M. Spreutels indique que la cellule de traitement des informations financières n’a, à ce jour, pas encore pu identifier de cas concret de blanchiment de capitaux provenant, directement ou indirectement, de l’activité d’une secte.

A partir des textes légaux en vigueur en Belgique, à savoir, d’une part, l’article 505, alinéa 1 er , 2°, 3° et 4°, du Code pénal et, d’autre part, la loi du 11 janvier 1993 relative à la prévention de l’utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux (Moniteur belge du 9 février 1993), telle que modifiée par la loi du 7 avril 1995 (Moniteur belge du 10 mai 1995), il est possible de définir les comportements visés sur la base de trois catégories :

15) la conversion ou le transfert de capitaux ou d’autres biens dans le but de dissimuler ou de dégui-ser leur origine illicite ou d’aider toute personne qui est impliquée dans la réalisation de l’infraction d’où proviennent ces capitaux ou ces biens, à échapper aux conséquences juridiques de ses actes. Il s’agit d’une dissimulation active ;

16) l’acquisition, la détention ou l’utilisation de capitaux ou de biens dont on connaît l’origine illicite. Ce comportement vise des personnes qui peuvent être plus étrangères à l’infraction principale, notamment tous les intermédiaires économiques et financiers. Ce comportement peut s’apparenter au recel élargi ;

17) de façon plus large, tout comportement qui vise la dissimulation ou le déguisement de la nature, de l’origine, de l’emplacement, de la disposition, du mouvement ou de la propriété des capitaux ou biens dont on connaît l’origine illicite. Dans ce cas, la dissimulation n’implique pas la réalisation d’un acte matériel sur les biens illicites. Il peut s’agir d’une simple abstention ou d’une fausse déclaration ayant pour objet de dissimuler la véritable origine des biens.

Sur le plan pénal, le législateur belge a opté par la loi du 17 juillet 1990 modifiant les articles 42, 43 et 505 du Code pénal et insérant un nouvel article 43bis dans ce même Code (Moniteur belge du 15 août 1990) pour un champ d’application le plus large possible en ce qui concerne l’infraction à la base du blanchiment.

En effet, chaque avantage patrimonial qui provient d’un crime, d’un délit ou d’une infraction quelconque, ainsi que l’avantage patrimonial qui lui est substitué ou les revenus de cet avantage, ou ce qui leur est substitué, peuvent mener à l’application de l’article 505 du Code pénal. Cet article a été modifié par la loi du 7 avril 1995, de sorte que le délit de blanchiment n’est plus simplement un recel élargi mais bien un délit autonome.

Par contre, pour ce qui est de l’approche préventive, la loi du 11 janvier 1993 précitée (transposition de la directive européenne n° 91/308 du 10 juin 1991) ne vise que les formes les plus graves de la criminalité, énumérées limitativement. Il s’agit de la criminalité organisée, du trafic illicite de stupéfiants, du trafic illicite d’armes, de biens et de marchandises, du trafic de main-d’oeuvre clandestine, du trafic d’êtres humains, de l’exploitation de la prostitution, du trafic illicite d’hormones, du trafic illicite d’organes ou de tissus humains, de la fraude au préjudice des intérêts financiers de l’Union européenne, de la fraude fiscale grave et organisée, de la corruption de fonctionnaires publics, des délits boursiers, de l’appel public irrégulier à l’épargne, de l’escroquerie financière, de la prise d’otages, du vol ou de l’extorsion à l’aide de violences ou de menaces et de la banqueroute frauduleuse.

La cellule de traitement des informations financières créée par ladite loi et placée sous le contrôle conjoint des ministres de la Justice et des Finances, est dirigée par un magistrat, détaché du parquet. Il s’agit d’une autorité administrative autonome qui prend ses décisions en toute indépendance et dont la finalité est en fait essentiellement judiciaire. Lorsque l’analyse des informations dont elle dispose révèle un indice sérieux de blanchiment au sens de la loi, elle doit en saisir le procureur du Roi de Bruxelles, aux fins de poursuites pénales éventuelles.

Chargée de recevoir les déclarations de soupçon de blanchiment émanant des organismes financiers, la cellule peut se faire communiquer tous renseignements utiles par les organismes financiers, les services de police et les services administratifs de l’Etat. Les autorités de contrôle du secteur financier, telle la Commission bancaire et financière, sont tenues de faire part à la cellule de certaines informations en matière de blanchiment. Des accords de coopération ont également été signés avec des autorités étrangères similaires.

