Fondatrices, les dispositions des arrêtés Miot, signés à Ajaccio les 7 et 10 juin 1801, et du décret impérial du 24 avril 1811 ont orienté toute l’évolution ultérieure de la fiscalité corse et gardent, aujourd’hui encore, une grande valeur affective.

La valeur législative des arrêtés Miot a été, au XIXème siècle, sujette à discussion. Cependant, ils étaient considérés par les gouvernements successifs comme ayant un caractère législatif, avant que celui-ci soit reconnu effectivement par un arrêt de la Cour de cassation de 1875. De plus, deux dispositions législatives (loi du 6 janvier 1966 portant réforme des taxes sur le chiffre d’affaires et loi du 21 décembre 1967 portant loi de finances pour 1968) y faisaient explicitement référence. De même, la valeur législative du décret impérial a été reconnue par un arrêt de la Cour de cassation rendu en 1956.

Les arrêtés Miot ont réduit dans des proportions importantes les droits d’enregistrement acquittés en Corse. Ils ont diminué de moitié les droits de mutation à titre onéreux et ont substitué une méthode forfaitaire, fondée sur le montant de la contribution foncière, aux règles habituelles d’évaluation de l’assiette des droits de succession sur les immeubles, qui reposaient alors sur la valeur locative. Le décret impérial a mis fin, quant à lui, à la perception en Corse des droits indirects, qui étaient constitués à l’époque de diverses taxes prélevées sur le transport ou la consommation des boissons, de l’alcool, du tabac et des viandes.

Cependant, il ne faut pas se méprendre sur les motivations de ces mesures dérogatoires. Elles " sont donc nées de simples aménagements techniques en dehors du souci de privilégier les Corses ; elles sont réalisées dans le seul intérêt du Trésor : en 1801 pour tourner les difficultés d’application des impôts français à une société insulaire traditionnelle46, en 1811 pour réaliser de substantielles économies dignes du procédé de la rationalisation des choix budgétaires "47. Inspirés par le souci de simplifier le calcul des droits de succession, les arrêtés Miot renonçaient à les asseoir sur les valeurs locatives, celles-ci étant difficiles à établir en Corse en l’absence presque générale de baux ruraux. De même, le décret impérial a majoré la contribution personnelle et mobilière d’un montant égal au produit estimé des droits indirects supprimés.

L’évolution ultérieure de la fiscalité nationale a rendu nécessaires des adaptations au régime propre à la Corse, dans des conditions parfois à la limite de la légalité.

C’est ainsi que la disparition, au 1er janvier 1949, de la contribution foncière en tant qu’impôt d’État, a retiré toute base légale à la méthode d’évaluation des successions définie par les arrêtés Miot. Après avoir tenté en 1951 de faire rentrer la Corse dans le droit commun et d’y retenir, comme partout ailleurs depuis 1918, la valeur vénale au jour du décès pour base d’estimation des immeubles, le gouvernement a dû faire marche arrière et tenir compte des vives réactions suscitées par une telle mesure. Par lettre ministérielle en date du 2 juillet 1951, il était décidé de déterminer les valeurs imposables en multipliant le revenu cadastral, retenu pour l’assiette des contributions foncières perçues au profit du département et des communes, par le taux de la taxe proportionnelle, élément de l’impôt sur le revenu48. La lettre ministérielle reconnaissait néanmoins qu’ " il s’agissait là d’une adaptation de l’arrêté Miot ne reposant sur aucune base légale et dont on ne saurait soutenir qu’elle est satisfaisante, puisqu’elle fait intervenir deux éléments de calcul empruntés à des impositions différentes ". Ce mode de calcul a été jugé illégal par la Cour de cassation qui, dans un arrêt Perrino de janvier 1992, a constaté qu’ " aucune disposition législative n’est venue apporter une modification expresse ou une dérogation, fût-elle implicite, au régime spécial ". Depuis lors, les biens immobiliers sont donc exonérés de fait de tout droit de succession.

