Le Rwanda qui tente, à travers mille difficultés de panser ses plaies et de reconstituer son tissu social après le génocide et les massacres, mais aussi après des régimes qui avaient élevé le racisme en système de gouvernement, ne peut à son tour échapper à cette fausse alternative : mémoire ou oubli comme rançon à la paix civile. En plein génocide, des initiatives venues d’un peu partout n’ont pas hésité à proposer " aux deux parties " de se mettre autour d’une table pour examiner les modalités de former un gouvernement qui a géré le génocide. Elles ont offert leurs bons offices pour la formation d’un gouvernement d’unité nationale, certains gouvernements et organisations allant même jusqu’à en faire une condition préalable au rétablissement de leur coopération avec le Rwanda. D’autres, " plus compréhensifs ", ont estimé qu’il suffisait de juger quelques " gros poissons " et de libérer le reste des prisonniers comme gage à la réconciliation nationale.

Au Rwanda comme à l’étranger, où le virus ethnique à pris racine, certains ne comprennent pas que le gouvernement rwandais ait organisé la recherche des restes des victimes en vue de les enterrer dignement. Dans les milieux négationnistes en particulier, on considère la commémoration périodique du 7 avril - IBUKA - comme un obstacle majeur à la réconciliation nationale car elle perpétue, même pour les jeunes générations qui n’auront pas connu le génocide ou même l’idéologie du Hutu power, le souvenir d’une page honteuse de l’histoire du Rwanda. La majorité de ceux qui proposent - ou plutôt veulent imposer - des solutions, ou critiquent celles que le Rwanda a adoptées, semblent oublier la nature spécifique de l’idéologie qui est à la base de la tragédie rwandaise.

Alors qu’en Amérique du Sud ou même au Cambodge, on est en face de dictatures à base d’orientations capitaliste ou socialiste, au Rwanda, l’idéologie des régimes depuis l’indépendance à 1994 est une idéologie de la mort. On ne peut en conséquence réaliser une paix civile tant que cette idéologie n’aura pas été éradiquée. Tout compromis qui ne tiendrait pas compte de cette réalité pourrait à la limite offrir un répit de courte durée mais jamais la solution à long terme.

Et la MEMOIRE constitue la seule base solide pour construire une patrie de tous les rwandais.

IBUKA, IBUKA, IBUKA, souviens-toi ! " (MWANIWABO)

[Le texte complet d’où est extrait cet éditorial a été publié par ARI/RNA n° 123 du 31 décembre 1998 au 6 janvier 1999]