Sujet : IVG

Audition de : Michèle Ferrand

En qualité de : sociologue au Centre national de la recherche scientifique

Par : Délégation aux droits des femmes de l’Assemblée nationale (France)

Le : 17 octobre 2000

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Nous recevons aujourd’hui Mme Michèle Ferrand, sociologue au CNRS depuis 1979 et spécialisée dans le domaine des rapports hommes-femmes.

Vous avez commencé votre carrière de recherche en travaillant sur l’avortement et en publiant, en 1987, un "Que sais-je ?" sur "L’IVG en France". Vous avez ensuite travaillé sur les trajectoires familiales et professionnelles des femmes et des hommes vivant en couple et publié sur ce thème l’ouvrage : "Entre travail et famille : dire sa vie". Vous avez également mené une enquête sur les femmes scientifiques de haut niveau - normaliennes et polytechniciennes - et sur le rôle de la famille dans la production de ces trajectoires.

Vous travaillez actuellement avec l’INSERM sur une enquête portant sur la contraception en France aujourd’hui. Nous souhaiterions donc vous entendre sur cette enquête menée à partir de quatre-vingts entretiens de femmes ayant eu une grossesse non prévue.

Mme Michèle Ferrand : Cette enquête qualitative, commencée il y a deux ans, réunit des chercheurs de l’INSERM et du CNRS. Dirigée par Nathalie Bajos (INSERM) et moi-même, elle a consisté en une approche spécifique du recours à l’IVG et de l’acceptation de la contraception en France. Elle a été menée à partir d’entretiens approfondis auprès des femmes, de manière à déterminer leur trajectoire, leur façon de vivre la contraception et leur situation en cas de grossesse non prévue.

C’était la manière dont nous avions décidé d’aborder le problème : nous voulions rencontrer des femmes qui, dans les trois dernières années, s’étaient retrouvées enceintes sans l’avoir voulu, qu’elles aient par la suite choisi d’interrompre ou de poursuivre cette grossesse.

Pour recruter ces femmes, nous sommes passées par un système assez peu fréquent en sociologie, celui de petites annonces parues dans les journaux féminins, placardées dans les bureaux du Planning, les centres d’IVG et les cabinets de consultation de gynécologues, à Paris et en province.

Si nous avons choisi ce moyen pour recruter ces femmes, c’est parce que nous voulions des femmes qui aient envie d’en parler. Le problème de l’avortement, nous en étions convaincus et l’enquête nous a confortés dans cette position, est que la décision d’avorter n’est jamais un geste anodin pour les femmes ; les faire parler sur ce sujet ne l’est pas plus.

Nous nous sommes dit qu’éventuellement, nous pourrions rééquilibrer l’échantillon par rapport à la population nationale, s’il nous manquait certaines catégories. C’est ce que nous avons dû faire, essentiellement pour les mineures qui, malgré des annonces parues dans la presse des jeunes, n’ont pas énormément répondu. Nous continuons d’ailleurs à travailler à l’heure actuelle, après la rédaction de ce premier rapport, au problème des mineures et à celui des femmes qui ont dépassé les délais - elles ont été également très difficiles à rencontrer puisqu’elles se sentaient dans l’illégalité et n’avaient pas forcément envie d’en parler, se sentant doublement stigmatisées -.

Nous avons un échantillon qui ne se veut pas représentatif mais diversifié d’un point de vue socio-démographique, qui rend compte à peu près de toutes les catégories sociales, qui couvre l’ensemble des âges et des types de résidence (urbain/rural), et qui regroupe tous les cas de figures de situations matrimoniales - couple, situations de rupture et engagement dans une relation -.

Nous avons constaté, en premier lieu, que nous ne pouvions pas faire de typologie de femmes, car nous n’avions pas affaire à des femmes à risques, mais à des situations à risques ; en fait, à un moment de leur trajectoire, pour des raisons extrêmement complexes, ces femmes se trouvaient enceintes sans l’avoir prévu.

Nous avons essayé de voir comment ces femmes se situaient par rapport à la contraception ; comment elles avaient pris la décision d’avorter ou de conserver cette grossesse ; et, quand elles avaient opté pour l’IVG, comment s’était déroulé leur recours au système de soins.

Nous avons découpé notre étude en différents chapitres qui recouvrent l’échec contraceptif, la décision de poursuivre la grossesse ou non et la façon dont l’appareil de soins a répondu aux demandes des femmes. Ce sont les trois grands axes de notre enquête, ces chapitres pouvant être décomposés en fonction de populations plus particulières, comme celle des mineures ou celle des femmes étrangères, - sur lesquelles nous n’avons pas beaucoup à dire pour l’instant, car il nous faut approfondir l’analyse -, ou encore celle des femmes ayant dépassé les délais. Elles constituaient les trois populations se situant à la marge de la législation actuelle sur lesquelles nous avions envie de porter un regard plus aigu.

Nous avons constaté que nous pouvions placer quasiment toutes ces femmes sur un espèce de continuum en matière de pratique contraceptive, qui allait de l’acceptation la plus concrète et la plus totale à l’impossibilité contraceptive. Pour l’essentiel, ces femmes se disaient favorables à la contraception, bien informées, et l’utilisant, ce qui peut paraître assez étonnant.

Un tiers des femmes que nous avons interrogées a poursuivi sa grossesse. Dans l’analyse concernant leur rapport à la contraception, nous avons mélangé les femmes qui avaient décidé d’interrompre leur grossesse et celles qui avaient décidé de la poursuivre. Nous avons donc analysé leur rapport à la contraception, quelle que soit l’issue de la grossesse.

Nous nous sommes posés la question de savoir ce qui expliquait la grossesse non prévue.

La première question était celle-ci : dans un pays où la contraception est largement diffusée, où seulement 2 à 3 % des femmes déclarent être dans la situation d’avoir des relations sexuelles, de ne pas vouloir d’enfant et de ne pas utiliser de techniques contraceptives quelles qu’elles soient - résultat de l’enquête de l’INED -, comment se fait-il que nous ayons un taux de grossesse non prévue et d’interruptions volontaires de grossesse aussi élevé ? La véritable question était : qu’est-ce qui se passe du côté de la contraception ?

Mme Marie-Thérèse Boisseau : Pourquoi votre échantillon était-il limité à quatre-vingts femmes ? Est-ce suffisant pour être significatif ?

Mme Michèle Ferrand : Une recherche qualitative ne vise jamais la représentativité. Mais, lorsqu’elle porte sur un échantillon diversifié du point de vue socio-démographique, elle permet d’identifier les processus qui conduisent les femmes à se trouver dans une situation donnée, ici être confrontée à un échec de contraception. Au-delà d’un certain nombre d’entretiens, il ne sert à rien d’augmenter encore l’échantillon car les différents processus ont déjà été repérés. Le plus souvent, les échantillons des enquêtes qualitatives portent sur une cinquantaine de cas. Ici, nous avons été au-delà parce que nous étudions des populations spécifiques : les jeunes, les femmes étrangères et les femmes hors-délais. A terme, nous espérons recueillir une centaine d’entretiens.

En particulier, pour les mineures, nous n’en avons pas encore assez, ce qui explique que nous continuions. Pour les femmes étrangères, non seulement il nous faudrait en avoir davantage, parce que certaines sont venues un peu par hasard, mais il va nous falloir vérifier ce que nous apportent ces femmes, une fois que nous aurons établi leur appartenance sociale. Je ne m’étendrai pas plus longuement sur ce cas particulier, car nous devons encore avoir une vingtaine d’entretiens.

