Au lendemain de la seconde Guerre Mondiale, la constitution de l’Alliance atlantique sanctionnait le nouvel ordre militaire mondial en assurant la sécurité de l’Europe occidentale, amarrée aux États-Unis, face au bloc soviétique. Le développement de l’Union européenne, d’une part, et la dislocation du Pacte de Varsovie, d’autre part, ôtent sa raison d’être à l’OTAN. Mais la dynamique propre de cette institution, organisée autour des États-Unis désormais unique grande puissance, la conduit à se doter de nouvelles missions plutôt qu’à se dissoudre.

Lors du Sommet de Rome (1991), l’OTAN a réaffirmé sa capacité à assurer la stabilité de ses membres (par exemple en régulant le conflit entre la Grèce et la Turquie), mais a élargis ses objectifs à des missions " hors zone " sous mandat des Nations Unies.

Le nouveau " concept stratégique " de l’OTAN sera défini, en avril prochain, lors du Sommet de Washington. Pour les Européens, l’Alliance devrait être un instrument de régulation entre eux et une garantie de stabilité. Au contraire, pour les États-Unis, l’Alliance devrait être aussi une " communauté d’intérêts " et, à ce titre, capable d’intervenir non seulement pour la défense de ses membres, mais aussi pour la préservation de ses intérêts sur des théâtres d’opérations éloignés.

À terme, cette option pourrait transformer l’OTAN en une brigade de gendarmerie assurant la police du monde. Elle interviendrait au besoin en contournant les vetos russes et chinois du Conseil de sécurité des Nations Unies. De facto, le Conseil de sécurité, directoire mondial représentatif d’un équilibre révolu des puissances, serait dépossédé de son pouvoir. Le droit international, élaboré par la SDN et l’ONU sur la base du respect de l’intégrité territoriale des États membres, serait abandonné.

Pour les Européens, cette option comporte le risque d’être entraînés par les États-Unis dans des conflits qui ne seraient pas les leurs, voire qui leur seraient en réalité contraires. Elle n’est donc acceptable que si se développe, au sein de l’OTAN, une forte Identité européenne de sécurité et de défense (IESD), faisant office de contre-pouvoir à la toute-puissance américaine. Mais on imagine mal comment les États-Unis, vainqueurs par effondrement de l’URSS, accepteraient de partager leur statut de grande puissance avec les Européens, fussent-ils leurs alliés.

Déjà, en 1954, le projet de Communauté européenne de Défense (CED) avait échoué. Les Français avaient refusé cet ambitieux traité, créant un gouvernement supranational et une armée européenne, tant ils avaient peur du réarmement allemand que cela impliquait. Le Plan Fouchet, en 1962, prévoyait une politique étrangère et de Défense commune intergouvernementale (et non pas supranationale) totalement indépendante des États-Unis. Malgré le Traité de l’Élysée, signé par le président de Gaulle et le chancelier Adenauer, ce plan ne fut jamais mis en œuvre.

Plus récemment, le développement de l’Identité européenne de sécurité et de Défense (IESD) aurait pu s’appuyer sur la réactivation de l’Union de l’Europe occidentale (UEO) et sa fusion avec l’Union européenne. Cette perspective fut écartée lors du Traité de Maastricht. Elle trouva une ébauche de concrétisation au sommet de Petersberg (1992). L’Union européenne peut saisir l’UEO pour des opérations de maintien et de rétablissement de la paix. Mais ce processus fut arrêté par le Traité d’Amsterdam, selon lequel il est inutile de constituer une force commune de Défense puisque l’OTAN y supplée. Deux positions s’affrontèrent : pour les Allemands et les Français, l’UEO devait être le " bras armé " de l’UE, tandis que pour les Britanniques et les Néerlandais, l’UEO pouvait être le " pilier européen " de l’OTAN. Les deux points de vue ont paru se rapprocher avec la Déclaration franco-britannique de Saint-Malo (4 décembre 1998). Il y était affirmé que l’Identité européenne de sécurité et de défense devait être un pilier de l’OTAN disposant d’une " capacité autonome d’action ". Mais quelques jours plus tard, le Royaume-Uni, aux côtés des Américains, bombardait l’Irak, sans en avoir informé ni l’OTAN, ni l’UEO, ni l’Union européenne.

Au vu de ces atermoiements et compte tenu de leur position hégémonique, les États-Unis ont décidé d’imposer le nouveau " concept stratégique " de l’OTAN par l’action plutôt que par la discussion. D’où l’intervention en RFY qui outrepasse les missions définies par l’actuelle Charte de l’OTAN et permet de mettre en œuvre, sans autres négociations, les options qui seront révélées au Sommet de Washington.

Selon nos informations, des moyens concrets de séparation de forces européennes au sein de l’OTAN, en vue de leur utilisation par l’UEO pour le compte de l’UE, seront définis. L’UEO disposera donc d’une véritable autonomie, sans pour autant être capable d’agir sans l’aval et le soutien de l’OTAN. Une structure de commandement plus réduite et plus souple sera mise en place. Elle sera plus adaptée à des missions variées, notamment à des projections de forces à l’extérieur de la zone OTAN. Les forces françaises seront incorporées sous ce commandement qu’elles ont réintégré de facto depuis le 23 mars. L’industrie de défense sera réorganisée en Europe de manière à combler les lacunes des États-Unis en matière de transport stratégique, de renseignement, de commandement et de télécommunications.