L’enquête menée à la suite de l’assassinat du préfet Erignac a exacerbé les rivalités traditionnelles entre les services chargés de la sécurité en Corse. Comme l’a noté un haut fonctionnaire devant la commission, il est vite apparu à cet égard évident qu’il " était plus important de pouvoir revendiquer l’élucidation de l’enquête que de l’élucider ".
Cette rivalité a été alimentée par la méfiance que le préfet Bonnet entretenait à l’égard de la police, ainsi que l’a indiqué un fonctionnaire de police à la commission concernant les relations de son service avec la gendarmerie : " Pendant la période Bonnet, on a senti qu’il y avait une fermeture et de l’obstruction ". Mais elle a été également due, pour une large part, au dessaisissement tardif de la gendarmerie de l’affaire de Pietrosella, qui a entretenu sur le terrain la confusion et la rivalité entre les services de sécurité.
La commission n’a en revanche reçu aucune confirmation sur la véracité de la rumeur propagée selon laquelle des services de sécurité se seraient mutuellement écoutés. Mais la simple existence de cette rumeur est la preuve de l’ambiance délétère qui a pu régner entre les services.
Il est cependant établi que la DNAT a, en quelque sorte, " piraté " l’enquête de la gendarmerie sur Pietrosella, en se procurant des procès-verbaux par l’intermédiaire du SRPJ d’Ajaccio, co-saisi de l’affaire. Le juge Thiel avait fait des représentations aux enquêteurs du SRPJ a cet égard.
Le caractère malsain des relations entre les services ressort bien des termes employés devant la commission par un policier parisien : " Ajaccio est une ville moyenne. Dès qu’on sort, on sait qui est dans la rue. Tout le monde se connaît. On voit de suite si ce sont des adversaires ou des gens proches de soi qui travaillent sur des sujets voisins ".
La saine émulation qui devrait prévaloir entre les services s’est en tout état de cause muée en une concurrence stérile. A de multiples reprises des services différents se sont croisés sur les mêmes objectifs, sans échanger leurs informations. Cette concurrence s’est principalement exercée entre les services de police et de gendarmerie mais n’a pas épargné les services de police ou de gendarmerie entre eux.
A) DES SURVEILLANCES CONCURRENTES SUR LE TERRAIN
Les surveillances de différents services se sont télescopées à plusieurs moments sur le terrain :
– la réunion du 19 août 1998 entre le groupe du nord et le groupe du sud, à la résidence A Mandarina, dans l’appartement de la soeur de Ferrandi, a fait l’objet d’une surveillance de la gendarmerie et des renseignements généraux, sans que les uns ou les autres en aient connaissance ;
– à plusieurs reprises, à Corte ou en Corse-du-Sud, les policiers de la DNAT ont remarqué que des gendarmes surveillaient les mêmes objectifs que les leurs ;
– des balises de surveillance, en partie découvertes par les intéressés, auraient été placées sous les véhicules des frères Colonna à la fois par la police et la gendarmerie.
B) LE BALLET DES ECOUTES TELEPHONIQUES
S’agissant des écoutes téléphoniques, le président de la commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité a affirmé à la commission qu’aucune écoute en double n’avait pu être diligentée sur une même ligne, une seule interception de sécurité pouvant intervenir par ligne et une écoute judiciaire primant systématiquement sur une écoute administrative. Il a néanmoins estimé qu’il était possible qu’une même personne ait pu être écoutée simultanément par plusieurs services sur des lignes différentes, ou qu’une même ligne ait pu être écoutée successivement par différents services de sécurité.
L’enquête Erignac a été ainsi l’occasion d’un véritable ballet entre les demandes d’écoutes administratives et judiciaires des différents services de police et de la gendarmerie.
Le président de la commission nationale de contrôle a par exemple indiqué à la commission, qu’au deuxième semestre 1998, une interception de sécurité avait été refusée à la gendarmerie en raison de l’existence d’une interception judiciaire au profit d’un service de police, interception qui s’était elle-même substituée à une interception administrative exercée par un autre service de police... Par ailleurs, selon M. Marion, quand la DNAT a demandé de procéder à des interceptions judiciaires sur Ferrandi au mois de décembre 1998, il aurait été mis fin à des interceptions administratives opérées par les gendarmes.
Source : Sénat. http://www.senat.fr
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