Tout ce que nous pouvons dire sur les femmes étrangères, et notamment sur les jeunes femmes maghrébines ou d’origine maghrébine, lorsqu’on les remet à hauteur de la population française habituelle, en fonction du diplôme, de l’activité et du statut matrimonial, c’est qu’elles se comportent comme la population générale. En revanche, les mineures ou les jeunes femmes maghrébines de moins de vingt-cinq ans seraient plus proches des mineures de moins de dix-huit ans de la population française, petit retard d’âge certainement dû à la situation particulière que connaissent les mineures et, sans doute aussi, les jeunes filles maghrébines.

Pour revenir à la contraception, une très grande partie des femmes que nous avons rencontrées avaient un rapport favorable à la contraception, la prenaient et ne souhaitaient pas être enceintes. Elles utilisaient ou avaient utilisé, de manière fréquente, constante et régulière, une contraception et ne voulaient pas être enceintes.

La survenue de cette grossesse non prévue s’expliquait par plusieurs processus.

Tout d’abord, il y a l’accident de méthode que tout le monde peut comprendre, qui renvoie à la différence entre l’efficacité pratique et l’efficacité théorique d’une méthode. Nous avons l’exemple tout à fait particulier d’une femme médecin en train de terminer sa thèse, qui s’est retrouvée enceinte sans l’avoir prévu et qui est certaine de ne jamais avoir oublié sa pilule. Ce n’était pas un drame pour elle, elle a d’ailleurs gardé cet enfant. C’était un peu prématuré par rapport à son projet. Elle dit elle-même : "De toute façon, tout le monde sait qu’il y a peu de risques avec la pilule, mais que les risques ne sont pas totalement nuls."

C’était le cas le plus exceptionnel. Nous avons eu les accidents de méthodes que sont les accidents de préservatifs, les "oublis" de pilule ou les vomissements. Ce ne sont pas alors des oublis conscients ou inconscients, mais des problèmes de médicaments neutralisant l’effet de la pilule. Les femmes les ont évoqués spontanément, sans remettre en cause leur rapport à la contraception. Elles concevaient que la contraception ne soit pas fiable à 100 %.

Le deuxième processus est très important aussi parce que les médecins y jouent un rôle, c’est celui de l’infertilité supposée. Il s’agit de femmes qui, soit se sont entendu dire par leur médecin qu’elles étaient hypofertiles, voire infertiles et qu’elles ne risquaient plus rien, soit même de femmes qui avaient consulté pour infertilité. Le cas le plus typique que nous avons rencontré plusieurs fois est celui d’une jeune femme mariée pendant plusieurs années avec un homme avec lequel elle souhaitait avoir un enfant et qui ne pouvait pas en avoir. Les années passant sans enfant, leur relation s’est détériorée et ils se sont séparés. Se pensant infertile, elle a eu une nouvelle relation et, le mois d’après, elle s’est trouvée enceinte. Classique, me direz-vous, mais toujours très surprenant pour ces femmes.

Mme Catherine Génisson : On voit aussi cela, parfois, dans des cas d’adoption.

Mme Michèle Ferrand : En revanche, trois autres situations sont beaucoup plus complexes. La première est celle de ce que nous avons appelé "la méthode inadéquate".

Nous avons remarqué qu’à l’heure actuelle, les médecins accordent un bonus à la pilule en raison de sa grande fiabilité ; pourtant, sauf pour certaines femmes, la méthode préconisée par le médecin paraît inadéquate avec leur mode de vie. J’en donnerai deux exemples.

Le premier est celui d’une jeune mère qui vient d’accoucher, qui reprend une pilule légèrement dosée pour pouvoir allaiter son enfant et qui, perturbée par les périodes d’allaitement et de réveils de son enfant en bas âge, a du mal à respecter, à ce moment assez difficile du point de vue de la gestion du temps, l’impératif de prendre la pilule à heure fixe.

Le deuxième exemple est le cas, très clairement exprimé par une femme divorcée, qui élève seule ses enfants et qui a une nouvelle relation. Elle ne vit pas avec cet homme, leur relation est plus ou moins clandestine ou, plutôt, n’est pas clairement vécue au grand jour. Elle explique qu’il n’est pas facile de penser à prendre la pilule tous les soirs quand on n’a pas un homme dans son lit. Il y a une distance entre cette prise de contraception au quotidien et ses relations irrégulières avec un homme ; elle ne fait pas le lien entre cette pilule prise tous les soirs et sa liaison. Elle explique cet oubli en disant : "Avant, quand je vivais avec le père de mes enfants, je n’oubliais pas la pilule. Cette relation est relativement récente - trois mois - et il m’arrive de l’oublier."

En tant que sociologue, il m’intéresserait de savoir ce que donnerait auprès des hommes la prise d’un placebo au quotidien, même pendant six mois, et notamment s’il n’y aurait pas d’oublis dus à des couchers tardifs.

Mme Catherine Génisson : Avez-vous pu déterminer si, dans ces oublis, il n’y avait pas une part d’ambivalence ?

Mme Michèle Ferrand : Nous avons effectivement évoqué l’idée de l’échec contraceptif au service de l’ambivalence. Mais nous ne l’avons pas associé à cette catégorie de femmes, parce que ces femmes n’étaient pas ambivalentes par rapport au désir d’enfant. Selon elles, elles n’avaient aucun désir d’enfant. Les psychologues pourraient dire que dans toute femme, il y a un désir d’enfant caché. Mais ces femmes disaient explicitement qu’elles ne voulaient pas d’enfant, qu’elles n’en avaient pas envie, que ce n’était pas un problème qui se posait pour elles. Pour d’autres femmes en revanche, et j’y reviendrai tout à l’heure, on a pu observer que l’ambivalence était à l’origine d’un échec de contraception.

Les premières déclaraient avoir un rapport très positif à la contraception ; les deuxièmes, un rapport beaucoup plus réservé, puisque les méthodes qu’elles utilisaient ne les satisfaisaient pas.

Il y a aussi un autre aspect, qui n’est pas très important dans notre étude, c’est celui de la contraception vécue comme un enjeu des rapports entre homme et femme au moment de la relation. C’est le problème du préservatif, mais c’est aussi celui de la contraception inadéquate pour la femme. Quand l’homme ne veut pas utiliser de préservatif et que la femme ne supporte pas la pilule, il y a indéniablement un enjeu réel dans chaque relation sexuelle. L’homme pousse généralement la femme à prendre la pilule, parce que c’est beaucoup plus confortable pour lui. Les femmes reconnaissent d’ailleurs très souvent que les hommes n’aiment pas les préservatifs et trouvent cela normal ; elles sont même suffisamment soucieuses du bien-être de leur partenaire pour s’en préoccuper en tentant, à nouveau, de prendre la pilule ou d’en essayer une différente, ou en étant prêtes à utiliser des méthodes telles que gel spermicide ou éponge, qu’elles-mêmes n’aiment pas tellement. Les hommes n’aiment cependant pas plus les spermicides, ou, plus exactement - ne généralisons pas - les hommes dont ces femmes nous ont parlé.

