est décisive. Très peu d’armées en Europe et dans le monde auraient pu si vite décider et agir. Très peu. C’est une force de la France, gardons-la. Mais il nous faut, en particulier dans la lutte contre le terrorisme sur le sol africain, beaucoup mieux définir dès le début les objectifs recherchés très précisément, les limiter dans le temps, et réinscrire dans une politique - ce que nous avons cherché à faire ces cinq dernières années et que nous avions déjà installé massivement en considérant que l’effet utile recherché n’est possible que si les efforts de défense se joignent à des efforts diplomatiques et la consolidation des Etats, et des efforts d’investissement solidaire et de développement.

Mais surtout, ce que nous voulons faire, c’est de rebâtir ce partenariat avec le continent africain, et le faire sur la base de ce que j’ai pu dire en novembre 2017 devant les étudiants de l’Université Joseph Ki-Zerbo. C’est converger et agir sur des défis que nous avons en commun mais de le faire de manière totalement partenariale. Donc sur la sécurité, de le faire à la demande des Etats, en appui de leurs armées, avec un dispositif qui sera réarticulé dans les prochains mois où la France n’aura plus un dispositif posé parfois trop longtemps, mais une intimité beaucoup plus forte avec les armées africaines qui le souhaitent, quand elles expriment clairement leur besoin, avec des objectifs stratégiques clairs et un cadre posé. Nous sommes en train de le construire avec plusieurs pays de la région parce que ça concerne essentiellement le Sahel et le Golfe de Guinée, qui sont confrontés à l’extension de la menace terroriste. Ce que nous avons bâti, pour ne prendre qu’un exemple, ces derniers mois avec le Bénin, est à cet égard un élément très illustratif de ce que nous voulons faire pour l’avenir. Ce que nous avons su nouer avec le Sénégal ou la Côte d’Ivoire aussi pour former avec des hubs régionaux les armées, bâtir des académies, mettre en capacité les armées africaines de faire, est absolument transformant et s’inscrit dans ce nouveau partenariat en termes de sécurité. La clé est de donner la priorité à la sécurité des populations civiles, d’être très clair sur notre engagement dans la lutte contre le terrorisme et très clair aussi sur un point ici que je veux rappeler avec beaucoup de force : de ne jamais être associé à des tensions ethniques et de bien prendre en compte dans notre approche l’ensemble des communautés.

Avec l’Afrique, nous voulons aussi que ce partenariat soit consolidé sur les défis globaux et donc nous devons bâtir, comme nous avons commencé à le faire, des convergences et des initiatives euro-africaines pour entraîner d’autres acteurs. C’est ce que nous avons commencé à faire sur certains sujets climatiques, ce que nous avons commencé aussi à faire sur le financement des économies africaines par le sommet de mai 2021 à Paris, d’agenda de financement des économies africaines. Nous avons cherché à bâtir justement une nouvelle approche où la France a porté pas simplement l’émission de droits de tirage spéciaux du FMI, mais la réallocation de 100 milliards vers l’Afrique. Ce qui est absolument clef pour révolutionner leur modèle et être un puissant levier pour inciter à l’investissement privé et changer d’échelle. Donc mobiliser la communauté internationale pour changer et transformer les modes de financement, convaincre les puissances du G20 de le faire, mobiliser beaucoup plus de manière partenariale l’entrepreneuriat des pays développés et l’entrepreneuriat africain. C’est le New Deal économique que nous avons scellé ici au printemps 2021 et je remercie les auteurs, et que nous voulons poursuivre par les échanges bilatéraux, dans le cadre des G20 et par un sommet Choose Africa que nous organiserons au début de l’année prochaine en France.

Nous devons à cet égard aussi, pour ce nouveau partenariat, avancer main dans la main avec la jeunesse africaine comme je le disais tout à l’heure, en liant nos diasporas, en les associant. Et en mettant l’accent sur le numérique, les industries culturelles et créatives, le sport, comme des renouveaux de ce partenariat. Nous organiserons pour cela l’événement Creative Africa en juin 2023. Il aura vocation à voyager et à se multiplier sur le continent africain. Et nous inaugurons à l’été 2024 la Maison des mondes africains qui est le fruit du travail conduit par le ministère en lien étroit avec l’AFD, Achille MBEMBE et les experts qu’il a mobilisés. Ce lieu travaillera lui-même en réseau avec des lieux partenaires en France, en Europe, en Afrique, avec notre Institut français, notre réseau diplomatique, mais reconnaîtra aussi le rôle et la force de nos diasporas dans cette stratégie.

