Sujet : Contraception, IVG

Allocution de : Paul Cesbron

En qualité de : Président de l’Association nationale des centres d’interruption de grossesse et de contraception (ANCIC)

Colloque : Délégation aux droits des femmes de l’Assemblée nationale (France)

Le : 30 mai 2000

Tout d’abord, en ce qui concerne les mineures, permettez-moi de vous rappeler un fait important : les mineures ne représentent que 5 % des demandes d’interruption de grossesse en France, contrairement à certains pays où le taux est nettement supérieur. Ensuite, sur l’ensemble des adolescentes, il y a moins de cinq demandes d’interruption de grossesse pour mille au cours d’une année. Cette situation n’est donc pas aussi tragique et dramatique que certaines déclarations le laissent entendre. Le taux de grossesse chez les mineures a diminué en vingt ans, les chiffres de l’INED le montrent bien. La pratique de la contraception se fait de mieux en mieux : 80 % des adolescentes utilisent une contraception lors du premier rapport. C’est, à mes yeux, une révolution et un progrès considérables sur le plan de la vie sexuelle et amoureuse, de la vie sociale et culturelle d’une façon générale.

Rappelons seulement, comme Madame Nathalie Bajos l’a dit précédemment, ce qui caractérise l’adolescente d’aujourd’hui par rapport à celle de 1975. Alors que les deux tiers gardaient leur grossesse à cette époque, seulement un tiers aujourd’hui veulent la maintenir. Cette inversion des chiffres a sans doute brouillé les consciences et la compréhension du phénomène. Il s’agit pour nous d’une attitude de responsabilité que nous n’avons pas à stigmatiser. Enfin, la grossesse chez une adolescente s’inscrit comme toute grossesse, dans un rapport contradictoire à la vie. Est-elle plus dramatique à 16 ans qu’à 40 ans ? Ce n’est pas sûr du tout. Nous connaissons des situations bien plus dramatiques et beaucoup plus tragiques chez des femmes plus âgées, de 35 à 40 ans, qui, après de longs parcours liés à une infertilité, vont demander, sans avoir eu d’enfants, une interruption de grossesse, parce qu’elles ont trente cinq ans et estiment que cet âge n’est plus celui d’une grossesse. Nous avons connu des demandes d’interruption de grossesse après une fécondation in vitro. Je ne vous cite pas des situations exceptionnelles. Elles sont la réalité de la pratique de nos centres. Toute stigmatisation à l’égard des adolescentes ne nous paraît pas satisfaisante. Une grossesse est, la plupart du temps, le résultat d’un acte d’amour, comme l’a souligné le Professeur Alfred Spira. Ce n’est pas toujours le cas, mais souvent, c’est un acte libre, choisi en définitive. La plupart des cas correspondent à cette situation. Il reste à savoir si le nombre d’IVG peut être diminué. Il est de notre devoir évidemment d’y concourir mais, sans préjuger au préalable des dispositifs, et de leur succès, que nous mettrons en place.

Aujourd’hui, la situation des demandes d’interruption de grossesse pour les adolescentes en France est-elle satisfaisante ?

Comme le Professeur Israël Nisand l’a rappelé, elle ne l’est pas toujours. Plusieurs obstacles sont identifiés.

I - LE CARACTÈRE OBLIGATOIRE DE L’ENTRETIEN PRÉALABLE

Les IVG sont soumises à un entretien préalable obligatoire, ce qui, à nos yeux, n’est pas une bonne chose. Il s’agit d’une injonction paradoxale, qui consiste purement et simplement à obliger la personne à s’expliquer sur une partie de sa vie relevant du secret et de l’indicible. A nos yeux, cela ne peut relever d’une procédure administrative. Nous sommes favorables à l’obligation de structures d’écoute dans les centres d’interruption volontaire de grossesse. Mais l’obligation administrative de l’écoute à travers l’entretien préalable ne nous paraît pas une bonne solution. Chez les adolescentes, s’y mêlent en outre d’autres difficultés (les quotas, les délais d’attente, la sectorisation) qui conduisent un certain nombre de jeunes filles à des situations particulièrement humiliantes et angoissantes. La situation est difficile pour les 6 000 à 7 000 jeunes qui recourent à l’IVG, car elles ne trouvent pas facilement et rapidement le centre qui pourrait les accueillir dans les meilleures conditions. Nous avons beaucoup à faire pour améliorer cette situation.

