Institution financière spécialisée créée en 1982, bénéficiant du statut de société de développement régional (SDR), la CADEC a été établie dans le cadre des lois de décentralisation et du premier statut particulier de la Corse. La Corse n’a donc pas été dotée de société de développement régional112, mais de cet outil spécifique, pour contribuer au financement de son économie. L’État, qui est actionnaire, en a initié la création. La Collectivité territoriale de Corse est entrée dans le capital113. Aujourd’hui, force est de constater que les relations entre ces deux actionnaires sont devenues conflictuelles alors que les négociations en vue d’une prochaine recapitalisation de la caisse semblent bloquées et se heurtent au refus de la Collectivité territoriale de Corse.

La caisse était censée apporter et créer de la valeur ajoutée en Corse. C’est au sein du " comité d’engagement "114 que devaient se prendre les décisions d’attribution de prêts jusqu’en 1994-1995, période à partir de laquelle la caisse a dû interrompre ses activités prêteuses.

La CADEC est, aux termes de l’article 2 de ses statuts, un organisme privilégié pour le développement de la Corse ayant pour objet :

" - l’étude de tout projet de création, d’extension et de transformation d’entreprises en Corse (...)

 le financement des entreprises en Corse sous forme de prises de participation au capital, de souscriptions d’obligations convertibles en actions, de prêts participatifs, de prêts à long terme, de cautions et d’avals dans le cadre des crédits avalisés par le Crédit d’équipement des petites et moyennes entreprises ;

 le financement des associations sous forme de prêts à long terme ;

 la réalisation de toutes opérations d’achat, de vente, d’échange, de souscriptions de valeurs moblières, résultant de ces interventions. (...) Pour la réalisation de son objet social, la société peut effectuer toutes opérations immobilières et créer des filiales. Elle peut également détenir des participations dans des sociétés dont l’activité est de nature à faciliter la réalisation de l’objet social.(...) "

Notons que la caisse et sa filiale Corsabail, dont 35 % du capital est détenu par la CADEC, sont considérées comme formant un groupe.

( LA DETERIORATION DES COMPTES

Progressivement, la situation financière de la caisse a connu une dégradation qui atteint un niveau si préoccupant115 qu’une recapitalisation dut être décidée en 1995. Il est vrai que la tâche de la caisse n’est pas aisée. Elle doit sans cesse concilier une mission d’intérêt public et une contrainte d’équilibre financier. Elle a la charge de soutenir des initiatives s’inscrivant dans l’aide au développement économique de la Corse tout en s’assurant d’une marge et / ou de garanties suffisantes pour couvrir le risque auquel elle s’expose. La rentabilité de l’établissement dépend largement de variables qui lui échappent : la marge qu’elle réalise sur ses prêts et l’évolution du taux d’impayés sur ses créances.

Cependant, cette aggravation des comptes, qui s’est accélérée depuis 1993, dépasse ce type d’explications. La caisse se trouve aujourd’hui dans l’incapacité de recouvrer des créances pour un montant supérieur à un milliard de francs. D’après les informations fournies à la commission par les responsables de la caisse :

 au 31 décembre 1997, les encours totaux représentaient 919.474.000 francs.

 sur les 920 millions de francs de créances, 221 millions de francs correspondaient à des créances contentieuses, 401 à des créances douteuses, et 296 étaient des encours sains.

L’établissement, qui présente des bilans négatifs depuis cinq ans, fait l’objet de polémiques dans l’île. Au cours de la dernière campagne électorale, M. Max Simeoni, tête de liste pour l’Union pour le peuple corse (UPC), a ainsi dénoncé le scandale de la CADEC qu’il présentait comme le " Crédit lyonnais de la Corse ". Dans un rapport d’enquête de l’Inspection générale des finances de juin 1995 sur la situation financière de la CADEC, on estimait déjà qu’en trois exercices, la part des créances douteuses de la caisse dans le total de son encours de crédit avait été multipliée par 1,84, passant de 17,8 % en 1992 à 30,1 % en 1994.

( 1994 : UNE ANNEE CHARNIERE

C’est le 1er juillet 1994 que le président actuel, M. Noël Pantalacci, fut nommé en remplacement de M. Squercioni, lequel fut à la tête de l’organisme de sa création en 1982 à cette date. L’entrée en fonction de M. Pantalacci coïncida avec un certain nombre d’audits. La commission bancaire avait déjà déclenché une mission d’inspection. Une mission de l’Inspection générale des finances suivit.

Les fonds propres étant devenus négatifs en 1994, le nouveau président décida d’interrompre immédiatement les activités prêteuses de la caisse. La CADEC tenta alors de s’engager dans une action forte de recouvrement des créances. Les dirigeants de la caisse disent aujourd’hui avoir voulu " sauver l’outil ", avec l’accord des ministres des finances.

