Sujet : DPS

Audition de : André-Michel Ventre

En qualité de : secrétaire général du Syndicat des Commissaires de Police et des Hauts Fonctionnaires de la Police Nationale

Par : Commission d’enquête parlementaire sur le DPS, Assemblée nationale (France)

Le : 16 février 1999

Présidence de M. Guy HERMIER, Président

M. André-Michel Ventre est introduit.

M. le Président lui rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d’enquête lui ont été communiquées. A l’invitation du Président, M. André-Michel Ventre prête serment.

M. le Président : Monsieur Ventre, votre syndicat représente les corps de conception et de direction de la police, c’est-à-dire notamment les commissaires de police. Il a obtenu plus de 78 % des voix aux dernières élections professionnelles.

Nous vous avons demandé de venir pour recueillir votre point de vue sur le DPS, les problèmes qu’il pose, ses méthodes et les relations qui s’établissent entre ce service d’ordre et la police, notamment au cours des manifestations. Nous nous interrogeons également sur les liens qui peuvent exister entre le DPS et certains membres ou anciens membres de la police nationale.

M. André-Michel VENTRE : Le DPS est une structure qui, a mes yeux et à ceux de nombreux de mes collègues, reste relativement secrète et méconnue de ce fait, et dont je suis peu familier.

Vous avez souligné la caractéristique du syndicat que je dirige - sa grande représentativité. Il en revêt une seconde que je souhaite évoquer dès le début de mon audition : tout débat à caractère politique ou religieux y est interdit en vertu de l’article 5 de nos statuts. Tout positionnement d’un adhérent ou d’un groupe d’adhérents y est banni de la façon la plus formelle, à titre individuel et collectif.

En contrepoint et de manière indirecte, je pense que j’arriverai mieux en répondant à vos questions, à vous livrer quelques informations sur le sujet qui vous préoccupe.

M. le Rapporteur : Vous affirmez, et nous nous en réjouissons, que tout débat politique ou confessionnel était interdit au sein de votre syndicat, mais les institutions de la République font-elle aussi l’objet de cette interdiction ? Vous dites par ailleurs être peu familier de la question qui nous occupe. Je le comprends parfaitement. En effet, à entendre la plupart des hauts fonctionnaires du ministère de l’Intérieur, nous avons souvent acquis le sentiment qu’ils étaient peu familiers de la question.

Cela nous inquiète. Certes, le DPS est une structure secrète. Il a néanmoins légèrement défrayé la chronique. Je veux citer l’affaire de Montceau-les-Mines, marquée par un hiatus assez long entre la présence du DPS assurant seul les fonctions de police et l’arrivée des renforts de police. Je voudrais citer également l’affaire de la salle Wagram, une manifestation s’étant rendue jusqu’à l’Arc de Triomphe où un gardien de la paix a été bousculé. Bref, je suis un peu inquiet, et je le dis franchement. Je pense que les responsables de la police en savent plus qu’ils ne veulent en dire sur le DPS. Je suis surtout très inquiet de ce manque de curiosité. Le DPS est secret et peu connu. Il semble se constituer en une sorte de police parallèle arborant un uniforme qui ressemble à celui des CRS, avec une touche de milicien d’il y a quelques décennies.

Je voudrais donc tout de même savoir ce que vous pensez de cette structure qui travaille parfois dans une illégalité dangereuse. Nous avons par exemple appris que des membres du DPS ont remis à la police des skinheads extrêmement turbulents. Je ne voudrais pas croire que le DPS joue le rôle d’une police supplétive. Ce sont ces questions que nous nous posons dans le cadre d’une commission d’enquête parlementaire pluraliste. Lors des discussions au sein de votre syndicat, avez-vous évoqué ce service d’ordre qui n’est tout de même pas celui du RPR, du PS ou de la CGT ?

