A) UNE MEILLEURE COORDINATION DES MOYENS AFFECTÉS À LA SÉCURITÉ

1. L’institution d’un coordonateur pour la Corse auprès du gouvernement

La Corse doit faire l’objet d’un véritable suivi interministériel dépassant les aspects purement sécuritaires gérés traditionnellement par le ministère de l’intérieur.

Le Premier ministre, après avoir refusé l’idée qu’il puisse y avoir " un monsieur Corse au sein du Gouvernement ", a repris personnellement la gestion du dossier corse. L’exemple des récents dysfonctionnements démontre les dérives auxquelles cette centralisation a pu conduire. Le chef du gouvernement ne pouvant pas suivre les questions au jour le jour, la politique s’est retrouvée entièrement entre les mains de conseillers de cabinet. Il importe que la question corse soit traitée dans son ensemble par un coordonateur pour la Corse, placé auprès du gouvernement.

2. Le maintien et la clarification de la fonction de préfet adjoint à la sécurité

Malgré les critiques dirigées contre l’institution du préfet délégué, celle-ci permet l’exercice d’une coordination indispensable dans une région bi-départementale confrontée aux problèmes que l’on sait, tout en dégageant le préfet de Corse des questions de sécurité.

Il est actuellement envisagé de transférer au préfet à la sécurité certaines compétences de gestion, en matière de formation notamment. Des compétences en matière de sécurité civile pourraient lui être également déléguées, à l’image de celles revenant aux préfets délégués pour la sécurité et la défense sur le continent. Enfin il pourrait être envisagé de donner autorité au préfet adjoint sur certains services préfectoraux chargés de réglementation de police.

Le maintien de la fonction suppose que les préfets de département lui laissent une latitude suffisante dans le cadre de la délégation de signature et que la personnalité et la compétence du préfet adjoint lui permettent de s’imposer à l’égard des deux préfets.

B. UNE MEILLEURE GESTION DES PERSONNELS DE POLICE

3. Une remobilisation des personnels

Une lutte efficace contre l’absentéisme passe par des sanctions disciplinaires et des mutations en cas d’absences illégales.

L’attribution de primes spécifiques, analogues à celles existant dans les zones sensibles, permettrait de prendre en compte les difficultés rencontrées dans l’île par ces personnels et de remédier à un déficit préoccupant de candidatures, notamment dans les services de la sécurité publique et des renseignements généraux. Les personnels ayant servi en Corse pourraient être prioritaires pour le choix d’une nouvelle affectation.

Enfin, les personnels d’encadrement devraient bénéficier d’une affectation plus longue dans l’île, de l’ordre de trois ans, et bénéficier en retour d’une priorité pour leur nouvelle affectation.

4. Une répartition plus équilibrée entre les forces permanentes et les forces mobiles

L’affectation en permanence d’un nombre important de compagnies de CRS sur l’île n’est pas nécessairement souhaitable, aussi bien en termes budgétaires que du point de vue de l’efficacité. Si un certain nombre de missions peuvent indéniablement être mieux exécutées par des agents n’ayant aucune attache sur place, d’autres nécessitent des personnels ayant une bonne connaissance de l’île. Par ailleurs, la présence des CRS est souvent mal tolérée par la population corse.

Une réflexion devra donc s’engager sur la répartition la plus efficace des forces permanentes et mobiles sur l’île.

C. L’ADAPTATION DES MOYENS ET DES PROCÉDURES

5. Le renforcement de la sécurisation des bâtiments publics

Les attentats contre les bâtiments publics, et notamment les brigades de gendarmerie, constituent une véritable insulte à l’autorité de l’Etat.

Afin de ne pas immobiliser, pour la garde statique des bâtiments, des effectifs trop importants ainsi détournés de leur mission, la mise en place de moyens techniques de sécurisation s’imposent (vitrages blindés, vidéo-surveillance) qui permettent à la fois de protéger les bâtiments et de dissuader les actions terroristes.

Dans cette perspective, l’Etat devra donner aux administrations locales les moyens budgétaires d’assurer leur défense.

S’agissant des bâtiments -notamment pour la gendarmerie- qui n’appartiennent pas à l’Etat, il conviendrait de prendre en compte la charge des aménagements de sécurité dans les loyers dus par l’Etat.

6. La dotation des forces de sécurité en moyens modernes de transmission et d’interception

Compte tenu de l’importance de la mission de surveillance, et des difficultés techniques propres aux communications dans une île au relief tourmenté, les matériels adéquats doivent impérativement être fournis aux unités intéressées.