Nous avons rencontré des cas de domination masculine aboutissant à des grossesses non désirées chez la femme. J’en donne deux exemples.

Le premier est celui d’une jeune femme qui possède un BTS, qui a une relation avec un homme déjà marié ayant déjà plusieurs enfants avec plusieurs femmes. Elle est elle-même un peu perdue, vit chez sa grand-mère, n’a pas de famille à Paris et elle se raccroche à cette relation. Elle prend la pilule et elle s’attache à ne pas l’oublier ; elle est très sérieuse. Ce n’est pas le premier homme de sa vie et elle n’a jamais eu de problème avec la contraception. Elle oublie pourtant sa pilule et, le lendemain, voyant son partenaire, elle le prévient. Celui-ci lui dit : "Ce n’est pas pour une fois. Tu n’en mourras pas. Je ne mettrai pas de préservatif." A la suite de cette relation, il part en vacances. Elle se retrouve enceinte et elle est donc amenée à avorter sans qu’il soit là.

Le second est celui d’une jeune femme qui utilise elle aussi la pilule depuis toujours. Elle a été malade la veille et pense avoir vomi sa pilule. Son partenaire refuse d’utiliser le préservatif, disant qu’ils ont toujours fait comme ça et qu’il ne voit pas pourquoi changer.

Ces exemples nous sont apparus importants parce que se dessinent des enjeux sur lesquels nous ne pourrions pas agir du point de vue de la prévention en santé publique. C’est quelque chose de beaucoup plus ample.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : La pilule du lendemain peut aujourd’hui apporter une solution à ces cas.

Mme Michèle Ferrand : Oui. La pilule du lendemain m’amène justement au dernier point concernant ces femmes qui sont très favorables à la contraception, ne veulent pas d’enfants et pensent faire ce qu’elles doivent pour ne pas être enceintes : la différence entre information détenue et information efficace.

A cet égard, le cas des mineures nous paraît le plus net, mais cela concerne l’ensemble des femmes. Pour la majorité d’entre elles, nous constatons un déficit d’information sur les méthodes contraceptives et leur fonctionnement. Si vous les interrogez sur le fonctionnement de la pilule, vous vous rendez compte qu’elles ne le connaissent pas. Nous-mêmes d’ailleurs ne le connaissions pas. C’est grâce aux médecins qui participent à l’enquête que nous avons appris que la couverture de la pilule commençait au septième jour de prise et, qu’à partir du moment où on l’avait prise durant sept jours, si on l’oubliait le huitième, il fallait la reprendre immédiatement. Je parle de la pilule normale, pas de la mini-dosée. La plupart des médecins n’avaient pas donné cette information aux femmes.

Le plus bel exemple concernant une mineure est celui d’une jeune fille qui rencontre son partenaire en classe. C’est son premier partenaire. Lui-même n’a jamais eu de relation sexuelle auparavant, ce qui écarte le risque du sida. Ils ont donc des relations sexuelles sans préservatif, sauf le quatorzième jour, se fiant à un manuel de biologie qui indique que l’ovulation se produit ce jour-là. Ce livre ne précise ni que les spermatozoïdes ont une durée de vie de quatre ou cinq jours, ni que l’ovulation peut se produire à une tout autre date que le fameux 14ème jour.

C’est en cela que l’information est un aspect important du rapport à la contraception, car le rapport de ces jeunes filles à la contraception était très positif ; elles auraient volontiers pris la pilule, si elles avaient su où la demander.

Autre exemple d’une mineure de quatorze ans qui a sa première relation sexuelle avec un partenaire d’une vingtaine d’années. Elle décide d’aller au Planning familial où on lui prescrit la pilule pour quelques mois, en lui faisant remarquer qu’elle commence tout de même un peu jeune. Résultat : elle ne retourne pas au Planning.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Vos précédentes études montraient déjà que la tolérance vis-à-vis de la sexualité des jeunes et l’acceptation sociale conditionnent leur comportement.

Mme Michèle Ferrand : Je vais directement aux conclusions : un des points fondamentaux en ce qui concerne les mineures, ce qui est le plus protecteur pour elles, c’est qu’elles puissent dire qu’elles ont une sexualité. La raison des retards d’annonce d’une grossesse aux parents, c’est qu’elles doivent parler de leur sexualité à leurs parents. Il semble que la notion d’adulte référent soit vraiment la bonne notion.

Les mineures ne sont pas les inconscientes que l’on veut dire. La plupart du temps, excepté les très jeunes ou les cas un peu particuliers, ces jeunes filles auraient souhaité prendre une contraception sûre, sauf dans un cas qui nous amène à la deuxième catégorie de femmes.

Nous venons de voir des femmes qui avaient un rapport positif à la contraception, qui ne voulaient pas être enceintes et qui pensaient avoir fait ce qu’elles devaient pour ne pas l’être. Il existe une seconde catégorie qui est celle de l’échec de contraception ou de la contraception au service de l’ambivalence. Cela se trouve, y compris chez des mineures. Mais d’abord, de quelles mineures parle-t-on ? Ce n’est pas pareil de parler d’une mineure de dix-sept ans et demi et d’une mineure de treize ou quatorze ans. Il existe aussi des mineures qui, certes, n’ont pas fait exprès d’être enceintes, mais pour lesquelles la perspective de la grossesse, qu’elles refusaient ouvertement, n’est pas si affolante, ni indésirable que cela, parce que cela les fera sortir de leur milieu, les fera sortir de l’école, leur donnera un statut, leur donnera un but.

Toutes les grossesses de mineures ne sont pas des drames pour ces jeunes filles. En tout cas, ce n’est pas du tout comme cela qu’elles le vivent. Toutes les grossesses d’adolescentes ne sont pas des grossesses non désirées, même lorsqu’elles sont involontaires, puisque non programmées.

Nous en avons eu une qui était programmée. Il s’agissait justement de la jeune fille qui s’était fait renvoyer du Planning à quatorze ans. S’étant retrouvée enceinte, elle avait subi une première IVG, puis à dix-sept ans et demi, elle a souhaité une deuxième grossesse pour forcer la main à ses parents, qui ne voulaient pas la laisser vivre avec son partenaire - toujours le même - qui avait maintenant vingt-six ans et un emploi leur permettant de s’installer. Les parents ont refusé, simplement parce qu’elle était mineure. Depuis sa précédente IVG, elle prenait la pilule. Elle a prétendu l’avoir oubliée, car elle n’a pas pu assumer de dire à ses parents qu’elle voulait un enfant. Comme vous le voyez, il y a encore des choses qui ne se disent pas entre les parents et les enfants !

Cette contraception au service de l’ambivalence, on la voit apparaître essentiellement dans une situation de couple stable, où l’enjeu est le moment d’arrivée de cette naissance ou la possibilité d’un enfant supplémentaire, avec lequel le partenaire n’est pas forcément d’accord. Dans ces cas, pendant un temps, la femme accepte le désir de son partenaire, puis les dérapages sont liés à ce désir d’enfant. Elles le reconnaissent facilement : "J’ai oublié, mais ce n’est pas par hasard".

Il peut aussi se produire des situations dans lesquelles la femme est amenée à gérer un désir d’enfant réel, mais pas une grossesse dont elle pense qu’elle n’est pas réalisable matériellement.