M. André-Michel VENTRE : Si le DPS est bien connu en tant que service d’ordre, il l’est moins comme service de renseignement au profit du Front National, qui est un parti politique tout à fait autorisé par la République à l’instant où je vous parle. Ce que nous pouvons savoir ne peut dès lors résulter que d’une pratique normale des lois. Pour être secrétaire général du syndicat des commissaires de police, je n’en suis pas moins un commissaire de sécurité publique, peu familier de la mission de renseignement qui est plus pratiquée par mes collègues des renseignements généraux et de la surveillance du territoire.

Dans le débat soulevé en 1993-1994 à propos des renseignements généraux, notre syndicat avait défendu l’idée qu’il convenait qu’ils s’intéressent aux partis politiques, dans la mesure où certains évoluent à la marge de la République. L’Etat ne peut pas se priver de la possibilité de connaître ce qui se passe dans ces partis, à la charnière entre deux mondes, l’un ouvert, l’autre fermé. Je regrette que le syndicat des commissaires de police ait été brocardé à l’époque par ceux qui n’ont pas bien compris ces propos. Nous voulions simplement insister sur la nécessité pour l’Etat d’assurer sa propre défense, sa propre sécurité, notamment par un regard sur " le milieu fermé ", auquel le DPS me paraît appartenir.

Pour en revenir à la connaissance que nous, syndicalistes, pourrions avoir, j’ai bien compris le caractère un peu caustique de la question posée ; nous n’en restons pas moins des policiers, toujours tenus de prouver ce qu’ils avancent. Je n’évoquerai pas ce que je ne puis, immédiatement, prouver par des faits objectifs. J’ajoute que ce que je connais du DPS me laisse accroire que les liens qu’il peut entretenir avec la police ou que la police peut entretenir avec lui ne sont pas de même nature que ceux qu’il peut entretenir avec des militaires très spécialisés de l’armée française par exemple. Le DPS compte beaucoup plus d’anciens parachutistes que de policiers. Cela dit, j’ignore combien de policiers entretiennent des liens plus ou moins étroits avec le DPS.

J’ajoute qu’à ma connaissance fort peu de commissaires de police entretiennent un lien établi avec le Front National et le DPS. Les seules preuves d’une appartenance politique peuvent provenir du dépôt de candidatures à des scrutins locaux et nationaux et, ainsi que vous le savez, le statut du corps des commissaires de police ne permet pas à ses membres de se présenter à une élection d’une façon aussi libre que les autres fonctionnaires.

M. le Rapporteur : Certes, les services de police ne s’intéressent plus aux partis politiques, mais ils continuent de s’intéresser aux formations qui, en marge des partis politiques, recèlent un certain parfum de violence. De même, s’il est vrai qu’un policier ne peut avancer que les informations dont il a la preuve, vous n’êtes pas ici en qualité de commissaire de police, mais en tant que secrétaire général d’un syndicat.

M. André-Michel VENTRE : Vous le savez, le secrétaire général du syndicat des commissaires de police n’est pas un syndicaliste professionnel. Il ne peut se démarquer de sa qualité première de fonctionnaire de police. Telle est la position que je défends. Il ne saurait être question pour moi de pratiquer le syndicalisme en électron libre et d’oublier d’où je viens. Je suis commissaire et je le reste, même dans mes fonctions syndicales.

M. le Rapporteur : Vous êtes comme les prêtres ! Je conçois cette position. Mais notre Commission n’a pas pour objet de savoir si tel ou tel policier, gendarme, parachutiste ou légionnaire est membre du DPS, mais pour déterminer si le DPS, organisation tout de même séparée du Front National, répond aux conditions de la loi de 1936. Nous vous interrogeons comme nous interrogeons les représentants des différents syndicats de la police nationale ou ceux de la magistrature.

