Sujet : IVG

Audition de : Danielle Gaudry et Fatima Lalem

En qualité de : responsables de la Confédération du Mouvement français pour le planning familial

Par : Délégation aux droits des femmes de l’Assemblée nationale (France)

Le : 21 mars 2000

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Mes chères collègues, nous recevons aujourd’hui Mme Danielle Gaudry, responsable de la confédération du mouvement français pour le planning familial, accompagnée de Mme Fatima Lalem, dans le cadre de nos travaux portant sur la santé des femmes.

Mesdames, nous savons que vous avez activement participé à la réflexion du professeur Nisand sur la situation de l’IVG en France, et c’est l’une des raisons pour lesquelles nous souhaitons vous entendre.

Mme Danielle Gaudry : Je commencerai mon propos par un rappel historique de notre association.

Notre association a été créée en 1956 -elle s’appelait initialement "la maternité heureuse"- par un groupe de personnalités -médecins et non médecins, parents- pour faire face aux situations dramatiques que vivaient les femmes et les couples face aux grossesses désirées ou non.

Notre mouvement d’éducation populaire laïc, qui s’est installé largement en France, a changé de nom et fait maintenant partie d’une association internationale de planning familial, l’IPPF. Nous avons une pratique de terrain très importante, qui fonde entièrement notre analyse. La situation et la parole des femmes, reprises par l’association, étayent nos propositions en faveur de certains changements. Nous souhaitons améliorer la situation des femmes en France, en nous basant notamment sur la prise de conscience de leur autonomie et de leur responsabilité.

En ce qui concerne la situation de l’IVG en France, nous avons revendiqué, dès les années 70, une légalisation de l’avortement, dans le but de protéger les femmes à la fois dans leur santé et dans leurs droits. Nous gérons des associations départementales qui gèrent elles-mêmes des établissements d’information et des centres de planification où se déroulent des consultations de planning familial.

Les établissements d’information font uniquement de l’information et des entretiens pré-IVG. En revanche, les centres de planification ont plusieurs missions, notamment de service public, puisque nous travaillons en collaboration avec les DDASS. Nous nous occupons de la contraception, des entretiens pré-IVG et de l’accompagnement des femmes dans ce domaine, de la prévention, du diagnostic et du traitement des maladies sexuellement transmissibles (MST) -depuis la "loi Calmat"-, ainsi que de l’accueil de femmes victimes de violences sexuelles.

Nous connaissons bien la situation de l’IVG en France, car nous assurons un grand nombre d’entretiens pré-IVG ; nous accueillons aussi bien les femmes qui entrent dans le cadre de la loi française que celles qui en sont exclues. Nous avons d’ailleurs toujours émis des réserves sur la loi temporaire votée en 1975, puis revotée en 1979, car elle marginalisait et renvoyait à l’illégalité un certain nombre de femmes, ce qui créait une inégalité entre elles.

Lorsque le professeur Nisand a été chargé d’établir son rapport, il a souhaité nous rencontrer, et nous avons pu ainsi participer à sa réflexion, notamment en ce qui concerne l’accueil des femmes, l’obligation de l’entretien social, la problématique des mineures et la situation des femmes étrangères. Par ailleurs, il a également pris en compte notre demande de dépénalisation de l’avortement - l’avortement étant toujours inscrit au code pénal.

Il est important que le professeur Nisand nous ait entendues, car le discours de militantes féministes, parfois considérées comme extrémistes, n’est pas toujours bien perçu par la société française actuelle. Nous sommes donc satisfaites qu’il ait intégré cette demande de dépénalisation de l’avortement dans l’une des 25 propositions de son rapport.

En 1992, nous avons été très déçues par le maintien de l’incrimination des IVG dans le nouveau code pénal. L’avortement n’est donc pas reconnu comme un droit à part entière, mais comme une possibilité, notamment quand une femme s’estime en détresse. Heureusement, Mme Neiertz a réussi à faire voter la suppression de l’article punissant l’auto-avortement !