En 1994, l’encours total se montait à environ 1,1 milliard. La caisse représente aujourd’hui environ le quart des encours de crédit à moyen terme de l’île (il y a environ 4 milliards de francs de crédits à moyen et long terme. En parts de marché, le Crédit agricole représente presque 50 %. Le reste, soit 25 %, est porté par l’ensemble des autres banques). L’examen de l’évolution du total bilan de la caisse avant 1994 montre une forte progression du montant des encours, due notamment au fait que les dossiers hôteliers se sont accumulés à cette époque. A partir des années 1989-1990, après le départ du Crédit hôtelier de l’île, la CADEC a, en effet, financé au moins trente à trente-cinq hôtels. Actuellement, avec 300 millions, le volume tourisme représente environ un tiers de l’encours total de la caisse.

Même après une augmentation de capital de 32 millions de francs intervenue en 1994, portant celui-ci à 91 millions, la caisse n’est pas parvenue à redresser la situation. La situation s’est dégradée entre-temps pour deux raisons principales selon les responsables de la CADEC : d’une part, la caisse n’a plus développé aucune activité prêteuse - elle était " au point mort " - et d’autre part, l’activité économique n’a pas redémarré dans l’île. Dans la mesure où la situation économique de la Corse ne s’est pas améliorée et compte tenu des délais de mise en place de la recapitalisation, décidée dans son principe en 1995, votée en 1996 et mise en place en 1997, des pertes se sont cumulées au fil du temps. La caisse pourrait d’ailleurs se trouver prochainement en situation de cessation de paiement.

( AUX ORIGINES DU DESASTRE FINANCIER

L’effondrement financier de la CADEC était, selon certains observateurs, prévisible et d’ailleurs annoncé. Aux cours de ses premières années d’existence, la CADEC prit en effet des initiatives nombreuses qui se révélèrent catastrophiques dans un certain nombre de secteurs.

On peut s’interroger aujourd’hui sur les motivations qui conduisirent la CADEC à accorder des prêts sans rigueur ni contrôle réel à différents secteurs de l’économie dans les années 80 et au début des années 90, et notamment pourquoi 300 millions de prêts ont été consentis aux entreprises hôtelières et dans le domaine du tourisme. La disparition du Crédit hôtelier, devenu Crédit d’équipement des petites et moyennes entreprises, conduisit la CADEC à s’engager fortement en substitution dans le domaine de l’hôtellerie. Les difficultés de ce secteur étaient connues. De plus, la dépréciation de la lire italienne contribua à la baisse de fréquentation touristique enregistrée en 1993, 1994 en 1995.

Une idée répandue dans les années 80 consistait à préconiser l’industrialisation de la Corse en en valorisant les ressources naturelles. La CADEC prit ainsi des initiatives dans l’industrie, notamment dans l’industrie de la pierre - le granit est le plus gros sinistre de la caisse - et dans l’aquaculture.

M. Noël Pantalacci, auditionné le 26 mars 1997 par la mission d’information sur la Corse, est revenu sur ces deux points : " S’agissant de l’industrie de la pierre, j’ai pu constater que la situation d’impayés, persistante depuis plusieurs années, et les conditions dans lesquelles se faisait l’exploitation des carrières, conduisaient nécessairement au dépôt de bilan des entreprises. J’ai donc provisionné la totalité de mes concours à l’industrie de la pierre, ce qui s’est traduit par une perte de 60 millions de francs. (...)

En ce qui concerne l’aquaculture, je viens simplement d’obtenir les éléments et je puis vous dire que l’aquaculture corse est en cessation de paiement. (...) Je suis obligé de tenir compte de cette situation dans les comptes de 1996 et je vais donc devoir provisionner pratiquement 90 % de mes concours dans le secteur aquacole. (...)

En 1993, nous avons tenté un plan de redressement pour la pierre qui a coûté 20 millions de francs et qui a essentiellement servi à payer les dettes fiscales et sociales sans entraîner la reprise d’une activité rentable. En revanche, en ce qui concerne l’aquaculture, nous n’avions pas les éléments dont nous disposons actuellement. Nous ne savions pas encore si le coût de production était inférieur ou supérieur au prix de la vente. Nous savons maintenant que le coût de production de l’aquaculture corse est très supérieur au prix de vente sur le marché international. "

Tels sont les principaux facteurs à l’origine de la crise financière sans précédent de la CADEC.

( LA DIFFICILE ACTIVITE DE RECOUVREMENT DES CREANCES DANS LE CONTEXTE INSULAIRE

Selon les renseignements fournis à la commission d’enquête, les actions de recouvrement s’effectueraient depuis peu avec une vigueur et une détermination qui n’étaient pas présentes auparavant. Lors du premier trimestre 1998, la caisse aurait ainsi recouvré 20 millions de francs (contre 12,8 millions de francs pour l’année 1997).

 Quelques dossiers marquants de créances impayées

Au cours de ses travaux, la commission a demandé des informations concernant quelques affaires illustrant l’échec de la politique de prêts aux entreprises hôtelières. Quatre dossiers apparaissent aujourd’hui parmi les plus lourds financièrement pour la caisse (Castell Verde, Castell Mare, Santa Giula, et Moby Dick).

