L’impact de la guerre n’a cependant pas fait disparaître une modalité collective de l’usage tout à fait originale à Freetown, les ghettos. La police n’intervient pas dans la mesure où la consommation se déroule dans un espace clos, à l’écart des lieux de résidence. Il s’agit d’entrepôts désaffectés, de maisons abandonnées, ou même de l’espace abrité par l’arche d’un pont. Les locaux sont bien tenus et meublés d’étals et de sièges de ciment ou de bois. Caractéristique de ces lieux : une discipline très stricte y est imposée avec l’interdiction d’insulter les voisins, de voler, de monter sur les sièges, de se battre, etc. Tout contrevenant doit payer une dose de marijuana ou recevoir quelques coups de canne sur le dos. Ces règles conviviales expliquent le sens donné ici au mot ghetto : get together (soyez ensemble). L’assistance est mixte et toutes les drogues sont disponibles et consommées sur place. Les prix dépendent des aléas du marché. Lorsque la police fait un raid sur une "ferme" qui produit de la marijuana, il faut alors en importer du Nigeria et les prix montent. Le ghetto est ouvert 24 heures sur 24 et certains y vivent en permanence. En dehors de la vente et de la consommation de drogues, d’autres activités y trouvent leur place : vente de cigarettes, de chewing-gum, de biscuits et de plats cuisinés, jeux de hasard, prostitution. On y écoute en permanence de la musique enregistrée, principalement du reggae. Chacun de ces ghettos a des caractéristiques qui lui sont propres. L’American Base sert de grossiste pour les drogues revendues dans les autres ghettos. Parmi les clients du King Jimmy, les enquêteurs ont observé, entre 9 heures et 23 heures, des policiers, des infirmières, des instituteurs, des soldats, des militaires, des fonctionnaires, des étudiants et des chômeurs. Les heures de pointe se situent entre 14 heures et 16h30. Dans le Bush and Town, des gens des milieux populaires côtoient des cadres, comme dans les pubs anglais. Certains groupes voudraient que les forces de l’ordre interviennent contre "ces lieux de perdition". Mais des églises protestantes ont une approche plus subtile du phénomène. Utiliser la convivialité qui règne dans ces lieux et la présence de leaders charismatiques pour les "retourner" et en faire des clubs de loisir par exemple, et, pourquoi pas, de lutte contre la drogue. Le problème réside dans la difficulté des premiers contacts. En effet, ne sont admis dans les ghettos que ceux qui consomment la drogue, ce qui ne laisse pas de poser des problèmes aux bons pasteurs qui voudraient tenter de mener à bien ce nouveau projet (correspondant de l’OGD en Sierra Leone).

(c) La Dépêche Internationale des Drogues n° 27