L’avortement est un acte médical -cela été affirmé à l’Assemblée nationale en 1975-, et doit être reconnu comme tel. Il est vrai qu’il y a quelques années, nous avions revendiqué l’avortement libre et gratuit pouvant être effectué par des personnes autres que des médecins. Mais les choses ont évolué et, actuellement, nous disons que l’avortement est un acte médical, qu’il a contribué à l’amélioration de la santé des femmes, et qu’il doit être reconnu comme tel ; c’est tout de même le seul acte médical inscrit dans le code pénal !

Nous réfléchissons actuellement avec des juristes sur la dépénalisation de l’IVG. Cela est important pour le droit des femmes, pour leur santé également, car cet acte doit être accompli dans de bonnes conditions. Nous sommes satisfaites que le professeur Nisand l’ait bien compris et intégré dans son rapport.

La problématique des mineures doit être traitée d’urgence. Il est inadmissible de renvoyer à l’illégalité une mineure et de l’obliger à prendre les papiers d’une amie ou à partir à l’étranger pour se faire avorter. Alors que l’on souhaite les intégrer dans la société, la loi les met à l’écart. Certaines mineures vivent dans des familles difficiles, elles sont marginalisées et la loi les renvoie encore plus à leurs difficultés.

Il s’agit donc d’une véritable urgence, d’autant que les équipes médicales qui s’occupent des mineures s’essoufflent.

Mme Fatima Lalem : Une mineure qui est en situation d’échec de contraception est plus pénalisée qu’une femme adulte qui peut, elle, accéder, dans les limites de la loi, à l’IVG.

Alors que la sexualité des mineures est reconnue, puisqu’elles ont droit à la contraception de manière gratuite et anonyme, qu’elles ont la possibilité d’accoucher et d’assumer la naissance d’un enfant, ou même de l’abandonner -tout cela sans autorisation parentale-, on leur refuse le droit à l’IVG ; l’obligation de l’autorisation parentale a pour conséquence l’exclusion de certaines adolescentes du recours à l’IVG.

Or actuellement, tout le monde met en avant les difficultés des grossesses adolescentes. Dans nos centres, nous constatons qu’un grand nombre de mineures sont face à cette difficulté et parfois à l’impossibilité d’en parler avec l’un des deux parents ; on pourrait donc envisager d’autres conditions à l’accompagnement familial, même si nous faisons tout notre possible pour trouver des espaces de médiation, trouver un autre adulte dans la famille -ou hors de la famille- qui pourrait éventuellement faire le lien avec les parents. Il n’en demeure pas moins que certaines mineures repartent en nous disant qu’elles vont réfléchir, continuent à cacher leur grossesse et se retrouvent dans les situations lamentables que nous connaissons tous.

Mme Danielle Gaudry : S’agissant de l’entretien social obligatoire, nous nous posons des questions sur l’intérêt de cette obligation, un certain nombre de femmes, sûres de leur décision, ne venant que pour obtenir l’autorisation qui doit nécessairement se trouver dans le dossier médical du centre IVG.

Que l’on propose un accompagnement aux femmes -et bien entendu aux mineures-, c’est bien. Que cet entretien soit obligatoire est un point sur lequel nous devons peut-être à nouveau réfléchir. Cela était sans doute nécessaire en 1975, mais 25 ans après, c’est peut-être à revoir.

Certaines dispositions du rapport Nisand sont néanmoins discutables ; par exemple, une hypermédicalisation de tout ce qui gravite autour de l’avortement n’est pas forcément une bonne chose pour la responsabilisation des femmes et leur autonomie de décision. Le regroupement de l’accueil des femmes dans des centres hospitaliers et des unités de gynécologie obstétrique est une question sur laquelle nous devons réfléchir. Nous n’avons pas forcément de réponse, mais c’est un point qui doit être débattu.

Où doit se situer la santé des femmes ? Uniquement dans les unités de gynécologie obstétrique des centres hospitaliers, ou doit-il y avoir des unités de proximité plus autonomes et plus à l’écoute des femmes ? C’est possible. Les CIVG ont fait la preuve de leur efficacité dans ce domaine, mais des unités plus légères sont peut-être nécessaires, notamment pour l’accueil de certaines femmes.

