Vécu comme une agression ou comme un atout pour l’économie régionale, le tourisme est un sujet qui ne laisse pas indifférents les insulaires. Sans le développement touristique important qu’a connu la Corse au cours des vingt dernières années, nombre d’infrastructures n’auraient pas été construites ou rénovées. L’augmentation des flux touristiques a sans nul doute joué un rôle essentiel dans le choix des grandes orientations du secteur des transports. La commission d’enquête doit, ici, s’inscrire dans la lignée des nombreux rapports et d’études ayant démontré l’impact économique positif du tourisme et surtout ses potentialités à venir. Sans nier le caractère spéculatif ou désordonné de certains projets immobiliers, le credo des observateurs honnêtes de la situation de la Corse depuis plus de vingt ans consiste à dire que le tourisme constitue la principale voie de relance de l’économie insulaire, le moteur de son développement du fait des retombées très larges qu’il induit sur l’ensemble de l’économie : l’hôtellerie en premier lieu, mais également le commerce, les transports, l’agro-alimentaire, l’agriculture et le bâtiment. Il est clair que le secteur touristique est celui qui possède le plus fort potentiel de développement. S’il n’est sans doute pas le seul facteur déclencheur du redressement économique, il en est assurément une pièce majeure qui mériterait d’être encore davantage exploitée.

( UN IMPACT GLOBALEMENT TRES POSITIF SUR L’ECONOMIE ET LE MARCHE DE L’EMPLOI

En 1996, la valeur ajoutée du tourisme a atteint 2 milliards de francs et représenté 9,5 % de la valeur ajoutée totale de la Corse. La valeur ajoutée directe est estimée à 1,5 milliard de francs, dont la moitié est apportée par les hébergements professionnels. Si l’on se limite à la valeur ajoutée directe, celle générée par le tourisme représente 6,8 % de la valeur ajoutée de la Corse, contre 3,8 % en Languedoc-Roussillon, soit une part presque deux fois plus importante.

L’impact économique du tourisme dans l’île constitue un débat récurrent ; son importance diffère selon les sources citées19, mais il semble relativement stable au cours des années.

En moyenne sur l’année, l’emploi salarié lié au tourisme représente, au minimum, environ 6 % de l’emploi salarié total de l’île hors État et secteur de l’agriculture, soit 3.400 équivalents temps complet. Ces emplois ne constituent pas la totalité des emplois " touristiques " salariés mais l’estimation basse qui comptabilise les emplois engendrés de façon certaine par le tourisme. Le tourisme hivernal étant quasiment inexistant sur l’île, l’été constitue l’unique période réellement touristique. Alors que sur l’année, un emploi salarié sur seize est touristique, cette proportion passe en été à un emploi sur dix. Hors saison, seulement un emploi sur vingt-deux est touristique. Le niveau de l’emploi touristique connaît un pic aux alentours du 15 août : à cette date, un salarié sur neuf travaille alors dans ce secteur.

Dans des zones précises et pour certaines activités, des emplois, saisonniers ou permanents, peuvent également être induits par le tourisme. Tout en reconnaissant que " la plupart du temps, aucune méthode fiable ne permet d’en déterminer le nombre exact ", l’INSEE Corse indiquait, dans le numéro " Economie Corse " de mars 1998, que l’emploi salarié lié au tourisme a pu atteindre, en estimation haute, 12,5 % de l’emploi salarié total de l’île (hors État et secteur de l’agriculture) en 1995. Un emploi sur neuf hors saison serait donc touristique contre un emploi sur vingt-deux en estimation basse.

( UNE FREQUENTATION TOURISTIQUE EN HAUSSE

En vingt ans, la Corse a connu une hausse globale de sa fréquentation de plus de 60 % malgré deux baisses importantes, l’une de 1983 à 1985 et l’autre de 1992 à 1997. Les Français, les Allemands et les Italiens constituent la principale clientèle de l’île. En 1996, 1,6 million de touristes se sont rendus dans l’île. Ce tourisme, essentiellement balnéaire et familial, engendre une forte fréquentation estivale.

De plus en plus nombreuse, cette clientèle s’est modifiée en vingt ans. En 1977, les Français et les Allemands étaient déjà très présents, mais pas encore les Italiens qui n’étaient pas plus nombreux que les visiteurs suisses ou belges. Aujourd’hui, les continentaux restent les principaux clients du tourisme corse et représentent en période estivale les deux tiers des touristes. Parmi la clientèle touristique française, les deux régions les plus représentées sont la région Provence-Alpes-Côte d’Azur et l’Ile-de-France20. Un touriste sur trois est d’origine étrangère21. Mais les dépréciations successives de la peseta, de la livre sterling et surtout de la lire, ainsi qu’une concurrence accrue des destinations ont provoqué une baisse de la fréquentation touristique dans les années 1994 et 1995 notamment.