M. André-Michel VENTRE : Je l’ai bien compris ainsi. D’où ma réponse un peu ambiguë et peu précise. Au regard de la loi de 1936, je ne peux qu’être imprécis. Nous avons une connaissance du DPS par ses agissements sur la voie publique, dont vous avez rappelé quelques exemples. Là, le policier de sécurité publique fait appel à ses souvenirs. Lorsqu’une manifestation se déroule, la police doit toujours avoir un contact avec ses organisateurs - c’est un devoir. Il est vrai qu’à l’occasion de manifestations organisées par le Front National, le contact avec le DPS a pu avoir lieu à divers niveaux, mais il s’agit de contacts apparents, imposés par l’organisateur lui-même, et l’événement nous commande d’en passer par là ; nous n’avons pas la liberté de choisir notre interlocuteur et devons nous adresser à celui qui se présente devant nous.

Vous dire le sentiment profond d’un commissaire de police sur la voie publique en train de gérer une manifestation de ce type et qui s’adresse à un membre du DPS, je ne pourrai vous donner que le mien, ce qui n’avancera guère votre Commission.

M. Yves NICOLIN : Vous avez dit que le DPS était un service d’ordre. En cas de manifestation prévue et lorsque les services préfectoraux missionnent des forces de l’ordre sur place, est-il naturel que des contacts s’établissent entre ces forces et le DPS ?

Savez-vous si certains de vos collègues ont été amenés à informer la hiérarchie préfectorale d’agissements du DPS contraires à la loi ?

Le DPS a-t-il, à votre connaissance, commis des actes répréhensibles ?

Qu’est-ce qui vous permet d’affirmer que le DPS est un service de renseignement ?

M. André-Michel VENTRE : Je ne puis vous livrer ni des faits, ni des dates, ni des noms, mais des rumeurs sont venues jusqu’à moi et circulent dans les instances syndicales que je dirige ; elles évoquent des demandes de renseignements, par personnes interposées, parvenues sur le bureau de commissaires des renseignements généraux ou de sécurité publique. Non motivées légalement, elles n’ont pas été satisfaites. Lorsque les voies hiérarchiques normales - judiciaires, administratives préfectorales ou administratives centrales - transmettent des demandes, elles respectent des procédures ; à défaut, la demande n’est pas satisfaite et il faut dénoncer à l’autorité hiérarchique la demande non motivée. Par contre, comment obtenir du fonctionnaire ou de sa relation qui a transmis la demande le nom de celui pour qui elle agit ? Je n’ai pas été moi-même directement sollicité, je peux donc difficilement vous répondre.

En ce qui concerne les contacts avec le DPS à l’occasion d’une manifestation, je réponds que, si le DPS apparaît comme étant le service d’ordre de l’organisateur, nous ne pouvons procéder autrement ; c’est notre interlocuteur obligé. En principe, dans une manifestation publique, nous entrons en contact avec l’organisateur, mais s’il nous renvoie sur son service d’ordre, nous sommes contraints de procéder ainsi car nous avons une obligation de résultats.

Quant à savoir si certains de mes collègues ont été amenés à informer leur hiérarchie d’agissements du DPS contraires à la loi, je dis non. J’ai pu en entendre parler, mais c’est là aussi une question de rumeurs. J’imagine qu’un commissaire de police ayant connaissance d’une illégalité commise par le DPS ou par qui que ce soit en informerait de manière privilégiée le procureur de la République. C’est ainsi que je conçois les choses.

M. le Président : Sur la question des renseignements, et sans donner de cas précis, vous avez parlé de demandes de renseignements adressés à des commissaires hors les procédures prescrites.

M. André-Michel VENTRE : Tout à fait, elles étaient verbales.

M. le Président : Emanaient-elles de supérieurs hiérarchiques ?

M. André-Michel VENTRE : En général, non.

M. le Président : Vous n’avez pas pu estimer les pourcentages relatifs de parachutistes et de policiers dans le DPS, mais vous avez parlé de liens, ce que vos propos sur les renseignements attestent.