Mme Fatima Lalem : Je voudrais aborder le problème de l’accès à l’IVG des femmes étrangères. L’obligation faite aux femmes étrangères d’avoir au moins trois mois de séjour en France pour pouvoir accéder à l’IVG correspondait au souci, à l’époque du vote de la loi, de lutter contre le "tourisme d’avortement". Les législations européennes ayant évolué dans ce domaine, en dehors de l’Irlande et de l’Allemagne, il me semble que cette crainte est devenue aujourd’hui obsolète.

Les femmes étrangères actuellement en situation irrégulière peuvent accéder aux soins dans les hôpitaux, peuvent accoucher en France, mais, paradoxalement sont exclues de l’IVG ; cela nous semble tout à fait incohérent.

Mme Danielle Gaudry : S’agissant des délais, nous ne comprenons pas pourquoi la France est en retrait par rapport aux autres pays européens - nous nous appuyons en effet beaucoup sur l’expérience internationale. Dans certains pays, les délais sont beaucoup plus avancés qu’en France, or l’ordre social n’en est pas pour autant troublé, et ce n’est pas dans ces pays-là que l’on compte le plus d’avortements.

Les femmes bien informées s’alertent tôt lorsqu’elles ne désirent pas une grossesse. La grande majorité des femmes qui se retrouvent dans des délais avancés sont en réalité dans une situation de détresse catastrophique ; elles sont souvent dans des situations de rupture familiale. Bien entendu, nous prenons en compte les erreurs de diagnostics - elles existent -, ainsi que les dénis de grossesse.

Il nous semble donc important que la France se dote d’un système dans lequel toute femme en demande d’avortement puisse être entendue. Nous ne voulons pas que l’on fasse n’importe quoi avec ces femmes ; elles doivent être davantage prises en considération que celles qui s’alertent tôt et qui connaissent les procédures à suivre.

Le législateur devrait étudier les législations hollandaise, britannique et catalane à ce sujet, afin de voir comment l’on pourrait gérer ces demandes. Pour l’instant, on se contente de les renvoyer au planning familial en leur disant que nous allons trouver une solution ; c’est insupportable et d’une grande hypocrisie : autant trouver cette solution en France. Les médecins français ont les moyens techniques de pratiquer un avortement hors délai, puisqu’ils le font pour raison médicale.

Quel délai souhaiterions-nous voir adopter ? Ce qui compte, pour nous, c’est le seuil de viabilité. Or ce seuil était fixé, voilà encore quelques années, par le code de la famille à 28 semaines après les dernières règles : avant, c’était un avortement, après, un accouchement. En 1993, M. Philippe Douste-Blazy, alors ministre délégué à la santé, s’alignant sur les recommandations de l’OMS, a ramené à 22 semaines le seuil de viabilité.

Aujourd’hui, le problème est plus compliqué, car la notion de viabilité est laissée à l’appréciation du corps médical. Est-ce qu’il appartient au corps médical d’en juger ? Je ne sais pas. Mais pour l’instant, c’est la règle. Pour sa part, l’OMS définit les critères de viabilité soit à 22 semaines d’aménorrhée, soit par rapport au poids de naissance égal ou supérieur à 500 grammes.

Imaginons le cas d’une interruption de grossesse spontanée à 24 semaines. La déclaration de naissance ne sera effectuée, en fait, que si le médecin juge que l’enfant était viable. Or une déclaration de naissance ouvre des droits pour la famille, notamment pour la femme, tels que le congé de maternité et les allocations.

La notion de viabilité est actuellement extrêmement floue, elle évolue en fonction des progrès techniques de réanimation et de la définition que l’on en donne. Pour notre part, nous proposons que le délai coïncide avec le seuil de viabilité.

Je terminerai mon propos en attirant votre attention sur le fait qu’en France on ne peut pas obtenir d’informations concernant l’avortement : l’article L. 647 du code de la santé publique parle de provocation à l’avortement. Vous me direz que la provocation et l’information sont deux choses différentes. Mais des personnes de notre association ont déjà fait l’objet de procès en 1986 et 1988, et une inculpation en cours concerne l’une de nos conseillères. Cet article est donc appliqué, et les personnes pouvant s’y référer sont diverses : le procureur -c’est actuellement le cas- ou des opposants à l’avortement, comme en 1988 l’association départementale de l’UDAF de Lyon.

