Présidence de M. Raymond FORNI, Président
M. Frédéric Veaux est introduit.
M. le Président lui rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d’enquête lui ont été communiquées. A l’invitation du Président, M. Frédéric Veaux prête serment.
M. le Président : Monsieur le Directeur, je vous propose de nous faire part de votre expérience mais surtout de nous dire comment vous voyez les relations entre le SRPJ, la gendarmerie et les services nationaux de la police. Pour ne rien vous cacher, en ce qui concerne les services de police, nous retirons des différentes auditions auxquelles nous avons procédé une impression extrêmement désagréable. En écoutant les uns ou les autres, on a le sentiment qu’en Corse les services ne valent rien : porosité, absence de confiance, fatalisme qui fait que ni le renseignement, ni l’action habituellement demandée aux services de police ne sont correctement accomplis que ce soit pour des raisons historiques ou pour des causes diverses et variées qui tiennent aussi aux hommes.
De plus, je ne pensais pas que certains policiers étaient à ce point à la recherche de leur ego d’où une médiatisation de leur action qui finit par être nuisible.
Tout cela est pollué par des interventions parfois intempestives d’organismes extérieurs. Je pense à la DNAT, au rôle particulier que joue M. Marion, au rôle dévolu à la section antiterroriste du parquet de Paris, aux juges d’instruction que vous connaissez mieux que moi. Bref, tout cela donne une impression de désordre. Si l’on veut rétablir l’Etat de droit en Corse, il faut déjà que la politique de l’Etat soit lisible. S’il n’y a pas de lisibilité à l’intérieur des services, je ne vois pas comment la politique de l’Etat peut l’être.
D’autant que les ministres, de gauche comme de droite, ne semblent pas avoir mesuré l’importance que pouvait revêtir cette question. Ils ne s’y intéressent que d’une manière politicienne, sans que cela soit forcément péjoratif. On remet des décorations, on annonce des promotions : tout cela correspond-il à l’intérêt de la Corse et à la fonction demandée aux services de sécurité ? Je n’en suis pas persuadé.
Dites-nous ce que vous en pensez, vous qui êtes sur le terrain et qui avez l’expérience des hommes. J’ai l’impression - je ne sais pas si elle est partagée par tous mes collègues de la commission - que l’on peut faire confiance aux gens qui sont en Corse. Il y a des gens de qualité. A condition de leur donner des moyens et de leur faire un minimum de confiance, ils doivent pouvoir faire du bon travail. La Corse n’est pas différente du reste du territoire national, sauf quelques traditions qu’il faut sans doute modifier. Même si elles se sont manifestées à partir des années soixante-dix, auparavant, la Corse était comme le reste du territoire. Il y a donc sans doute une explication aux dérives qui se sont produites au cours des dernières décennies. Vous n’êtes pas ici depuis suffisamment longtemps pour nous parler de tout cela, mais nous sommes intéressés par votre expérience personnelle.
M. Frédéric VEAUX : Cela fait seize mois que je suis présent en Corse. J’ai succédé à M. Dragacci dans les conditions que tout le monde connaît. Vous dites qu’en Corse, ce n’est pas plus difficile qu’ailleurs, c’est tout de même un peu plus compliqué, d’abord compte tenu de la situation de l’île et de son histoire.
Pratiquement toute l’équipe du SRPJ a été renouvelée à la suite de mon arrivée, à l’exception de mon adjoint qui était déjà l’adjoint de M. Dragacci. Comme je le répète souvent à mes collaborateurs, le travail de la police judiciaire en Corse doit faire preuve d’encore plus de clarté, de simplicité dans la façon d’aborder les problèmes, qu’ailleurs. Le respect des règles s’impose ici plus qu’ailleurs. Face aux problèmes que l’on peut rencontrer, il convient de s’imposer dès le départ un certain nombre de règles et ne pas y déroger pour le succès d’une affaire, pour un service rendu, pour chercher un faire valoir.
Il faut s’en tenir au travail qui est le nôtre, à la mission qui nous est donnée et ne pas chercher à en faire un tremplin personnel. Quand il m’arrive, trop rarement, d’aller sur le continent, mes amis s’étonnent de n’entendre jamais parler de moi. C’est le meilleur des compliments que l’on puisse m’adresser. Même lorsque nous rencontrons des succès significatifs, nous ne cherchons pas à en tirer un profit personnel. Depuis mon arrivée, la police judiciaire en Corse a remporté quelques succès d’importance, mais nous n’avons pas cherché à en faire des tremplins, à les médiatiser à notre profit ou à faire la démonstration de la capacité d’un service aux dépens d’un autre.
Les règles de fonctionnement qui s’imposent sont celles de l’organisation de la police en France : il y a un directeur central de la police judiciaire, un chef de la DNAT, un directeur du SRPJ, et nous devons fonctionner dans la simplicité comme on le fait sur le continent. Il ne s’agit pas de savoir si on roule pour Roger Marion, pour Démétrius Dragacci ou pour quelqu’un d’autre. Nous avons une mission clairement définie, qui s’effectue sous le contrôle des magistrats avec des règles précises auxquelles nous essayons de nous conformer.
Au sein du service, quels que soient les problèmes qui ont pu transparaître dans la presse ou ailleurs, chacun des fonctionnaires du SRPJ d’Ajaccio se sentait vraiment concerné par le dossier Erignac. Il n’était pas question de dire que la DNAT tirait la couverture à elle, que les renseignements généraux faisaient parler d’eux. Nous avions à accomplir le travail obscur et quotidien. Lors de l’arrestation des assassins présumés du préfet, même si le travail de la DNAT a été mis en avant, chacun s’est senti libéré, satisfait du résultat du travail obtenu par l’ensemble des services de police.
