Depuis le 18 juin 1993, de nombreuses voix réclament la légalisation du cannabis - tout au moins sa dépénalisation -, mais souvent pour des raisons totalement différentes. Voici les arguments avancés et qui les avance...
On connaissait déjà l’existence de deux discours de base : celui disant que le cannabis, étant une drogue douce, il mérite un statut différent de celui des drogues dures, donc plus de tolérance. Et celui affirmant que la prohibition de toutes les drogues est en soi un scandale, une atteinte à la liberté fondamentale d’absorber les produits de son choix.
Du "droit à la santé", il y a eu dérive vers "le devoir de santé", selon des modèles bien précis. Et tant pis pour les autres ! D’autant que ce n’est pas toujours l’intérêt de la santé publique, comme le rappellent à propos du sida Aides, Act Up ou l’ASUD. "La drogue n’est pas interdite parce qu’elle est dangereuse, mais elle est dangereuse parce qu’elle est interdite", se plaît à répéter l’ancien procureur Georges Apap.
Le Mouvement pour la légalisation contrôlée (MLC), emmené par Francis Caballero, prône la légalisation de certaines drogues : le cannabis, bien sûr, mais aussi les opiacés et la cocaïne. Le premier, disponible dans des endroits spécifiques, les seconds en dispensaire. Son projet repose également sur un monopole d’Etat, à l’image de ce que fut la Régie des tabacs et du kif de l’époque coloniale au Maroc.
Les raisons qui poussent les adhérents du MLC à demander la légalisation, sont essentiellement pragmatiques : l’usage de drogues s’est largement répandu malgré des lois exorbitantes du droit commun, et il convient donc de traiter ce problème différemment, en faisant le tour de tous les effets pervers - nombreux - de la prohibition. Cependant, il convient, selon le MLC, de prévoir un cadre très strict à l’usage ; rappelons à ce propos que Francis Caballero est aussi l’avocat du Comité national contre le tabagisme, qui réclame une sorte de prohibition rampante du tabac.
A écouter les différentes personnes ayant argumenté pour une légalisation (ou la simple dépénalisation) du cannabis, on remarque aisément des spécificités selon leurs préoccupations premières, ce qui amène parfois des arguments incomplets. Ainsi, on ne retiendra que les effets pervers qui paraissent les plus inacceptables. Les politiques invoquent principalement ceux liés au développement des trafics, des mafias et de l’économie parallèle. Même Charles Pasqua avait un temps abordé cet aspect du problème...
En revanche, chez les sociologues ou chez les intervenants en toxicomanie, ce sont les effets pervers touchant l’usager qui sont mis en avant, essentiellement des problèmes sociaux. Olievenstein, pour citer le plus connu, met en avant le fait que le jeune usager de cannabis apprend à vivre dans l’illégalité et, ainsi, à bafouer la loi... Et pas toujours la seule loi de 1970. Cette situation lui paraît suffisamment explosive pour déclarer la légalisation du cannabis comme étant une urgence.
Chez d’autres travailleurs sociaux, c’est surtout l’"exclusion" induite qui prévaut : une condamnation au motif de drogue, ce n’est pas ce que l’on fait de mieux pour aider des gens en difficulté à s’insérer. Mettre tout le temps, sous ce prétexte, une pression policière sur les jeunes, surtout dans certains quartiers, revient à jeter de l’huile sur le feu. C’est un peu le discours tenu par Banlieuescopies ou par le fameux curé des Minguettes.
Les "intervenants" remarquent aussi l’extrême rareté - pour ne pas dire l’absence - des demandes volontaires de soins pour cannabisme. Ils ont d’autres chats à fouetter, de "vrais" toxicomanes à soigner, et en ont marre bien souvent des injonctions thérapeutiques pour cannabis, qui leur font perdre leur temps alors qu’ils manquent de moyens. Ils commencent à défendre le modèle néerlandais, avec la séparation des milieux entre drogues douces et drogues dures. Dans l’ensemble une réussite, statistiques à l’appui qui montrent que la progression des usagers de drogues dures s’est considérablement ralentie depuis le libre accès au cannabis, et même que cette population a diminué.
Une autre tendance pragmatique considère que, à défaut de pouvoir empêcher la consommation (échec de la prohibition), il faut plutôt la réglementer, l’encadrer, trouver un chemin entre l’interdit actuel et la liberté que représenterait une légalisation proprement dite. C’est un peu la démarche de la "courte majorité" de la commission Henrion, ou celle du Comité d’éthique. Mais ce dernier avance davantage des notions philosophiques de libertés individuelles - notion étrangement absente la plupart du temps chez les politiques et les soignants - et concerne l’ensemble des drogues, légales ou illégales.
Cette autre voie se limiterait à une simple dépénalisation de l’usage, à titre expérimental. Le groupe de travail chargé de remettre des propositions à la suite du "questionnaire des jeunes" imaginé par Balladur avait avancé cette même proposition, confronté qu’il était à la récurrence de cette réponse à une question qui n’était pas posée. Ses membres ont donc proposé la dépénalisation.
Chez les usagers, et principalement au CIRC, cette liberté individuelle est le moteur de la contestation. La revendication porte simplement sur le droit de fumer des joints librement entre amis, et si possible "du bon et du pas cher". Au même titre que d’autres ont le droit de déguster des alcools (jusqu’au droit d’en mourir...). Et bien sûr, le droit d’échapper au marché noir par l’autoproduction.
Ils réclament aussi une information honnête et complète, en laquelle ils puissent avoir confiance, pour mieux gérer leur consommation et réduire les inévitables risques liés à l’usage de produits psychoactifs. A défaut de l’existence en France d’un organisme indépendant et incontestable qui aurait l’information sur les drogues comme mission, le CIRC tente de répondre tant bien que mal aux questions que se posent les usagers et leurs proches. Mais depuis la censure du Minitel 3615 CIRC et les condamnations de Jean-Pierre Galland, cette "mission" est rendue plus difficile.
Ces discours hétéroclites se basent essentiellement sur les effets pervers de l’interdit - avec autant de discours qu’il y a d’effets pervers et autant de bonnes raisons d’en finir. Ils trouvent néanmoins leur harmonie dans leur conclusion : il faut légaliser le cannabis !
Didier D.
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