Il convient donc de faire la différence entre l’information et la propagande ; nos avocats en débattent, mais cet article, qui existe toujours, est utilisé. Or nous aimerions pouvoir, en France, parler librement de contraception, d’avortement et de sexualité sans que cela soit punissable. Les femmes ne peuvent assumer des choix importants touchant à leur vie et à leur santé que si elles possèdent tous les éléments d’information.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Ma première question concerne la dépénalisation. Vous avez parlé de l’insertion de trois articles dans le nouveau code pénal en 1992. Pourriez-vous nous en dire plus à ce sujet, ainsi que sur la réflexion que vous menez avec l’aide de juristes ?

En ce qui concerne les mineures, se pose à la fois le problème de l’accompagnement de la mineure et de sa responsabilité ; elles ont une majorité sexuelle à partir de 16 ans, elles ont le droit d’accoucher, d’abandonner leur enfant, mais ne peuvent pas avorter sans l’autorisation des parents. Avez-vous réfléchi, en termes juridiques, à la question de la responsabilité ? Dans son rapport, le professeur Nisand parle de la reconnaissance d’un droit propre, pour les adolescentes, à décider de l’IVG.

Mme Danièle Bousquet : Je voudrais savoir quelle est la possibilité de saisir le juge des enfants, lorsqu’une mineure souhaite avorter et que ses parents ne lui en donnent pas l’autorisation ? Est-ce une pratique courante, et quels en sont les effets ?

Mme Hélène Mignon : Votre association est implantée sur tout le territoire. Avez-vous des informations sur ce qui se passe dans les départements ? Savez-vous si, dans certains départements, l’on accepte de pratiquer un avortement chez une mineure qui n’a pas l’autorisation de ses parents, ou si, au contraire, cela est systématiquement refusé ?

En ce qui concerne les femmes adultes n’avez-vous pas l’impression que, dans certains hôpitaux publics, on s’arrange pour ne pas intervenir dans les délais, et ensuite refuser de pratiquer l’avortement ?

Mme Marie-Thérèse Boisseau : Le délai est aujourd’hui de 12 semaines d’aménorrhée. Vous avez d’abord parlé d’harmonisation européenne - 14 semaines -, puis vous êtes allées plus loin en proposant 22 semaines, seuil de viabilité reconnu par l’OMS.

Les femmes qui dépassent les 12 semaines en France ne sont pas nombreuses ; si vous repoussez le délai à 14, voire à 22 semaines, il y aura toujours des femmes qui le dépasseront. Plutôt que de fixer un délai précis, ne serait-il pas plus intelligent de laisser, au-delà de 12 semaines, la décision à l’appréciation médicale ? On pourrait réfléchir à une formule juridique qui, à la fois couvrirait le corps médical et lui laisserait l’appréciation d’agir au cas par cas.

Mme Danièle Bousquet : Il existe une réelle difficulté à trouver des médecins voulant bien pratiquer des avortements ; nombreux sont ceux, en effet, qui font jouer la clause de conscience, dont on peut se demander si elle a des raisons d’exister, s’agissant d’un acte médical. N’existe-t-il pas un risque réel de voir diminuer le nombre de médecins pratiquant des IVG, si le délai est prolongé ?

Mme Danielle Gaudry : En ce qui concerne les trois articles qui ont été introduits dans le nouveau code pénal et notre demande de dépénalisation, je vous ferai, après la lecture des articles, le résumé de nos travaux en cours.

Actuellement, les articles du code pénal sont ainsi rédigés :

"Article 223-10- L’interruption de la grossesse sans le consentement de l’intéressée est punie de cinq ans d’emprisonnement et de 500 000 F d’amende."

"Article 223-11- L’interruption de la grossesse d’autrui est punie de deux ans d’emprisonnement et de 200 000 F d’amende lorsqu’elle est pratiquée, en connaissance de cause, dans l’une des circonstances suivantes :

1°) Après l’expiration du délai dans lequel elle est autorisée par la loi, sauf si elle est pratiquée pour un motif thérapeutique ;

2°) Par une personne n’ayant pas la qualité de médecin ;

3°) Dans un lieu autre qu’un établissement d’hospitalisation public ou qu’un établissement d’hospitalisation privé satisfaisant aux conditions prévues par la loi.