Il est vrai que la multiplicité des acteurs qui s’intéressent au dossier complique un peu les choses mais les règles sont claires. Nous n’avons pas à remettre en question l’existence d’un service centralisateur en matière de justice dans la lutte contre le terrorisme ni l’existence d’un pôle économique et financier à Bastia. Nous avons à appliquer les règles du code de procédure pénale. Nous n’avons pas à remettre en question la contribution de la gendarmerie nationale au rétablissement de l’Etat de droit en Corse et à la lutte contre le terrorisme. Il y a du travail pour tout le monde. Chacun doit pouvoir trouver sa place sans chercher à faire la démonstration que l’un est plus compétent que l’autre. C’est là aussi que se trouve l’enjeu ; personne ne doit chercher à récupérer une place qui pourrait être laissée vacante par un service. Dès lors que toutes les règles sont respectées, il n’y a pas de difficulté.
Une des difficultés des enquêteurs est d’arriver à s’impliquer dans ce dossier très prenant tout en gardant le recul nécessaire pour avoir le maximum de sérénité pour traiter les affaires. Cet équilibre est souvent difficile à trouver. Pour ce qui est des commissaires qui exercent au SRPJ d’Ajaccio, cet équilibre existe.
Concernant les méthodes de travail, la question s’est posée de savoir si nous devions faire confiance aux fonctionnaires corses, et si la présence de Corses au sein des services de police était un problème. Je puis témoigner que les meilleurs résultats que nous avons obtenus dans l’année écoulée l’ont été grâce à la contribution des Corses présents dans le service. Ils ont une sensibilité et une connaissance du terrain que nous, continentaux, n’avons pas. Des Corses occupent des postes de responsabilité dans le service. On leur doit notamment l’arrestation en février de Jean-Sylvain Cadillac, qui défrayait la chronique depuis quatre ans. Il était recherché par les services les plus prestigieux de la police nationale. Nous avons décidé de nous y mettre dans le courant de l’hiver. La contribution des Corses pour élaborer une méthode de travail qui nous permette d’aboutir à un résultat a été importante. C’est vrai dans le travail opérationnel de terrain mais aussi dans le travail d’enquête. Un des mes adjoints à la brigade financière d’Ajaccio est corse. C’est un homme remarquable, très bon technicien en matière économique et financière et qui, de plus, nous apporte l’intelligence de la situation. Si on est capable d’écouter les policiers d’origine corse, on apprend beaucoup et on progresse.
A mon arrivée, on reprochait au SRPJ d’Ajaccio sa porosité. C’est pour nous un souci permanent. Nous avons pris des dispositions techniques d’accès au service, de diffusion des informations pour limiter les possibilités de fuite. Certaines personnes ne sont pas rendues destinataires de certains documents, surtout s’ils n’ont pas à en connaître. Un administratif du SRPJ confondu pour avoir transmis copie d’un dossier à un malfaiteur ajaccien a été mis en examen et écroué, ce qui a eu également un effet pédagogique. Dans le cadre d’une affaire marseillaise, un commandant de police du SRPJ d’Ajaccio a été mis en examen et écroué pour ses relations avec le banditisme. Je n’en tire aucune gloire ni personnelle, ni pour le service mais cela a contribué à créer un état d’esprit général qui montrait que l’on ne transigeait pas avec ce genre de pratiques.
Si je fais le bilan de toutes les manifestations extérieures de porosité en ce qui concerne le dossier corse sur l’année, je trouve que le SRPJ s’est bien comporté. Beaucoup d’informations ont filtré sur de nombreuses d’affaires, mais le SRPJ ne pouvait pas en être à l’origine. On n’est jamais à l’abri d’un accident, mais nous avons fait en sorte que cela ne puisse pas se produire.
M. le Président : Quelles sont vos relations avec M. Marion ?
M. Frédéric VEAUX : Je l’avais connu quand il était chef de la division criminelle à Marseille. J’étais alors en poste à Nice et nos relations étaient très ponctuelles. Je ne sais pas si je partirais en vacances avec lui, mais dans le travail, il est le chef de la division nationale antiterroriste et je ne me pose pas de questions. Je n’ai pas à juger son caractère ou sa personnalité. C’est le contrôleur général, le chef de la DNAT, je suis directeur du SRPJ. Nous sommes engagés dans la lutte antiterroriste. C’est notre correspondant. Je me comporte avec lui comme lorsque j’étais responsable du service des stupéfiants à Marseille vis-à-vis du chef de l’Office central des stupéfiants.
M. le Président : Loyalement.
M. Frédéric VEAUX : Tout à fait loyalement. Cela reste une relation strictement professionnelle.
M. le Président : Depuis le départ impromptu de M. Bonnet, entretenez-vous des relations plus normales avec les magistrats ? Les services du SRPJ sont-ils saisis régulièrement ? N’y a-t-il plus d’ostracisme à l’égard des services de police ? Percevez-vous une remontée de la confiance envers le SRPJ ? A un moment donné, la gendarmerie était-elle privilégiée au détriment de la police ?
