Ces surcoûts avaient déjà été analysés pour certains d’entre eux dans le rapport du sénateur Oudin.

( LE TRANSPORT MARITIME SUPPORTE LES PRINCIPAUX D’ENTRE EUX

Ces surcoûts en matière de transport maritime sont imputés à l’État, à la SNCM, qui assure la majeure partie du trafic maritime entre la Corse et le continent, et les ports de Marseille et de Nice.

( La préférence donnée aux chantiers navals français

L’État est d’abord contesté, au travers notamment de la préférence donnée aux chantiers navals français. Devant la commission d’enquête, il a été indiqué que le surcoût supporté par la SNCM du fait de l’obligation de commander à des chantiers français a été ainsi évalué à environ 600 millions de francs (valeur 1997) pour tous les navires acquis depuis 1989, dont 150 pour le seul Napoléon Bonaparte.

( Le manque de productivité de la SNCM

La SNCM est également critiquée pour ses sureffectifs et son manque général de productivité. Le surcoût le plus important provient des charges salariales du personnel navigant, auxquelles s’ajoutent les conséquences d’accords collectifs ou de pratiques limitant le nombre d’heures ou de jours de travail. Par ailleurs, d’après les informations recueillies par la commission, si les effectifs embarqués sur les navires à grande vitesse et, dans une moindre mesure, sur les cargos rouliers sont conformes aux normes de la profession, il n’en va pas de même pour les paquebots transporteurs.

Pourtant, la situation n’est pas aussi catastrophique que d’aucuns la décrivent.

Si la direction actuelle de la SNCM est parfaitement consciente que ses efforts de productivité doivent être poursuivis dans l’avenir79, ceux-ci n’en ont pas moins été réels. La simple approche globale le montre : entre 1990 et 1997, la subvention reçue n’a augmenté que de 3,3% en francs courants, ce qui représente une baisse de 9,8% en francs constants (alors qu’entre temps, la dotation totale de l’État progressait de 21,4% en francs courants, soit encore +6,5% en francs constants)80. Au cours de la même période, les effectifs de la compagnie ont été réduits, de 228 (soit -22,4%) pour le personnel sédentaire et de 257 (soit -15,2%) pour le personnel navigant. Dès lors, la masse salariale a reculé de 14 millions de francs courants (soit -2%) ou de 114 millions de francs constants (soit - 14,3%).

Il est clair également que la détérioration des comptes de la SNCM observée au cours des dernières années81 s’explique essentiellement par la contraction simultanée de ses deux principaux courants de trafic, la Corse82 et l’Algérie83. Ces pertes brutales de trafic ont entraîné un manque à gagner estimé à 300 millions de francs en terme de chiffre d’affaires pour les deux années 1995 et 1996.

( Les surcoûts portuaires

Les ports de Marseille (pour le coût des dockers et , plus généralement, des autres services portuaires) et de Nice (pour les taxes perçues depuis son effondrement en 1978) figurent parmi les accusés.