C’est le cas d’une jeune femme qui a déjà une petite fille d’une première union et dont le partenaire, divorcé avec une petite fille, vit à Paris alors qu’elle vit dans la région de Marseille. Ils se voient un week-end sur deux, l’un descendant ou l’autre montant. Elle n’a pas de travail à Paris et lui n’en trouvera pas en province. Elle a un très fort désir d’enfant, elle oublie vraiment sa pilule, s’en aperçoit le lendemain mais l’oublie une deuxième fois. Elle nous dit : "Mon coeur et mon corps en voulaient, mais ma tête me disait non." L’ambivalence est très bien exprimée. Cela s’est terminé par une IVG parce qu’en plus, elle s’est rendu compte qu’elle était enceinte le jour de son licenciement. C’était, pour elle, un déchirement d’avorter. Elle avait très envie d’avoir un enfant de cet homme, elle avait déjà trente-six ans, âge qu’elle jugeait déjà avancé. Pourtant, il n’était absolument pas sérieux de conserver cette grossesse à ce moment-là.

Très rapidement, j’évoquerai ce que nous avons appelé "l’impossible démarche contraceptive" qui touche très peu de femmes. Nous n’en avons rencontré que très rarement, mais nous aurons peut-être plus de cas lors de l’étude quantitative qui est en cours. Il s’agit de femmes qui ne contrôlent rien dans leur vie.

Ce sont des femmes "en galère", des femmes maltraitées, des femmes qui n’ont pas de profession ou de moyens de survivre, qui sont dépassées par les événements. Avoir une maîtrise de la contraception leur paraît impossible. Ce sont elles qui risquent de présenter des IVG à répétition.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Et le stérilet ?

Mme Michèle Ferrand : Le stérilet pose le même problème : comment voulez-vous qu’une femme "en galère" puisse avoir un stérilet qui, jusque-là, valait 500 francs ? Nous sommes là confrontées à des situations extrêmement difficiles, même si elles ne sont pas majoritaires.

Nous retrouvons le même phénomène dans le cas de femmes qui vont avorter trop tardivement. Ce qui explique alors les retards est le temps qu’elles ont mis à rassembler l’argent nécessaire pour l’échographie car, je vous le rappelle, l’échographie avant un avortement est payante. C’est considéré d’ailleurs comme très choquant par de nombreuses femmes.

Nous retrouvons ce même processus à tous les maillons. Ce sont des femmes qui avorteront ou qui n’avorteront pas, qui abandonneront leur enfant ou essaieront de le garder, au fil de l’évolution de leur situation. Nous nous rendons compte que lorsqu’une femme ne maîtrise pas sa vie, on peut difficilement attendre d’elle qu’elle contrôle sa contraception.

Sans doute, le cas le plus emblématique est-il celui d’une femme qui a réussi à survivre, malgré un viol vécu dans sa jeunesse qui a eu pour conséquence qu’elle ne supporte pas d’aller consulter un gynécologue. Or, pour avoir la pilule, il faut aller voir un gynécologue. Elle a réussi à "survivre" du point de vue contraceptif parce qu’elle travaillait dans une maternité et se procurait la pilule grâce à des copines infirmières. Puis, elle a changé de travail, a eu une relation très compliquée avec un homme, qui l’a plus ou moins prostituée. Elle s’est retrouvée sur le trottoir et a fait deux IVG. Pourtant, durant dix ans, elle avait eu une pratique contraceptive exemplaire. J’insiste sur ce point car, nous le voyons bien pour l’IVG, ce sont moins des femmes à risque que des situations à risque. Cette femme, cinq ans plus tôt, n’était pas du tout une femme à risque : elle avait trouvé un moyen de se procurer une contraception sûre, qu’elle utilisait bien. Il faut donc éviter de mettre cette idée de "femmes à risque" en avant. Il n’existe pas de femmes à risque, il existe des moments à risque, il existe des conjonctures de situations qui engendrent des risques.

De même, nous ne pouvons pas dire globalement que certaines femmes avorteront plus que d’autres ou prendront plus facilement la décision d’avorter que d’autres. Comme l’échec de contraception, et pas forcément de la même façon, car ce ne sont pas forcément les mêmes raisons qui expliquent l’échec de contraception et la décision d’avortement, la raison et la décision d’avortement résultent d’un moment particulier. Ce moment est en liaison très forte, et principale, avec le partenaire du moment. C’est le facteur le plus important que nous ayons dégagé de notre enquête.

Des histoires de femmes qui "font un enfant dans le dos des hommes", nous n’en avons pas rencontrées. Certaines d’entre elles ont réussi à "imposer" une grossesse alors que leur partenaire n’en voulait pas, mais c’était toujours dans le cadre d’un couple stable ayant déjà des enfants.

Dans les cas de couples en difficulté ou de couples en train de se constituer, la priorité était donnée à la relation dans le couple, la première raison invoquée étant que l’on ne fait pas cela à un homme auquel on tient et que l’on ne commence pas une relation en ayant un enfant, la seconde étant que pour qu’un enfant soit bien, il lui faut un père et une mère. Si l’on ne peut pas y parvenir, il vaut mieux refuser la naissance et y renoncer.

Ce dernier élément est très prégnant chez les femmes ; toutes celles qui ont gardé leur enfant avaient un père pour cet enfant. Celui-ci n’est pas forcément consentant, ce qui occasionne alors des négociations.

Je pense notamment à l’exemple d’une institutrice qui avait déjà trois enfants et dont le mari ne voulait pas le quatrième parce que cela faisait "lapin". Elle lui a dit : "J’ai réussi à élever les trois précédents. Je réussirai à élever le quatrième. Si tu ne veux pas de cet enfant - et elle lui a mis le marché en main - tu peux partir." Il est resté, il a d’ailleurs fort bien accepté ce quatrième garçon, bien qu’ils aient espéré une fille.

Je ne développe pas plus, mais le rôle et la place du partenaire dans la décision d’IVG est extrêmement important.

Le second facteur, presque aussi important que le partenaire, concerne les conditions d’accueil de cet enfant. Un enfant doit être accueilli dans certaines circonstances ; toutes les chances doivent être mises de son côté et il est notamment très important pour les femmes qu’elles aient des conditions financières et matérielles qui leur permettent d’élever un enfant. Etre une mère ni trop jeune ni trop vieille est aussi un facteur qui peut jouer, mais de manière secondaire. Cela éloigne complètement le spectre d’un avortement de convenance. Ce n’est vraiment pas ce qui est en jeu pour les femmes quand elles décident d’avorter.

Le troisième facteur, sûrement le moins important, concerne l’accès aux soins. Nous avons retrouvé ce qu’indiquait déjà le "rapport Nisand" l’année dernière : des conditions très inégales d’accès au système de soins et l’importance du premier interlocuteur rencontré par la femme. Si la première personne à qui elle en parle sait et connaît les réseaux de soins, il n’y aura aucun problème et elle avortera dans le temps.

J’insiste sur le fait que la décision d’avortement se prend très tôt. Mis à part quelques cas très minoritaires d’ambivalence et qui, bien souvent, vont garder l’enfant, la décision des femmes est prise avant même la huitième semaine, immédiatement après le premier retard, dès qu’elles s’en aperçoivent et qu’elles font un test de grossesse. La décision est prise dans les quelques jours qui suivent le constat de la grossesse.