Un centre d’interception de communications sur téléphone portable devrait être implanté en Corse.

7. Une coopération plus étroite entre la douane et les forces de sécurité

Actuellement, seule la douane peut procéder à la fouille des véhicules. Les autres forces de sécurité, police ou gendarmerie, peuvent contrôler l’identité des passagers mais ne sont pas habilitées, sauf si elles interviennent dans le cadre d’une commission rogatoire, à fouiller le véhicule. La situation sur l’île -et notamment le trafic d’armes utilisées par les réseaux indépendantistes clandestins- peut justifier la mise en oeuvre de moyens de contrôles supplémentaires et une coopération systématique entre les douanes et les autres forces de sécurité.

D. UN RENFORCEMENT DE L’EFFICACITÉ DE LA GENDARMERIE

8. Une réorganisation territoriale de la gendarmerie

La Corse compte trop de brigades à effectifs réduits, souvent vulnérables et pas toujours efficaces. Il est donc souhaitable de procéder à un regroupement.

9. La mise en place en Corse d’un peloton de renseignement

L’insuffisance du renseignement opérationnel est l’un des principaux obstacles à une lutte efficace contre la criminalité en Corse. Le renseignement en particulier constitue l’une des missions principales de la gendarmerie. La dissolution du GPS a supprimé un maillon essentiel pour la sécurité de l’île : si le peloton de protection et le peloton de surveillance et d’intervention ont été maintenus sous d’autres formes, le peloton d’observation a disparu et son effectif a été redéployé sur le continent.

La situation en Corse justifie la présence sur place d’une unité d’observation sous la forme d’un peloton d’observation.

La commission se demande enfin s’il ne conviendrait pas de doter la gendarmerie de fonds spécifiques pour " acheter le renseignement ", comme cela avait été le cas dans les années 80 ; dans une telle hypothèse, le contrôle de ces fonds devrait être exercé a posteriori par l’autorité préfectorale.

10. Le regroupement de la capacité d’observation et d’intervention de la gendarmerie

Du fait de la dissolution du GPS, la capacité du renseignement a disparu et la capacité d’intervention est très affaiblie : les deux pelotons de surveillance et d’intervention de la gendarmerie " professionnalisés " d’Ajaccio et de Bastia ne sont pas vraiment opérationnels pour des interventions délicates et les PSIG prévus à Ghisonaccia et à Corte ne sont pas encore mis en place faute d’infrastructures adaptées.

La réorganisation au sein d’une nouvelle structure des capacités auparavant réunies par le GPS, apparaît opportune à condition d’assurer la formation et l’entraînement nécessaires, et d’organiser un contrôle réel de cette unité en dissociant l’autorité d’emploi et l’autorité de contrôle. La mise en place de ce dispositif ne soulèverait pas de difficultés à partir du moment où l’activité du commandant de légion est recentrée depuis l’été dernier sur la gestion du personnel et le soutien logistique au profit des deux groupements.

La mise en place d’une structure quelque peu analogue au GPS ne constituerait donc pas une dérogation à la règle commune, et s’inscrirait dans l’effort légitime d’adaptation de la gendarmerie à l’évolution de la délinquance dans les zones dont elle a la charge.

E. UNE REVALORISATION INDISPENSABLE DE LA JUSTICE EN CORSE

11. Des mesures spécifiques en faveur des magistrats affectés en Corse

La Chancellerie devrait engager une réflexion sur le principe de primes incitatives qui favoriserait les candidatures de magistrats pour la Corse.

Leur sécurisation devrait en outre être assurée compte tenu des menaces, des pressions et des attentats dirigés contre les juges.

12. Un repyramidage de certaines fonctions de responsabilité

Le principe d’inamovibilité ne permet pas d’imposer un changement d’affectation aux magistrats du siège.

Par ailleurs, l’affectation des magistrats obéit à un schéma classique, selon lequel les postes des petites juridictions, comme celles de la Corse, constituent des postes de début de carrière.

Un repyramidage des postes consistant à élever hiérarchiquement certaines fonctions permettrait d’attirer en Corse des magistrats plus chevronnés.

13. La sécurisation des jurés, des témoins et des victimes

Leur accueil dans les locaux judiciaires devrait s’effectuer dans des locaux sécurisés et la protection des " témoins sous X " devrait être assurée.