Ce nouveau partenariat, je le crois profondément, nous permet d’agir sans injonction ni ingérence ou sentiment d’ingérence, en lien avec nos diasporas, en soutien des acteurs qui pensent et agissent pour que la démocratie soit un modèle attractif en Afrique. C’est à cet égard la tâche de la Fondation pour l’innovation pour la démocratie qui vient d’être créée, et je remercie le professeur Mbembe déjà cité d’avoir accepté d’en prendre la tête. Vous le voyez, c’est une stratégie fondamentale et je le disais à Ouagadougou, je le disais en 2018 devant vous : c’est une conversion du regard, c’est un changement complet de méthode, d’approche. Et les moyens supplémentaires que nous avons donnés viennent au service de ce changement, littéralement différent d’approche, qui est beaucoup plus coopératif et qui mobilise aussi beaucoup plus d’acteurs et qui va nous imposer d’être dans des stratégies beaucoup plus réticulaires, partenariales, en associant d’autres forces mais qui correspondent aussi à la réalité de tous ces pays.

Cette approche sera complétée par une stratégie méditerranéenne que j’aurai à parachever d’ici la fin de l’année, quand je continuerai mes déplacements bilatéraux commencés avec quelques-uns d’entre vous en Algérie, mais qui est indispensable. Les sommets des deux rives comme les initiatives prises ces dernières années, ces derniers mois, ont permis de poser les fondements là aussi d’une approche par les sociétés civile de l’agenda qui doit être la nôtre.

Enfin, le dernier point sur lequel je voudrais insister en parlant justement de ce rôle et ce travail, de cet objectif que je vous assigne de bâtir la stabilité et la paix, c’est évidemment le Proche et le Moyen-Orient. Le faisant à la cavalcade, je le ferai avec beaucoup d’humilité et de manière très partielle, puisqu’il n’y a là que des sujets qui ont occupé des générations de diplomates. Et comme je le dis parfois, il faut, quand on regarde ce sujet, imaginer Sisyphe heureux. Néanmoins, la paix en Méditerranée, la paix en Europe ne sera possible que si nous savons bâtir des équilibres nouveaux au Proche et Moyen-Orient. Je veux saluer le rôle de nos diplomaties à cet égard, d’abord pour contenir la prolifération nucléaire iranienne. Et le rôle que nous avons joué ces dernières semaines, ces derniers jours encore, pour bâtir un nouvel accord possible, a été clé, je vous en félicite, et permet d’encourager les Etats-Unis d’Amérique à consolider ce cadre. Nous avons en particulier été acteurs pour que les bonnes garanties et l’indépendance de l’AIEA soient préservées dans cet accord et pour que les intérêts de sécurité de tous les acteurs régionaux, Israël comme les puissances du Golfe, soient pris en compte dans celui-ci. Ce qui me semble fondamental.

Les prochains jours et prochaines semaines, nous dirons si nous parvenons à le conclure, mais nous savons qu’il ne permet pas de construire la totalité d’un cadre de stabilité dans la région. Pour ce faire, nous avons collectivement porté ce que je crois être une innovation qui a été le format de la conférence de Bagdad voilà maintenant un an et qui a permis, pour la première fois depuis bien longtemps, de mettre autour de la table toutes les puissances de la région, et ce y compris l’Iran et l’Arabie Saoudite, et de pouvoir essayer de trouver des voies de convergence et de dialogue. Ce sera réédité sous l’autorité du Roi de Jordanie dans quelques mois, je m’y rendrai et j’aurai l’occasion de recevoir le Roi de Jordanie pour poursuivre cet agenda. Je pense que c’est une bonne méthode qui doit poursuivre quelques objectifs simples. Consolider la souveraineté de l’Irak, ces derniers jours nous ont montré l’aspect décisif et la fragilité de ce pays où nous avons, je crois, joué un rôle croissant ces dernières années. Oeuvrer à la souveraineté et la stabilité du Liban, nation qui nous est si chère, si proche, mais il faut bien le dire, qui a ses fragilités propres et a été déstabilisée par les crises multiples, et dans lesquelles se réimportent toutes les déstabilisations de la région.