II - L’OBLIGATION DE L’AUTORISATION PARENTALE

L’obligation de l’autorisation parentale est pour nous le deuxième obstacle à la qualité de la prise en charge de l’interruption volontaire de grossesse. Comme je l’ai déjà dit, la vie amoureuse relève du secret, de l’intimité. Pour un grand nombre d’adolescentes, les choses seront dites aux parents simplement, dans une volonté d’accompagnement qui est annoncée par la jeune fille, de façon plus ou moins conflictuelle, dans un règlement familial sur lequel il ne nous appartient pas de légiférer. Mais, pour environ 5 à 10 % des jeunes adolescentes aujourd’hui, cette obligation de l’autorisation parentale constitue un véritable obstacle à l’accès à l’IVG. Elle entraîne, pour ces jeunes filles, l’aggravation de leur situation d’angoisse. La grossesse est la révélation d’une vie sexuelle qui n’est pas admise dans leur famille, pour des raisons culturelles et sociales que nous connaissons tous. Donc, obliger ces jeunes femmes à obtenir un papier de leurs parents, alors que la grossesse est la marque de la volonté d’affranchissement par rapport à la famille, une marque de liberté par rapport au contexte culturel qui est le leur, constitue une aberration, un obstacle qu’il faut lever. Nous pouvons comprendre qu’en 1975 les compromis nécessaires pour l’adoption de la loi autorisant l’interruption de grossesse aient abouti à ce dispositif. Aujourd’hui, pour nous, il ne peut plus être maintenu. D’ailleurs, ces dispositions mettent les personnels soignants dans les pires difficultés. Ils échafaudent des stratégies de défense qui sont plus ou moins efficaces, parfois désolantes d’ailleurs. Je ne voudrais pas rentrer dans les détails mais, ceux qui pratiquent l’interruption de grossesse connaissent bien cette situation. Nous ne demandons pas aux législateurs de déterrer la hache de guerre entre adolescents et parents, loin de là. En effet, dans une majorité des cas, les choses se passent bien, mais dans une minorité des cas, ces dispositions ne se justifient pas. A nos yeux, l’obligation de l’autorisation parentale constitue un drame qui accentue les difficultés que connaissent les jeunes à l’intérieur de leur famille et de leur communauté.

III - LE DÉLAI LÉGAL

En qui concerne les délais, comme cela a été dit par Madame Danielle Gaudry, peu d’adolescentes sont concernées par une demande tardive. Mais, pour celles qui le sont, c’est un drame absolu, la tragédie la plus dure. Heureusement, les conseillères conjugales et familiales sont toujours là dans ces situations difficiles. A ce propos d’ailleurs, faut-il le rappeler, depuis vingt-cinq ans, ces conseillères présentes, actives, disponibles, n’ont toujours pas obtenu de statut professionnel et donc de reconnaissance sociale.

Sur les interruptions tardives, nous souhaitons l’élargissement du terme. Pour nous, les quelques milliers de femmes qui partent chaque année à l’étranger devraient êtres prises en charge.

Nous répondons très simplement à l’argumentation présentée par le Professeur Israël Nisand. Il existe en France suffisamment de médecins pour pratiquer l’IVG au-delà de douze semaines. Huit centres, situés dans des grandes villes françaises, ont déposé les statuts et les protocoles d’interruption de grossesse au-delà des douze semaines depuis quatre ans. Rappelons que la prise en charge au-delà de douze semaines ne représente qu’une à deux interruptions par semaine et par département. L’accès à des interruptions plus tardives va-t-il entraîner une augmentation de ces demandes ? Non, nous le répétons. Pourquoi ? L’expérience internationale le montre très bien, l’expérience scandinave en particulier, mais également celles des Etats-Unis et du Japon. Prétendre que les femmes vont attendre pour demander une interruption volontaire de grossesse, c’est méconnaître la situation des femmes qui demandent tardivement une interruption de grossesse.

IV - CONCLUSION

Je voudrais souligner un dysfonctionnement particulièrement grave, vingt-cinq ans après la loi sur l’interruption de grossesse. Il s’agit de la séparation des compétences en matière de contraception et d’interruption de grossesse. La contraception et les centres de planification familiale relèvent de la compétence départementale, en vertu de la loi de décentralisation de 1982, tandis que l’interruption de grossesse relève de l’hôpital, de l’Etat. Cette situation aboutit à des dysfonctionnements permanents. Nous rejoignons la position du Professeur Israël Nisand qui prône un rassemblement des structures. Nous ne sommes pas d’accord avec lui lorsqu’il dit que tout doit aller à l’hôpital. Nous le rejoignons quand il dit que " contraception et interruption de grossesse constituent une même mission " ; il faut les rassembler dans les mêmes centres, qu’il soient hospitaliers ou non. Nous le rejoignons également pour dire qu’un grand nombre d’interruptions de grossesse pourraient être pratiquées en dehors des hôpitaux ; mais, contrairement à ce qu’il dit, nous ne souhaitons pas imposer à des médecins qui ne le veulent pas la pratique d’une IVG. Evidemment, c’est la loi de la République. Mais cette dernière, comme nous le savons, respecte la liberté de chacun des individus. C’est essentiel pour nous. Il ne s’agit pas de faire pratiquer des IVG par des médecins qui ne le souhaitent pas, ni à huit semaines, ni à quatorze semaines.

Nous souhaitons une table ronde réunissant l’ensemble des professionnels et des parlementaires sur les conditions actuelles de prise en charge de l’interruption de grossesse, tant à l’échelon national qu’à l’échelon régional, et sur les définitions de schémas régionaux sanitaires et sociaux. Voilà ce que nous demandons de façon très précise aux parlementaires.