Cette infraction et punie de cinq ans d’emprisonnement et de 500 000 F d’amende si le coupable la pratique habituellement.

La tentative des délits prévus au présent article est punie des mêmes peines."

"Article 223-12- Le fait de fournir à la femme les moyens matériels de pratiquer une interruption de grossesse sur elle-même est puni de trois ans d’emprisonnement et de 300 000 F d’amende. Ces peines sont portées à cinq ans d’emprisonnement et à 500 000 F d’amende si l’infraction est commise de manière habituelle."

Nous souhaitons le retrait des articles 223-10, 223-11 et 223-12 du code pénal ; et ce n’est pas parce que ces articles n’existeront plus qu’il y aura un vide juridique, l’avortement étant inscrit dans le code de la santé publique. Nous proposons que les dispositions concernant la pratique par des médecins d’avortements en dehors du cadre de la loi soient inscrites dans le code de déontologie, puisqu’une mauvaise pratique médicale peut être sanctionnée par le conseil de l’ordre.

En ce qui concerne les dispositions relatives aux non médecins qui pratiqueraient un avortement ou feraient pression pour qu’une femme avorte, nous proposons qu’ils soient poursuivis pour exercice illégal de la médecine et que l’on fasse une différence entre le délit d’habitude -s’il s’agit d’un acte répété- et le délit instantané.

En ce qui concerne la personne qui ferait pression pour qu’une femme se fasse avorter, elle pourrait être poursuivie pour "violences volontaires commises sur autrui".

Mme Marie-Thérèse Boisseau : L’exercice illégal de la médecine est bien entendu répréhensible. Outre la pratique illégale d’un avortement, qui se trouve dans le code pénal, ou figurent les articles concernant l’exercice illégal d’autres actes médicaux ?

Mme Danielle Gaudry : Dans le code de la santé publique. L’avortement est le seul acte médical qui soit inscrit dans le code pénal.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : La pilule du lendemain est-elle considérée comme un moyen de contraception ou un moyen d’avorter ?

Mme Danielle Gaudry : Il s’agit d’un moyen de contraception puisqu’elle n’empêchera pas une grossesse qui a déjà débuté. Elle permet simplement d’éviter qu’une grossesse ne débute.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Si l’on développe les techniques abortives sans prescription médicale, n’allons-nous pas au-devant d’incriminations par les articles qui sont aujourd’hui dans le code pénal et demain, peut-être, dans le code de la santé ou le code de déontologie ?

Mme Danielle Gaudry : Je ne pense pas qu’en France nous soyons prêts à mettre des produits abortifs en vente libre. La pilule du lendemain entre dans le champ de la contraception et non pas de l’avortement. Certains députés ont fait référence à une partie de la loi Neuwirth stipulant que tous les contraceptifs hormonaux doivent être délivrés sur ordonnance pour contester la mise en vente libre en pharmacie.

Mme Fatima Lalem : En ce qui concerne les mineures, la question aujourd’hui est non pas celle de l’accompagnement, mais de l’obligation d’une autorisation parentale. La loi n’impose pas la présence physique du parent, mais dans de nombreux centres, les pratiques vont au-delà de la loi en exigeant cette présence physique.

A la question de savoir si, dans certains départements de France, il y a une souplesse dans l’accueil des mineures, je vous répondrai, même s’il est difficile d’avoir une appréciation globale, que, au contraire, il y a un raidissement très important, puisque certaines structures réclament la présence physique d’un des deux parents.

Mme Marie-Thérèse Boisseau : Mais une mineure peut présenter une fausse autorisation.

Mme Fatima Lalem : La loi prévoit une autorisation écrite des parents. Certains responsables peuvent demander, par exemple, un double de la carte d’identité, mais ils ne peuvent pas obliger les parents à être présents physiquement.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Si la mineure présente un faux, les équipes médicales, fragilisées, peuvent être mises en causes.

Mme Danielle Bousquet : Dans le passé, des conseillères du planning familial qui avaient accepté de signer, ont parfois été mises en cause à titre personnel.