En revanche, les femmes estiment qu’elles mettent beaucoup de temps pour trouver l’endroit où avoir cette interruption de grossesse, et elles vivent très difficilement le temps qui s’écoule entre le moment de la décision et celui où elles finissent par obtenir l’IVG.

Les grossesses hors délais que nous avons rencontrées - à part les cas particuliers d’ambivalence qui tournent mal ou de mineures qui ont peur d’annoncer cette grossesse - sont le fait de femmes qui ne se rendent pas compte à temps qu’elles sont enceintes et/ou ont mis trop de temps à trouver un centre d’IVG. Il y a peut-être parfois un déni de grossesse mais, en tant que sociologues, nous ne pouvons qu’entendre le discours de la femme si elle nous dit qu’elle ne s’en est pas aperçue parce qu’elle avait eu quelques saignements ou qu’elle a téléphoné à son médecin, mais n’a pas pu le joindre.

En conclusion, nous pouvons dire qu’il n’existe pas de femme type sur laquelle le législateur ou le prescripteur médical pourrait agir. C’est, à chaque fois, lié à la situation de la femme. Nous constatons également que de nombreuses améliorations restent à apporter en matière de conditions de prescription de la contraception et, surtout, en ce qui concerne la diffusion d’une information généralisée sur la contraception et l’IVG, qui sont très mal connues.

M. Philippe Nauche : Je voudrais savoir si le délai légal actuel de dix semaines, était vécu par l’échantillon des personnes que vous avez rencontrées comme limitatif ou pas : cela leur a-t-il posé vraiment problème ? Vous répondez en partie à cette question lorsque vous dites que, généralement, les décisions sont prises très tôt et que c’est, en fait, plus le passage de la décision à l’acte en raison d’un cheminement compliqué qui crée des problèmes de délai.

Le fait que ce délai soit de dix semaines a-t-il pu influer sur la décision des femmes que vous avez rencontrées de poursuivre ou non cette grossesse, en créant une tendance à se décider dans la précipitation ?

Mme Michèle Ferrand : Je suis là en tant que chercheure ; je me borne donc à rapporter ce que disent ces femmes. Pour celles qui ont des perturbations de leur cycle pour des raisons médicales ou autres et qui s’aperçoivent qu’elles sont enceintes, non pas au premier mais au second retard de règles, il semble bien que ce délai de dix semaines soit très juste. Deux semaines de plus leur permettraient de ne pas vivre la double stigmatisation ; elles ne supportent pas l’idée qu’on leur dise d’aller faire ailleurs ce qui est illégal en France. C’est un aspect très traumatisant pour elles. Nous n’avons rencontré aucun cas où la femme se dise : "C’est trop tard, je le garde".

Le seul cas qui s’en approche est le cas dramatique d’une femme qui s’est aperçue qu’elle était enceinte à cinq mois et demi de grossesse, alors qu’elle suppliait les médecins de lui expliquer ce qui lui arrivait. Elle s’était fait refaire le ventre et son gynécologue lui disait qu’elle était déjà ménopausée. C’est le fruit d’une erreur médicale manifeste. Elle est allée voir le professeur René Frydman qui lui a répondu : "Il est viable mais on peut le tuer, si c’est vraiment ce que vous voulez." Comme elle le dit maintenant, après avoir accouché prématurément d’une petite fille : "Je n’ai eu qu’un mois et demi de grossesse". C’est un cas particulier. Le fait de ne pas avoir rencontré d’autres cas de ce type ne veut pas dire qu’ils n’existent pas.

De ma position tout extérieure, je serai assez partisane de rallonger le délai de deux semaines, parce que cela donnerait un peu plus de souplesse. Nous retrouverons sûrement alors les femmes "en galère", mais elles seront peut-être aussi dans les cas hors délais à quinze semaines. Nous n’en savons rien, tout ce que je peux dire c’est que, s’il n’y a pas d’erreur médicale ou d’erreur de diagnostic, la plupart des femmes se rendent compte de leur état à trois ou quatre semaines et avortent le plus rapidement possible, du moins dès qu’elles le peuvent et si elles ne rencontrent pas de difficultés pour accéder au système de soins.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Même celles qui sont ambivalentes ?

Avez-vous étudié les cas des mineures ?

Mme Michèle Ferrand : Nous continuons l’étude les concernant parce que nous n’avons pas eu assez de cas.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Votre analyse prend-elle en compte le critère de l’âge ? Les méthodes de contraception inadéquates augmentent-elles, par exemple, avec l’âge ?

Mme Michèle Ferrand : Nous ne pourrons vous répondre qu’une fois l’étude quantitative réalisée. Nous ne pouvons pas donner de chiffres pour le moment, nous pouvons seulement montrer des cas de figure. Il serait illusoire sur un échantillon de quatre-vingts femmes de dire que tant de femmes sont dans telle ou telle situation.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Parmi ces quatre-vingts femmes, avez-vous eu des demandes d’avortement de convenance, c’est-à-dire des demandes qui auraient été liées au sexe, à une malformation mineure ou autre ? Pensez-vous que la culpabilité que ressentent les femmes est toujours aussi grande qu’avant 1975 ?

Mme Michèle Ferrand : Vous m’avez posé plusieurs questions : l’ambivalence rallonge-t-elle le délai ? L’ambivalence joue un rôle important pour ce qui est de l’échec de contraception. En revanche, quand la grossesse est là, les femmes ne sont plus ambivalentes. Elles savent. Elles peuvent hésiter un jour ou deux mais, d’après ce qu’elles disent, c’est le maximum. Elles ne retardent pas leur décision.

Mme Catherine Génisson : Le "rapport Nisand" qualifie d’importante cette population de femmes ambivalentes qui vont jusqu’au bout des délais, dont on peut, à la limite, se demander si elles n’auraient pas gardé l’enfant. Avez-vous rencontré ce cas ?

Mme Michèle Ferrand : Non.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Les médecins qui sont contre l’allongement des délais nous disent que les femmes ambivalentes vont continuer à négocier avec leur compagnon jusqu’au bout des délais.

Mme Michèle Ferrand : Mais elles ne sont pas ambivalentes, ces femmes, elles veulent leur enfant.

Mme Catherine Génisson : Nous parlons toujours de la femme par rapport à son partenaire. Mais avez-vous rencontré le problème de l’ambivalence de la femme elle-même ?

Mme Michèle Ferrand : Généralement, la femme ambivalente n’est pas claire avant la grossesse, ce qui peut expliquer l’échec de la contraception. Elle le devient quand elle s’aperçoit qu’elle est enceinte. La grossesse rend nécessaire une prise de décision. Toutes les femmes ressentent alors qu’il faut aller vite. Les chiffres sont parlants : plus de 60 % des femmes avortent avant huit semaines en France à l’heure actuelle.

A mon avis, le problème de l’ambivalence existe donc vraiment au moment où la grossesse fait irruption, parce que c’est très difficile pour les femmes d’arriver à concilier tous leurs désirs : la profession, la relation avec le conjoint, la famille, les enfants. D’évidence, l’ambivalence est à creuser du point de vue de l’acceptabilité de la contraception et de la recherche d’une méthode plus adéquate en fonction de cette ambivalence. Pour certaines femmes, la contraception idéale n’existe pas. Elles disent, par exemple : "Un comprimé à prendre en début de chaque mois, on ne l’oublierait pas celui-là !" Si elles sont ambivalentes, elles l’oublieront quand même. La contraception est actuellement très inadéquate pour les femmes. Aucun progrès n’a été réalisé depuis des années.