Un responsable de la SNCM entendu par la commission d’enquête reconnaissait que, dans certains domaines, " le port de Marseille est d’un prix de revient et d’un coût supérieurs aux ports corses ". A propos de la manutention, il indiquait que " les tarifs de manutention sont insupportables. Au port de Marseille, pour ce qui nous concerne, ils sont 40 à 50 % plus élevés que ceux en vigueur en Corse. Vis-à-vis des Corses, c’est extrêmement choquant. A Marseille, les tarifs d’un autre opérateur de frêt , la CMN, sont inférieurs aux nôtres de 20 %. Il est impossible de maintenir ces conditions. L’un des efforts à accomplir doit l’être dans le cadre de la manutention. Cela ne sera pas aisé, car on s’attaque au difficile problème des dockers. " Il poursuivait en estimant qu’il devenait urgent de réagir : " on ne peut pas rester à ce niveau. En clair, nous avons des bateaux qui arrivent entre 6 et 8 heures du matin ; il faut commander un travail de huit heures, alors qu’il suffit de trois heures pour décharger un bateau. En Corse, ils ont été plus malins que les Marseillais, puisqu’ils commandent des demi-shifts de quatre heures mais, à Marseille, les dockers l’ont systématiquement refusé. Les manutentionnaires ont-ils poussé les feux et fait pression sur les dockers ? Je me garderai bien de répondre. " S’agissant des autres coûts, il relevait que : " Nous ne faisons pratiquement pas appel au remorquage, cela n’est donc pas significatif. Par contre, nous avons un problème avec le lamanage sur le port de Marseille, auquel nous avons aussi l’intention de nous attaquer.(...) En ce qui concerne les coûts du port autonome, (...) plus de 300 millions de francs ont été consacrés à l’amélioration des quais et de l’accueil, sans aucune augmentation tarifaire. Depuis quatre ans, les tarifs du port autonome pour cette destination sont gelés. Ils doivent être légèrement supérieurs à ceux des autres ports, mais l’écart se réduit progressivement ".

( LA MULTIPLICATION DES INFRASTRUCTURES FAIT OBSTACLE AUX ECONOMIES D’ECHELLE

Les conséquences de la multiplicité des infrastructures couvertes par la continuité territoriale, à savoir sept ports et quatre aéroports, commencent à faire l’objet d’un débat en Corse même.

Devant la mission d’information sur la Corse, cette multiplicité a été vivement critiquée, notamment par certains milieux économiques de l’île, qu’il s’agisse par exemple du Rialzu Economicu84 ou de l’union patronale interprofessionnelle de la Haute-Corse85. Le président de l’office des transports posait lui-même, implicitement et avec d’infinies précautions, la question.

Le rapport du Sénateur Oudin chiffrait à 60 millions de francs l’économie procurée par une éventuelle suppression de la desserte fret des ports départementaux de Porto Vecchio, de Propriano, de Calvi et de l’Ile-Rousse. Cette estimation mériterait sans doute une actualisation.

En effet, la CMN s’est livrée, à la demande de l’office des transports, à une étude de faisabilité de la desserte des ports de Propriano et de la Balagne par un seul navire mixte rapide à la place des deux cargos rouliers mis en ligne actuellement : elle a permis de chiffrer à environ 62 millions de francs par an le surcoût pour la continuité territoriale de la desserte actuelle de ces ports. De même, l’audit d’Arthur Andersen indiquait, pour la SNCM, que " la desserte hors saison des ports corses dits "secondaires" a représenté en 1995 37% de la perte totale annuelle avant subvention liée au réseau Corse, alors que moins de 7% du total des passagers empruntent ces lignes ".

Les difficultés des liaisons intérieures, notamment routières, constituent le principal argument régulièrement avancé pour justifier la structure de la desserte actuelle. Il n’est pas totalement dénué de fondement mais le retard mis dans l’adaptation du réseau routier, alors que des moyens financiers non négligeables ont été mis à disposition dans le cadre du contrat de plan, incite à une certaine circonspection. D’autant plus qu’il a été dit devant la commission d’enquête que, quand un bateau desservait un grand port avant un port départemental, il n’était pas rare de voir les camions descendre dans le premier avant d’emprunter la route pour rejoindre leur destination finale.

Une autre argument, juridique celui-ci, est parfois avancé. Il revient à rejeter la responsabilité de cette situation sur l’État. Cet argument a été employé notamment par le président de l’office des transports devant la mission d’information sur la Corse : la desserte des ports départementaux étant prévue dans les concessions conclues par l’État en 1976, sa suppression ou son réaménagement seraient impossibles au risque de voir la compagnie concessionnaire demander un dédommagement. Il est assez plaisant de sous-entendre que l’État serait à l’origine de la multiplication des ports départementaux86.