M. Frédéric VEAUX : De la part des magistrats, je n’ai jamais senti que l’on privilégiait la gendarmerie. L’offre de services étant plus importante qu’avant, les possibilités de saisine des magistrats étaient aussi plus importantes. La reprise en main de la situation en Corse s’est traduite par un afflux d’affaires que la police judiciaire était dans l’incapacité de traiter dans leur totalité, d’autant que certaines devaient l’être assez rapidement. Mais dans les témoignages que nous recevions de la part des procureurs de la République, des juges d’instruction ou du procureur général, je n’ai jamais senti un défaut de confiance ou que l’on cherchait à privilégier la gendarmerie par rapport à la police judiciaire.
M. le Président : Vous avez succédé à M. Dragacci. Le connaissiez-vous ? Qu’en pensez-vous ?
M. Frédéric VEAUX : Je le connaissais avant. Je n’ai pas d’éléments particuliers pour juger l’homme. A la rigueur, je peux porter un jugement sur l’état du service à mon arrivée. C’est un peu délicat, car on a toujours tendance à être un peu critique à l’égard de ce qu’a fait son prédécesseur. On est toujours tenté de penser qu’il n’a rien compris et que l’on va faire mieux que lui. J’ai pensé pouvoir améliorer ou changer certaines choses.
M. Dragacci était plongé depuis longtemps dans le dossier corse. Il a été inspecteur, il connaissait très bien les fonctionnaires du SRPJ et il entretenait avec eux d’autres relations que des relations hiérarchiques normales : il entrait forcément une part d’affectif. J’ai insisté davantage sur la dimension financière qu’il ne l’avait fait. Il avait des méthodes de travail à l’ancienne qui ont fait leurs preuves en leur temps. Aujourd’hui, on peut employer d’autres arguments pour conduire des enquêtes de police judiciaire.
Quand on le connaît assez peu, on le voit sous l’angle attachant : c’est quelqu’un d’assez bonhomme. Pour ne pas parler la langue de bois, en arrivant, je savais que ce n’était pas le grand amour entre M. Dragacci et M. Marion. Je me trouvais donc dans une position délicate. Il est difficile de succéder à quelqu’un qui a été remercié, qui avait tissé des liens particuliers avec un service qu’il dirigeait depuis longtemps et qui, de plus, est corse, ce qui peut laisser croire à une chasse aux sorcières ou à la volonté de remplacer les Corses par des continentaux. Dans le même temps, j’avais le souci de ne pas apparaître comme l’homme d’untel plutôt que l’homme d’untel, je voulais être le directeur du SRPJ d’Ajaccio. J’ai eu à relever ce défi. Je me suis toujours refusé à entrer dans ce type de conflits et à prendre partie pour l’un ou pour l’autre.
M. le Rapporteur : Lors de votre arrivée, il y avait un certain nombre de difficultés, en particulier la fameuse fuite de la note Bougrier. Quel était alors l’état d’esprit à la SRPJ ? Les policiers se sentaient-ils démobilisés ? Par rapport aux précédentes responsabilités que vous avez exercées, quel constat avez-vous fait à ce moment-là ?
M. Frédéric VEAUX : Bon nombre de policiers sont ici depuis très longtemps. Pour l’avoir suivi en spectateur depuis le continent, j’ai vu toutes les périodes qu’ils ont traversées. Or compte tenu de tout ce qu’ils ont vécu, vu et entendu, je les ai trouvés extraordinairement sereins, animés d’une véritable mentalité de service public. Avec les " sages ", les anciens du SRPJ, on a des types solides, capables de faire la part des choses. Ils se disent : il y a des problèmes, des phénomènes extra-SRPJ qui se produisent, mais cela fait des années que nous sommes là, que nous faisons tant bien que mal notre travail, avec parfois des difficultés qui ne sont pas celles d’un SRPJ normal.
Bien entendu, il y a des fonctionnaires d’inégale valeur mais je l’ai constaté aussi à Marseille et à Nice. Vous pouvez les appeler la nuit, le week-end, les solliciter à tout moment, ils répondent toujours présent. De plus, j’ai pu relever qu’ils sont courageux physiquement.
Toutefois, ils ont besoin qu’on leur fixe une ligne claire, qu’on leur dise où l’on va, ce que l’on fait. Ils ont besoin de sentir que leur patron n’est pas là pour jouer une carte personnelle mais pour s’impliquer dans la vie du service et faire en sorte d’améliorer leur vie quotidienne. La vie d’un policier en Corse n’est pas toujours facile. A une époque, certains étaient menacés physiquement ou subissaient des attentats : le FLNC envisageait de " jambiser " les fonctionnaires de police, comme cela se pratiquait au Pays basque. Après avoir vécu tout cela, ils ont conservé un sens du service public très affirmé. Je ne me suis pas demandé dans quelle pétaudière je tombais, sur qui je pouvais compter, sur qui ne je pouvais pas compter. J’ai été favorablement impressionné par la mentalité des fonctionnaires que j’ai trouvés.
M. le Président : A votre arrivée ici, a-t-on défini la mission qui était la vôtre ? Les consignes qui vous ont été données vous paraissent-elles claires ?
M. Frédéric VEAUX : Elles m’ont toujours parues claires.
M. le Président : Vous avez été nommé par M. Cultiaux ?
M. Frédéric VEAUX : Oui.
Tant au niveau de l’autorité administrative que de l’autorité judiciaire, la ligne a été fixée dès le départ. Lors du premier entretien, je vous ai indiqué que je n’ai fait l’objet d’aucune intervention sur tel dossier financier ou sur tel dossier de terrorisme. Le procureur général a toujours eu aussi une ligne très claire sur les enquêtes judiciaires.