Troisième objectif : bâtir un cadre de sécurité face à l’activité nucléaire, balistique mais aussi régionale de l’Iran. Et ce en prenant en compte les intérêts de tous les Etats présents autour de la table et celui de l’Etat d’Israël, puisque nous avons toujours pris la sécurité d’Israël comme un des intérêts clés pour la politique de la région.

Je crois vraiment que le dialogue ouvert à Bagdad est le cadre de cette politique d’équilibre dans lequel la France est la seule puissance non régionale aujourd’hui associée, et où nous oeuvrons utilement à essayer de bâtir des avancées clés. À cet égard et parlant de ce contexte, je ne peux pas omettre que la Syrie ne pourra rester durablement un impensé de la question régionale. Je serais trop long si je l’abordais ici. La France ne peut que se féliciter du fait que les accords d’Abraham ont contribué à bouger les lignes et surtout à permettre une normalisation des relations d’Israël avec plusieurs Etats de la région comme du continent africain. Mais pour autant, une certaine prudence me conduit à dire ici que les termes ainsi posés ne suffiront pas à régler la question palestinienne et je demeure convaincu que le non règlement politique de la question palestinienne ne permet pas durablement d’avoir la paix et la stabilité dans la région.

Une fois que j’ai dit ça, j’ai donné les limites d’un raisonnement. Je n’en ai pas donné la réponse. N’y voyez pas là de l’habileté, mais aussi une humilité et la conscience que j’ai déjà détaillé de nombreux sujets. Mais sur ce point, nous aurons à oeuvrer, avec le cadre méthodologique que je viens de donner, avec les objectifs que je viens d’assigner et avec les quelques questions ouvertes que je viens d’évoquer qui, à mes yeux, ne sont pas réglées par les initiatives prises par ailleurs.

Le troisième et dernier objectif - et je conclurai avec ce point de notre politique étrangère après une France plus forte, plus influente, plus indépendante, et après cette volonté d’être une puissance d’équilibre qui construit la paix et la stabilité dans des régions stratégiques - c’est de continuer à bâtir ce multilatéralisme efficace que j’évoquais et de redoubler d’efforts sur certaines coalitions dont nous avons besoin. Là-dessus, vous le voyez bien, c’est en quelque sorte des missions de continuité sur quelques points d’innovation que je voudrais très rapidement vous assigner.

D’abord en matière de santé. Je pense que la crise nous a permis de voir l’utilité de la coopération internationale de santé, les risques qui pesaient sur l’Organisation mondiale de la santé, que certains fragilisaient par leur attitude parfois non coopérative et d’autres par les initiatives de contournement. Je pense que notre rôle doit être de consolider l’Organisation mondiale de la santé comme étant le socle d’une institution multilatérale utile. Nous devons absolument en consolider les principes de partage d’informations, de transparence, d’indépendance scientifique. Nous devons consolider l’agenda d’alerte précoce dans les épidémies et nous devons bâtir autour de l’Organisation mondiale de la santé, la coalition dite One Health pour laquelle nous devons construire une approche transversale qui englobe santé publique, santé animale, santé de la planète à toutes les échelles locales, nationales, planétaire. C’est un agenda qui a été pensé pendant la crise, qui est extrêmement structurant pour nos pays comme pour nos coopérations et dans lequel, je pense que la France a un rôle clé à jouer à travers son expertise et les opportunités géopolitiques qu’elle donne. Car derrière ça, ce sont des nouveaux partenariats avec l’Afrique, la région latino-américaine comme l’Indopacifique. De la même manière sur la santé, je souhaite qu’on puisse consolider l’initiative ACT-A à deux égards : continuer de renforcer par notre action bilatérale les systèmes de santé primaires. L’effort doit être poursuivi, c’est pour moi un objectif clé. Et derrière, aller au bout de la capacité, bâtir des hubs de production de vaccins et donc, derrière, de traitements de diagnostic avec quelques pays clés que nous devons consolider.

