Au premier comme au second tour, le total des voix de la droite, de l’extrême droite membre de la majorité présidentielle (CNI, MPF), et de l’extrême droite opposée au président de la République (FN), représente la majorité des suffrages exprimés. Cette constatation arithmétique justifie la réouverture d’un débat sur "l’union de toutes les droites", c’est-à-dire sur une alliance FN-majorité présidentielle, ou, pour être plus précis encore, sur l’adoption par la majorité présidentielle de thèses du FN et l’entrée de cette formation politique dans ladite majorité.

Cette "union de toutes les droites" pourrait prendre des formes différentes. Sur le plan électoral, il pourrait s’agir soit d’une discipline de désistement mutuel, soit de candidatures communes. Sur la plan organisationnel, on peut imaginer aussi bien un cartel que la fusion progressive des composantes vers un "parti unique de la droite". Quoi qu’il en soit, cette stratégie suppose "une convergence programmatique" supplémentaire, c’est-à-dire l’acceptation de ce qui différencie le FN du CNI-MPF, à savoir un racisme et un antisémitisme explicites et la capacité à intégrer des courants paganistes, et que la majorité présidentielle persiste à rejeter.

L’opposition à "l’union de toutes les droites", qui s’exprime par un discours antiraciste, se fonde parfois sur des réflexes historiques ou sur des convictions religieuses. Implicitement, elle s’appuie aussi sur la contestation des apparences arithmétiques : en effet, les candidats les plus droitiers de la majorité présidentielle ont été sanctionnés par les électeurs, et le découpage électoral et le mode scrutin, qui peuvent être modifiés, ont occasionnellement joué en faveur du FN au premier tour.

Le soir du second tour, Philippe de Villiers, élu avec le soutien du FN, avait ouvert le débat en déclarant : "La droite ne reviendra jamais au pouvoir si elle continue à considérer le Front national comme son premier adversaire". Dès le lendemain, la Socpress lançait une puissante campagne pour une "union de toutes les droites" à la faveur d’un éventuel changement de président à la tête du FN.

Pour Jean d’Ormesson, dans Le Figaro : "Une première solution pour la droite est de faire avec le FN ce que Mitterrand a fait pour la gauche avec le Parti communiste [un programme commun]. Le sujet est tabou. L’heure est arrivée de lever les tabous". Alain Peyrefitte, quant à lui, expliquait alors qu’il fallait "trouver les moyens de rassembler l’opposition de droite, car cet ensemble réunit plus de 50 % des électeurs". Anticipant un tollé à gauche, il ajoutait qu’ "à ne vouloir rechercher que les louanges de ses adversaires, on finit par faire leur politique". Revenant ultérieurement pour les lecteurs du Monde sur ses déclarations, il précisera toutefois : "Tant que M. Le Pen reste à la tête du FN, aucune "alliance" de la "droite" parlementaire ne paraît acceptable". Mais dans Le Figaro du 27/06, il revient à la charge : "Si les responsables de la "droite modérée" persistent dans leur aveuglement, s’ils continuent à se montrer intraitables envers les électeurs situés à leur droite et complaisants envers la gauche, l’électorat flottant préférera l’original à la photocopie". Pour Alain Griotteray : "Ils n’ont rien compris, car ils occultent toujours le problème du Front national ! (...) La droite restera dans l’opposition pendant 30 ans si elle ne traite pas avec le FN, qui représente maintenant plus d’électeurs que l’UDF". Sa solution : "Il suffit d’une simple entente avec un désistement systématique du candidat de droite le moins bien placé en cas de triangulaire" (Minute du 11/06/97). Plusieurs parlementaires RPR mêlèrent leurs voix à cet harmonieux concert : Jean Auclair (député de la Creuse), Olivier Dassault (ex-député de l’Oise), Jean Valleixx (député de la Gironde), etc