M. Bernard DEROSIER : Concernant les relations avec la magistrature, quel est votre sentiment sur le comportement de certains fonctionnaires de police chargés d’une enquête par un magistrat et qui rendent compte à la hiérarchie policière avant de s’adresser au magistrat ?
M. Frédéric VEAUX : Il est toujours bon de discuter. Cela dépend jusqu’où vous placez la hiérarchie policière. Considérez-vous que c’est le directeur du SRPJ ?
M. Bernard DEROSIER : La Hiérarchie, avec un " H " majuscule.
M. Frédéric VEAUX : Là aussi, les choses sont claires : il y a des règles à respecter, ce qui prévaut, c’est l’information du magistrat qui vous confie l’enquête. Toutefois, le problème de la Corse est extrêmement compliqué. Les gens qui ont en charge un certain nombre de décisions ont le droit d’être au courant de certaines informations. Je ne dis pas forcément du contenu des enquêtes : la hiérarchie policière ne m’a par exemple jamais posé aucune question sur le contenu d’un dossier économique et financier.
Si demain, j’interpellais un élu, je ne comprendrais pas que le préfet du département n’en soit pas avisé. Je pense que le magistrat en a aussi tout à fait conscience. Celui qui s’en dirait scandalisé ne serait pas honnête, surtout en Corse. Mais je n’ai jamais communiqué un procès-verbal ou la copie d’un rapport d’enquête. On ne me l’a d’ailleurs jamais demandé.
M. le Président : Bien entendu vous excluez de cette communication toute relation particulière avec la presse ? Apparemment, il y aussi avec la presse en Corse des problèmes de confiance, de comportement. On nous a dit, par exemple, que l’on ne rendait jamais compte des procès criminels ou des condamnations de truands sur le territoire corse, que l’on ne citait jamais leur nom.
M. Frédéric VEAUX : C’est exact. Certains journalistes ont une façon complaisante de rendre compte de certains faits divers.
M. le Président : Est-ce de la complaisance, de la peur, de la connivence ou de la complicité ?
M. Frédéric VEAUX : Pour certains journalistes, des éléments me laissent penser que c’est au minimum de la complaisance. Quand vous en parlez avec des journalistes locaux, ils vous disent que lorsqu’il leur est arrivé de publier un nom, ils ont vu le lendemain la famille débarquer et les prendre à partie dans l’enceinte du journal. Certains ont des sympathies nationalistes affichées. Un journaliste qui travaille dans une station de télévision régionale a eu sa photo affichée à côté de celles des terroristes recherchés en Corse. Tous les liens ne sont pas coupés. Je ne critique pas, je fais le constat.
M. Bernard DEFLESSELLES : Monsieur le directeur, nous vous écoutons depuis de longues minutes. A vous entendre, tout va plutôt bien. En arrivant, il y a seize mois, vous avez trouvé un service en pleine forme, des hommes déterminés. Vous avez succédé à un collègue qui travaillait bien, vous avez de bonnes relations avec la préfecture, les rapports avec la hiérarchie sont bons, ceux avec les magistrats sont idylliques. Je suis un peu surpris. On n’a pas toujours le même écho en provenance de la Corse.
Quelles étaient vos relations avec la gendarmerie, en particulier avec ses patrons, le lieutenant-colonel Cavallier et le colonel Mazères ? Etaient-elles aussi bonnes que les relations que vous entreteniez avec les autres services ?
M. Frédéric VEAUX : Aussi paradoxal que cela puisse vous paraître, je pense que le lieutenant-colonel Cavallier ne dirait pas de mal du SRPJ. Il n’est peut-être pas valorisant de dire que l’on s’entend bien avec tout le monde mais dans la difficulté qui est la nôtre, ici, pour résoudre des affaires de terrorisme et les affaires financières, j’ai assez peu de temps libre et plus beaucoup d’énergie pour me battre, une fois avec les gendarmes, une autre fois avec la DNAT, une autre fois encore avec les magistrats. Dans chacune des institutions, j’ai été capable de trouver des interlocuteurs responsables et capables de voir où est l’intérêt public. Je ne dis pas que c’est idyllique, mais quand des problèmes se posent, nous essayons de les résoudre.
Je trouve que nous avons fait de grands progrès dans le mode de fonctionnement. Cela ne se voit peut-être pas encore. Les médias se contentent de rendre compte de ce qui les intéressent et de ce qui peut intéresser les lecteurs sur le continent. Dans le traitement des affaires financières, dans la lutte contre le terrorisme, si nous n’avons pas atteint les objectifs idéaux, nous avons fait de gros progrès.
L’année dernière, trois mois après qu’un nationaliste de Corte, Charles Pieri, eut déversé son discours à la tribune, nous l’avons interpellé avec ses plus fidèles lieutenants, armés de quinze pistolets automatiques, deux fusils-mitrailleurs. Tout le monde en parlait depuis des années. Il est maintenant en prison, ce qui fait un chef militaire de moins pour le FNLC-Canal historique. Ce n’est peut-être pas très spectaculaire, la presse ne parle pas de l’action du SRPJ d’Ajaccio en relatant cet épisode, mais pour moi, c’est un résultat qui marque.
Je ne devrais pas le dire devant vous, mais nous avons réussi à mettre en examen des élus dans des dossiers sur lesquels on peut espérer qu’ils seront condamnés si les faits sont avérés.