Mme Catherine Génisson : On parle beaucoup des femmes ambivalentes, mais toutes ne le sont pas.

Mme Michèle Ferrand : La majorité ne l’est pas, c’est bien ce que j’ai dit. La première catégorie, qui n’est ambivalente, ni vis-à-vis de la contraception, ni de la grossesse, ni du désir d’enfant, qu’elles aient gardé ou non leur enfant, est la plus nombreuse. Car, je le répète, l’IVG n’est pas le refus d’enfant. C’est, bien plus que cela, l’affirmation que la maternité est irréalisable à ce moment-là.

Nous avons rencontré des femmes qui se sont retrouvées enceintes alors qu’elles ne voulaient pas avoir d’enfant, et qui l’ont gardé ; et d’autres, qui ne voulaient pas être enceintes mais qui avaient envie d’enfant, qui ont pratiqué une IVG. C’est bien pour cela que la typologie ne fonctionne pas. On voit bien que ce sont des phases extrêmement contradictoires.

Quant au problème des malformations et du sexe, nous n’en avons absolument pas parlé. Cela a été évoqué parfois pour des femmes qui avaient déjà trois enfants du même sexe. Nous leur demandions si, par hasard, c’était un enfant de l’autre sexe. Qu’elles aient avorté ou pas - nous avons eu les deux cas - l’attitude a été la même : un enfant, ce n’est pas un sexe. Il est impensable de détruire un enfant d’après ce critère, surtout si l’on a déjà des enfants de ce sexe-là. Elles ont déjà trois garçons, par exemple, vont-elles tuer le quatrième ? C’est inimaginable pour elles.

La question de la malformation n’a pas été abordée parce qu’elle n’a pas été posée à l’époque. Par contre, la réponse est tout à fait évidente. Mais, encore une fois, ce n’est pas la recherche de l’enfant parfait, mais plutôt celle de l’enfant sans handicap. De la même façon que l’on veut réunir les meilleures conditions d’accueil de l’enfant, on veut lui donner toutes ses chances et un enfant handicapé aura moins de chances dans la vie. Si on peut l’éviter, on le fait.

Il est évident que le problème va se poser de plus en plus tôt parce que, dans trois ans, on saura dépister à sept semaines les signes de mongolisme, par exemple. Ce n’est pas un argument qui a un sens pour les femmes et il n’a pas de sens non plus pour la majorité des médecins, me semble-t-il.

En ce qui concerne le problème de la culpabilité, j’ai débuté mon travail sur l’avortement dans les années 1970. En 1971, j’ai réalisé une étude économique, juste avant l’arrivée de M. Jean Foyer au ministère de la santé, date à laquelle je n’ai plus eu accès aux informations qui devaient me permettre de chiffrer le coût de l’avortement clandestin, en France, à partir des données hospitalières. J’ai organisé des entretiens auprès de femmes qui avaient avorté dans la clandestinité ainsi qu’auprès de femmes qui avortaient après la dépénalisation de l’avortement.

J’ai été frappée de constater que celles qui avortaient dans la clandestinité disaient qu’elles n’avaient pas le choix alors qu’après 1975, les femmes disaient qu’elles avaient le choix et que c’était cela qui était important. Elles tenaient un discours fort proche de celui des femmes actuelles sur les conditions dans lesquelles un enfant doit arriver. Elles étaient peut-être plus détachées de l’avis de leur partenaire. A travers certains de ces entretiens, il m’était apparu que, même si l’homme ne le voulait pas, elles pouvaient conserver une grossesse. Entre 1975 et 1980, l’idée dominante était que les femmes pouvaient faire face à la grossesse, si elles le voulaient vraiment. Elles le disent beaucoup moins maintenant. L’importance attachée au père aujourd’hui était très déniée durant la grande période du mouvement féministe. Les femmes considéraient qu’elles pouvaient se débrouiller si elles voulaient le garder, mais qu’elles avaient le droit de ne pas le garder, si elles ne le voulaient pas.

En revanche, d’après leurs dires, les femmes avortaient d’un échec de contraception, de quelque chose qui grandissait en elles, dont elles ne voulaient pas. Je pense que l’échographie a eu une incidence extrêmement forte sur la représentation des femmes de l’embryon et du foetus. Les femmes sont toutes conscientes de ce qu’elles font. Elles savent qu’elles sont en train d’avorter d’un enfant potentiel. Ce n’était pas forcément le cas dans les années 1978.

Mme Catherine Génisson : Vous confirmez que dans les années 1970, les femmes revendiquaient leur droit de choix personnel et qu’aujourd’hui, c’est beaucoup plus en fonction de l’enfant à venir et des conditions de vie à venir de cet enfant que se prend la décision d’avorter ?

Mme Michèle Ferrand : Je n’opposerais pas tout à fait les deux tendances.

Mme Catherine Génisson : Vous constatez une évolution ?

Mme Michèle Ferrand : Il y a une évolution ; il y a, en tout cas, une évolution du discours des femmes, une évolution de ce qu’il est légitime de dire quand on décide d’une IVG. Il est difficile de démêler les deux, mais aujourd’hui, c’est tout à fait évident, l’avortement ne s’est absolument pas banalisé. C’est toujours quelque chose de difficile à vivre pour la femme. Je ne dirai pas que c’est un acte douloureux, même si cela peut l’être pour certaines, mais ce n’est jamais un acte anodin.

M. Philippe Nauche : Avez-vous rencontré des femmes qui s’étaient engagées dans une démarche d’IVG et qui, finalement, ont décidé de poursuivre leur grossesse ? Avez-vous eu le sentiment que le délai de réflexion, ce délai supplémentaire de huit jours, servait à quelque chose ? Pour les femmes pour lesquelles la réponse à la question de poursuivre ou non la grossesse n’était pas une évidence, qui intervient dans sa décision : la femme seule, la femme et son entourage, son compagnon ou époux, ou le médecin de famille avec lequel elle va en parler, et qui va faire passer un certain nombre d’options personnelles ?

Mme Michèle Ferrand : Le délai de réflexion est jugé insupportable par les femmes justement parce qu’elles réfléchissent avant de prendre leur décision. Une fois leur décision prise, elles n’y reviennent pas. Ce délai de réflexion et l’entretien, si ce dernier est ressenti comme voulant les dissuader, sont très mal vécus.

Par contre, il ressortait clairement d’entretiens que j’avais réalisés auprès de conseillères pré-IVG dans les années 80 qu’il existe un besoin de parole des femmes, que l’entretien ne suffit pas à combler. Elles ont toutes besoin de parler, mais pas forcément au même moment et de la même façon. Le plus efficace si l’on veut aider les femmes à vivre le mieux possible cette situation pénible, serait de leur proposer éventuellement un entretien avec une psychologue, au moment où elles le voudront, avant ou après. Avant, la priorité est tout de même d’avoir l’IVG.

De ce que j’ai entendu, certains entretiens se sont très bien passés, pour d’autres, les femmes disent : "Elle était très gentille, mais...", pour d’autres encore, cela a aidé la femme. Nous ne pouvons pas porter un jugement trop péremptoire. Parfois, c’est le médecin qui a joué le rôle de conseillère, qui a aidé la femme à réfléchir et à voir ce qu’était le sens de sa décision, sans forcément chercher à l’amener à changer, mais simplement l’aider à réfléchir.

