Sujet : Contraception, IVG

Allocution de : Odile Bidard

En qualité de : Comité Médical pour les Exilés (COMEDE)

Colloque : Délégation aux droits des femmes de l’Assemblée nationale (France)

Le : 30 mai 2000

Le COMEDE, Comité Médical pour les Exilés, est une association qui accueille depuis vingt ans les exilés, les réfugiés et les demandeurs d’asile.

Notre action est médico-psycho-sociale. Nous recevons environ 5 000 patients par an, dont 30 % de femmes, toutes nationalités confondues, domiciliés pour la plupart en Ile-de-France.

30 % des femmes qui viennent nous consulter le font pour des raisons de grossesse. 70 % en sont au premier trimestre de leur grossesse, souvent à 6-7 semaines d’aménorrhée. La grossesse peut être bien accueillie mais, pour certaines femmes, elle soulève des problèmes majeurs. Certaines grossesses sont issues d’un viol au pays, d’autres sont issues de rapports forcés avec l’hébergeant (risque de perte de l’hébergement en cas de refus). Souvent, ces rapports ont lieu sans protection, ce qui entraîne non seulement un risque de grossesse, mais aussi un risque de maladies sexuellement transmissibles. Une autre peur face à la grossesse est la suivante : comment accoucher, où accoucher ? Il faut savoir que l’accouchement n’est pas facile à Paris. Trouver une place pour accoucher en secteur public demande beaucoup de patience et de détermination. Il y a aussi une grande inquiétude face au devenir de l’enfant : comment l’habiller, le nourrir et l’élever ? Certaines femmes reçoivent 1 700 francs par mois quand elles commencent à toucher les allocations ASSEDIC. Elles peuvent attendre entre trois à six mois pour en recevoir le versement. Elles connaissent une situation financière et sociale difficile : elles n’ont pas droit au travail et ne peuvent pas bénéficier des allocations familiales.

Par ailleurs, il y a une méconnaissance de la législation française au sujet de l’IVG, en particulier en ce qui concerne les délais, et de la contraception, qui n’est pas utilisée dans les pays d’origine et qui a parfois mauvaise presse, particulièrement les pilules.

L’accès à l’IVG pour les femmes que nous recevons pose certains problèmes déjà évoqués. Mais, dans la pratique, l’accès aux centres d’orthogénie exige beaucoup d’efforts.

I - LE PROBLÈME DE LA RÉGULARITÉ DU SÉJOUR

La femme demandeuse d’asile, arrivée en France, reçoit une convocation. Elle est donc normalement " en situation régulière ". Cependant, pour l’accès à l’IVG, selon l’arrêté du 13 mai 1975, ce titre n’est pas valable. Il faut le récépissé d’un séjour de trois mois pour être considéré en situation régulière par rapport à l’IVG. Or, il faut un délai de trois à six mois, selon la préfecture de résidence, à la demandeuse d’asile pour obtenir ce récépissé. D’autre part, si la femme est déboutée du droit d’asile, elle se retrouve en situation irrégulière. Beaucoup d’entre elles restent en France, mais elles n’ont légalement plus le droit à l’IVG, même si elles ont une aide médicale de l’Etat qui leur permet d’y accéder.

Soulignons que souvent les femmes concernées par l’irrégularité du séjour sont en France depuis plus de trois mois.

II - L’ACCÈS À LA SÉCURITÉ SOCIALE ET À LA COUVERTURE MÉDICALE UNIVERSELLE (CMU)

En théorie, l’accès à la CMU ne devrait pas poser de problème. Malheureusement, nous butons souvent sur une non application de la loi, avec des refus d’instruction des dossiers en admission immédiate, sous prétexte de l’absence des allocations ASSEDIC.

Cela nous demande beaucoup de temps pour régler les situations délicates et repousse l’accès à l’IVG, même s’il est possible de recourir à une aide médicale d’Etat.

L’accès aux centres d’orthogénie peut lui-même devenir un vrai parcours du combattant. En fonction des centres, les délais sont différents. Ainsi, dans un hôpital public de la région parisienne, nous avons essuyé un refus, car la date de la grossesse était supérieure à huit semaines d’aménorrhée. Nous sommes obligés de contacter d’autres centres. En premier lieu, nous appelons les centres les plus proches du lieu de résidence de la personne, mais parfois nous devons nous en éloigner de façon importante. Par ailleurs, certains centres sont débordés. Les délais d’attente pour un rendez-vous oscillent entre deux et trois semaines, attente parfois incompatible avec la date de la grossesse et le délai imparti. Avec la semaine de réflexion, il arrive qu’il soit déjà trop tard : le délai légal est largement dépassé. D’autres centres demandent aux femmes de confirmer leur rendez-vous quatre à cinq jours avant leur rendez-vous. Les femmes que nous recevons n’ont pas toujours accès au téléphone, ne parlent pas toujours bien le français et ne comprennent donc pas parfois ce qu’on leur dit. Souvent, elles perdent leur rendez-vous.