Le deuxième objectif, c’est sur le climat. Ce combat est pour nous tous essentiel. Je l’ai évoqué tout à l’heure. Il va être au coeur de l’action de notre pays avec une planification portée par la Première ministre au coeur de notre action européenne. Il est depuis plusieurs années au coeur de notre action diplomatique et de nos succès diplomatiques. Mais nous devons redoubler d’efforts avec là aussi, des initiatives nouvelles à prendre. En effet, nous ne relèverons le défi du climat que si nous sommes capables d’obtenir d’abord et avant tout un effort des grands émetteurs à la hauteur des enjeux. C’est le premier point. Il suffit de regarder les émissions. Nous savons où sont les efforts : l’Europe, les Etats-Unis d’Amérique et après dans les grandes puissances intermédiaires. Un moyen juste d’y parvenir est de convaincre nos grands partenaires parmi les pays développés, dans le cadre de l’OCDE, de prendre des engagements maximaux d’émissions par habitant. Je souhaite que nous nous lancions dans cette initiative structurante pour à la fois remobiliser et permettre d’avoir un système de contraintes.

Dans la même logique de répartition juste de l’effort, nous devons veiller à ce que les pays émergents s’engagent sur une trajectoire vertueuse, qu’ils soient africains, asiatiques ou latino-américains. Je dis bien les émergents. Avec chacun d’eux, nous devons être capables de trouver des accords de financement de la transition énergétique dans notre intérêt commun et à des conditions moins coûteuses que dans les pays développés. On ne peut pas demander d’aller plus vite à des pays émergents et à faire le choix, en quelque sorte développement et climat, avec des conditions de financement qui sont beaucoup plus dures que chez nous et qui seront durcies par la politique de taux qui est en train d’être mise en oeuvre.

Et donc, ce que nous avons commencé à faire avec le laboratoire sud-africain, et à l’initiative JET (initiative pour une transition énergétique juste) qui a été prise ; de bâtir des accords complets de transition énergétique et de financement. Nous devons le généraliser à plusieurs pays - Sénégal, Indonésie, Inde - et les accompagner dans ce travail. Cet effort de solidarité et d’engagement auprès des pays du Sud doit nécessairement aller avec un effort d’adaptation au changement climatique. Et là, soyons honnêtes à cet égard, le changement climatique est là. On peut craindre des augmentations de température au-delà des objectifs de l’Accord de Paris. Chez nous, il faut adapter nos manières de faire et nos infrastructures, mais dans les pays vulnérables, c’est un effort majeur de protection qu’il faut fournir pour éviter de nouvelles crises liées aux déplacements massifs de populations en conséquence du changement climatique. Et donc, on doit les aider à redoubler d’investissements car pour eux, c’est déjà trop tard. Ensuite, financer l’adaptation et la résilience, chez nous comme dans les pays du Sud, c’est protéger nos écosystèmes, notre santé, notre alimentation, nos réserves en eau. Et là aussi, c’est un mouvement diplomatique profond, structurant, qui justifie que 30 % au moins de la finance climat doit aller à des solutions fondées sur la nature. Ce qui est un moyen de complètement changer la logique des discussions que nous avons avec le Sud depuis 2015, et qui a beaucoup bloqué nombre de négociations que nous avons eues ces derniers temps en G20 comme ailleurs. Il nous faut mobiliser tous ceux qui peuvent y contribuer. Et à cet égard, un sommet One Planet pourra être consacré à cet enjeu majeur, avec entre autres plus spécifiquement la gestion de l’eau.

De manière plus générale, il nous faudra veiller à la bonne synchronisation des efforts internationaux dédiés au climat et à la biodiversité, comme on a commencé à le faire, dans les différents rendez-vous qui jalonneront notre action : la COP27 en Egypte cette année où je me rendrai, la COP15 à Montréal, la Conférence des Nations unies sur les océans que nous accueillerons en 2025 où nous devons essayer de bâtir un accord inédit sur les océans. Et à cet égard, le fait que durant les dernières années nous ayons redoublé d’efforts pour préserver l’Accord de Paris, que nous ayons été à l’initiative pour le One Planet Summit biodiversité et bâtir les termes d’un agenda en la matière et consolider les objectifs et les coalitions pour les aires terrestres et les aires marines protégées ; le fait que nous ayons pour la première fois adopté une stratégie polaire et une stratégie maritime visible, claire, assumée, transposée en européen et portée à l’agenda international, est le signe de cette convergence des agendas qui est une force mais qu’on doit maintenant internationaliser. Parce qu’elle est derrière extrêmement féconde pour bâtir des partenariats inédits avec tous les continents et nous aider à avoir cette logique de coopération. Par exemple sur les forêts tropicales avec l’Amazonie dans le cadre de l’alliance fondée en 2019, avec l’Afrique grâce aux alliances bâties avec le Gabon et quelques autres sur les forêts primaires, et le sommet One Forest que nous ferons sur ce thème particulier, et l’ensemble des engagements pris en la matière.