M. le Président : Je vous rassure tout à fait. Ne soyez absolument pas gêné de parler devant nous, devant une commission d’enquête parlementaire, d’élus mis en cause ou mis en examen. Nous ne nous sentons absolument pas concernés. J’en ai assez d’entendre le sempiternel discours sur la corruption du milieu politique. Il y a des élus qui font très bien leur travail, comme des policiers, d’ailleurs. La proportion de policiers corrompus est sans doute la même que la proportion d’élus corrompus. Je vous le dis très clairement. Nous avons tellement entendu cette antienne que cela finit par être lassant. Il y a des élus honnêtes, compétents, qui font leur travail, qui essaient de le faire avec une certaine morale, qui ne tombent pas dans la compromission permanente, qui ne touchent pas de pots-de-vin. Etre obligé de dire cela, c’est déjà en soi quelque chose de surprenant. On l’entend dans les milieux de la magistrature, de la police. Je ne vais pas vous dire ce que je pense des milieux de la police, parce que je risquerais d’être désagréable.
M. Deflesselles vous a posé une question qu’il a eu raison de vous poser sous cette forme, parce que nous avons tellement entendu de choses qui nous ont fait dresser les cheveux sur la tête que votre discours un peu lénifiant surprend. Pour être précis, lorsque nous avons entendu M. Marion, il n’avait aucune confiance dans les services de police. Vous, vous avez confiance en lui, c’est votre problème !
Lorsque vous nous dites que la coopération fonctionne bien entre la police et la gendarmerie, nous nous sommes rendus compte exactement du contraire. S’il y a un endroit où cela fonctionne plus mal qu’ailleurs, c’est en Corse. Vous nous dites que les relations avec les magistrats sont normales, alors que le fonctionnement de l’appareil judiciaire pose tout de même quelques problèmes en Corse. Je pense que vous en conviendrez avec moi. Le taux d’élucidation des dossiers est un des plus faibles qui soit. Les ministres nous ont tous dit le contraire, mais parler des voleurs de lapins n’est pas tout à fait la même chose que de parler de celui qui descend quelqu’un dans la rue devant cent témoins et qui n’est jamais retrouvé. Tout cela est tellement en contradiction avec votre présentation !
Nous le disons non par plaisir mais pour essayer de trouver une solution. On peut en déduire par exemple qu’il n’est pas utile que la DNAT intervienne en Corse, en tout cas pas à ce rythme et pas de cette manière-là. Les affaires de terrorisme sont finalement relativement rares et limitées, le reste relève plutôt du banditisme traditionnel de droit commun. Laissons traiter les affaires de droit commun par le SRPJ de Corse et par les fonctionnaires de Corse !
Vous nous dites que tout fonctionne bien, mais le directeur général de la police nous a dit que le taux d’absentéisme dans les commissariats et des services de sécurité corses est un des plus élevés que l’on connaisse en France. C’est tout de même un problème. Tous les hommes sont dévoués et font leur travail, sauf qu’ils ne sont pas là. Il y a en permanence 12 à 14 % d’absents. On nous dit que le service de contrôle médical n’est pas fiable, qu’il ne fait pas son travail et que l’on est obligé de recourir à des gens de Marseille pour le contrôle médical de ceux qui se font porter pâles. On a même été obligé de renvoyer un policier absent pour maladie alors qu’il était serveur dans le restaurant de sa mère.
M. Roger FRANZONI : C’est général !
M. le Président : Je me demande si le fait que vous veniez de Marseille n’atténue pas un peu votre jugement, car je ne suis pas sûr qu’à Marseille, ce ne soit pas déjà particulier.
M. Frédéric VEAUX : Vous me dites que je fais confiance à Roger Marion. Je ne vous ai jamais dit que je faisais confiance à Roger Marion.
M. le Président : C’est ce que je voulais vous entendre dire.
M. Frédéric VEAUX : Pas plus à Roger Marion qu’à un autre. Il est mon interlocuteur comme chef de la DNAT avec pour mission la lutte contre le terrorisme. Parfois, nous avons des contentieux, parfois, nous ne sommes pas d’accord, parfois, on s’explique, mais il y a le travail quotidien qui est la lutte contre les attentats.
M. Bernard DEROSIER : Posons la question différemment : est-ce que la DNAT avait sa place dans les affaires dont elle s’est occupée ?
M. Frédéric VEAUX : Tout à fait.
M. Bernard DEROSIER : A chaque fois ?
M. Frédéric VEAUX : Heureusement qu’elle est là, eu égard au volume de travail. Il ne faut pas juger l’action de la DNAT au travers de la personnalité de Roger Marion.
M. le Président : Je veux bien mettre au crédit de M. Marion tout ce que l’on veut, mais si les résultats obtenus dans l’affaire Erignac sont à porter au crédit de quelqu’un, ce n’est sûrement pas à celui de M. Marion, ni à celui de la DNAT car, à ma connaissance, les noms des assassins étaient connus dès le mois de novembre, mais personne n’a exploité cette source de renseignements, pas plus le juge Bruguière qu’un autre. J’imagine que cela pose problème pour les gens qui sont sur place : ils doivent se dire que ces gens débarquent de Paris en avion particulier tels des shérifs ou des Zorros !