C’est notamment le cas d’un gynécologue qui soignait cette jeune femme dont j’ai déjà parlé, qui l’avait consulté pour stérilité deux ans auparavant, et qui revient le voir, enceinte, en lui disant qu’elle ne peut pas garder cet enfant. Lui-même était un peu perturbé. Mais, il l’a écoutée. Ils ont parlé. Apparemment, ce dialogue a été très important. Elle ne souhaitait pas démarrer sa nouvelle relation par quelque chose qui ne serait bon ni pour la relation, ni pour l’enfant, qui risquerait de ne plus avoir de père, car l’homme aurait pu ne pas supporter d’avoir un enfant si précocement, au bout d’un mois.

En ce qui concerne les femmes qui se sont engagées dans le processus d’IVG et qui ont renoncé après, nous avons deux cas.

Le premier cas est celui d’une femme qui avait dépassé les délais, qui a eu une ambivalence et qui a continué sa grossesse en disant : "Les délais sont dépassés, je le garde." Mais son compagnon lui avait dit que ce n’était pas grave, qu’ils feraient face. Les deux phénomènes ont joué. C’est l’homme qui a accepté, finalement, qu’elle garde cet enfant. Nous ne savons pas ce qui se serait passé s’il avait maintenu sa position initiale.

Le deuxième cas est celui d’une institutrice qui a poursuivi sa grossesse, mais qui pour faire plaisir à son mari, a fait toutes les démarches d’IVG nécessaires, sans être pour autant convaincue. Lorsqu’elle est arrivée chez la conseillère pour l’entretien, où son mari voulait l’accompagner et où elle a tenu à aller seule, elle a bien dit que, de toutes façons, elle n’avait pas du tout l’intention d’avorter, mais qu’elle avait fait les démarches pour son mari et que le soir même, elle lui dirait qu’elle le gardait.

Sur la question de savoir qui décide, nous avons de nombreuses interrogations : avec qui prend-on la décision ? La femme prend-elle seule la décision ? En parle-t-elle à son partenaire ou pas ?

Certaines femmes préfèrent ne pas en parler à l’homme, parce que, n’étant qu’une relation épisodique, il n’est pas concerné ; c’est une relation qui n’existe pas ou qui n’a pas de sens pour elles. Elles l’avertissent ou pas, et, en général, l’homme est tout à fait d’accord pour que cela se passe comme cela.

D’autres n’en parlent pas pour ne pas mettre l’homme dans une situation difficile. C’est le cas de la jeune femme qui vit en province alors que son ami vit à Paris. Elle ne lui en a pas parlé. Elle en a parlé à sa mère et à sa meilleure amie. Elle l’a fait très vite parce qu’elle savait que ce n’était pas réalisable, qu’il était loin, qu’il allait souffrir de ne pas pouvoir venir, qu’il n’allait pas pouvoir l’aider. Ce n’était pas la peine de lui en parler. Mais c’est aussi une personne très secrète. Je lui ai demandé, au cours de l’entretien, si elle lui en parlerait un jour. Elle n’en savait rien, mais probablement le ferait-elle le jour où ils auraient un enfant.

Mme Catherine Génisson : Y a-t-il eu des femmes qui n’en ont pas parlé à leur partenaire dans une relation très suivie ?

Mme Michèle Ferrand : Non, nous ne l’avons pas rencontré dans notre échantillon.

En revanche, nous avons rencontré des hommes qui étaient mal à l’aise pour gérer l’aide à la décision de leur femme. Opter pour le laisser-faire - "c’est à toi de décider" - qui est respectueux de la femme mais qui, en même temps, la renvoie à sa seule décision, n’est pas toujours facile pour eux.

De plus, la femme peut vivre très mal le fait que l’homme lui dise que c’est au bout du compte à elle de prendre la décision. Une revendication des femmes de pouvoir décider peut être vécue comme un désintérêt par la femme : "C’est toujours pareil, c’est toujours notre problème et pas le leur !"

Je pense que le rapport sera certainement intéressant dans la mesure où nous avons vraiment des histoires de vie. Nous avons essayé de montrer comment la décision s’inscrit dans une trajectoire, qu’elle n’est pas la décision d’une minute, mais qu’elle résulte, en fait, de tout ce que la femme a vécu auparavant et de ce qu’elle prévoit de vivre après. Ce n’est pas une décision non réfléchie ou non mûrie, c’est une décision qui a un sens dans la trajectoire de la femme. L’aspect sans doute le plus intéressant sera d’avoir montré que l’on peut pas tirer des conclusions trop rapidement et surtout que l’on ne peut amalgamer des situations qui sont très différentes.

Un seul point sur lequel je voudrais insister est celui de la reconnaissance de la sexualité des mineures, mais aussi des maghrébines, qui sont également dans cette situation. Leur difficulté à accéder à la contraception passe par leur non-droit à la sexualité et l’exigence de virginité qui existe encore dans de nombreuses familles. Elles ont peur de se faire prendre - même des majeures qui gagnent leur vie ou qui font des études - avec une plaquette de pilules. L’une d’elles disait qu’elle n’était pas censée aller chez un gynécologue, qu’elle ne pouvait même pas se faire rembourser la consultation parce que sa mère ne comprendrait pas pour quelle raison elle y allait.

L’acceptation de la sexualité de la femme par son entourage est un facteur très positif d’accès à la contraception. Il reste encore beaucoup de réticence à la sexualité des mineures, d’idées reçues selon lesquelles l’accroissement de la diffusion de l’information contraceptive augmenterait la pratique sexuelle des jeunes, ce qui n’est pas du tout le cas.

Dans le cas des premières relations, l’autre véritable problème est le passage du préservatif à un autre moyen de contraception. Il y a là un vide, qui explique sans doute, d’après l’INED, la légère remontée des IVG chez les mineures.

M. Philippe Nauche : Dans votre étude, vous avez considéré le préservatif comme une méthode contraceptive.

Mme Michèle Ferrand : Oui.

M. Philippe Nauche : L’objectif de la diffusion du préservatif aujourd’hui est la prévention des maladies infectieuses, pas forcément la contraception.

Mme Michèle Ferrand : Nous considérons comme pratiques contraceptives toute pratique que la femme déclare mettre en _uvre, quel que soit son taux d’efficacité. Utiliser le retrait, cela veut dire se mettre dans la situation de ne pas avoir d’enfant : certaines utilisent cette méthode.

Les autres utilisent des méthodes extrêmement diverses. Les unes utilisent le préservatif la moitié du mois et le reste du temps, pas de préservatif, dans une visée totalement contraceptive ; les autres, des systèmes comme Personna, un petit ordinateur qui permet de connaître son cycle. Il y a encore des femmes qui utilisent ces méthodes parce que les autres méthodes ne leur conviennent pas.

Mme Catherine Génisson : Cela suppose d’avoir une certaine compréhension de l’outil utilisé. Nous connaissons toutes les limites de la méthode Ogino.

Mme Michèle Ferrand : Personna affiche une fiabilité de 94 %, selon les laboratoires. C’est une méthode basée sur la production d’un certain type d’hormones qui se trouve dans les urines. Cela exige d’uriner tous les matins sur son petit bâtonnet et de le glisser dans l’ordinateur. Ce n’est pas tout à fait la méthode Ogino.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Alors qu’en 1974, le taux de contraception était de l’ordre de 20 %...