Après la Socpress, c’est au tour du groupe Valmonde de tenter de démontrer que la droite ne parviendra pas à revenir au pouvoir sans le FN. Ainsi, Valeurs actuelles publie une enquête sur plusieurs numéros (n° 361 à 365), qui s’achève par six entretiens. Marie-France Garaud estime qu’il n’y a plus de droite. Jean-Pierre Soisson (MDR), juge que "quand la gauche s’unit pour gagner, la droite doit faire de même. Toute la droite, du centre à l’extrême droite". Il remarque toutefois qu’une grande alliance "est aujourd’hui très difficile, compte tenu des excès du Front national, mais c’est le sens de la marche". Claude Goasguen (UDF-FD) juge, que l’opinion attend de la droite un durcissement de son discours, qui doit être "ferme et sans ambiguïté sur la quotidienneté souvent mal vécue de l "immigration ou de la sécurité (...) Le moment est venu, enfin, de sortir de l’impasse de la diabolisation du Front national, au profit d’une réflexion sereine et constructive (...) Sortir de l’anathème, c’est aussi suivre attentivement les tensions internes au FN. On sent bien le malaise qu’il y a pour beaucoup d’électeurs où même de militants du Front d’être devenus les fourriers du Parti socialiste et du Parti communiste en marginalisant la droite. S’il devait se produire des évolutions du type de celles que l’on a vues en Italie, se traduisant par des départs et des scissions, alors il faudrait en tirer les conséquences politiques et ouvrir le dialogue. Le préalable restant bien sûr d’en finir avec les thèses racistes soutenues par le Front national". Charles Millon (UDF) refuse toute alliance avec le FN, qui lui offrirait "le marchepied qui lui manque pour progresser encore". Enfin, Françoise de Panafieu (RPR) préconise de "traiter sans excès, mais sans complexes, notamment les problèmes de sécurité et d’immigration. Lesquels, ne nous leurrons pas, sont prioritaires pour bon nombre de Français et par là même pour nombre de nos électeurs", qui attendent dans ce domaine "des actes forts". Aussi ne veut-elle pas d’alliance, "mais des principes d’action, enfin clairs, qui ne fassent plus douter de notre détermination".

Minute prend le relais, et publie une suite d’entretiens (sur l’immigration, la politique familiale, la préférence nationale, la culture et la fiscalité) où les mêmes questions sont posées simultanément à trois personnalités adhérant aux mêmes valeurs d’extrême droite bien que d’étiquettes politiques diverses : Pierre Bernard (MPF), Jacques Myard (RPR) et Jean-Yves Le Gallou (FN) le 30/07. Louis de Froissard de Broissia (RPR), Catherine Nicolas (RPR) et Bruno Gollnisch (FN) le 06/08. Jean Ueberschlag (RPR), Alain Griotteray (UDF) et Samuel Maréchal (FN) le 13/08. Jean-Paul Hugot (RPR), François Guillaume (RPR) et Yvan Blot (FN) le 20/08. Philippe Briand (RPR), Guy Tessier (UDF) et Jean-Claude Martinez (FN), le 27/08. L’hebdomadaire prend plaisir à mettre en page la modération des propos des dirigeants FN par rapport à la surenchère de certains responsables de la majorité présidentielle. Par exemple, dans le numéro du 6 août consacré à la politique familiale, Bruno Gollnisch se fait tirer l’oreille pour évoquer "la révision complète du code de la nationalité et la suppression des naturalisations automatiques", tandis que Catherine Nicolas s’empresse de déclarer : "Je suis totalement contre la proposition socialiste de plafonner les allocations familiales, car ce sont encore les familles qui font des enfants et qui font que la France restera la France avec Français — et loin de moi tout propos raciste — (...) Il aurait été préférable de fiscaliser les allocations familiales, parce que ceux qui touchent et qui ne travaillent pas — vous voyez de qui je veux parler — s’en sortent encore très bien".

La réaction des partis politiques concernés est immédiate. Le CNI, donne mandat à Olivier d’Ormesson pour "prendre tous contacts nécessaires à la constitution d "une union de la droite (...) consolider [notre] alliance avec le MPF de De Villiers, et l’élargir avec éclat à d’autres forces politiques susceptibles de rendre aux Français confiance dans une droite rénovée et porteuse d’espérance". À Démocratie libérale, Alain Madelin et Hervé Novelli proposent deux thèmes de travail pour la rentrée : l’immigration et la réforme du code de la nationalité. Au RPR, tout en se posant en adversaire résolu d’une alliance avec le FN, Philippe Seguin envoie Nicolas Sarkozy faire un tour de France des fédérations avec pour mission de recueillir l’opinion des militants sur la situation politique en général et sur l’attitude à adopter à l’égard du FN en particulier.

De son côté, pour animer le débat interne au parti néo-gaulliste, Jacques Godfrain, interrogé par Minute (20/08/97) sur le projet d’un grand parti RPR, UDF, CNI, MPF, explique : "Je n’ai aucun état d’âme vis-à-vis de tous ceux qui combattent le socialisme (...) Je dis bien tous, à condition qu’il n’y ait pas d’alliance objective avec les socialistes. On se comprend ?" Certainement, puisque Minute lance, auprès de ses lecteurs, une opération de recours en annulation de la circulaire Chevènement sur les régularisations. En Gironde, une douzaine de conseillers généraux UDF-RPR s’y sont joints.