Le génocide rwandais restera, au regard de l’Histoire, la plus grande oeuvre de François Mitterrand. La corruption française en Afrique n’avait jamais fait autant de mal. Jamais non plus une démocratie n’avait commis un crime d’une telle envergure. L’oubli semble pourtant gentiment recouvrir d’un voile pudique ce « détail » - un million de morts, noirs.

Voici quelques jours que je lis des douzaines de nécrologies de Mitterrand. Pas une ligne sur le Rwanda. Aurais-je mal lu ? François Mitterrand, en tant que président de la République, a été pendant quatorze ans responsable de la politique africaine de la France. Il dirigeait celle-ci personnellement, à tel point que pendant une grande partie de ces quatorze années, c’est son fils, Jean-Christophe, qui commandait la cellule africaine de l’Élysée et sillonnait l’Afrique pour le compte de son père (activité qui lui valut le charmant surnom de « Papa-m’a-dit »).

Au moins à partir de 1990, le Rwanda a été « suivi » avec une attention toute particulière par la cellule africaine de Jean-Christophe. Dans les mois qui ont précédé le génocide d’avril 1994, on sait que François Mitterrand se tenait constamment informé de l’évolution de la situation au Rwanda. Loin de faire quoi que ce soit pour empêcher le drame, il a persisté à soutenir les tenants du Hutu Power qui se préparaient ouvertement au génocide.

De 1990 à 1994, le régime rwandais, appuyé vigoureusement par la cellule africaine de l’Élysée, a méthodiquement développé l’idéologie raciste qui a mené à l’extermination d’un million de Rwandais en à peine plus d’un mois. Par la vitesse et la massivité du meurtre, le génocide rwandais a été plus « efficace« que les précédents massacres de masse du siècle. On n’avait jamais tué autant de personnes en si peu de temps.

Amnésie collective

Puisque tout le monde veut l’oublier, rappelons quelques faits.L’armée rwandaise, auteur du génocide, a été, de 1990 à 1994, financée, équipée et entraînée par la France. Elle est ainsi passée de 5.000 à 40.000 hommes. Dès 1992, elle a commencé à assassiner et torturer systématiquement les opposants du régime que soutenait l’Élysée. Les commandos d’assassins partageaient les casernes des soldats français qui les entraînaient.

Les instruments les plus performants du génocide - la propagande par voie de radio et le recours aux milices - ont été inventés par la cellule africaine de l’Élysée. Lorsque le génocide a commencé, les massacreurs rwandais se trouvant à court assez vite, l’Élysée s’arrangea pour que parviennent les armes et munitions nécessaires.

C’est ainsi que fut rappelé Jacques Foccart - actuel conseiller de Chirac - pour demander à Mobutu l’autorisation de faire transiter (discrètement) ces importantes quantités d’armes par le Zaïre. Grâce à quoi, dès la deuxième semaine du génocide, les massacres ont pu s’amplifier et atteindre les scores que l’on sait.

Une trace de sang dans l’Histoire

Mais un génocide n’est pas une façon efficace de faire la guerre. Et, une fois la guerre perdue, il fallut rapatrier les principaux responsables des massacres. C’est à la demande personnelle de François Mitterrand qu’un budget fut débloqué par la cellule africaine de l’Élysée pour rapatrier d’urgence les assassins et les héberger, à Paris dans un premier temps. Puis, pour sauver l’armée rwandaise en déroute, François Mitterrand ordonna l’« opération Turquoise », ce qui permit au passage d’effacer les traces des vastes plantations de cannabis grâce auxquelles Jean-Christophe arrondissait ses fins de mois [1].

Etc., etc. Pour en savoir plus reportez-vous aux numéros 1, 2, 8 et 9 de Maintenant. Ou encore à quelques excellents livres qui ont déjà raconté cette histoire - mais il semblerait que les auteurs de nécrologies ne sachent pas lire.

Qu’on le veuille ou non, nous sommes là face à un des plus grands crimes de l’Histoire - cette Histoire avec un grand H dont on nous dit que François Mitterrand l’affectionnait particulièrement. On nous dit aussi qu’il tenait à y laisser une belle trace. C’est réussi. Je ne sais pas si François Mitterrand a été un gentil pétainiste ou un brave résistant. Je ne sais pas non plus s’il a été le sauveur ou le fossoyeur de la gauche. Par contre, il n’y a pas de doute qu’il ait été un des plus grands criminels de l’Histoire.

Le Parrain

Malheureusement si le titre est assez pompeux, il est à craindre que François Mitterrand ne méritera même pas, au regard de l’Histoire, d’en être arrivé là au nom d’un grand projet. Si la France, sous sa direction, s’est embourbée à ce point au Rwanda, ce n’est que pour avoir voulu protéger le système de prébendes - c’est-à-dire de vol organisé à grande échelle - qui s’est installé sur le cadavre de son empire colonial. L’Afrique a été pillée cent fois, dans tous les sens, par la clique des dictateurs entretenus par les régimes français successifs. Les dictateurs africains corrompus ont trouvé chez leurs homologues français les protecteurs - dans la mafia on dit parrains - dont ils avaient besoin.

Ainsi les dirigeants de la Ve République ont pu beaucoup s’enrichir au prix de la liberté et de la misère du continent noir. François Mitterrand, en aidant et en protégeant le génocide rwandais, n’aura fait que pousser jusqu’à sa conséquence la plus ignoble et la plus absurde un système dont l’objet principal était ce qu’avant de mourir, opportunément, François de Grossouvre appelait « le magot présidentiel », dissimulé dans des coffres suisses [2].

Mais ce crime, aussi minable et monumental soit-il, est moins grave que le silence pudique qui le recouvre. Si François Mitterrand a laissé assez d’argent à ses héritiers pour ne pas se faire de soucis pendant quelques générations, ce n’est pas tant notre affaire. À nous, il a laissé en héritage un des grands crimes du siècle. Il n’est pas question d’entretenir à ce sujet une conscience malheureuse, mais tant que nous n’y aurons pas fait face, ce crime traînera dans l’arrière-fond de la conscience collective, quelle que soit la qualité de la désinformation et du silence qui le couvre. On ne se débarrasse pas d’un million de cadavres comme ça.

Il est grand temps que tous, citoyens, militants, journalistes, se mobilisent pour mettre à jour toute la vérité.

[1Voir La lettre de l’Observatoire géopolitique des drogues.

[2Voir l’article de Pascal Krop, L’Evénement du jeudi du 11 au 17 janvier 1996.