Je vais à la cavalcade, mais vous voyez d’abord la multitude des initiatives prises, et à quel point elles sont en synergie et en symbiose quand on les regroupe. Mais surtout, il y a une puissance d’action et de conviction si on sait les porter, et surtout de résultats très profonds. C’est aussi pour ça que nous continuerons ce que nous avons lancé avec la Grande muraille verte à travers des projets concrets, notamment en matière agricole, du Golfe de Guinée jusqu’à la Corne de l’Afrique, pour développer les protéines végétales, soutenir les partenaires de la région et aider justement à cette diplomatie.

La diplomatie climatique sera au coeur de ces objectifs pour le multilatéralisme efficace parce que nous allons redoubler d’efforts pour la France, mais ça n’a de sens que si nul ne peut utiliser la fameuse excuse de ce que nous représentons, et donc si nous savons le démultiplier au niveau européen. Les fondements sont là ; au niveau du secteur privé, nous avons commencé à en bâtir les termes et nous devons en garder le contrôle et en quelque sorte, là aussi, les termes de référence pour ne pas avoir de normalisation subie anglo-saxonne. Et nous savons pleinement sur la lutte contre les dérèglements climatiques, la biodiversité, les océans et les pôles, avoir cet agenda massif d’initiatives et d’actions concrètes mobilisant et créant des nouvelles coalitions.

Enfin sur ce volet, et je le livre là aussi comme des continents à défricher, le multilatéralisme efficace sera testé, et donc notre action sera à construire, sur de nouveaux espaces qui ne sont pas encore régulés, ou insuffisamment.

Le premier, c’est le numérique. Nous avons beaucoup fait ces dernières années. Une diplomatie numérique a été construite, la fonction d’ambassadeur dédié à cela et travaillant aux négociations a été bâtie. Nous avons été aux avant-postes dès l’été 2017 avec le Royaume-Uni, cherchant à bâtir une coalition, puis des initiatives Tech for Good, comme je le mentionnais, à l’appel de Christchurch. Nous avons obtenu des résultats, la fameuse "heure en or" pendant laquelle les contenus terroristes sont retirés par les plateformes. Nous avons changé les choses au niveau européen, mais nous avons un continent à bâtir. La régulation du numérique est encore à faire. C’est pourquoi vous serez mobilisés, aux côtés de vos collègues de la culture et du numérique, pour les Etats généraux pour une information libre que nous organiserons à l’automne et qui viendront consacrer aussi plusieurs initiatives que nous avons prises, je mentionnais tout à l’heure Reporters sans frontières.

Au fond, nous avons à bâtir, je le dirai en ces termes, un ordre public international du numérique. Parce que cet espace public s’est de fait constitué, il est de fait mondialisé. Mais comme il a été construit par des acteurs privés et des usages individuels, il s’est construit sans règles. Et les combats très intimes que nous menons pour lutter contre le harcèlement sexuel, pour protéger nos enfants, pour lutter contre les violences faites aux femmes, pour défendre nos valeurs dans notre pays sont à chaque fois bousculés parce que des contenus qui disent exactement le contraire circulent librement sur les plateformes, touchent nos enfants, nos adolescents, nos familles, quand je ne parle pas de la propagande d’autres Etats qui utilisent ces mêmes canaux. Nous devons repenser les termes de l’échange et les termes de référence des conflictualités nouvelles. Et donc, oui, c’est bien une régulation européenne et internationale à bâtir dans cet espace à la fois civil mais aussi militaire parce qu’il ne faut sans doute pas les confondre, et il faudra les distinguer.

Et puis pour n’en citer que deux autres, l’espace et la haute mer, sont de nouveaux espaces internationaux qui sont en train d’être aujourd’hui profondément envahis par des puissances, avec des comportements inusuels et non coopératifs nouveaux. Nous l’avons vu avec les initiatives russes en début de conflit dans le spatial, nous le voyons avec la multiplication d’initiatives soit de puissances souveraines, soit d’acteurs privés en haute mer qui supposent, dans l’espace et en haute mer, d’être régulés. Et donc d’avoir un cadre international bâti. L’échec des négociations BBNJ de ces derniers jours, malgré l’engagement de notre diplomatie et de plusieurs d’entre vous que je remercie ici, ne doit pas nous faire renoncer. Et là aussi, on doit réussir à rebâtir de nouvelles coalitions d’acteurs au travers des rendez-vous que j’ai à l’instant scandés.