M. André-Michel VENTRE : Parlons net et clair. Aux élections professionnelles de 1995, le Front National de la Police a obtenu 7 % des voix. Comment pourrions-nous soutenir la thèse de l’absence de liens entre la police nationale et le Front National ? Ce chiffre à lui seul résume la question. Il faut ajouter que la FPIP, autre syndicat traditionnellement classé à l’extrême-droite, a dépassé 9 % en 1995.

Cela permettait à beaucoup d’entre nous d’avancer que, si le Front National de la Police avait été légalisé aux élections de 1998, on pouvait craindre une explosion du vote d’extrême-droite dans les rangs de la police nationale. Nous nous sommes finalement réjouis - peut-on parler ainsi ? - que l’interdiction du Front National de la Police ait limité à 10 % le vote d’extrême-droite reporté sur la FPIP en 1998. Encore faut-il préciser que le taux de participation a singulièrement augmenté entre 1995 et 1998. Ainsi, les 10 % obtenus par la FPIP en 1998 correspondent à quelques voix près aux 15 % de l’extrême-droite en 1995. C’est donc un vote qui n’a ni progressé, ni diminué.

M. Jean-Pierre BLAZY : Notre Commission travaille sur le DPS et les soutiens dont il peut bénéficier et non sur le Front National.

Vous avez indiqué que vous ne connaissiez pas de policiers ayant de liens directs avec le DPS. Même si là n’est pas notre préoccupation principale, pourriez-vous nous donner des noms de fonctionnaires de police ou d’anciens fonctionnaires de police, membres du DPS ?

La loi du 10 janvier 1936 indique que pourrait être dissous tout groupement présentant une organisation militaire ou revêtant un caractère de groupe de combat ou de milice privée. De par votre expérience, pensez-vous que le DPS s’apparente à ce type d’organisation ?

M. André-Michel VENTRE : (Après une longue hésitation) Répondre par oui ou par non me semble impossible, du fait d’abord de ma méconnaissance trop grande de cette structure. Le fait que le DPS ait recruté majoritairement parmi le personnel militaire me laisse à penser qu’il y règne sans doute une ambiance et des règles militaires ou paramilitaires, mais, conscient du fait que je ne saurais avancer de preuves, je suis très franchement gêné pour vous répondre.

Je pourrais citer des fonctionnaires de police, membres du Front National, mais pas de membres du DPS. J’ajoute, pour avoir discuté avec des collègues qui travaillent aux renseignements généraux sur les milieux fermés, que cette structure a le sens et le goût du secret. Très sincèrement, je n’ai pas de noms à vous livrer.

M. Robert GAÏA : Nous essayons de nous en tenir aux faits. Vous indiquez que le recrutement du DPS s’opère chez d’anciens militaires. Les noms d’anciens gendarmes responsables régionaux du DPS nous ont été livrés. Vous êtes affirmatif sur les militaires et vague sur les policiers. Dès lors, devons-nous interroger les gendarmes pour qu’ils nous livrent des noms de policiers ?

Sur des faits précis, des enquêtes de commandement ont été menées. D’autre part, un certain nombre de fonctionnaires de police ont été traduits en conseil de discipline. Le syndicaliste que vous êtes est-il au courant ?

M. André-Michel VENTRE : Mon syndicat ne siège que dans les seules instances disciplinaires qui intéressent les commissaires de police. Depuis que je siège en commission administrative paritaire, c’est-à-dire depuis 1995, aucun commissaire n’a été traduit devant un conseil de discipline pour les faits que vous évoquez. Au surplus, pour les seules sanctions du premier groupe - blâmes et avertissements - qui ne viennent pas en conseil de discipline, le syndicat que je représente en est tenu informé et, là encore, aucun commissaire de police n’a été impliqué depuis 1995.

Je n’ai pas eu non plus connaissance d’enquêtes de commandement portant sur des commissaires de police pour de tels faits.

M. Robert GAÏA : Donc, il n’y a pas eu d’enquêtes de commandement à Montceau-les-Mines, à Strasbourg, à Bourges, dans l’affaire de la salle Wagram...