De plus, nous avons rarement un retour de ces centres : la femme est-elle venue à sa consultation ? L’IVG a-t-elle eu lieu ? A-t-elle bénéficié d’une consultation post-IVG, d’une information sur la contraception ? Nous n’en savons rien. Au niveau de notre association, nous essayons de proposer des consultations post-IVG. Mais le COMEDE est situé au Kremlin-Bicêtre. Or, les femmes viennent de toute l’Ile-de-France et ne reviennent pas nous voir forcément, parce que le centre est trop éloigné de leur domicile.

III - DEUX EXEMPLES

Je vais vous exposer deux cas, illustrant nos soucis quotidiens. Il s’agit de Madame K., 38 ans, originaire du Congo, arrivée en France le 12 octobre 1999. Elle vient nous consulter en mars. Elle a trois enfants restés au pays et vient pour un bilan de santé. Quinze jours plus tard, lors de la deuxième consultation, nous nous rendons compte qu’elle a un retard de règle. Elle est à cinq semaines d’aménorrhée. Madame K. dira qu’elle subit des rapports sexuels non protégés sous la contrainte de son hébergeant et qu’elle ne désire absolument pas sa grossesse. Le même jour, nous l’orientons vers le centre d’orthogénie d’un hôpital en Ile-de-France. Elle obtient un rendez-vous quinze jours plus tard, puis avec l’anesthésiste, deux jours après et l’IVG aura lieu trois semaines après la prise de rendez-vous. Le centre d’orthogénie nous demande de prendre en charge l’échographie, la carte de groupe sanguin, l’attestation d’entretien particulier pour gagner du temps. La patiente avait également déposé une demande de sécurité sociale et de CMU à la caisse primaire d’assurance maladie. Elle a obtenu un rendez-vous pour le 27 mars, ce qui correspond à un délai de trois semaines pour une demande d’accès immédiat à la sécurité sociale. Entre-temps, nous avons pu réaliser l’échographie, la carte de groupe sanguin - nous travaillons avec des centres qui nous fournissent ces examens gratuitement - et nous avons pu avoir un rendez-vous avec le responsable du service social du COMEDE. Madame K. revient au COMEDE, la veille de son rendez-vous avec le médecin du centre d’orthogénie, pour chercher les résultats. L’échographie n’étant pas revenue, elle doit retourner la chercher au service de la DASES à Paris. Elle avait déposé son dossier complet à la Caisse primaire d’assurance maladie, mais, un jour avant la date de l’IVG, elle n’avait toujours pas obtenu de réponse. Au total, elle est revenue trois fois chez nous, trois fois au centre d’orthogénie, elle est allée deux fois à Paris, alors qu’elle habitait à 35 kilomètres du Kremlin-Bicêtre.

Le deuxième cas concerne Madame X., d’origine chinoise, âgée de 23 ans qui a consulté pour la première fois en novembre 1999. C’était sa neuvième semaine d’aménorrhée et elle souhaitait poursuivre sa grossesse. Nous avons fait le bilan. Elle est revenue trois semaines après sans interprète, ce qui nous a posé quelques problèmes. La maternité Saint-Antoine accepte, après maints arguments, de la prendre en charge. Puis, coup de théâtre, elle nous annonce en consultation qu’elle ne souhaite plus garder l’enfant et demande une IVG. Nous appelons le service des interprètes, pour comprendre la situation. Nous apprenons que le mari a été agressé et se trouve en réanimation entre la vie et la mort. Elle ne veut plus garder le bébé, elle est à onze semaines d’aménorrhée plus cinq jours. Nous sommes le jeudi soir. Nous appelons l’Hôpital Saint-Antoine qui ne peut la prendre et ne peut pas lui accorder un rendez-vous avant la semaine suivante, date à laquelle il y aurait un dépassement du délai légal. Nous avons réorienté cette personne vers la rue Vivienne. Elle est donc partie à l’étranger pour se faire avorter.

IV - CONCLUSION

Certains points de la réglementation en vigueur doivent être revus. Premièrement, la régularité du séjour ne devrait pas être exigée pour pratiquer une IVG, surtout chez des femmes résidant en France depuis un certain temps. Deuxièmement, il faudrait une harmonisation de son application au niveau des centres d’orthogénie, en premier lieu en ce qui concerne les délais. En second lieu, il faudrait une augmentation des places dans chaque site, nous permettant d’orienter les femmes vers les centres les plus proches de leur domicile. Troisièmement, nous demandons l’application pour les demandeurs d’asile de la loi sur l’accès à la protection maladie en admission immédiate, que ce soit pour la sécurité sociale, la CMU ou l’aide médicale de l’Etat. Il faut que nous puissions obtenir dans les délais les inscriptions nécessaires.