( LA SUBVENTION AU TRANSPORT DU CIMENT A ETE VERSEE EN PURE PERTE

La convention relative à la desserte de la Corse en ciment a été dénoncée par l’Assemblée de Corse le 30 juin 1998. Pourtant, rien n’a changé à partir de cette date, preuve, s’il en était besoin, que la subvention versée au concessionnaire l’a été en pure perte. De 1993 à juin 1998, la subvention a atteint 78,5 millions de francs.

Le Conseil exécutif a jugé, en effet, cette concession totalement contraire au droit communautaire et avait, l’année dernière, proposé sa dénonciation accompagnée d’une banalisation du transport du ciment, c’est-à-dire par transport en camion embarqué sur les cargos rouliers de la SNCM ou de la CMN et non plus en vrac.

L’intervention de M. François Piazza-Alessandrini, président de l’office des transports, devant l’Assemblée de Corse le 8 décembre 199787, éclaire remarquablement les bizarreries du dossier du ciment, qui ne tiennent pas visiblement toutes à son acheminement sur l’île :

" Depuis que cette proposition a été faite, que s’est-il passé ? Les uns et les autres ont réagi. J’ai ici une lettre du syndicat corse des négociants et distributeurs de matériaux (zone industrielle du Vazzio) etc., qui dit quoi en substance ? On peut, on n’a qu’à dénoncer puisqu’il faut dénoncer la concession, mais il n’est pas nécessaire de prendre des mesures particulières parce qu’il résulte des contacts que nous avons pris les uns et les autres qu’on peut assurer le transport dans les mêmes conditions ou dans des conditions voisines sans subvention...

D’autres m’écrivent : Ajaccio Béton. Il y a même une lettre qui vient d’Italie, de la société d’exploitation de carrières et d’agrégats. Ce ne sont pas des importateurs de ciment, ce sont des utilisateurs qui traitent une quantité non négligeable de ciment. Ceux-là sont plus intéressés par la proposition que nous faisions de banaliser le transport et de le faire bénéficier d’un tarif adapté, sans doute parce qu’ils y voyaient le moyen de se soustraire au monopole d’importation d’une dizaine de sociétés, d’entreprises du syndicat corse des négociants et des distributeurs de matériaux.

J’en déduis que l’intérêt des uns et des autres n’est pas forcément le même. Celui des importateurs n’est pas forcément le même que celui des utilisateurs. Mais il n’est pas urgent de prendre des dispositions particulières puisqu’on est toujours à temps si on le veut, à partir du 1er janvier 1999, pour prendre des dispositions telles que celles que nous proposons aujourd’hui.

Je ne peux pas m’empêcher tout de même de faire une observation au passage : en 1989, lorsque l’office avait fait une étude sur le transport du ciment, il avait identifié un certain nombre de surcoûts qui lui paraissaient anormaux et qui l’avaient conduit, tout en maintenant la subvention qui était à l’époque de 11 ou 12 millions de francs, à abaisser le prix du transport du ciment de 19 % très exactement au 1er janvier 1990.

Or, personne en Corse ne s’en est aperçu puisque le jour même où on avait abaissé le prix du transport du ciment de 19 %, les cimentiers avaient augmenté le prix du ciment à concurrence de ce dont nous avions abaissé le prix du transport. Ce qui prouve bien que naturellement dans ce domaine, on fait un peu à la tête du client.

C’est pour cela d’ailleurs que le système n’est pas légal, il n’est pas normal puisqu’il s’analyse, en fait, comme un système aboutissant à une distorsion de concurrence en faveur des cimentiers Vicat et Lafarge qui ont des cimenteries dans la région niçoise.

Aujourd’hui, la lettre qui nous est adressée par le syndicat corse des négociants et des distributeurs de matériaux est l’aveu clair et net de cette affaire, à savoir que la filière du ciment (je ne sais pas qui) nous propose de faire à partir du 1er janvier 1999 la même chose que ce qui est fait aujourd’hui, mais sans subvention, sans avoir besoin de subvention. C’est l’aveu implicite qu’on consacrait à subventionner l’importation et l’approvisionnement de la Corse en ciment 15 millions de francs dont les uns et les autres bénéficiaient alors que cela n’était pas nécessaire et que les uns et les autre sont prêts à ajuster leur prix à due concurrence de 15 millions de francs de moins pour le transport."

