Le 9 mars 1994, la télévision birmane a montré une nouvelle destruction de laboratoires de transformation d’héroïne dans le nord-est de l’Etat shan. Y assistait notamment Chao Ni Lai, le chef de l’UWSA (United Wa State Army) aux côtés d’officiels américains de la DEA, de l’ambassadeur du Japon et de responsables du Programme des Nations unies de contrôle international des drogues (PNUCID). Après la mise en scène de l’offensive contre Khun Sa en décembre (La Dépêche Internationale des Drogues n 29), il s’agit d’un nouveau show médiatisé qui a pour but de tenter de faire oublier l’implication de l’UWSA, avec la bénédiction du SLORC, dans la production d’héroïne, notamment dans son bastion à proximité de la frontière thaïlandaise. Son commandement sud, appelé division 171, dont le chef est le wa Tin Kwang Min, un ancien collaborateur du général Lee Wen Huan, l’ex-commandant de la troisième armée du Kuo Min Tang (KMT), est solidement retranché près de la frontière thaïlandaise au sud de la ville birmane de Mong Hsat. Le réduit wa arc-bouté sur les massifs du Loi Lem et du Sam Sao, est un vaste camp retranché de 20 kilomètres de long sur 12 à 15 de profondeur. Entre 4 500 et 6 000 hommes solidement armés y sont stationnés. Ils y disposent de cantonnements, d’écoles et de camps d’entraînement protégés par une double ceinture de postes fortifiés habilement camouflés. Des stocks d’armes considérables, comprenant des canons sans recul de 75 mm, des mortiers de 120 mm, des mitrailleuses antiaériennes de 12,7 mm et des missiles Sam 7 achetés au Cambodge, sont entreposés. L’UWSA recrute massivement parmi les villages montagnards de la région. Ainsi, en février 1994, 800 recrues étaient à l’instruction dans le camp du Loi Lem, sous la direction d’instructeurs venus de Taiwan. Parallèlement, des instituteurs chinois appartenant à des missions chrétiennes, recrutés aux États-Unis, en Thaïlande et à Taiwan, enseignent dans les écoles du secteur. Ce dispositif est calqué sur celui qui avait été mis en place dans les années 60-70 par le KMT. La présence d’instructeurs taiwanais aux côtés des Wa ne peut être ignorée du SLORC, étant donnée l’étroite imbrication, depuis le cessez-le-feu de 1989, du dispositif de l’UWSA avec des garnisons de l’armée birmane. Elle ne laisse pas de surprendre, étant donné les relations qu’entretiennent Pékin et la junte militaire birmane. Selon plusieurs témoignages, la culture du pavot dans l’Etat shan ne cesse parallèlement de progresser. Les Wa reconnaissent qu’il n’a jamais couvert des surfaces aussi étendues, non seulement dans le Kokang et les districts wa, mais aussi dans le centre et le sud de l’Etat, ainsi qu’au nord dans l’Etat Kachin. L’éradication des champs de pavot, situés le long de la frontière thaïlandaise dans les massifs de Doi Ankhang, Loi Lem et Sem Sao, ne doit pas faire illusion : les habitants des villages qui les cultivaient ont été déplacés vers l’intérieur, autour de Mong Hsat, en zone tenue par l’armée birmane, où le pavot a été semé en toute liberté, afin d’assurer la subsistance des populations. Ce déplacement des cultures avec l’accord des autorités birmanes, laisse planer des doutes sur la crédibilité des actions d’éradication entreprises sous l’égide des agences spécialisées de l’ONU dont le représentant à Rangoon, M. Kristensen, a présidé, le 22 janvier 1994, une réunion à Hotao en territoire wa. L’argument de l’éradication du pavot est maintenant considéré comme un moyen pratique de masquer des accords avec le SLORC. Plusieurs membres du DAB (Democratic alliance of Burma : le regroupement des rébellions "ethniques" basé à Manerplaw) accusent ainsi les dirigeants de la KIO (Kachin Independance Organisation) d’avoir utilisé le même artifice pour occulter leurs négociations secrètes avec le SLORC. Les autres trafiquants de drogue, qui ont, pour la plupart émergé ces cinq dernières années, sont largement associés aux principaux dirigeants du SLORC dans le commerce de l’héroïne. Tous les barons du nord, à l’exception de Lo Hsing Han, proviennent directement de l’ancienne hiérarchie du défunt parti communiste birman. Lo Hsing Han, ex-officier d’une armée privée du Kokang, devenu le roi de l’opium dans les années 70, est revenu dans ce domaine après avoir été amnistié en raison de son rôle, au profit du SLORC, dans les négociations avec les groupes insurgés issus de l’éclatement du parti communiste birman en 1989. Ses raffineries d’héroïne sont installées dans le Kokang et leur production est surtout exportée via la Chine par Kunlong, l’un des six postes de douane ouverts sur la frontière sino-birmane (correspondant de l’OGD dans le Triangle d’or).

(c) La Dépêche Internationale des Drogues n° 30