La "diabolisation" dont il a fait l’objet et la concurrence de Philippe de Villiers obligent Jean-Marie Le Pen à changer de visage. S’inscrivant dans une logique de "relookage" - déjà à l’oeuvre en Italie et qui a permis l’entrée au gouvernement de ministres "post-fascistes" -, Bruno Mégret a repensé l’argumentaire, la communication et l’organisation de la campagne Le Pen. Fini le sous-officier des guerres coloniales, bandeau sur l’oeil, éructant invectives et menaces au milieu de frères d’armes et de crânes rasés. Voici venu le temps des mirages.

Les 14 et 15 janvier, la convention "Le Pen Président" réunie à Tours a marqué le départ de sa campagne électorale. Elle réunissait non seulement les cadres du Front national, mais surtout les responsables des cercles catégoriels. Une myriade de structures socioprofessionnelles qui sont autant d’embryons des corporations qui seraient restaurées dans l’Etat fasciste tant rêvé.

Moyenne d’âge soixante ans. Les messieurs arborent fréquemment la rosette de la Légion d’honneur à la boutonnière, les dames portent manteau de fourrure et bijoux. Aucun participant de couleur. Les congressistes qui ont bronzé pendant leurs vacances aux Antilles ont même pris soin de se maquiller suffisamment blanc pour éviter les méprises.

Jean-Marie soigne son image comme un hommage à ses fidèles. Son équipe a certainement dû apprendre à se déplacer avec lui sous la direction d’un maître de ballet. Il marche devant, un collaborateur en léger retrait sur sa droite, un autre dans la même position sur sa gauche. Formation triangulaire, toujours au pas. Quand ils entrent dans une salle, tous se lèvent avec respect et l’applaudissent tandis que les haut-parleurs diffusent des hymnes grandioses. Tous lui vouent un véritable culte qui fait l’objet d’un merchandising systématique au profit du mouvement.

Le président sait recevoir. Convention au Vinci, le centre high-tech des congrès de Tours. Service de sécurité composé de jeunes gens bien mis, en vestes bleues. Hôtesses aux longues jambes et au délicieux sourire, en ensemble rouge. Buffet copieux et de qualité, servis par des maîtres d’hôtels stylés.

Des ateliers sont prévus pour amender le programme électoral. Ils se limitent à la lecture de motions prérédigées et à leur paraphrase. Comment pourrait-il en être autrement ? Des gens aussi courtois et disciplinés ne sauraient contester les positions du président Le Pen.

Son programme : "Tournons la page", sous-entendu à la fois du mitterrandisme et du vieux lepénisme.

En avant pour la VIe République ! Tiens, en 1940 Pétain n’avait pas créé une nouvelle République, il avait abrogé l’ancienne. Chômage, immigration, corruption, insécurité, impôts, Le Pen a réponse à tout. Il annonce la création de 4 millions d’emplois pour les Français. L’institution d’un revenu parental de 6.000 F par mois sans condition d’emploi préalable et dès le premier enfant. L’accession à la propriété de leur logement pour 5 millions de nouveaux propriétaires. La garantie du maintien des retraites. Un nouvel essor économique pour les zones rurales. L’augmentation du SMIC à 7.000 F, etc. Ses experts tentent d’expliquer chiffres à l’appui que c’est possible. Voyez, vous n’avez rien à craindre. Des gens si bien élevés qui vous proposent de vous aider. Peut-être songez vous déjà à voter Le Pen Président ?

Ah ! une toute petite remarque de détail. Tout ce programme s’entend après une légère réforme constitutionnelle : la création de la "préférence nationale". Vous comprenez, on ne peut pas financer de tels avantages sociaux pour des multitudes polygames. D’ailleurs, même en comptant, les Français sont trop nombreux pour pouvoir tous en bénéficier. Sûrement parce que l’on a trop facilement naturalisé des étrangers sous Giscard et Mitterrand. Il faudra donc d’abord revoir, cas par cas, la situation de ces Français de trop fraiche date.

Il faudra "inverser les flux migratoires", et pour cela disposer de la force publique nécessaire. Et fermer les frontières. Sur les 4 millions d’emplois annoncés, 3 millions seront dégagés par l’expulsion massive des immigrés. Ce qui libèrera également des logements, etc. CQFD ?

Thierry Meyssan


Les cathos-fachos sur la touche

Leader de Chrétienté et solidarité, la faction catholique intégriste du Front national, "l’eurodéputé" Bernard Antony est en mauvaise posture. Le vicomte Philippe Le Jolis de Villiers de Saintignon chasse sur ses terres avec intelligence au nom d’une ancestrale légitimité. Bruno Mégret l’a déjà sacrifié comme la part du feu. Désormais Le Pen abandonne la religion à de Villiers, qui s’en sert pour diffuser plus loin les idées de Le Pen. Le Front National ne parle plus que de morale sociale, et ne formule plus de jugements de valeur sur les comportements privés.

Ainsi, comme Alessandra Mussolini, Jean-Marie Le Pen ne voit aucun problème à ce que des gays participent à son mouvement, du moment qu’ils se sont acquittés de leur devoir envers la patrie en faisant des enfants. Frappé d’amnésie, il ne se souvient pas avoir jamais dit du mal des homosexuels.

Ou encore, pour lutter contre la propagation du sida, il propose de rouvrir les maisons closes. Bernard Antony n’en dort plus. Désormais, il lui faut prier non seulement pour que les lepénistes reviennent à la foi, mais aussi pour qu’il conserve ses fonctions au sein du Front.