Sujet : Contraception, IVG

Allocution de : Danielle Hassoun

En qualité de : Gynécologue-obstétricienne, responsable du centre IVG de l’hôpital Delafontaine à Saint-Denis

Colloque : Délégation aux droits des femmes de l’Assemblée nationale (France)

Le : 30 mai 2000

LES REGLEMENTATIONS EUROPEENNES EN MATIERE D’IVG

Je vais vous parler du statut de l’IVG en Europe. Dans certains pays, les femmes ont accès à une procédure légale et sûre, avec des risques minimes pour leur santé, tandis que dans d’autres pays, elles s’exposent à des pratiques qui leur font courir des risques élevés. Je rappelle que, selon l’OMS, 80 000 femmes meurent chaque année des suites d’avortements faits dans de mauvaises conditions. Ces morts surviennent essentiellement dans des pays où les législations sont extrêmement restrictives, ce qui oblige les femmes à des avortements clandestins au péril de leur vie.

En Europe, nous pouvons considérer globalement que les femmes ont recours à l’avortement dans de bonnes conditions sanitaires. La médicalisation et la légalisation de l’avortement en ont fait disparaître toutes les conséquences dramatiques. La mortalité des avortements en Europe est extrêmement faible, un peu plus élevée à l’Est qu’à l’Ouest. Elle se situe entre 0,2 et 1,2 pour 100 000 avortements.

Même si les conditions sont globalement bonnes, on constate cependant des différences importantes dans l’accès à l’interruption de grossesse au sein même de l’Europe. La façon dont les pays ont voté, modifié et interprété les lois sur l’avortement tient à des raisons d’ordre culturel, historique et idéologique.

I - HISTORIQUE DE L’ADOPTION DE CES LOIS

Jusqu’à la seconde guerre mondiale, l’avortement est interdit un peu partout dans le monde, en particulier en Europe, avec une exception : l’URSS. Ce pays a autorisé l’IVG dès 1920, puis l’a interdit en 1936 dans un but nataliste et l’a autorisé de nouveau en 1955.

Globalement, le nord de l’Europe a libéralisé progressivement l’avortement jusqu’aux années 1970, tandis que le centre de l’Europe procédait à une légalisation à la fin des années 1970 et le sud européen encore plus tard, de façon très libérale, même plus libérale que les pays qui avaient légalisé l’IVG dans les années 1970. Il faut noter l’exception européenne que représente l’Irlande. Les femmes irlandaises, y compris les Irlandaises du Nord, n’ont toujours pas l’autorisation d’avorter : elles sont obligées de se rendre en Angleterre.

II - TYPOLOGIE DES LOIS EN VIGUEUR ET DE LEUR APPLICATION

Il ne s’agit pas seulement du texte des lois. Il s’agit également de considérer quelle interprétation on en fait, comment elles sont appliquées et quels moyens les professionnels, mais aussi les politiques, mettent en _uvre pour les faire appliquer.

Il est difficile de comparer les législations parce que l’avortement est inscrit dans divers codes, réglementations et statuts, et cela simultanément. Cependant, quelques points forts se dégagent.

A. La pénalisation

La majorité des pays de l’Europe, à l’exception du Danemark, de la Norvège, de la Suède et de certains pays de l’Est, ont inscrit l’avortement dans le code pénal. Or, inscrire l’avortement dans le code pénal rend les choses plus complexes pour les professionnels. Il n’est pas aisé de pratiquer un acte médical en sachant qu’on peut être condamné, si on n’applique pas strictement la loi. Cela limite un peu ce qu’on pourrait appeler un processus de compassion vis-à-vis des femmes qui sont en dépassement de délai ou de jeunes mineures qui n’ont pas l’autorisation parentale.

Que l’IVG soit inscrite dans le code pénal ou dans le code de la santé, il y a toujours des limitations et des restrictions à la pratique de l’IVG dans tous les pays. Ces restrictions portent sur un certain nombre de points qui posent problème actuellement : le terme de la grossesse, l’autorisation parentale et la situation des femmes étrangères.

B. Les motifs de l’IVG

Un élément important dans ces restrictions porte sur les motifs de l’IVG. En effet, l’avortement est possible sur simple demande de la femme qui n’a pas à justifier cette demande et qui juge elle-même sa situation de détresse dans la majorité des pays européens, sauf en Finlande et en Grande-Bretagne. Dans ces deux pays où la femme doit justifier, soit d’un risque pour sa santé mentale et physique, soit de raisons socio-économiques, il n’y a jamais de refus à l’interruption volontaire de grossesse, car les raisons socio-économiques sont interprétées de façon extrêmement large. C’est un élément important, car dans notre pays où l’interruption thérapeutique de grossesse est possible sans délai, nous n’avons jamais réussi à obtenir que les raisons socio-économiques soient considérées comme un risque pour la santé de la mère.

