"Aujourd’hui, une pression est faite sur l’opinion française pour banaliser l’usage de la drogue, s’en accommoder durablement, voire même le dépénaliser. On ne peut transiger."

Cette déclaration, à faire frémir les associations d’usagers, est extraite du programme du Parti communiste français, adopté le 28 janvier 1994.

C’est net, sans appel. Le débat est clos. Pourtant, le texte poursuit : "Le toxicomane est une personne qui souffre, qui a besoin d’aide et de soins, pas d’emprisonnement ni de répression." Ah ! bon ! Nous voilà rassurés. Pas de dépénalisation mais pas de prison non plus pour les consommateurs.

Ne cherchez pas d’explication, il n’y en a pas. Interrogés, les spécialistes du problème de la drogue au Parti communiste seront incapables de fournir le moindre élément pour nous éclairer sur ce paradoxe. C’est comme ça et puis c’est tout !

Il n’est pas question non plus de différencier drogues dures et drogues douces. Les communistes avancent l’immuable credo de l’escalade obligatoire dans l’enfer de la drogue. Tout le monde le sait bien, les shootés ont tous commencé en tirant sur un joint ; rares sont ceux qui osent encore véhiculer ce poncif. Le Parti communiste, lui, s’entête. De plus, et toujours selon les experts de la place du Colonel-Fabien, le cannabis cultivé sous serre par les Néerlandais, avec un très fort taux de THC-delta-9 (1), serait devenu redoutable.

Les Pays-Bas sont d’ailleurs la bête noire des communistes. Le 15 octobre dernier, la Fédération de Lille organisait une marche sur Rotterdam pour montrer du doigt ces affreux Néerlandais qui, accord de Schengen oblige, viendront bientôt jusque dans nos campagnes pervertir la jeunesse française.

Mais Robert Hue n’est pas homme à se laisser faire. Pour lutter contre la drogue, tous les moyens sont bons. Entre autres solutions, il propose "le soutien aux initiatives locales"... Un terme qui rappelle des souvenirs. Faut-il y voir une allusion à la glorieuse action qu’il avait menée dans sa ville de Montigny-lès-Cormeilles lors de la campagne présidentielle de 1981 ? Flash-back au temps où Robert Hue se prenait pour un shérif.

En 1981, le souci principal du maire de Montigny-lès-Cormeilles, actuellement secrétaire général du Parti communiste, est la drogue. Selon ses propres dires, sa commune, associée à celles de Bessancourt et de Taverny, formerait le "triangle de la mort", ce qui fit ricaner dans les commissariats d’alentour. Le 2 février, il organise dans sa mairie une conférence de presse dans laquelle il déclare vouloir constituer des comités de vigilance antidrogue. Puis il ajoute très tranquillement : "Que les jeunes, les familles, les enseignants, les travailleurs sociaux me fassent part personnellement de toutes les informations, de tous les éléments concernant la drogue et sa diffusion dans la ville, afin que je puisse en saisir immédiatement les autorités compétentes."

Au cas où les Ignymontains (habitants de Montigny-lès-Cormeilles) n’auraient pas bien compris, il brandit la lettre d’une famille dénonçant des trafiquants dans la cité de l’Espérance et lui demandant d’intervenir. Robert Hue appelle cela la "solidarité antidrogue". Certains esprits malins sauront y voir un appel à la délation.

Quelques jours auparavant, un tract publié par la cellule communiste locale avait ouvert les hostilités. Intitulé "A bon entendeur... salut, ou mise en garde contre le trafic de drogue (à prendre au sérieux)", il s’adresse tout d’abord aux forces de l’ordre : "Nous disons à la police : il faut agir vite, avec la plus grande fermeté, contre les trafiquants et le plus vite possible avant qu’il ne soit trop tard." Puis directement aux coupables : "Nous ne vous laisserons pas poursuivre votre trafic. Ce n’est pas une menace en l’air, croyez-le, car si le trafic ne cesse pas, notre prochain tract comportera les noms des vendeurs, des dealers." Le tract s’achève sur une invitation à "une assemblée fraternelle, le 31 janvier, (pour y trinquer) à la nouvelle année." Hic !

Chose promise, chose due, le 6 février au matin, un tract est placardé sur les murs de la cité de l’Espérance appelant à un "rassemblement pour expulser la drogue de Montigny". Sous le titre "Robert Hue a raison : halte au trafic de drogue à Montigny", le texte rend compte de la lettre de dénonciation reçue par le maire. Puis suit : "Nous, communistes, étions avertis par cette femme [celle de la lettre, NDLR] du trafic de monsieur K... [le nom figure en toutes lettres, capitales, caractères gras] et avions déjà rendu public un tract de mise en garde."

Les K... sont marocains. Une famille de huit enfants. Ils sont en France depuis huit ans. Personne n’est venu les trouver pour leur expliquer ce qu’il se passait. Ils ont appris la nouvelle par des journalistes. Ils ne comprennent pas bien : dénoncer un voisin pour trafic de drogue, "tout le monde peut faire ça, il faut une preuve".

Le lendemain, les manifestants, Robert hue en tête, se rassemblent sous les fenêtres des prétendus trafiquants. Ils brandissent des pancartes "La drogue et les dealers hors de Montigny". Ce sont les filles aînées de la famille qui font face à la foule. La mère est hospitalisée après avoir fait la veille une violente crise de nerfs. Le père est parti travailler. Seul pour soutenir les K..., Patrick Thomas, le conseiller municipal qui s’est opposé dès le début aux méthodes de son maire, est venu avec sa banderole "Halte au pogrom !".

L’affaire avait fait grand bruit à l’époque, chacun s’étonnant des curieuses manières du maire de Montigny, ce shérif qui fait appel à la justice populaire. La police s’étonne aussi. Aucune plainte concernant la drogue n’a été enregistrée. La plus grosse prise dans la région se limitant à... vingt-cinq grammes de hasch. "L’Humanité" excepté, les journaux dénoncent cette manifestation grotesque et inquiétante. Certains rentrent dans le jeu des communistes en publiant à leur tour le nom de la famille K... Pendant ce temps, Robert Hue crie à l’anticommunisme primaire et multiplie les déclarations fracassantes : "Ce n’est pas comme un petit verre de pastis qu’on prend au cours d’une cérémonie, je suis révolutionnaire et si je propose que la population ne laisse rien passer en ce qui concerne la drogue, c’est parce que les drogués ne sont pas en état de faire la révolution."

Malgré des promesses répétitives, il ne sera jamais en mesure d’apporter la moindre preuve contre la famille K... Selon les habitants de la cité, la police n’a jamais rien trouvé de compromettant chez eux. Ironie du sort, c’est chez la famille dénonciatrice que quelques grammes de hachisch seront découverts plus tard. Peu importe, il semble que l’une et l’autre ont été le jouet de basses manoeuvres électorales. Dans la cité, la rancoeur entre les deux clans était bien connue. Les communistes ont profité de cette vieille querelle de voisinage pour grappiller quelques voix sur un sujet mobilisateur. Ah oui ! j’allais oublier... Quelques jours plus tard, Georges Marchais tenait un meeting à Montigny...

Depuis, la famille K... a quitté la cité de l’Espérance, écoeurée par ces méthodes d’un autre âge. De cette histoire, il n’est resté que l’honneur bafoué de toute une famille jetée à la vindicte populaire. Et pas grand chose dans les mémoires.

Xavier de Fournoux


1. Tétrahydrocannabinol.