M. André-Michel VENTRE : Ne me faites pas dire de ce dont je ne suis pas informé. Les enquêtes de commandement appartiennent à l’administration. J’en suis informé quand celle-ci veut bien me les communiquer. Elles ne sont pas contradictoires et, sincèrement, les commissaires de police n’ont pas les mêmes réflexes que les autres fonctionnaires de la police nationale quand ils sont confrontés à un problème disciplinaire. Ils préfèrent, à bien des égards, un règlement " amiable " avec l’administration, avec un directeur général ou central plutôt que la confrontation directe en conseil de discipline. Il est vrai que, dans ce cas, le syndicat que je dirige n’est pas informé.

M. Robert GAÏA : Et sur l’appartenance de militaires ou de policiers au DPS ?

M. André-Michel VENTRE : Je ne me fais pas d’illusion, mais je ne dispose d’aucun fait précis. Lorsque je parle de personnels pouvant prêter leur concours au DPS, je fais allusion à des retraités et à des actifs.

M. Robert GAÏA : Au sujet des militaires seulement ?

M. André-Michel VENTRE : Je n’accuse pas l’armée, cela pourrait aussi bien être le cas pour des policiers. Mais je ne puis vous apporter la preuve de faits matériels pouvant étayer ce sentiment.

M. le Président : Pouvez-vous attester des activités de renseignement du DPS ? Au sein de la police, des personnes liées au Front National, voire au DPS, utilisent-elles des procédures illégales ?

M. André-Michel VENTRE : Il y a pu avoir des demandes de renseignements non motivées, mais de là à avancer que le lien est établi matériellement entre la demande de renseignement et le DPS, il y a un cheminement sur lequel je ne vous ai pas apporté le moindre détail.

M. le Président : Vous avez tout de même évoqué dès le départ le rôle de renseignement du DPS.

M. André-Michel VENTRE : On peut le supposer. Mais le secrétaire général du syndicat des commissaires de police qui est devant vous ne peut citer précisément les dates, les lieux, les personnes et le nombre de cas de ce type. Ces informations me sont revenues sur le mode de la rumeur et non comme des faits objectifs et précis.

M. Gérard LINDEPERG : Je suis assez surpris. Cela fait bientôt quarante-cinq minutes que nous vous auditionnons et nous n’avons obtenu aucun élément précis. Dans toutes les auditions précédentes, des informations précises sur les équipements ou matériels utilisés et sur des comportements nous ont été livrées.

Un certain nombre d’événements qui ont défrayé la chronique - Carpentras, salle Wagram à Paris, Strasbourg ou Montceau-les-Mines - ont mis à jour des " connivences " entre la police et le DPS. Dans une organisation telle que la vôtre, j’imagine que des débats collectifs se sont engagés sur ces questions nouvelles et importantes. Je m’étonne que nous n’arrivions pas à obtenir d’éléments précis. Ces faits vous étaient-ils connus, ont-ils donné lieu à une réflexion ?

M. André-Michel VENTRE : Sur les événements de Strasbourg, comment les faits nous sont-ils revenus ? Tout simplement par la presse et les images télévisées de France 3, où l’on voyait un CRS saluer Mme Catherine Mégret avec beaucoup de chaleur, ce qui nous a vraiment révélé la proximité qui pouvait exister entre une compagnie de CRS et le Front National.

Le syndicat des commissaires de police et des hauts fonctionnaires de la police nationale n’est pas une agence de renseignements. Il a vocation à défendre les intérêts matériels et moraux de ses mandants. Si des commissaires de police étaient impliqués dans de tels incidents, il y aurait eu débat. C’est un propos libre de ma part et devant être compris comme tel. Pour le reste, il faut bien savoir comment fonctionnent la police nationale et les syndicats internes. Suite aux événements de Strasbourg, des enquêtes de commandement ont été menées ; elles ont donné lieu à des sanctions qui se sont révélées, curieusement, peu en rapport avec les faits avérés - ce que je regrette d’ailleurs.