M. Frédéric VEAUX : Il y a d’un côté une image donnée par certains leaders et de l’autre, il y a le quotidien assuré par des dizaines de fonctionnaires comme moi et comme d’autres, qui sont confrontés à des difficultés et qui essaient de le vivre le mieux possible. Ils n’ont rien à faire du contentieux entre Roger Marion et Démétrius Dragacci, ils n’ont rien à faire du comportement de M. Bruguière. Ils sont attachés à leur mission de service public. Cela peut paraître dérisoire, mais il y a des gens qui y croient...
M. le Président : ... et qui ont affaire, eux, à des réalités concrètes : alors que l’on sait que le terrorisme corse est étroitement lié au banditisme de droit commun, pourquoi un certain nombre de gens parfaitement identifiés, dont les noms circulent, continuent à faire des conférences de presse, à paraître à la télévision ? Parfois, je vous l’accorde, ils ont purgé quelques mois de détention, comme François Santoni dont tout le monde sait que les intérêts financiers correspondent assez étroitement aux revendications nationalistes qu’il défend. Que fait-on concrètement pour mettre un terme à de tels agissements ? Il ne suffit pas d’arrêter les petits beurs, ce qui est secondaire par rapport au problème corse. Le problème corse, c’est quelques dizaines d’individus parfaitement identifiés. Comme le disait quelqu’un, il suffit d’en bloquer cinq, pour que les cinq autres se tiennent tranquilles. Quels moyens met-on en œuvre pour les arrêter ? Votre travail de police judiciaire, j’espère que c’est d’abord cela.
M. Frédéric VEAUX : Je vous assure que ce n’est pas très simple. Il faut un peu de temps. Les choses avancent.
M. le Rapporteur : Vous traitez actuellement des affaires qui peuvent aboutir à des résultats ?
M. Frédéric VEAUX : Bien entendu. Nous ne savons pas si elles se concrétiseront positivement, mais on s’occupe de ces gens-là.
Je reviendrai sur la DNAT, car je n’ai pas l’intention de passer pour un angelot dans un monde de loups. Si le chef de la DNAT fait parler beaucoup de lui, derrière lui, il y a des fonctionnaires qui viennent toutes les semaines, et qui nouent par-delà les problèmes des chefs, des liens professionnels, parfois d’amitié, avec les personnes du SRPJ de Corse. Cela permet au système de fonctionner. Lors de l’épisode des paillotes nous avons appelé les officiers de la section de recherche de la gendarmerie pour leur dire que nous étions fiers du travail qu’ils faisaient.
M. le Rapporteur : Ce climat vous semble-t-il récent ?
M. Frédéric VEAUX : Je vous parle du travail de base. Le comportement du colonel Mazères ou du lieutenant-colonel Cavallier était anachronique, mais c’était mon problème. J’ai toujours dit à ceux qui travaillent avec moi qu’il ne fallait pas se mêler de cela. S’il y a un problème avec les officiers ou avec le préfet, c’est à moi de le régler, d’aller au devant. Au cours de réunions chez le procureur de la République avec des officiers ou des sous-officiers de la section de recherche, nous parlions des dossiers. Cela paraît peut-être un peu ahurissant mais cela fonctionnait ainsi. Quand j’étais à Marseille, sur les dossiers de stupéfiants, si les gendarmes pouvaient essayer de travailler plutôt que nous sur une filière qui leur paraissait intéressante, ils le faisaient. La rivalité qui existe est saine, car elle est stimulante. La montée en puissance de la section de recherche et la création du GPS nous ont stimulés. En dehors de cette rivalité, à mon avis saine, que l’on retrouve ailleurs sur le territoire national, les relations sont franches et directes.
Je pense que les institutions sont bonnes. Ce sont parfois les hommes qui les dévoient ou qui causent des dysfonctionnements. Si on avait respecté les règles dans le cadre de l’enquête Erignac, le problème que vous évoquiez, des renseignements connus dès le mois de novembre, n’aurait pas dû se produire. Ce n’est pas la préfecture de région qu’il faut remettre en cause, ce n’est pas la gendarmerie nationale qu’il faut remettre en cause, mais ceux qui en avaient la responsabilité. Ce n’est pas à moi de dire s’ils ont bien fait ou s’ils ont mal fait leur travail : des gens sont là pour assurer le contrôle.
Je pense qu’au quotidien, la gendarmerie nationale est capable d’apporter un concours. Mes gars peuvent aller dans une gendarmerie demander un renseignement. Sauf à ce que du jour au lendemain, un officier dise : " N’ouvrez plus la porte aux fonctionnaires de la police judiciaire ". Si on fait fonctionner les choses normalement, il n’y a pas de raison que cela se produise.
Quand on a arrêté Jean-Sylvain Cadillac à Figari, nous étions sur des charbons ardents. Le RAID l’avait manqué plusieurs fois, nous étions dans une région hostile. J’ai décroché mon téléphone pour appeler le colonel Mazères. J’aurais pu, comme cela se fait parfois, attendre que ce soit fini pour lui en parler. Je lui ai dit : " Nous sommes en zone de gendarmerie, à Figari, nous allons interpeller Cadillac ". Je ne pense pas que le colonel Mazères ait essayé de torpiller l’opération en pensant que la police judiciaire allait réaliser une affaire spectaculaire en zone de gendarmerie et qu’elle aurait pu le faire à sa place.
Au risque de passer pour un idiot, je pense qu’il y a des choses qui fonctionnent, des règles qui existent, une direction qui est prise. Peut-être qu’à terme, le travail portera ses fruits.
