Le trafic de cocaïne n’était pas étranger à l’instabilité traversée par ce pays depuis le départ des Duvallier en l986 jusqu’au coup d’Etat qui a chassé le président Aristide en 1991. Des secteurs de l’armée travaillent depuis longtemps la main dans la main avec les Colombiens qui sont nombreux à s’être établis à Haïti. Alors que le trafic avait tendance à décliner depuis l987, il connaît un nouveau boom depuis le début de l’année l993 avec l’installation à Port-au-Prince de grands barons de la drogue comme Fernando Burgos Martinez, liés au cartel de Cali, qui autrefois ne faisaient qu’y passer pour les besoins de leurs affaires. Le quartier général de Burgos Martinez est le casino El Rancho, le plus important de la capitale, acheté en association avec des hommes d’affaire haïtiens qui font transiter les chargements de cocaïne provenant de Colombie avant de les envoyer aux États-Unis. La protection du casino est assurée par le capitaine Jackson Joanis, chef de l’unité antigang de la police d’Haïti. Celui-ci avait arrêté Burgos Martinez à deux reprises, en l988 et 1990, pour trafic de drogue, mais il prétend que, faute de preuves, il avait dû le relâcher. Aujourd’hui Jackson Joanis ne cache pas qu’il touche davantage pour la protection accordée au casino (835 dollars) que comme fonctionnaire de la police (750 dollars). On estime que le trafic, qui mobilise non seulement des avionnettes mais également des jets de l’armée de l’air, rapporte aux militaires 500 millions de dollars par an. Cent millions de dollars, dont la provenance n’a pas été justifiée, ont été déposés dans la Banque centrale de la République d’Haïti (BRH) en l992. Les observateurs estiment qu’ils sont le fruit du narco-trafic. La Banque centrale et l’état major de l’armée ont démenti cette information qui avait été reprise, le 29 avril, par le New York Times. Le narco-trafic qui était entre les mains de quelques figures importantes de l’armée, est maintenant - phénomène nouveau - partagé entre de nombreux officiers dont certains ne sont que capitaines. Outre que cette "décentralisation" rend leur tâche plus difficile, les agents de la DEA sont réduits à l’impuissance par l’absence de relations entre leur gouvernement et celui d’Haïti. Enfin ces énormes profits tirés du narco-trafic expliquent bien des oppositions au retour à la démocratie qui pourrait lui porter préjudice (correspondant de l’OGD, agence Gisti).

(c) La Dépêche Internationale des Drogues n° 20