Voilà, Mesdames et Messieurs. Je n’ai pas été complet, j’ai toutefois été long. Mais vous le voyez, il y a dans le moment que nous vivons d’abord un vertige qui doit prendre chaque esprit lucide. Au fond, ces dernières années, à plusieurs reprises, l’impensable est arrivé. Une épidémie mondiale, la fermeture de toutes les économies, le retour de la guerre en Europe, la menace nucléaire brandie, etc. Préparons-nous à l’impensable pour demain. Et donc face à cela, il faut avoir des objectifs simples et clairs, je crois les avoir assignés. Quelques invariants et quelques éléments de méthode sur lesquels il ne faut jamais se laisser intimider, je crois les avoir rappelés. Il faut chercher partout l’efficacité, il faut acter que nous devons aussi nous-mêmes avoir une approche plus hybride de notre action. Associer davantage la société civile, trouver des partenaires et des alliés pour relayer notre action et l’explication de notre action, et nous adapter aux changements des théâtres, coopérer sans naïveté et réagir sans passion.

Mais face à tout ça, je pense que nous avons des vrais atouts, évidemment, un modèle complet d’armée, une armée forte, la première européenne, et les choix que nous ferons, une diplomatie forte, et là aussi, à mes yeux la plus complète et la plus structurée au niveau européen, qui produit des idées et des résultats.

Nous avons deux éléments, si je puis dire, dans nos gènes. La France, en ce qu’elle est une Nation à vocation universelle. C’est une force dans ce monde. Nous nous sommes construits pour nous-même et par nous-même avec en notre coeur la lutte contre l’obscurantisme, la croyance dans le progrès scientifique et pour les hommes, et une volonté universelle qui met au-dessus de tout l’individu libre et rationnel. Ces valeurs sont universelles. Quiconque vient les bousculer créera le chaos, le désordre et le malheur chez lui. Les avoir portées et continuer de les porter avec force et les défendre dans tous les théâtres du jeu est essentiel, c’est une force. Il faut le faire sans donner le sentiment que nous donnons des leçons en trouvant des partenaires, mais il faut l’assumer.

Et l’Europe est une force. C’est un moyen, à certains égards, je l’ai dit, un objectif sur d’autres sujets. C’est une force parce que c’est le meilleur laboratoire au monde de gestion de la diversité et de la complexité. Il n’y a pas au monde un espace aussi concentré de cultures, d’histoires, de malheurs passés, de langues, qui vit en paix depuis tant de temps, en coopération, sans hégémonie. Quand on se dit que pour bâtir le monde d’aujourd’hui, il faut trouver des solutions pour un multilatéralisme efficace et construire des équilibres, on se dit que la technologie européenne est une bonne technologie à exporter. Et donc nous avons dans nos gènes des recettes pour faire cela.

Pour faire cela, il nous faudra aussi nous réarmer moralement. Je l’ai évoqué le 13 juillet dernier devant nos armées, mais ça vaut pour la Nation tout entière. Parce que quand la guerre revient, on doit chercher la paix, bâtir des solutions. Mais on doit être une Nation forte qui, comme je le disais, sait ce qu’est le prix de la liberté et la possibilité de la guerre pour ne jamais s’y engager autant qu’elle le peut, mais pour défendre ses intérêts quand elle devra les défendre, si elle doit les défendre au moment où elle doit les défendre dans un choix qui est le sien et dans un cadre qu’elle définit souverainement et nationalement. Tout cela est immense mais est enthousiasmant. Et donc ce que je veux vous dire à cet instant, c’est comme vous l’avez compris, vous avez beaucoup fait et nous avons beaucoup fait durant ces cinq années, nous avons décidé et acté d’une ambition à venir. Et face à cette grande bascule du monde, nous avons d’immenses travaux devant nous. Je nous en sais capables, je nous en crois capables et je crois que tous ensemble, nous y arriverons. Je compte sur vous.

Vive la République et vive la France !