En cas de pressions exercées sur les jurés et les témoins, l’article 434-8 du code de procédure pénale (3 ans d’emprisonnement et 300 000 F d’amende) devrait être systématiquement appliqué par les magistrats.

La liste des jurés suppléants pour chacune des cours d’assises de Corse devrait être portée de 100 à 200 afin d’élargir leur vivier et de pallier les désistements résultant trop souvent de menaces.

Les modalités de publicité de la liste des jurés, fixées par l’article 282 du code de procédure pénale, pourrait être revues afin d’éviter que des pressions ne soient exercées sur ces derniers, sans toutefois que soit remise en cause la possibilité de récusation offerte à un accusé qui est nécessaire à l’exercice des droits de la défense.

14. Une spécialisation des formations de jugement en matière de terrorisme

Toutes les chambres correctionnelles du tribunal de grande instance de Paris sont spécialisées, mais aucune n’est spécifiquement compétente en matière de terrorisme, matière qui ne s’improvise pas. Une réflexion devrait être engagée pour introduire une spécialisation des magistrats au sein de la juridiction parisienne.

De même, au sein des cours d’assises spécialement constituées pour le jugement des actes terroristes, une telle spécialisation des magistrats appelés à y siéger pourrait être introduite.

15. Une correctionnalisation accrue des crimes

Le développement de cette procédure, déjà largement utilisée en Corse pour éviter les pressions exercées sur les jurés, permettrait de remédier aux dysfonctionnements affectant le fonctionnement des cours d’assises insulaires.

16. Le renforcement de l’action publique

La justice doit avoir les moyens d’agir contre les appels aux meurtres et l’apologie du crime lancés par une certaine presse et par des nationalistes extrémistes : l’allongement du délai de prescription en ce domaine, qui est actuellement de trois mois, et une protection des magistrats et fonctionnaires concernés apparaissent nécessaires.

17. Une lutte plus énergique contre le crime organisé

Le renforcement de la lutte contre ce type de délinquance suppose une plus grande utilisation de l’article 40 du code de procédure pénale par les services fiscaux, ainsi qu’un recours plus important des magistrats à l’article 101 du livre des procédures fiscales.

De plus, l’action du pôle économique et financier, récemment installé à Bastia, devrait être développée et permettre d’enquêter de manière plus approfondie sur les éventuelles connexions financières avec les circuits mafieux internationaux.

Enfin, au terme de ces propositions, la commission d’enquête a formulé deux observations :

1) Les conditions d’un développement économique de la Corse

La commission considère que la société corse ne peut sortir de la logique de clientélisme, où une partie d’entre-elle s’est enfermée, qu’en s’appuyant sur tous les insulaires, citoyens et élus, qui souhaitent une affirmation républicaine de l’Etat.

Comme le montant des aides au développement de l’île n’est sans doute pas appelé à augmenter, et est même susceptible de diminuer, les élus devront nécessairement s’associer à un développement fondé sur des bases économiques assainies.

Dans ces conditions, les mesures de développement qui seront incluses dans le prochain contrat de plan Etat-région, pour la période allant de 2000 à 2005, ne pourront prendre pleinement leurs effets qu’avec un retour à l’Etat de droit.

L’élaboration de ce contrat de plan, qui associera les élus de l’Assemblée territoriale aux représentants de l’Etat dans l’île, doit être encore plus que dans les autres régions françaises, l’occasion d’impliquer pleinement ces élus au développement économique de la Corse.

Chacun s’accorde en effet sur la nécessité de trouver pour l’île une activité économique saine et viable, et sur la contribution décisive des élus à la définition puis à la mise en oeuvre sur le terrain de cette impulsion.

2) Des adaptations ponctuelles du statut de 1991

Comme la majorité des élus insulaires, la commission estime que les difficultés actuelles de la Corse ne seront pas résolues par une évolution institutionnelle. Seules sont souhaitées par ces élus des adaptations visant à mieux concentrer le pouvoir de l’exécutif et à supprimer les multiples offices et agences qui gravitent autour de lui, alors que ces structures sont trop éclatées pour être efficaces.

Il importe donc de réfuter tout " préalable institutionnel ", évoqué par certains nationalistes, comme prix éventuel de leur condamnation des actions violentes. La Corse a en effet besoin, avant toute chose, de stabilité économique et politique, et toute discussion sur une modification substantielle du statut de 1991 aurait pour effet de relancer des débats stériles.


Source : Sénat. http://www.senat.fr