Les modifications apportées à la fiscalité indirecte par la création puis la généralisation de la TVA ont également eu des répercussions importantes pour la Corse. Dans un premier temps, la loi de finances pour 1963 avait exonéré de TVA certains produits importés en Corse. Puis, la loi de finances pour 1968 a appliqué une réfaction d’assiette de 55 % aux ventes de produits et prestations de services passibles des taux super-réduit et réduit ainsi que sur un certain nombre d’autres produits ou services, une réfaction d’assiette de 25 % aux ventes et locations de voitures automobiles immatriculées en Corse, aux ventes de produits pétroliers et de tabacs manufacturés et exonéré les transports de voyageurs ou de marchandises pour la partie du parcours compris entre le continent et l’île49.

Plus ou moins directement inspirées par l’esprit du décret impérial de 1811, plusieurs dispositions dérogatoires sont également applicables en Corse :

 la taxe intérieure sur les produits pétroliers est réduite de 6,63 francs par hectolitre pour les essences et supercarburants destinés à être utilisés en Corse ou livrés dans les ports corses pour l’avitaillement des bateaux de plaisance ou de sport ;

 le droit de consommation sur les tabacs est fixé à un taux permettant les ventes au détail en Corse à des prix égaux aux deux tiers, ou à 85 % pour les cigares et cigarillos, de ceux qui sont pratiqués en France continentale.

Enfin, en raison de l’exemption des droits indirects accordée par le décret impérial de 1811, il n’est pas perçu en Corse de taxe à l’essieu, de droit de circulation sur les boissons, de taxe sur les spectacles, de droits de licence sur les débits de boisson, de taxe sur les appareils automatiques. En effet, selon l’interprétation, pour le moins discutable mais qui résulte de l’arrêt précité de la Cour de cassation de 1956, et qui a prévalu jusqu’à maintenant, seuls sont applicables en Corse les droits indirects pour lesquels des dispositions législatives dérogent explicitement au décret impérial.

Mais, il ne s’agit pas du seul exemple d’interprétation extensive de la législation dérogatoire. L’un des mythes largement ancrés dans la croyance insulaire est que les arrêtés Miot ont dispensé les Corses du dépôt des déclarations de succession et, donc, du paiement des droits. Or, tel est loin d’être le cas.

Le dépôt des déclarations n’est pas laissé à la libre appréciation des héritiers comme le soutiennent ceux qui estiment que l’arrêté ne fixe aucun délai. Pour les successions ouvertes à la date de l’arrêté, un délai de 90 jours était prévu, pour les autres le seul délai admis étant celui qu’il faut à l’administration pour avoir connaissance du décès. Ce qui a servi de base à l’interprétation ultérieure est le fait que l’arrêté entérine la dispense de pénalités en cas de non dépôt dans le délai de six mois. Comme l’expliquait un responsable syndical dans un document annexé au rapport Prada de 1989, " les interprétations de l’arrêté Miot ayant jeté, depuis plusieurs décennies, une confusion générale dans les esprits, l’administration s’est trouvée, pendant plusieurs années, relativement désarmée : tantôt elle exigeait le dépôt des déclarations, tantôt elle ne le faisait pas ".

D’après les informations recueillies par la commission d’enquête, la pratique suivie par l’administration fiscale consiste à ne relancer les héritiers qui ne déposent pas spontanément leur déclaration que lorsque les recoupements qu’elle opère font apparaître un réel enjeu financier. En moyenne, il apparaît que si relance il y a, celle-ci n’intervient qu’après une période de 12 à 18 mois suivant le décès. L’administration fiscale recoupe les informations en provenance de plusieurs sources : fiches-décès transmises par les mairies dans des délais variables, recoupements bancaires, attestations immobilières provenant des notaires (notamment celles établies au moment des partages ou des sorties de l’indivision) ou informations relatives aux contrats d’assurance-vie. En tout état de cause, le nombre de déclarations effectivement souscrites est sans commune mesure avec le nombre de celles qui sont déclarées ouvertes : 168 sur 935 en Corse-du-Sud et 182 sur 1.384 en Haute-Corse en 1997.


Source : Assemblée nationale. http://www.assemblee-nationale.fr