Du 1 er décembre 1993 au 30 avril 1996, la cellule a transmis 365 dossiers regroupant 4 170 déclarations de soupçon (soit 55,9 % de l’ensemble des 7 640 déclarations regroupées en 1 686 dossiers distincts) au parquet, qui portent sur un montant de 50,8 milliards de francs. Une série de dossiers ont pu aboutir au démantèlement de réseaux liés à la criminalité organisée.

Selon Alain Lallemand, plus de quarante sectes importantes sont établies en Belgique et au Luxembourg. Celles-ci représenteraient un patrimoine immobilier de plusieurs milliards de francs et un chiffre d’affaires annuel qui se compte en centaines de millions de francs. Cette masse financière serait accumulée notamment grâce au recours à des sociétés-écrans, paradis fiscaux et montages financiers, à l’utilisation de main d’oeuvre clandestine, à diverses formes d’escroqueries et surtout à la fraude fiscale pratiquée à grande échelle. La masse de capitaux blanchis par ces groupements devrait donc être important.

Le dispositif anti-blanchiment est-il de nature à faire face à ce phénomène ? En ce qui concerne le volet pénal, il ne se pose guère de problèmes puisqu’il suffit qu’une infraction pénale quelconque soit commise.

Si le cadre des sectes n’est pas repris comme champ d’activités criminelles dans la loi préventive du 11 janvier 1993, l’article 3, § 2, de la loi énumère cependant la plupart des activités délictueuses qui peuvent être commises dans ce contexte :

a) la criminalité organisée : la cellule a non seule-ment retenu la référence à l’association de malfaiteurs au sens des articles 322 à 326 du Code pénal, mais a également pris en compte certains autres critères qui semblent pouvoir se retrouver dans les activités des groupements sectaires : utilisation de structures commerciales présentant, le cas échéant, une composante internationale, recours à des moyens violents, certaine permanence des activités criminelles dans le temps, impact des activités criminelles sur la vie économique ;

b) le trafic de stupéfiants, le trafic illicite d’armes, de biens et de marchandises (biens et marchandises dont la détention est liée à une infraction et/ou qui font l’objet de transactions ou de mouvements effectuées en fraude des dispositions légales et réglementaires) ;

c) le trafic de main-d’oeuvre clandestine : il n’est pas rare que les adeptes d’une secte effectuent toute une série de prestations pour un salaire dérisoire, voire même tout à fait gratuitement et en dehors de toute protection sociale. A. Lallemand cite le cas de sociétés présentant des chiffres d’affaires de plusieurs millions, voire de dizaine de millions de francs, alors qu’elles n’occupent que deux ou trois employés ( 1 ) ;

d) la traite des êtres humains : la notion légale dégagée par la loi du 13 avril 1995 par référence aux infractions visées à l’article 77bis de la loi du 15 décembre 1980 sur l’accès au territoire, le séjour, l’établissement et l’éloignement des étrangers et aux articles 379 et 380bis, § 1 er , 1° et §§ 2 et 3, du Code pénal (notamment l’abus de la situation particulièrement vulnérable d’une personne en raison de sa situation administrative illégale ou précaire, d’un état de grossesse, d’une maladie, d’une infirmité ou d’une déficience physique ou mentale), ne peut viser une personne embrigadée dans un mouvement hors du cadre de la prostitution ou de la débauche, ou qui n’est pas de nationalité étrangère. La loi anti-blanchiment re-tient une définition plus large, à condition que l’on puisse y rattacher une infraction pénale quelconque ;

e) la fraude fiscale grave et organisée : la loi du 7 avril 1995 vise " la fraude fiscale grave et organisée qui met en oeuvre des mécanismes complexes ou qui use de procédés à dimension internationale ", plus particulièrement les " carrousels " en matière de TVA. Selon les travaux préparatoires de la loi, " la gravité de la fraude peut résulter notamment non seulement de la confection et de l’usage de faux documents ou du recours à la corruption de fonctionnaires publics, mais surtout de l’importance du préjudice au Trésor public et de l’atteinte portée à l’ordre socio-économique. Le critère d’organisation de la fraude peut, quant à lui, se définir notamment par rapport à l’utilisation de sociétés-écrans, d’hommes de paille, de constructions juridiques complexes, de comptes bancaires multiples utilisés pour des transferts internationaux de capitaux. " ( 1 ) ;