Mme Michèle Ferrand : Pas exactement : 20 % des femmes utilisaient alors une contraception moderne, médicalisée, c’est-à-dire, en fait, la pilule. Mais, il y avait d’autres méthodes - notamment le diaphragme -, qui a une très bonne efficacité.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Aujourd’hui, près de 50 % des femmes utilisent une contraception, telle que pilule ou stérilet.

Or, le nombre d’IVG n’a pas changé ces dernières années. On pense même que l’emploi du préservatif contre le sida, a occulté complètement, notamment chez les jeunes générations, une formation à la contraception.

Sur le débat de l’IVG comme échec de la contraception, en fait, vous montrez qu’il existe un taux incompressible d’IVG.

Mme Michèle Ferrand : Oui, je le pense. Mais, nous devrions pouvoir faire mieux. On a l’impression que le taux d’avortement reste constant mais, en fait, les taux de grossesses non prévues et de naissance non désirées, tout deux, diminuent. Aujourd’hui, il y a de plus en plus de parents. On oublie toujours cela.

Les hommes, ayant sur ce point rejoint les femmes, veulent de plus en plus des enfants. Ils en veulent peu, c’est cela le problème. Pendant longtemps, on a accepté la grossesse non programmée ; à l’heure actuelle, la grossesse non programmée ne l’est pas. On demande aux femmes de maîtriser tout. Elles le font tant qu’elles peuvent et, si cela ne marche pas, elles maîtrisent grâce à l’avortement.

Mme Catherine Génisson : Il n’y aura donc pas une baisse significative du nombre d’avortements, mais un nombre d’IVG plus précoces.

Mme Michèle Ferrand : A méthodes de contraception équivalentes, je ne vois pas pour quelle raison cela changerait.

En revanche, si l’on prend en compte cette forte dominante des femmes qui adhèrent au principe contraceptif, qui croient faire bien en faisant ce qu’elles font et qui ne veulent pas d’enfant - ce qui représente malgré tout la majorité de notre population - on peut penser que si l’on progresse dans la contraception, on peut tout à fait y arriver. Nous pouvons le penser, si ce problème de contraception inadéquate était réglé, ce que personne ne veut entendre. Tout le monde veut entendre "la pilule, c’est parfait". Mais ce n’est pas vrai ; ce que disent les femmes, c’est que, sur trente ans, ce n’est pas vivable. C’est pour cela que le nombre d’avortements n’a pas diminué.

La prescription contraceptive a augmenté, les femmes sont mieux "contraceptées" mais, en même temps, est montée l’intolérance d’une grossesse non programmée. Les deux phénomènes vont ensemble, car on ne peut pas dire aux femmes qu’elles doivent programmer leurs grossesses, et pour cela prendre la pilule, et leur dire simultanément qu’elles doivent les programmer, mais que si elles font une erreur, c’est tant pis pour elles. Elles veulent maîtriser jusqu’au bout.

Elles adhèrent donc totalement à l’idée de la naissance programmée qui repose sur leur conception du bon moment pour accueillir un enfant. Or, elles n’auront pas beaucoup d’enfants, elles en auront deux. Donc, elles veulent choisir le moment où elles vont les avoir.

Mme Catherine Génisson : Vous approuvez donc le projet de loi révisant les lois Neuwirth et Veil et se penchant sur le problème de la contraception.

Mme Michèle Ferrand : C’est essentiel. Mais plus importante encore me paraît la suppression dans la loi de l’interdiction de la publicité et de l’information sur l’avortement et la contraception. Avec des affichages du genre : "Deux jours de retard de règles : consultez !" donnant un téléphone vert, comme cela s’est fait pour le sida, on peut allonger les délais jusqu’à douze semaines, mais je pense que ce sera de moins en moins nécessaire.

Ce rallongement des délais est une mesure conservatoire, pour éviter que trop de femmes se trouvent dans cette situation extrêmement pénible d’aller avorter à l’étranger. Je ne suis pas médecin, mais la moitié des médecins que je connais me disent que cela ne change rien à l’acte jusqu’à la quatorzième semaine. Au-delà, ils disent que c’est un acte médical qu’ils ne savent pas faire et qu’il leur faudrait apprendre auprès des Anglais ou des Hollandais. Ils disent que si les femmes avortaient plus tôt, ce problème de délai ne se poserait plus.

L’autre moitié des médecins disent qu’après douze semaines, il y a modification, ossification.

Les premiers répondent que, de toute façon, il y a déjà ossification dès la dixième semaine, qu’ils sont obligés de fragmenter à la dixième semaine et que la majorité des IVG se font avant huit semaines.

Mme Catherine Génisson : Avez-vous établi des comparaisons européennes sur les conséquences des décisions d’allongement du délai et d’une politique de contraception menée conjointement par rapport à l’IVG ?

Mme Michèle Ferrand : Nous n’avons pas interrogé de femmes à l’étranger. Il ressort de la littérature que nous lisons sur le sujet que le pays dans lequel les délais sont les plus longs, où il y a le moins d’avortements, où les femmes avortent le plus tôt et où il n’y a pas de dérive eugénique, c’est la Hollande.

Mme Catherine Génisson : La contraception y est très développée aussi.

Mme Michèle Ferrand : Très développée. Il y a beaucoup moins de tabous sur la sexualité et une information très précoce. L’information ne doit pas seulement se faire en direction des femmes, mais aussi en direction des médecins, qui ont tendance à prescrire la pilule parce que c’est plus simple, au lieu de discuter avec la femme. Discuter avec la femme et se rendre compte que la pilule ne lui convient pas, cela veut dire qu’il faut discuter des autres méthodes.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Qu’en est-il de la stérilisation volontaire ?

Mme Michèle Ferrand : Nous en avons parlé parce que nombre de femmes se sont vu refuser la stérilisation sous prétexte qu’elles n’avaient que trente-cinq ans et qu’elles risquaient d’avoir un désir d’enfant par la suite. C’est le cas de cette jeune femme qui a eu son quatrième fils et qui disait à son mari qu’elle ne l’obligeait pas à rester si cela ne lui convenait pas. Cela dit, elle a aussi dit à son mari que comme c’était lui qui ne voulait plus d’enfant, il paraissait logique que ce soit lui qui se fasse stériliser. Lui ne veut pas en entendre parler. Elle aurait été prête à le faire, mais la stérilisation lui a été refusée parce qu’elle n’avait que trente-cinq ans.

La loi est très ambiguë. Nous avons eu plusieurs femmes qui auraient pu éviter l’IVG par une stérilisation qu’elles avaient demandée et qui leur avait été refusée. Ce sont des femmes plus âgées.

Nous aurons certainement, dans l’enquête quantitative menée auprès de 6 000 femmes, des données chiffrées intéressantes. Mais il faut attendre six mois. L’aspect intéressant est qu’une psychologue travaille avec nous. Elle ne fait pas toujours la même analyse que nous des entretiens. Elle voit du déni où nous n’en voyons pas forcément. Nous avons des interprétations différentes. Cela fera l’objet d’un chapitre, que nous présenterons dans le rapport définitif qui sera publié dans la collection de l’INSERM.