Aux États-Unis même, le président Clinton rencontre de plus en plus de difficultés à justifier la guerre qu’il conduit contre la Yougoslavie. Lundi, à l’occasion du Memorial Day, il s’est exprimé devant les associations d’Anciens combattants de la Seconde Guerre mondiale, du Vietnam et du Golfe. Il s’agissait là d’un auditoire difficile, à la fois prêt à sacrifier sa vie pour la " défense du monde libre " et marqué par les horreurs des guerres. Le président a fait jouer la corde sensible en s’étendant sur le triste sort des réfugiés. Il a stigmatisé son homologue yougoslave, reprochant à Milosevic d’être le dernier reliquat du communisme, opposé à la réunification de l’Europe. Puis, il s’est lancé dans une comparaison hardie : " Le gouvernement serbe, comme celui de l’Allemagne nazie, est arrivé au pouvoir en partie en apprenant aux gens à regarder les autres en fonction d’une race et d’une ethnie déterminée, et à croire qu’il n’ont pas de place dans leur pays, voire qu’ils n’ont pas le droit de vivre ".

Là s’est arrêté son raisonnement. C’est parce que Milosevic serait comparable à Hitler que ceux qui ont combattu le second doivent lutter contre le premier. Plus encore, c’est parce que l’Amérique s’est impliquée trop tard contre l’Allemagne nazie, qu’elle doit prendre une initiative contre la Serbie, car l’intérêt vital des États-Unis n’est pas défini par son économie, mais par les valeurs morales qu’elle défend.

Respectueux, l’auditoire a applaudit. Mais la presse anglo-saxonne s’interroge sur les contradictions de Clinton : quel est donc ce président qui évita de faire la guerre au Vietnam, cultiva l’indécision pendant la guerre du Golfe, et qui écrase aujourd’hui la Yougoslavie sous les bombardements ? Comment peut-on prétendre défendre des valeurs essentielles en violant les règles internationales et en menant un guerre de lâches, exclusivement à 15 000 pieds d’altitude ? Que peuvent bien penser les Kosovars que l’on prétend défendre en accélérant le malheur ?

Quoi qu’il y paraisse, ces critiques n’atteignent pas le président Clinton. Pendant que l’Amérique puritaine se demande " s’il suffit d’avoir une juste cause pour mener une guerre juste ", elle ne se pose pas de questions sur les intérêts économiques en jeu. Et il est plus facile aux GI’s de mourir pour défendre les idéaux de l’humanité que pour accroître les parts de marché de quelques firmes, fussent-elles américaines.

Thierry Meyssan