Au total, la capacité d’accueil de l’île est de 390.000 lits. La Corse pourrait donc offrir chaque année jusqu’à 140 millions de nuitées. Avec environ 20 millions de nuitées par an sur la période 1990 - 1996, dont plus de la moitié en juillet et en août, le taux d’occupation moyen de l’hébergement touristique corse s’établit à 40 % sur ces deux mois, et à peine à 14 % sur l’année. Certes, nul ne saurait préconiser pour la Corse l’utilisation maximaliste, toute l’année, de toutes les infrastructures insulaires pour accueillir sans discontinuer des visiteurs en nombre. Il n’en demeure pas moins que ces infrastructures pourraient être mieux mises en valeur et exploitées.

Avec 1,4 million de visiteurs durant la saison 1997 (de mai à septembre), le tourisme est remonté à un niveau prometteur. Durant cette saison, un touriste sur trois a pris l’avion, deux sur trois le bateau.

Pas moins de deux millions de touristes étaient attendus en 1998. D’après les informations disponibles au moment de la rédaction du présent rapport, la saison a en effet été particulièrement bonne, grâce au retour massif des continentaux, et s’est caractérisée par une progression de 15 à 20 % de la fréquentation par rapport à 1997 au cours des mois de juillet et d’août. Selon l’Observatoire du tourisme, une majorité d’établissements ont enregistré d’excellents taux d’occupation lors de ces deux mois. D’après la coordination des industries touristiques, le chiffre d’affaires du tourisme devrait atteindre cette année 4,5 milliards de francs. Les actions de promotion engagées depuis deux ans et les efforts réalisés sur les tarifs des transports ont porté leurs fruits.

( UN SECTEUR ENCORE FRAGILISE PAR DES HANDICAPS DE NATURE DIVERSE

 Une dure concurrence

La destination corse reste soumise à la concurrence directe de destinations étrangères performantes. La Corse et le monde méditerranéen se situent en effet au coeur du premier foyer touristique mondial. La Méditerranée nord-occidentale est le premier espace touristique mondial, bien avant les Caraïbes. La Corse se place ainsi dans le registre des destinations étrangères méditerranéennes fortement concurrentielles qui comprennent entre autres les Baléares, la Tunisie et Malte. Ces autres destinations offrent des hôtels à grosse capacité, avec un recours dominant au transport aérien, des produits diversifiés à bon rapport qualité / prix, notamment hors saison. Elles ont une fréquentation et des taux d’occupation très largement supérieurs à ceux de la Corse et beaucoup mieux répartis dans le temps. Il est clair que la Corse a du mal à se positionner par rapport à ces destinations de soleil très professionnalisées.

 Une image dégradée : une " île à problèmes "

Un des handicaps majeurs du tourisme dans l’île résulte de l’image détériorée de la Corse. Plus qu’une image de violence, la Corse souffre d’une image d’" île à problèmes ". Un professionnel en charge du secteur du tourisme en Corse a estimé devant la commission d’enquête : " On pense qu’il est difficile d’aller en Corse, qu’il y a des grèves et des attentats. Lorsqu’elle ne provoque pas l’irritation, cette perception suscite au moins la réserve. "

 Une trop grande concentration dans le temps et dans l’espace de la fréquentation

Balnéaire, le tourisme corse souffre d’une concentration de la fréquentation de visiteurs à la fois dans l’espace (la fréquentation du littoral est très disproportionnée par rapport à celle de l’intérieur de l’île) et dans le temps (avec une saison touristique limitée à la période juin-septembre, voire juillet-août). Cette situation ne favorise pas la rentabilisation des structures touristiques mises à disposition des visiteurs. Celles-ci ne sont parfois même pas complètes au coeur de l’été. En 1996, qui a été une année relativement mauvaise de ce point de vue, les taux d’occupation au mois d’août étaient de 53 % dans les campings, de 62 % dans les hôtels et de 81 % dans les villages de vacances. En revanche, il faut noter que la durée moyenne de séjour des visiteurs est la plus longue des régions françaises métropolitaines : les touristes restent dans l’île en moyenne 14 jours.

Non seulement le tourisme corse reste fortement concentré dans le temps et dans l’espace, mais il n’offre qu’une gamme de produits limitée au regard du potentiel de l’île et de la demande. Un professionnel du tourisme auditionné par la commission d’enquête a déclaré : " On pourrait développer toutes les activités, tous les produits de la mer, de la montagne et du tourisme rural, mais on a le sentiment qu’ils ne sont pas montés et que l’on a perdu la notice ! "

En outre, un déséquilibre en matière de structures de liaison perdure, avec un maritime dominant et une faiblesse des liaisons aériennes, notamment avec l’étranger. Cette situation, qui favorise un tourisme individuel, en voiture particulière, et estival, accentue la saisonnalité du tourisme.