Mme Marie-Thérèse Boisseau : Dans le cas d’une mineure qui rédige elle-même une fausse autorisation, que se passe-t-il ?

Mme Fatima Lalem : Personne ne pourra vérifier. Mais lorsque les mineures se présentent dans nos structures, nous leur opposons les termes de la loi qui, parfois, les font fuir.

Actuellement, s’agissant de la vérification administrative, les structures vont le plus loin possible, et nous n’avons pas l’impression que les stratégies de contournement fonctionnent. Un grand nombre de grossesses d’adolescentes s’expliquent par l’impossibilité d’obtenir cette autorisation d’avorter.

Mme Danielle Gaudry : N’oublions pas que l’administration hospitalière exige la carte de sécurité sociale des parents.

Mme Fatima Lalem : En ce qui concerne le juge des enfants, en pratique, dans les situations de grande difficulté, de violence, de danger pour la mineure, le juge peut être saisi. Mais quelle que soit la situation, le juge entendra les parents.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Dans le rapport Nisand, une juge pour enfant expliquait qu’elle n’était pas favorable à ce que l’autorité du juge puisse se substituer à l’autorité parentale.

Mme Marie-Thérèse Boisseau : La voie est étroite : faut-il ou non exiger l’autorisation parentale ? Dans certains cas, le dialogue va permettre à une famille de rétablir des rapports familiaux sains.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Cela dépend des familles. Je pense aux familles de la deuxième génération d’immigrés chez qui le poids de la culture est très fort. Il est hors de question, pour les jeunes filles issues de ces familles, de demander l’autorisation d’avorter.

Mme Danielle Gaudry : Si notre démarche est de rappeler systématiquement la loi aux mineures, c’est justement pour leur souligner ce qu’elles doivent faire et non pas pour entretenir la mauvaise relation qu’elles peuvent avoir avec leur famille. Bien entendu, on ne va pas au planning familial quand tout va bien ; la population que nous recevons n’est donc pas la plus favorisée en termes de relation familiale. Il est certain que pour certaines, le fait de parler, de renouer le dialogue avec les parents sera extrêmement bénéfique ; mais celles qui ne peuvent pas demander cette autorisation sont renvoyées à une grande solitude qui les poussent parfois à présenter de faux papiers.

Mme Fatima Lalem : Bien entendu, certaines situations se débloquent très bien. Malheureusement, de nombreuses femmes sont renvoyées à elles-mêmes ; or nous considérons qu’aujourd’hui les droits des femmes ne doivent pas exclure une partie des femmes. Le droit de choisir doit être égal pour toutes.

Pendant 25 ans, nous avons essayé de faire au mieux avec la loi, en prenant parfois le risque d’informer les femmes sur les possibilités d’avorter à l’étranger. Aujourd’hui, nous souhaitons que l’on pose à nouveau la question d’un droit égal et d’un accès égal à l’information, notamment avant qu’il y ait grossesse. A cet égard, la prévention a elle aussi besoin d’être revue et réaffirmée pour permettre à toutes les femmes d’avoir accès à la contraception.

Ce sont toujours les mêmes catégories qui sont les plus défavorisées : les mineures et les femmes en grande difficulté.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : En ce qui concerne les mineures, comment leur permettre d’exercer un droit propre, tout en le conciliant avec la responsabilité parentale ?

Mme Chantal Robin-Rodrigo : A partir du moment où les mineures de plus de 16 ans ont le droit d’accoucher, d’abandonner leur enfant, je trouverais tout à fait légitime qu’elles aient, de la même façon, le droit d’avorter !

Mme Danielle Gaudry : Nous avons mené une réflexion sur la sexualité des mineures, en excluant le rapport forcé. Le choix pour les mineures d’avoir une sexualité doit correspondre à une démarche de responsabilité. Cela dit, doit-on faire reposer sur leurs épaules toute cette responsabilité ? Nous, nous disons "oui", mais avec un accompagnement par quelqu’un de leur choix ; ce choix peut même se traduire, par exemple, par la mère de leur petit ami.

Mme Fatima Lalem : L’âge du premier rapport sexuel a baissé, puisque 38 % des femmes ont leur premier rapport entre 14 et 17 ans, contre 29 % de garçons.