M. le Président : En résumé, pour l’avenir, vous estimez qu’il ne faut pas changer l’organisation actuelle, qu’il y a sans doute des améliorations à apporter mais que, globalement, les choses doivent fonctionner, à condition que les hommes y mettent un peu de bonne volonté et que des dérapages individuels ne conduisent pas à des errements.
M. Frédéric VEAUX : Je pense que la centralisation en matière de terrorisme n’est pas un mauvais système.
M. le Président : Même quand le juge d’instruction vous demande de faire une reconstitution dans les conditions que l’on a vues récemment à la télévision, dans la presse : cela s’est terminé par un fiasco complet puisque les accusés n’ont pas voulu sortir.
M. Frédéric VEAUX : Je ne suis pas certain qu’à terme, ce soit un fiasco pour l’instruction. De toute façon, cette reconstitution, il aurait fallu la faire à un moment ou à un autre. Il n’est pas sûr qu’ils aient choisi le meilleur mode de défense pour le jour où ils passeront en cour d’assises. De plus, l’un d’entre eux s’est désolidarisé ; même si c’était dans l’affaire de Pietrosella, cela a permis de crédibiliser l’ensemble. Le pire aurait été que personne ne participe. L’aspect médiatique, spectaculaire, le comportement individuel de certains magistrats, sont un autre problème.
On centralise en matière de lutte contre le terrorisme, on centralise également en matière de lutte contre la délinquance financière. Mais il y a une matière qui continue à fonctionner comme le simple vol de véhicules : c’est le crime organisé. Sur ce point, on bricole.
M. le Rapporteur : Il y a tout de même des éléments nouveaux dans ce domaine : la justice, le pôle économique et financier.
M. Frédéric VEAUX : Oui, mais en ce qui concerne les gros réseaux, les trafiquants de stupéfiants...
M. le Rapporteur : Et le blanchiment de l’argent !
M. Frédéric VEAUX : Je suis très circonspect sur l’efficacité de l’infraction de blanchiment en matière de lutte contre la criminalité organisée.
M. Michel HUNAULT : D’après vous, y a-t-il du blanchiment d’argent en Corse ? Une partie de l’économie sert-elle à recycler de l’argent sale ?
M. Frédéric VEAUX : Sûrement, comme ailleurs, mais les investissements dans l’immobilier, les casinos ou autres sont relativement limités. En matière de crime organisé, les grands malfaiteurs préfèrent réaliser ces investissements à l’étranger, là où c’est invisible. Ici, c’est un petit blanchiment d’économie de proximité pour faire vivre l’entourage familial ou les relations. On achète deux ou trois bars, on y installe quelques amis.
M. Roger FRANZONI : Il n’y a pas d’économie, on ne peut pas blanchir !
M. Michel HUNAULT : En parlant de crime organisé, à quoi faites-vous référence ?
M. Frédéric VEAUX : Aux malfaiteurs dont tout le monde parle, qui investissent en achetant la résine de cannabis ou la cocaïne par tonnes, qui les expédient en Europe et pas forcément à l’endroit où ils vivent, qui réinvestissent les bénéfices dans des régions lointaines et inaccessibles, qui montent des casinos dans des pays où il est facile de le faire en corrompant la classe dirigeante.
M. Michel HUNAULT : La Corse est-elle incluse dans ces pays-là ?
M. Frédéric VEAUX : La Corse a une tradition de banditisme très ancienne. Que ce soit dans le domaine du vol à main armée, du trafic de stupéfiants, du proxénétisme ou des jeux, on trouve des malfaiteurs d’origine corse parmi ce qui se fait de mieux dans la France contemporaine.
M. le Rapporteur : Ils n’agissent pas en Corse.
M. Frédéric VEAUX : Ils font aussi un peu de bien autour d’eux, parce qu’il faut se donner l’apparence d’honorabilité et il faut savoir rendre service à quelques-uns. Ce n’est pas parce que l’on achète deux ou trois bars sur la place Saint-Nicolas que l’on fait du blanchiment, mais on rend service. Ils aiment aussi préserver leur région d’origine.
M. Roger FRANZONI : Ceux-là n’étaient pas dangereux, au contraire. Ils faisaient la police. S’ils étaient des gangsters connus à Marseille, dans leur village, ils interdisaient le moindre délit. Ils permettaient même à l’église de fonctionner.
M. le Rapporteur : Avez-vous des discussions à ce sujet avec l’Office de répression du banditisme ?
M. Frédéric VEAUX : Un peu moins ici que sur le continent. Un effort de centralisation et de regroupement de l’information devrait être consenti car les milieux s’associent. A Marseille, j’ai vu le milieu lyonnais s’associer au milieu marseillais et au milieu corse pour mettre en commun des moyens afin d’acheter de grosses quantités de cocaïne en Amérique du Sud ou en Amérique Centrale et les faire venir par les Pays-Bas ou l’Angleterre. L’argent est réinvesti en Espagne qui est l’endroit le plus facile en Europe pour réaliser certaines opérations. Face à cela, le policier français est un peu démuni pour réaliser une collecte de l’information. Il existe de tels trafiquants sur le continent, on en connaît même quelques-uns en Corse, mais leur activité criminelle ne s’exerce pratiquement jamais sur le territoire français, mis à part quelques règlements de comptes en cas de difficulté dans les affaires.
