Si la presse américaine trace un portrait de Bill Clinton en éternel indécis, les observateurs les plus avertis considèrent que le président met en concurrence des intérêts contradictoires, pour évaluer leur poids respectifs avant de choisir entre eux. La convocation à la Maison-Blanche d’une réunion des chefs d’état-major laisse entrevoir que les partisans d’une intervention au sol perdent de l’influence. Ainsi, le président n’a pas invité à cette réunion le chef de file des faucons, le général Wesley Clark.

Il ne sert à rien, en effet, d’ajouter le corps-à-corps meurtrier d’un déploiement au sol à l’inefficacité avérée d’une campagne aérienne massive. Surtout lorsque la guerre devient impopulaire et trop coûteuse, et que la réconciliation des intérêts économiques des marchands d’armes et des reconstructeurs est désormais possible.

A l’issue d’une paix bâclée, les États-Unis peuvent s’installer durablement dans les Balkans. Les frontières seraient modifiées, comme Bill Clinton l’avait souhaité au sommet de l’OTAN : démantèlement de la Yougoslavie, indépendance du Kosovo (si besoin après sa partition) et création d’une Grande Albanie, rattachement de la Vojvodine à la Hongrie, etc.

Les Européens n’ayant pas été capables de créer leur propre système de Défense, les États-Unis leur prêteraient l’assistance nécessaire, désengageant leurs troupes pour les consacrer à la police du monde. Un pilier de Défense européenne, serait créé, conformément au Traité d’Amsterdam, en absorbant l’Union de l’Europe Occidentale (UEO) au sein de l’Union européen, mais sous contrôle américain. Javier Solana quitterait le secrétariat général de l’OTAN pour devenir le " Monsieur Défense " de l’Europe américaine.

Cette solution intéresse à la fois les marchands d’armes américains qui, à défaut de trouver des débouchés au Kosovo, devront équiper la Défense européenne, et les spécialistes de la reconstruction pour qui le bombardement de la Yougoslavie aura ouvert des opportunités exceptionnelles.

Ce projet est discuté par le gratin de la finance mondiale, du 3 au 6 juin à Sintra (Portugal), au sein du " Groupe de Bilderberg ". Les dirigeant européens réunis, quant à eux, à Cologne, les 3 et 4 juin, n’ont aucune alternative à lui opposer. Tout au plus peuvent-ils avoir la pudeur d’attendre le soir des élections européennes pour accepter la suzeraineté américaine.

Thierry Meyssan