f) la corruption de fonctionnaires publics : les sectes, en raison de leur puissance financière, sont susceptibles de s’attaquer aux structures de l’Etat par l’infiltration des pouvoirs politiques. La loi du 11 janvier 1993 inclut la corruption de fonctionnaires internationaux ;

g) l’escroquerie financière : les frais réclamés par certaines associations à leurs adhérents peuvent être exorbitants. Ce sont parfois des dizaines de milliers de francs qui sont réclamés à l’occasion de l’inscription, de la réalisation de tests ou de la participation à certaines activités. Les dons sont parfois obligatoires. Ces comportements peuvent rentrer dans le champ d’application de l’article 496 du Code pénal dans la mesure où l’association a recouru à des manoeuvres frauduleuses pour se faire remettre les fonds. Par contre la loi du 11 janvier 1993 ne vise que l’escroquerie financière " dont l’auteur utilise d’une quelconque façon le système financier en vue de la commettre. Ceci vise non seulement les escroqueries dont sont victimes les organismes financiers mais aussi celles dont ils sont l’instrument volontaire. " ( 2 ). Ceci ne recouvre donc pas la majeure partie des situations que l’on rencontre dans les sectes, même si celles-ci peuvent également commettre des infractions de ce type ;

h) la prise d’otage : on rencontre plus fréquemment au sein des sectes des cas de rapt, où il n’y a aucune contrepartie, que des cas de prises d’otage visés par la loi du 11 janvier 1993 ;

i) le vol ou l’extorsion à l’aide de violences ou de menaces : ces infractions peuvent aussi se situer dans le cadre de l’activité des sectes.

En conclusion, l’orateur constate que grâce aux mécanismes mis en place en application de la loi du 11 janvier 1993, la détection du blanchiment de capitaux a été sensiblement améliorée, particulièrement en ce qui concerne le trafic des stupéfiants et la criminalité organisée.

Le dispositif peut certes encore être amélioré. Sur le plan pénal, il est indispensable de ratifier la Convention du Conseil de l’Europe relative au blanchiment, au dépistage, à la saisie et à la confiscation des produits du crime, faite à Strasbourg le 8 novembre 1990 et d’adopter une législation interne permettant les saisies et les confiscations internationales. Des pistes importantes figurent dans l’accord de gouvernement qui envisage, pour certaines formes de crime organisé, de prévoir dans la loi, " la saisie et la confis-cation des patrimoines présumés être d’origine crimi-nelle, la charge de la preuve étant inversée " ( 1 ). Une dernière réforme consiste à assurer une protection juridique de certains témoins lors des instructions et des procès relatifs à la criminalité organisée, notam-ment en envisageant des formules qui permettent, tout en respectant les principes fondamentaux de notre droit, d’assurer la confidentialité, voire l’anonymat de certaines déclarations de témoins.

En ce qui concerne la problématique spécifique des sectes, le blanchiment de capitaux ou des biens provenant des infractions pénales commises dans le cadre de leurs activités est, comme indiqué ci-dessus, entièrement couvert par le délit pénal. La plupart de ces infractions tombent également dans le champ d’application de la loi préventive du 11 janvier 1993.

Si une incrimination spécifique était créée visant particulièrement les sectes, celle-ci devrait être re-prise dans la liste des infractions de l’article 3, § 2, de la loi du 11 janvier 1993. M. Spreutels n’est toutefois pas partisan d’une nouvelle extension du champ d’application de la loi à d’autres formes de criminalité, afin de ne pas mettre en péril la collaboration active du secteur financier.

A défaut d’une telle incrimination spécifique, la loi anti-blanchiment pourrait cependant viser explicitement les infractions " commises dans le cadre des activités illicites des sectes ". Ceci permettrait d’attirer l’attention du secteur financier sur ce type d’activité et de milieu. Encore faudrait-il que la notion de secte soit clairement définie.