Les syndicats de police ont une attitude étrange vis-à-vis des problèmes disciplinaires. Notre syndicat n’hésite pas à voter des révocations avec l’administration. Les cas de révocation de commissaires pour des fautes relativement bénignes sont nombreux. Dans d’autres corps, la défense syndicale est plus puissante et permet d’étouffer les affaires et leurs conséquences. Je regrette profondément que, souvent, nous n’allions pas au fond des choses, mais cela n’est jamais de mon fait ni de celui du syndicat des commissaires. Je peux vous fournir la liste des commissaires de police récemment sanctionnés par la commission de discipline et les motifs des sanctions : aucun n’a été sanctionné pour des faits de proximité avec le DPS ou avec qui que ce soit lié avec le DPS. Pour le reste - et je le regrette -, le commissaire n’est pas, contrairement à une légende, le maître de la police ; c’est un haut fonctionnaire entre les mains de l’Etat. C’est à celui-ci qu’il revient de rendre des comptes, notamment sur sa gestion du pouvoir disciplinaire dans d’autres corps de policiers.

M. le Président : Selon vous, les sanctions après Strasbourg étaient insuffisantes ?

M. André-Michel VENTRE : Si un commissaire de police avait été amené à saluer aussi ouvertement que le fit ce CRS un membre du directoire du Front National, il eût encouru une sanction beaucoup plus lourde que celle prononcée. Le représentant syndical qui est devant vous l’aurait très certainement demandée, tout simplement parce que nos statuts prévoient notre neutralité et nous invitent à une extrême prudence dans les manifestations.

M. le Rapporteur : Avez-vous eu connaissance d’un certain rapport des renseignements généraux sur le DPS ?

Votre syndicat a-t-il traité du problème du DPS comme pouvant intenter aux intérêts de la police, dont les commissaires sont partie prenante ?

M. André-Michel VENTRE : Les rapports des renseignements généraux sur de tels thèmes sont jalousement gardés et la direction centrale ne transmet pas ces rapports au syndicat des commissaires.

Effectivement, il y a eu débat au sein de notre syndicat à la suite des événements de Strasbourg. Nous nous attendions, à la vérité, à des sanctions plus fortes que celles qui furent prononcées. Nous avons été fort déçus de constater que la police nationale avait été à ce point négligée, car je crois qu’il y a une image de la police nationale à sauvegarder en tant que service de l’Etat neutre et impartial. Cette image n’a pas été sauvegardée comme nous aurions aimé qu’elle le fût.

M. Robert GAÏA : On parle beaucoup de ce CRS photographié à Strasbourg avec Mme Catherine Mégret ; c’est un problème interne à la police. Mais c’est, en l’occurrence, plus un lien entre le Front National et la police qu’un lien avec le DPS. Il y a plus grave à cette occasion : il s’agit de l’usurpation de fonctions s’accompagnant de contrôles d’identité et de véhicules. Sur ce point, en avez-vous été témoin ? Connaissez-vous des faits similaires ?

M. André-Michel VENTRE : Non, d’une part, je ne suis jamais passé par Strasbourg ; d’autre part, j’ai souvenir que cette usurpation de qualité a trouvé son épilogue devant le tribunal de grande instance de Strasbourg.

M. Robert GAÏA : Je ne mets pas en cause les commissaires ; je vous demande si, dans votre organisation syndicale, ces problèmes ont été posés, ou si vous avez été informés de problèmes similaires ?

M. André-Michel VENTRE : Même si nos statuts nous interdisent d’avoir des débats politiques, ils ne nous interdisent pas de savoir qui est chez nous. Un commissaire qui commettrait de tels agissements serait exclu...

M. Robert GAÏA : Tel n’est toujours pas mon propos. Avez-vous eu connaissance, par vos syndiqués, d’autres faits du même ordre ?