C. Le délai légal

En France, le délai est fixé à douze semaines d’aménorrhée, soit dix semaines de grossesse. Certains pays vont jusqu’à quatorze semaines. Quatre pays - ce sont d’ailleurs ceux qui accueillent nos femmes en délai dépassé - vont jusqu’à la viabilité f_tale, estimée actuellement à vingt-quatre semaines. Il faut toutefois mentionner les pays qui vont jusqu’à douze semaines, comme par exemple le Danemark ou la Norvège, mais où il existe une interprétation extrêmement large des raisons socio-économiques. De ce fait, dans ces deux pays, l’avortement est possible jusqu’à vingt-quatre semaines pour des raisons socio-économiques.

D. L’autorisation parentale

Dans leur majorité, les pays européens n’exigent pas l’autorisation parentale. Quant aux pays comme l’Italie, le Danemark, et la Norvège qui l’exigent, il y a une possibilité de recours devant une commission qui peut se substituer à l’autorité parentale pour autoriser le professionnel à pratiquer une IVG chez une mineure ne pouvant obtenir cette autorisation.

E. La situation des femmes étrangères

Heureusement, l’Angleterre, l’Espagne et la Hollande n’ont pas cette restriction qui consiste à s’assurer que les femmes sont résidentes depuis trois mois. C’est ainsi que ces trois pays accueillent nos femmes en délai dépassé. Nous sommes un des rares pays à imposer cette restriction qui ne se justifie plus. Elle s’imposait en 1975 dans la mesure où Madame Simone Veil ne voulait pas que des femmes viennent avorter en France parce que leur pays n’avaient pas de loi suffisamment libérale à cette époque. Cela n’est plus le cas et cette restriction met en difficulté les femmes " sans papiers ".

F. Le délai de réflexion

Ce délai est variable d’un pays à un autre. Il est de sept jours pour la France, ce qui représente le délai de réflexion le plus long. Il n’existe pas aux Pays-Bas et en Grande-Bretagne.

G. L’avortement médicamenteux

Enfin, je voudrais mentionner un dernier élément, dont nous aurons l’occasion de reparler dans la suite de notre colloque, et qui porte sur l’utilisation de l’avortement médicamenteux. Nous avons eu la chance de voir apparaître, en 1986, la mifépristone (RU 486). Malheureusement, la rigidité d’utilisation du produit et l’impossibilité de modifier cette utilisation font que nous n’avons pas beaucoup avancé en la matière. Cette méthode est pourtant très sûre sur le plan médical.

Seules la Grande-Bretagne et la Suède ont une autorisation de mise sur le marché depuis plusieurs années. Les autres pays européens ont dû attendre juillet 1999 pour obtenir cette autorisation.

III - CONCLUSION

Le taux d’avortement en Europe est bas, et a de plus tendance à baisser, même en Europe de l’Est où on a beaucoup dit que l’avortement servait de contraception. Cela a été vrai et est toujours vrai de nos jours. Le taux d’IVG n’est pas lié à l’existence d’une législation très libérale, mais plutôt à l’accès à la contraception et aux politiques d’éducation destinées aux jeunes. Nous n’avons pas à craindre d’adopter une législation plus libérale. L’exemple des Pays Bas, qui possèdent la loi la plus libérale au monde, devrait nous rassurer. Ce pays enregistre une excellente application de la législation et une excellente accessibilité des femmes à la contraception, avec le taux d’avortement le plus bas au monde. L’expérience a montré le bien-fondé de lois libérales.

Durant les vingt dernières années, la tendance a été vers la libéralisation des lois sur l’avortement, car les pays ont finalement adapté les lois aux pratiques sociales et aux besoins des femmes. Notre loi a maintenant vingt-cinq ans. Il est temps de l’actualiser comme l’ont fait la plupart des pays. Chaque fois que nous avons prôné la libéralisation des lois sur l’avortement, on nous a répondu que cela provoquerait des abus, des dérapages. Or l’histoire a montré que des dérapages ne se sont jamais produits. Cette tendance traduit un mépris et un manque de confiance, comme si les femmes étaient irresponsables. Elles ne le sont pas. Donc, promouvoir une Europe des femmes, une Europe pour une meilleure santé des femmes nécessite l’adoption d’une nouvelle loi. Nous devons réaliser des avancées dans ce domaine au risque d’abandonner à leur sort les femmes qui sont le plus en difficulté.