Peut-on parler de retard de développement en ce qui concerne la Corse ? Certains indicateurs objectifs peuvent être évoqués à ce propos.

( UN PIB PAR HABITANT INFERIEUR A LA MOYENNE DES REGIONS EUROPEENNES COMME A LA MOYENNE NATIONALE

Dans une enquête rendue publique en août 1998, l’INSEE a dressé un tableau des régions européennes en 1994 - année de référence - et a ainsi montré que l’Ile-de-France, en concentrant 5 % du produit intérieur brut de l’Union européenne, était la plus riche des 196 régions d’Europe. En classant l’ensemble des régions européennes en fonction de la richesse créée par habitant, la Corse n’arrive qu’au 143ème rang (le Limousin se situe au 142ème rang et le Languedoc-Roussillon en 145ème position)9.Tandis que l’Ile-de-France affiche un PIB par habitant de 67 % supérieur à la moyenne européenne, le Languedoc, le Limousin et la Corse sont respectivement à 19 %, 17 % et 18 % au-dessous de cette moyenne.

Ainsi que le soulignait récemment une étude réalisée par l’INSEE (in Economie Corse - juin 1998), le produit intérieur brut de la Corse s’est élevé à 24,5 milliards de francs courants en 1994 (dernière année disponible). Cette valeur ajoutée résulte de l’agriculture à hauteur de 534 millions de francs, de l’industrie à hauteur de 2,212 milliards de francs, de la construction pour 1,831 milliard, des services marchands pour 13,493 milliards et des services non marchands pour 6,433 milliards. Ceci est le résultat d’une économie insulaire essentiellement tertiaire. En effet, le secteur des services fournit environ 80 % de la valeur ajoutée. Le tertiaire public produit à lui seul un quart de la richesse totale.

La Corse a produit, au sens des comptes de la Nation, 98.500 francs par habitant cette année, soit 23 % de moins que le produit intérieur brut national par habitant. A titre d’exemple, le PIB par habitant en Ile-de-France (198.000 francs) était le double de celui de la Corse, qui se trouve proche du Languedoc-Roussillon (97.200 francs) et du Limousin (99.300 francs). Seules trois régions françaises enregistrent un produit intérieur brut par habitant supérieur de 15 % à celui de l’île.

Les élus comme les socio-professionnels ont souvent tendance à présenter la situation économique de la Corse comme étant très déprimée, voire catastrophique. La commission d’enquête, qui a eu l’occasion de se rendre sur place à plusieurs reprises, a pu se forger la conviction que les difficultés d’adaptation de l’économie insulaire, bien que réelles, n’étaient nullement insurmontables.

Le tissu économique reste cependant fragile et vulnérable aux aléas de la conjoncture. Comme le soulignait devant la mission d’information sur la Corse le directeur régional de la Banque de France, un bref aperçu des trente dernières années permet de constater que l’économie insulaire a connu une période favorable, avec le développement du tourisme dans les années 60, 70 et 80, qui a entraîné celui du bâtiment et du commerce. En revanche, le début des années 90 a été marqué par une rupture due au changement dans les habitudes de consommation et à l’impact psychologique des manifestations de violence. De plus, les grèves répétées dans le secteur des transports ont dissuadé de nombreux touristes, notamment parmi la clientèle la plus aisée, de se rendre en Corse. La phase de repli connut deux pics, en 1991 et en 1995, années particulièrement difficiles au cours desquelles des baisses significatives du chiffre d’affaires ont été enregistrées dans le secteur de l’hôtellerie, dans le commerce de détail et les transports. L’année 1996 se solda également par des résultats décevants dans le tourisme : l’hôtellerie ne parvint pas à réaliser des taux de remplissage satisfaisants. Quant au secteur du BTP, il est aujourd’hui encore très déprimé. En 1996, l’économie insulaire semblait figée. L’investissement était au point mort, tandis que le taux de chômage atteignait des niveaux toujours élevés.

( DES SIGNES D’AMELIORATION ECONOMIQUE

Ce n’est qu’en 1997 qu’une timide reprise du tourisme s’est manifestée, apportant l’espoir d’un retournement de la conjoncture. De fait, les réservations pour 1998 se sont révélées en forte augmentation et les résultats enregistrés en mai et juin 1998 sont conformes aux espérances des professionnels avec des progressions de 15 à 25 % d’une année sur l’autre. Le regain de fréquentation touristique devrait permettre aux entreprises hôtelières de renflouer leur trésorerie et de reprendre le paiement normal et régulier de leurs échéances. Notons que le commerce de détail bénéficie également des retombées du tourisme.

Le secteur du BTP enregistre quant à lui quelques signes encourageants, mais le secteur du logement neuf reste atone tandis que celui du logement social traverse une crise préoccupante. La demande pourrait être importante, mais les deux offices d’HLM susceptibles de mettre en route de nouveaux chantiers se débattent dans des difficultés financières (qui font l’objet de développements dans la deuxième partie du rapport). En matière de travaux publics, si l’on relève quelques marchés notables, les adjudications profitent principalement aux entreprises les plus performantes et non à la masse des petites entreprises rencontrant souvent des difficultés. L’agro-alimentaire, tirée par les besoins du tourisme, connaît également une embellie.

Toutefois, les projets d’investissement se caractérisent toujours par leur rareté au premier semestre 1998, tandis que l’emploi ne progresse pour l’essentiel que par des contrats temporaires, ce qui constitue un signe que la majeure partie des entreprises n’est pas encore convaincue du retour à de meilleurs résultats durables10. Ce comportement d’attentisme rend particulièrement vulnérables les sociétés familiales et de taille réduite. Le nombre de dépôts de bilan s’est ainsi accéléré depuis le début de 1998.

Une étude réalisée par la Banque de France à partir d’un échantillon de 1.000 entreprises, indiquait, à la fin du mois de juin 1998, que 45 % des entreprises présentaient un bilan acceptable selon les critères de structure, d’endettement et de rentabilité communément admis par les banques. Toutefois, en appliquant des critères très stricts, il apparaîssait que seules 27 % de ces sociétés figuraient dans la catégorie des entreprises très saines. Pour les 55 % restantes, 17 % connaissaient une évolution défavorable : elles étaient considérées comme viables mais devant être surveillées par les organismes bancaires. Restaient 38 % des entreprises sur lesquelles des réserves pouvaient être émises quant à leur structure, leur endettement, leur rentabilité et donc leur viabilité. Parmi celles-ci, 16 % accusaient une situation très dégradée.

Les mois à venir marqueront peut-être l’amorce d’un assainissement financier qui devrait progressivement porter ses fruits, même si la période de transition risque d’être difficile. A une phase de laxisme économique, caractérisée par la pratique généralisée du non-paiement des dettes et des factures tant par les particuliers et les entreprises que par les collectivités locales, s’est substituée une période de reprise en main. Le courage politique impose de dire d’ores et déjà qu’un certain nombre d’entreprises et d’exploitations agricoles ne sont probablement pas viables à terme. Le courage exige aussi de préconiser qu’un examen au cas par cas de ces situations soit mené, afin de maintenir en activité celles qui peuvent l’être. Une remise en ordre des comptes des collectivités locales est également indispensable : elle prendra du temps, mais elle constitue, elle aussi, un préalable à la consolidation de l’économie insulaire sur des bases saines.


Source : Assemblée nationale. http://www.assemblee-nationale.fr