Mme Danielle Gaudry : En ce qui concerne les délais, la moyenne est de 14 semaines en Europe ; la Hollande, l’Espagne et la Grande-Bretagne, ont, quant à elles, voté en faveur d’un délai de 22 semaines. En France, environ 5.000 femmes par an dépassent le délai des 12 semaines et vont se faire avorter à l’étranger, notamment en Hollande et en Espagne.

Quant à la proposition de Mme Boisseau de laisser le médecin apprécier si l’avortement peut encore être pratiqué ou non, c’est laisser la femme face au pouvoir du médecin. Or le pouvoir du médecin existe et peut être critiqué ; tout dépend comment il est exercé.

Par ailleurs, un certain nombre de médecins feront jouer la clause de conscience, que la femme se présente le lendemain de la fécondation ou à 22 semaines d’aménorrhée - voire même au-delà pour les avortements thérapeutiques. L’idéologie de chaque médecin va jouer dans son appréciation de la situation.

Que l’on agisse au cas par cas, dans une structure particulière composée d’une équipe pluridisciplinaire qui prendrait la femme dans sa globalité, me paraît être une idée intéressante. Mais laisser un médecin seul face à une femme seule ne serait pas, à mon avis, une bonne solution.

Autre question : y aura-t-il toujours des médecins pour pratiquer les avortements ? Une expérimentation a été réalisée, il y a quelque temps, avec l’accord de la DASS de Grenoble, sur des IVG pratiqués entre 12 à 16 semaines d’aménorrhée. Mais elle a été arrêtée à la demande de M. Bernard Kouchner.

Actuellement, six centres IVG ou établissements de santé, publics ou privés à mission publique, se sont portés volontaires comme centres expérimentaux pour pratiquer des IVG au-delà des 12 semaines d’aménorrhée, dans le but d’éclaircir les conditions dans lesquelles les femmes pourraient trouver des solutions appropriées à leur demande. Il y a donc bien des équipes volontaires.

Le rapport Nisand préconise la création de structures régionales pour les patientes qui dépassent le délai légal. Pourquoi pas ! Il s’agit peut-être là d’une solution raisonnable.

Mme Fatima Lalem : En ce qui concerne la question relative à l’attitude d’un certain nombre d’hôpitaux publics, des propositions ont été faites par Mme Martine Aubry pour répondre aux difficultés que nous dénonçons depuis plusieurs années et qui se sont aggravées. On constate en effet, à Paris notamment, un désinvestissement du secteur public dans l’accueil des femmes en demande d’IVG. Un certain nombre de structures arrêtent de donner des rendez-vous à partir de 8 semaines de grossesse et les discours tenus sont très culpabilisants.

La pratique de l’avortement est une fonction très peu valorisante dans un certain environnement et beaucoup de jeunes médecins s’en désintéressent. Ce sont en fait des médecins plus âgés, qui ont participé aux grands moments de la lutte sociale, qui continuent à assurer, pour l’essentiel, l’accueil de ces femmes.

Ajoutons à cela que les structures d’IVG ferment pendant l’été. C’est donc le secteur privé qui répond aujourd’hui à la majorité des demandes des femmes.

Mme Danièle Bousquet : Au-delà du fait que cette pratique ne soit pas valorisée, ne pensez-vous pas qu’une rémunération correcte des demi-journées de vacation, actuellement rémunérées à 220 F, pourrait être une motivation pour les jeunes médecins ?

Mme Danièle Gaudry : Le prix de la vacation hospitalière, que ce soit pour les IVG ou pour autre chose, est absolument scandaleux ! Le prix du forfait IVG n’a pas bougé depuis 1991 ! Dans certains centres, les médecins peuvent être payés à l’acte. M. Nisand propose que l’IVG soit inclue dans la charge hospitalière, c’est-à-dire non pas sous forme de vacation, mais comme faisant partie du salaire.

Puisque nous en sommes aux questions financières, je peux vous indiquer le salaire que perçoit ma remplaçante régulière, assistante à l’hôpital de Chartres : elle touche 13 500 F nets, pour un plein temps en dehors des gardes de nuit et elle est en fin d’assistanat !