 La vulnérabilité et l’émiettement des opérateurs privés

Les opérateurs touristiques, souvent peu professionnalisés, disposent d’une faible capacité d’autofinancement. L’hôtellerie est majoritairement constituée de petits établissements financièrement fragiles et très sensibles aux aléas conjoncturels. Une saison touristique quelque peu décevante peut ainsi remettre en cause la viabilité d’un nombre important de structures de petites tailles. Le tourisme corse repose pour l’essentiel sur un nombre élevé d’entreprises familiales qui sont de plus en plus affectées par la prudence grandissante de la place bancaire corse. Cette situation défavorable aggrave leur difficulté à mobiliser des capitaux extérieurs. Malgré un noyau relativement solide d’établissements d’hébergement performants et de bon niveau, une grande majorité des opérateurs est constituée par des petites entreprises souvent endettées et à faible capacité financière. Celles-ci doivent s’efforcer aujourd’hui d’améliorer leur chiffre d’affaires tout en apurant leurs échéances bancaires, fiscales et sociales. Environ 10 % d’entre elles se sont engagées dans un processus de cessation ou de transformation d’activité.

Un témoin ayant une longue expérience en ce domaine a expliqué devant la commission d’enquête que nombre d’entreprises hôtelières avaient connu au milieu des années 90 une situation très difficile : " Le danger était de voir cette hôtellerie entrer dans la spirale de type agricole. Même s’il n’y a pas eu de demande de suppression de la dette, il y a eu une demande d’aménagement de la dette, voire de moratoire ou de remboursements différés. On a assisté, au milieu des années 90, à une revendication très forte et à des actions dures qui présentaient des analogies avec le secteur agricole "

Notons que ces sociétés ont bénéficié d’un dispositif de restructuration de la dette hôtelière corse sur fonds CODEVI et de prêts participatifs de restructuration de cette dette.

Enfin, ces entreprises se caractérisent toujours par un important besoin de professionnalisation et de soutien technique en matière de gestion, de création de produits et de commercialisation

 Une offre et une mise en marché insuffisamment structurées

Un professionnel du tourisme en Corse soulignait devant la commission d’enquête : " Chacun a ses filières, mais quiconque veut passer des vacances en Corse a indiscutablement besoin d’un contact et d’une rencontre avec une offre structurée et une bonne mise en marché. "

Par exemple, si certains professionnels ont misé sur des opérations mer-montagne, force est de constater que ces actions pourtant très attractives pour la clientèle sont demeurées peu développées.

 La faiblesse de l’appareil institutionnel du tourisme

L’appareil institutionnel du tourisme en Corse demeure insuffisamment développé au regard de l’importance prise par ce secteur économique dans l’île. L’échelon départemental (le comité départemental du tourisme et des loisirs) existe en Haute-Corse, mais pas en Corse-du-Sud. Le réseau d’expertise et de conseil des Chambres d’industrie et de commerce mériterait d’être renforcé sur le plan technique, grâce à la formation de véritables assistants techniques hôteliers. La faiblesse des moyens d’ingénierie technique de la plupart des communes touristiques s’ajoutant au niveau limité de leur capacité financière et leur fort endettement, font que les projets touristiques ont les plus grandes difficultés à être élaborés, à être menés à terme et à être pérennisés.

Selon le professionnel du tourisme déjà cité, " le maillage institutionnel, la direction des stations et surtout les moyens d’ingénierie technique et financière sont insuffisants, aussi bien dans les communes que chez les opérateurs privés. Nous avons un énorme déficit de conseil et de soutien technique. Plus que de moyens financiers, nous avons besoin de conseil et de soutien. "

La commission d’enquête, qui s’est déplacée sur le littoral et à l’intérieur de l’île, a pu vérifier que le territoire corse connaît un phénomène de découpage communal en lanières. Les bourgs anciens, sièges de la commune, sont souvent situés en montagne et ont une fenêtre sur le littoral. Pour être efficace et rationnel, l’aménagement du territoire supposerait une intercommunalité forte. Les territoires communaux sont marqués par leur verticalité, alors que l’aménagement devrait s’effectuer de manière linéaire, parallèle au littoral.

Enfin, le maillage au niveau des collectivités locales et des offices de tourisme et syndicats d’initiatives (OTSI) paraît encore trop léger. Des directions de station existent dans les quatre plus grandes villes. En mai 1998, deux autres stations étaient en cours de création sur un total de seize souhaitables d’après les estimations de certains professionnels du secteur.

 Le manque d’équipements d’animation et de loisirs

D’une manière générale, le potentiel touristique exceptionnel de l’île ne bénéficie pas encore d’un aménagement et d’une gestion des espaces touristiques à la mesure des enjeux. Ainsi, les équipements d’animation et de loisirs paraissent encore notoirement insuffisants. Il s’agit là d’un des handicaps du tourisme en Corse. Cette carence explique d’ailleurs la tentation d’un tourisme sauvage. Toujours selon le professionnel du tourisme précédemment cité, " le camping sauvage a constitué et constitue encore un peu un problème du tourisme corse. Il est dû au fait qu’il n’existe pas de produit alternatif. "

Pour être plus performant, le secteur touristique doit donc se rénover. Ce point fait l’objet de développements dans la dernière partie du présent


Source : Assemblée nationale. http://www.assemblee-nationale.fr