M. André-Michel VENTRE : Sur les nombreuses manifestations gérées par le DPS, des informations sont remontées selon lesquelles les membres du DPS se conduisent souvent ainsi. Cela va plus loin que l’usurpation de qualité ou de fonctions, cela va jusqu’à l’utilisation de méthodes policières dans certains cas. Dans une manifestation que le DPS souhaite véritablement sécuriser, ses membres procèdent à des palpations de sécurité pour savoir si la personne qu’on laisse entrer est porteuse ou non d’objets.

M. le Président : Les commissaires de police entretiennent naturellement des relations avec tous les organisateurs de manifestations. Etes-vous en train de nous dire que le DPS présente une spécificité par rapport aux autres services d’ordre ?

M. André-Michel VENTRE : La majorité des services d’ordre fonctionnent à la limite de la légalité. Quand vous entrez dans une manifestation sportive ou culturelle, vous passez sous des portiques, c’est une pratique tout à fait légale. En revanche, quand des femmes ou des hommes procèdent à des palpations de sécurité à l’entrée d’un stade, on peut toujours se demander dans quel cadre juridique ces personnes agissent.

M. le Président : Les événements de Strasbourg illustreraient, selon vous, des méthodes que l’on retrouve partout où intervient le DPS ?

M. André-Michel VENTRE : Dont on entend souvent parler.

M. le Président : Strasbourg n’est donc pas un fait isolé ; ce sont des méthodes que l’on retrouve donc, mais qui ne font pas forcément l’objet de rapports, si je comprends bien.

M. André-Michel VENTRE : Je n’ai jamais eu entre les mains de tels rapports et, à ma grande honte, je ne me suis jamais préoccupé de savoir si ces rapports existaient, mais j’imagine qu’ils ont été établis. Strasbourg n’est qu’un fait ; il en existe d’autres.

M. le Rapporteur : Dans quel cas les organisateurs d’une manifestation peuvent-ils procéder à des palpations de sécurité ? Dans une propriété privée, dans une manifestation privée ?

M. André-Michel VENTRE : Dans un lieu privé oui, car le maître de maison est chargé de la sécurité du lieu, mais ce pouvoir ne va pas jusqu’à la fouille à corps - assimilée à une perquisition - qui n’est possible que dans le cas du flagrant délit ou sur commission rogatoire. Dans le cadre d’une enquête préliminaire, il faut obtenir l’accord de la personne fouillée. Mais la palpation de sécurité est évoquée dans la réglementation des contrôles d’identité. L’ancien règlement intérieur des gradés et gardiens l’évoque également, car il s’agit d’assurer la sécurité des personnes contrôlées et des fonctionnaires de police.

Peut-on ou non procéder à la palpation de sécurité à l’entrée d’un lieu public ou semi-public ? A mon sens, ce n’est pas juridiquement fondé.

M. le Président : C’est une pratique habituelle du DPS ?

M. André-Michel VENTRE : En tout cas de beaucoup de services d’ordre chargés de la sécurité dans des lieux donnés, notamment dans des stades.

M. le Président : Vous évoquez des stades. Nous parlons ici des organisations politiques. Dans ce cas, il s’agit d’usurpation de qualité. Des faits vous sont-ils remontés ?

M. André-Michel VENTRE : J’en ai souvent entendu parler. C’est la réponse que je puis faire, qui respectera à la fois le droit et les faits.

M. le Président : Comme sur la question des renseignements tout à l’heure ?

M. André-Michel VENTRE : Le renseignement est une matière beaucoup plus volatile. Faire du renseignement signifie qu’il y a des informations à recueillir. J’en reste à ce que je vous ai déjà dit : il est indispensable que l’Etat puisse se prémunir contre des agissements qui pourraient porter atteinte à sa sécurité. De ce point de vue, il doit commander à ses policiers, notamment des renseignements généraux, d’enquêter sur un milieu fermé tel le DPS.

M. le Président : Monsieur, nous vous remercions.