Les prisons sont chroniquement surpeuplées, en France comme dans toutes les démocraties occidentales comparables. En dix ans, les USA ont vu leur population carcérale plus que doubler. En France, seul l’artifice des grâces présidentielles a permi d’éviter ce doublement, mais de trente-cinq à cinquante-cinq mille prisonniers sur la même période, on y est presque. Sans les grâces, on serait à soixante-dix mille. En Italie, en Espagne, en Angleterre, en Allemagne, et un peu partout : même phénomène.
On enregistre aussi dans l’ensemble de ces pays une pénalisation renforcée des drogues et des consommateurs de drogues. Dans la plupart de ces pays on évalue aujourd’hui que plus de la moitié de la population carcérale est condamnée pour des motifs directement ou indirectement liés aux drogues. En France, les ILS (infractions à la législation sur les stupéfiants) ne représenteraient selon les statistiques fournies par le ministère de la Justice "que" 15% de la population carcérale.
Manifestement cette statistique est trompeuse. Tous les "experts", tous ceux qui connaissent les prisons de près ou de loin, témoignent d’une réalité beaucoup plus dramatique. On peut avancer donc sans trop de risques d’erreur que, en France comme ailleurs, environ la moitié de la population carcérale est "due" à la législation des stupéfiants et à son application.
Cette pénalisation a progressé exactement en même temps que progressait l’inflation carcérale. Il est plus que probable que c’est à cette législation particulière que nous devons cette inflation particulière. Aux Etats-Unis le phénomène a pris des proportions si dramatiques que l’Etat n’arrive plus à payer son système carcéral, que des dizaines de prisons sont construites en Californie sans pouvoir être utilisées, faute de budget de fonctionnement, qu’à New York on finit par se faire relâcher systématiquement même pour des délits relativement graves étant donné le manque de place dans les prisons. On "exporte" même des prisonniers au Canada...
Il n’y a strictement aucun doute, encore une fois, sur le fait que cette inflation délirante n’est due, ici, qu’à la "guerre aux drogues" voulue par le gouvernement américain cette dernière décennie. Là-bas au moins les statistiques, même officielles, ont l’avantage de dire la vérité.
Ainsi l’inflation carcérale semblerait pouvoir résulter non d’une fatalité de nos sociétés, mais d’un certain nombre de dérapages spécifiques de nos systèmes judiciaires. En créant de nouveaux délits, en allongeant les peines appliquées aux délits classiques, en maintenant des législations en contradiction flagrante avec les moeurs de l’époque, la justice est devenue folle.
Evidemment, la justice n’est que l’instrument d’application de la loi. Avant elle, ce sont les législateurs qu’il faut interroger. Qu’il soit très efficace de crier "haro sur les drogués" à chaque fois qu’on a besoin de ramasser des voix à peu de frais, tout "politique" le sait. La tentation démagogique est donc en la matière permanente. De même, ce n’est que le ressort démagogique qui a incité les législateurs à gonfler en moyenne de 30% l’ensemble des peines prévues par le nouveau code pénal entré en vigueur en mars dernier. Augmenter l’ensemble des peines, alors que tous savent pertinemment que le seul problème aujourd’hui, c’est de vider les prisons... voilà le type de paradoxes auxquels peut nous mener une classe politique sans courage ni lucidité.
Lorsque, à l’occasion du vote du budget du ministère de la Justice, il y a quelques semaines, un parlementaire proposait de limiter les cas d’application de la prison préventive aux cas où elle est "nécessaire", et une ou deux autres mesures tendant à la désinflation carcérale, il aurait aussi bien pu "pisser dans un violon".
En un mot : pour réduire le problème des prisons, il existe quelques recettes simples.
1. Ne pas forcer les gens à devenir "emprisonnables". La législation sur les stupéfiants, comme celle sur les étrangers, sont strictement inadaptées à notre société et à ceux qui la composent. Elle oblige les toxicomanes et les étrangers à se mettre en situation "pénalisable" - et c’est donc la loi qui remplit les prisons et non des comportement irréguliers des citoyens. C’est la loi qui est irrégulière et inadaptée, non les citoyens.
2. Ne pas brandir des peines de prison comme des abstractions. Une peine de dix ans de prison, c’est dix ans. Un an est un an. Ce ne sont pas des mots, des idées, mais des réalités très coûteuses, aussi bien pour ceux qu’elle frappe, pour ceux qui doivent les appliquer, et pour nous tous qui les payons de nos impôts. Chaque jour coûte, en francs et en misère humaine.
3. Ne pas utiliser l’incarcération préventive comme un jouet. Avant une condamnation, il est toujours possible que le prisonnier ressorte libre, innocenté. Les prisons sont pleines à ras bord aujourd’hui de ces gens "présumés innocents" - et qui bien souvent le sont. Le droit impose qu’ils ne soient considérés comme coupables qu’après avoir été jugés. Ainsi la prison préventive est radicalement un déni de justice. Elle ne se justifie, y compris dans les textes, que dans les cas où elle est nécessaire à l’établissement de la vérité.
Ou dans les cas où le "présumé innocent" vraissemblablement coupable encourt une peine si lourde qu’il pourrait être tenté de s’y soustraire. Ce sont l’un comme l’autre des cas limites. Ils ne justifient en rien les dizaines de milliers de prisonniers soumis "préventivement" à un régime barbare .
Bref, qu’une société recourre à des systèmes de violence aussi primitifs que la prison, c’est probablement questionnable en soi dans un monde aussi évolué à d’autres égards que le nôtre. Mais si elle doit le faire, au moins qu’elle le fasse en sachant ce qu’elle fait. On en est très loin... Aujourd’hui la prison est un symbole de la peur de tous. Prenons là plutôt comme une réalité, et tâchons de soigner nos petites peurs plutôt que de brutaliser nos prochains.
Jean Barnaba
Restez en contact
Suivez-nous sur les réseaux sociaux
Subscribe to weekly newsletter