A la question de savoir pourquoi à ce jour la cellule n’a identifié aucun cas de blanchiment lié aux activités d’une secte, l’orateur suppose que ces activités n’apparaissent pas suffisamment anormales ou suspectes aux organismes financiers, et ce pour deux raisons :

1° les sectes utilisent des mécanismes tellement perfectionnés ou une dissimulation tellement efficace que les banques ne se rendent pas compte qu’il y a quelque chose d’anormal ;

2° si ces associations agissent à visage découvert et ouvrent un compte au nom d’une église ou d’une quelconque association, les organismes financiers ne se préoccuperont pas de leurs activités au nom du respect de nos libertés constitutionnelles (liberté de culte, liberté d’association, ...).

En outre, la cellule de traitement des informations financières éprouve des difficultés à établir un lien entre les déclarations de soupçons relatifs à des capitaux suspects et les activités illicites commises par l’une ou l’autre organisation sectaire. Si la loi préventive se référait d’une quelconque manière à certaines activités illicites de sectes, l’attention des organis-mes financiers serait plus particulièrement attirée vers ce secteur.

Par ailleurs, à la suite des travaux de la commission d’enquête, diverses mesures pourront être prises pour améliorer l’efficacité des services de renseignement et de police dans ce domaine : création de services spécialisés, désignation de magistrats sensibilisés à ce problème, constitution d’un réseau de communication. Ayant accès aux informations policières, la cellule pourra dès lors également établir plus facilement un lien entre des opérations financières suspectes et des activités sectaires.

Il serait aussi utile d’étendre le champ d’application de la loi du 11 janvier 1993 à des professions autres que les organismes financiers, comme les courtiers d’assurances, les agents immobiliers, les transporteurs de fonds, les exploitants de casinos.

En ce qui concerne les notaires, les huissiers de justice, les réviseurs d’entreprises et les experts comptables, se pose le problème du secret professionnel. Des contacts sont actuellement en cours.

Quant aux avocats, il y a lieu de préserver les droits de la défense. Cette question doit encore être étudiée en concertation avec les instances de la profession. M. Spreutels ajoute qu’il pourrait dès maintenant tenter de sensibiliser les organismes financiers à la problématique des sectes au cours de ses fréquents contacts avec les associations professionnelles représentant ce secteur, mais aussi, à titre individuel, avec chaque organisme financier souhaitant être conseillé par la cellule. En outre, le rapport annuel publié par la cellule à l’intention des ministres compétents a jusqu’à présent toujours été rendu public. La nécessaire application du dispositif anti-blanchiment à l’égard des activités illicites des sectes pourrait y être soulignée.

La difficulté d’établir un lien entre un groupement criminel et des opérations qui revêtent toute l’apparence de l’honorabilité constitue l’un des problèmes principaux auxquels sont confrontées les autorités chargées de lutter contre les pratiques de blanchiment. Il y a lieu d’améliorer l’analyse de telles opérations, tant au niveau des organismes financiers que des autorités. La collaboration internationale est très importante à cet égard.

La cellule peut procéder de diverses manières selon le cas. Soit un organisme financier fait une déclaration de soupçon qui peut concerner un groupement sectaire, soit l’analyse d’un dossier par la cellule peut révéler l’identité de personnes, de sociétés ou groupements, belges ou étrangers, qui apparaissent liés à une opération illicite, de façon directe ou indirecte. La cellule peut obtenir toute la documentation financière concernant cette société ou ce groupement. Elle peut également interroger les services de police ou, s’il s’agit d’une société étrangère, ses correspondants dans un des sept pays avec lesquels elle a signé un accord de coopération. S’il apparaît que la police dispose déjà d’éléments déterminants de la participation de cette personne ou de cette société à une infraction, la cellule peut alors décider qu’il y a des indices sérieux de blanchiment et transmettre le dossier au parquet.

A cet égard, M. Spreutels constate qu’il subsiste un manque de coordination en matière de lutte contre la criminalité économique et financière entre les différents services de police. Enfin, l’orateur tient à souligner que si les services de police sont légalement tenus de transmettre leurs renseignements à la cellule et si certains communiquent d’office à la cellule certains éléments (concernant par exemple les activités de la maffia russe), celle-ci ne peut en aucun cas transmettre d’informations aux services de police, même si elle constate une infraction autre que du blanchiment au cours de son analyse, sous peine de se voir poursuivre pour violation du secret professionnel.


Source : Chambre des Représentants de Belgique http://www.lachambre.be