L’association Citoyens pour un Rwanda démocratique a fait paraître il y a quelques années, un excellent petit livre très pédagogique intitulé " Documents sur le génocide " qui exposait sous forme de fiches, les problématiques du génocide rwandais. Cette fois, l’association nous livre les réflexions et interventions pertinentes réalisées au cours d’un colloque organisé par elle en mai 1998 autour du thème " Vers une nouvelle identité rwandaise ? Dépasser les stéréotypes dans une perspective de développement et de partenariat".

D’emblée, le document pose la réflexion sur les notions d’appartenance ou de reconnaissance ou non aux groupes Hutu, Tutsi ou Twa en partant du jugement de José Kagabo (professeur à l’EHESS) " on ne peut plus se contenter de ressasser des généralités sur la culture du passé, sur l’esprit de solidarité de l’ancien temps, de la disposition du peuple à s’entendre s’il n’était pas manipulé par les élites ou par les étrangers, pour guérir la société rwandaise de ses maux. Il faudrait un travail de réflexion en profondeur, un effort soutenu d’imagination. " C’est à ce travail qu’à voulu contribuer Citoyens pour un Rwanda démocratique avec ce colloque.

Plusieurs contributions sont proposés aussi bien sur une analyse historique avec l’intervention de Gaspard Karemera, journaliste rwandais ou Jean Nizurugero Rugagi, sociologue à l’Université de Butare, qui rappelle que " les relations de forte intensité d’engagement de la personnalité sont généralement très spontanées et souvent construites sur le principe de la consanguinité ou de l’intimité de l’amitié. Ces relations où la solidarité et la coopération sont puissantes ne peuvent se retrouver dans de vastes regroupements d’individus. Voilà pourquoi l’ethnisme, qui est élargissement mythique et imaginaire de relations de consanguinité à un grand ensemble d’individus, échoue toujours à créer des nations importantes et entraîne d’incoercibles tragédies dans les pays où on l’exalte. Il faut donc le rendre illégal comme critère de construction nationale démocratique, comme source d’idéologie et comme principe de lutte pour le pouvoir. "

L’analyse de José Kagabo reprend elle aussi les fondements historiques de l’identité rwandaise et fait apparaître les notions d’appartenance d’abord au " clan " qui transcende l’appartenance ethnique et l’appartenance à une nation commune " historique et politiquement " hérité. Il rappelle également que " En temps de paix, personne n’interpelle l’autre au sujet de son ethnie ni n’éprouve le besoin d’affirmer haut et fort la sienne. La référence à l’appartenance ethnique apparaît primordiale dans les stratégie de compétition pour le pouvoir et aux moments de crise politique. " Il conclut son propos en réaffirmant que " l’identité rwandaise a existé et existe encore, malgré tout. C’est ensemble de façons d’être d’exister et de penser, communes et propres à tous les rwandais. Il y a une poésie rwandaise, une sensibilité rwandaises, mais il n’y a pas de sensibilité hutu ni tutsi. (...) Le problème de fond, ce n’est pas qu’il y ait des Hutu, des Tutsi et des Twa. Il est de savoir pourquoi la coexistence a cessé d’être pacifique, régie par le respect des droits de la personne et tournée vers le renforcement de la cohésion nationale ".

François Delor, Psychanalyste, lui, dénonce à la fois le discours de la science, qui " invente en même temps les Tutsi et les Hutu comme catégories ethniques. Il les mesure, les sépare et les immobilise en les dessinant dans des dictionnaires. C’est le discours de la sciences qui transforme les catégories sociales vitales en mots encyclopédiques " et la " machinerie capitaliste ", l’argent et les rapports au pouvoir et à la domination. Il pense donc qu’il ne suffit pas de juger les personnes qui se sont rendu coupable du génocide mais " aussi un discours qui doit être interrogé là où il s’est alimenté et prononcé. (...) Il faut dénoncer sans relâche ce qui les a animés, aux sources de la haine. Ce n’est pas l’ethnie qui produit la violence mais bien une certaine façon de la traduire, au profit du puissant, dans des rapports de forces de plus en plus violents au cœur desquels de plus en plus de laissés pour compte défendent des territoires d’inscription sociale de plus en plus étroits. "

Le document rapporte aussi les échanges réalisés au cours des débats et restitue les résultats d’un sondage réalisé auprès de Rwandais de Belgique sur ces questions identitaires. S’il n’apporte pas toutes les réponses à ce problème d’identité et ne donne surtout pas les clés et les outils pour arriver à cette nouvelle identité, la diversité des interventions apporte des éléments de compréhension importants pour le débat en cours. Un travail qui suscite le besoin d’aller plus loin dans la réflexion. (TL)

(" Vers une nouvelle identité rwandaise ", Association Citoyens pour un Rwanda Démocratique, Actes de la conférence de Bruxelles, Documents de travail des Editions Charles Léopold Mayer N°118, 38, rue Saint-Sabin 75011 PARIS tel : 33 (0)1 48 06 48 86)