M. Michel HUNAULT : En tant que membre de la mission d’information sur le blanchiment des capitaux, je suis stupéfait d’entendre ce que vous nous dites. Vous avez manifestement des cas à l’esprit, mais que fait-on concrètement sur ces dossiers ? Transmettez-vous l’information ? Vous dites qu’il y a un problème de centralisation du renseignement : je me permets de vous rappeler que votre hiérarchie centralise tous ces dossiers. Existe-t-il une volonté de lutter contre cette délinquance sur le plan local ?
M. Frédéric VEAUX : Oui. Sauf que la Corse est pratiquement le seul endroit où ils n’exercent aucune activité délinquante. La Corse n’est pas le meilleur endroit pour s’occuper de ces personnes qui font des investissements dans les pays de l’Est ou en Afrique. Il faut que cela prenne une dimension qui ne soit pas simplement locale.
M. le Président : On nous a dit qu’en Corse ceux qui agissent sont plutôt des seconds couteaux.
M. Frédéric VEAUX : Les démonstrations sont extrêmement difficiles à faire. Des prises d’otages de commerçants, des agressions à domicile sont commises dans l’extrême sud de la Corse, des commerçants se font braquer parce que les banques sont devenues pratiquement inaccessibles, nous devons apporter une réponse à ces actions violentes. Les grands trafics échappent un peu à tout le monde en raison de leur caractère international.
M. Roger FRANZONI : Monsieur le directeur, vous m’avez rassuré en ce qui concerne l’attitude des policiers corses en Corse. Vous avez dit qu’ils étaient parfaits. En tant que corse, je m’en félicite. Il y a quelques années, en 1992, on n’entendait pas le même discours. Une commission d’enquête, présidée par M. François d’Aubert et à laquelle j’appartenais, avait été organisée sur les tentatives de pénétration de la mafia en France. Nous avons entendu les grands responsables de la police française. Quand nous leur avons demandé s’il y avait une tentative de pénétration de la mafia en Corse, ils nous ont répondu : " Non, la mafia corse est assez puissante pour les envoyer dans la mer ". Cela supposait qu’il y avait une mafia en Corse. Nous les avons interrogés sur les policiers corses. Ils nous ont répondu qu’ils attendaient le week-end pour aller au village et que lorsqu’on leur donnait une commission rogatoire pour procéder à une arrestation ou à une perquisition, les intéressés étaient avertis au préalable. D’après ce que vous nous avez dit, il y a eu un grand changement, ce dont nous nous félicitons.
M. Frédéric VEAUX : Je n’ai jamais dit que c’était parfait. La proportion de policiers véreux en Corse est certainement la même que celle que l’on peut trouver sur le continent. Quand nous sommes partis arrêter Charles Pieri, un petit matin de septembre, l’année dernière, nous ne nous sommes pas retrouvés au commissariat de Bastia. J’ai décidé que nous organiserions le rassemblement de départ dans le cantonnement CRS, au sud de Bastia, à l’abri des regards. Il n’est pas nécessaire d’avoir dix policiers corrompus ou malveillants dans un service pour poser problème, il suffit d’un.
M. le Rapporteur : Vous avez agi avec la DNAT ?
M. Frédéric VEAUX : Oui, le RAID était aussi présent, mais le SRPJ d’Ajaccio était à l’origine de l’action, même si la presse a dit que c’était la DNAT.
M. le Rapporteur : La présence de la DNAT a-t-elle donné lieu à contestation ?
M. Frédéric VEAUX : Cela me paraît normal que le service central qui s’occupe de lutte contre le terrorisme soit là quand on va arrêter un chef. Nous ne déroulons pas un tapis rouge à la DNAT, nous travaillons selon des méthodes qui me paraissent normales. Pour autant, il ne faudrait pas penser que nous nous trouvions dans une situation idyllique. Ceux qui se servent de la dramatisation à outrance, qui montrent du doigt certains services ou certaines personnes pour justifier des comportements personnels, c’est leur problème, mais ce n’est pas le quotidien du SRPJ d’Ajaccio.
M. le Rapporteur : Vous étiez également saisi dans l’enquête sur l’assassinat du préfet Erignac ?
M. Frédéric VEAUX : Bien entendu. Nous avons été le seul service saisi du début à la fin, à la fois dans l’enquête sur l’affaire de la gendarmerie de Pietrosella, dans celle sur l’attentat contre l’ENA à Strasbourg, dans celle sur les attentats contre des hôtels de Vichy et dans celle sur l’assassinat du préfet. La DNAT a été saisie plus tard de Pietrosella, et à partir du mois de novembre, nous étions cosaisis.
M. le Rapporteur : La gendarmerie a été dessaisie ?
M. Frédéric VEAUX : En effet. Nous avons été saisis du début à la fin, en accomplissant un travail pas forcément spectaculaire. Nous continuons d’ailleurs d’agir dans le dossier.
M. le Rapporteur : Je ne remets pas en cause le travail effectué sur le terrain, mais comment avez-vous vécu ce que l’on a vu dans la presse : double enquête, publication de procès-verbaux d’interrogatoires, etc. ?
M. Frédéric VEAUX : Nous le vivons mal. Nous sommes pris à partie, à témoin. Nous allons tous les jours au contact des citoyens.
M. le Président : Bénéficiez-vous d’une protection ?
M. Frédéric VEAUX : Non, je n’en ai jamais eu.
M. Roger FRANZONI : Somme toute, vous êtes optimiste pour l’avenir.
M. le Président : Nous comprenons la démarche. En ce qu’elle est optimiste, elle est porteuse d’espoir.
Source : Assemblée nationale. http://www.assemblee-nationale.fr
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