En effet, le syndicat des négociants et distributeurs de matériaux de construction, créé pour l’occasion, a négocié avec le transporteur et les cimentiers un accord assurant la poursuite du transport en vrac sur un seul des deux bateaux précédemment mis en ligne. Parce qu’il entraînait le licenciement de 13 marins, le retrait de ce second navire a déclenché en juin dernier un mouvement social. Sous l’égide de l’Assemblée de Corse88, un accord a été conclu sur le sort de ces marins : 8 ont été reclassés (4 à la SNCM, 3 à la CMN et le dernier à Corsica Marittima, compagnie qui assure le transport maritime du pétrole), les 5 autres ont perçu des indemnités comprises, selon leur ancienneté , entre 200.000 et 400.000 francs.

( LA DESSERTE AERIENNE SUSCITE EGALEMENT QUELQUES INTERROGATIONS

Il est possible de s’interroger sur la pertinence du choix de certains concessionnaires et sur l’existence de sureffectifs au sein de la compagnie Corse Méditerranée.

( Le cas de la compagnie Kyrnair

La compagnie Kyrnair est concessionnaire des liaisons entre la Corse et Toulon. Dans un rapport conjoint des commissions des finances, du plan et de l’environnement de l’Assemblée de Corse d’octobre 1997 relatif à la définition des obligations de service public en matière aérienne, on peut lire en effet : " L’office propose le maintien des lignes reliant Marseille, Nice et Paris-Orly aux quatre aérodromes insulaires. La question est posée pour les lignes de Toulon exploitées par Kyrnair ; y a-t-il un intérêt à maintenir ces lignes dans le service public ? Elles n’y ont été incluses au départ qu’en considération de la compagnie qui les exploite et de ses personnels ; en outre leur coût s’avère élevé, la subvention par passager transporté étant nettement plus importante que pour les lignes Marseille-Corse. Par ailleurs, le subventionnement de ces lignes risque toujours selon l’office de dégrader l’équilibre économique des lignes de Marseille en réduisant leurs recettes dans un contexte difficile ".

( Le cas de la compagnie Corse Méditerranée

La CCM est titulaire d’une concession sur les six lignes reliant Ajaccio, Bastia et Calvi à Marseille et Nice. Créée en 1989 à l’initiative de la Collectivité territoriale de Corse, qui détient aujourd’hui plus de 60% de son capital et désigne 7 des 11 membres de son conseil d’administration, cette société d’économie mixte réalise un chiffre d’affaires proche de 500 millions de francs en 1997 et présente un résultat excédentaire (4,5 millions de francs en 1997).

Mais le niveau de ses effectifs laisse perplexe : 420 personnes pour une flotte de seulement 8 appareils en 1997. La comparaison, portant sur l’année 1996, avec d’autres compagnies régionales françaises de taille significative montre qu’il s’agit là d’un effectif particulièrement important89 :

 la CCM employait 398 personnes en 1996 (dont 138 navigants) pour une flotte de 8 avions (tous de plus de 20 sièges) et exploitait 11 lignes ;

 Brit’Air employait 500 personnes en 1996 (dont 260 navigants) pour une flotte de 21 avions (tous de plus de 20 sièges) et exploitait 20 lignes ;

 Régional Airlines employait 426 personnes en 1996 (dont 181 navigants) pour une flotte de 28 avions (dont 21 de plus de 20 sièges) et exploitait 48 lignes ;

 Air Littoral employait 1.038 personnes en 1996 (dont 440 navigants) pour une flotte de 38 avions (dont 32 de plus de 20 sièges) et exploitait 31 lignes.


Source : Assemblée nationale. http://www.assemblee-nationale.fr