Nota Bene : à propos du groupe Castell Verde

Les dossiers de plus de 10 à 15 millions de francs sont une cinquantaine ; les autres sont des dossiers de commerce. Les plus importants concernent les hôtels, dont celui de Castell Verde, un groupe composé de quatre entrepreneurs corses. Il s’agit de l’un des plus gros dossiers de la CADEC, qui a financé dans les années 1989-90 en crédit-bail, plusieurs sociétés pour un montant total de 60 millions de francs initialement. Ce complexe hôtelier est situé au sud de Porto-Vecchio sur la baie de Santa Giulia. Il doit être signalé car la CADEC se trouve en première ligne : elle joue à la fois le rôle de crédit-bailleur, de prêteur et d’associé. Les propriétaires s’étant rapidement mis en impayés, les créances se sont accumulées. Ils ont récemment proposé de payer une partie seulement de leurs dettes. Au moment de la rédaction de ce rapport, l’acceptation du plan restait apparemment subordonné à l’accord du ministère des finances.

 De la difficulté d’obtenir le paiement de certaines créances

Il a été dit devant la commission d’enquête que certains dossiers nécessitant le concours de la force publique étaient restés en suspens, car ni la gendarmerie ni la police n’avaient consenti à faire expulser certains débiteurs.

Un responsable de la CADEC a expliqué : " La force publique nous a été refusée à deux reprises. (...)

J’évoquerai un dossier, pour montrer dans quel état de décomposition se trouvait le système administratif et la société corse dans son ensemble. Nous avions octroyé un crédit-bail à un carrier. Comme je vous l’ai dit, la pierre nous a coûté très cher. (...) Ce carrier ne paie pas. S’agissant d’un crédit-bail, le bâtiment nous appartient. Nous procédons à la résolution du crédit-bail. Comme il reste dans les lieux, nous le rencontrons pour lui demander de partir. Il lanterne, fait venir des amis, etc. Un beau matin, on s’aperçoit que les locataires ont changé. Ils ont été remplacés par les membres d’une association de maraîchers. Le précédent locataire leur avait dit qu’il était chez lui et qu’ils pouvaient s’installer. Nous nous retrouvons avec des gens avec lesquels nous n’avons aucun lien juridique. Nous leur demandons de partir. Ils refusent. Je vais trouver le préfet de Haute-Corse pour lui demander de procéder à leur expulsion. Il me répond : " Ces sont des maraîchers, des agriculteurs qui travaillent ". Je lui fais observer qu’ils ne paient pas de loyer, qu’ils occupent les lieux sans titre et je lui demande de leur proposer au moins de reprendre le crédit-bail. Cela traîne. Je fais un procès pour demander à l’État de payer les loyers qui nous sont dus. Savez-vous comment cela s’est terminé ? Cette association de maraîchers a reçu des subventions de la direction départementale de l’agriculture et de l’ODARC grâce auxquelles elle a racheté le bâtiment. " (...)

" Parfois, avec un bail classique, vous allez à la barre du tribunal pour faire racheter le bien - procédure fort longue, comportant toujours des délais importants - mais l’occupant reste dans les lieux, parce qu’il n’y a pas d’acquéreur. Personne n’achète. Il n’y a pas de marché. Vous vous retrouvez avec quelqu’un qui, de client, est devenu " squatter ". Vous le laissez, non seulement parce que vous ne pouvez pas l’expulser, mais aussi parce que, dans cet établissement exploité sans droits ni titre, il répare les tuyaux, le toit... On essaie ensuite de régulariser comme on peut, parce que le marché n’existe pas. "

 Les menaces et les pressions à l’encontre des responsables de la caisse

Deux témoins se sont exprimés dans les termes suivants devant la commission d’enquête :

L’un : " Je parcours la Corse depuis plus de trente ans. Je suis d’origine paysanne. En Corse, nous avons un certain code de valeurs qui sont ce qu’elles sont. Je n’en ferai pas état ici.

On vous appelle, en présence de votre collègue du Crédit local de Corse, haut-parleur branché : " - Vous allez vendre ma maison ? - Oui, je vais vendre votre maison. - Si vous vendez ma maison, vous n’aurez plus l’occasion d’en vendre une autre. " C’est courant. Cela ne m’émeut plus. Très honnêtement, cela ne me fait pas peur.

Quelqu’un est venu me voir, récemment, et m’a dit : " Je suis la nièce de telle personne ". La personne en question est un mafieux notoire. Ce type de menaces est permanent.

On n’est jamais venu me secouer dans mon bureau une seule fois, mais ce type de menaces est assez désagréable et peut empêcher des personnes d’agir. Je vous dis très solennellement que cela ne m’empêche pas d’agir. "

Un autre : " Cela n’empêche pas d’agir, mais il a des enfants, j’ai des enfants. "

Le premier : " J’ai doublé mon capital d’assurance-vie ! "

L’autre : " Nous ne sommes pas menacés de mort en permanence, mais nous ignorons ce qui peut nous arriver. On se dit toujours : " Si je saisis sa maison, je ne sais pas à qui j’ai affaire ". Et un soir en rentrant chez vous, vous pouvez recevoir un coup de fusil. "

*

Un témoin : " Quand il y avait les dossiers de Porto-Vecchio, Jean-Paul de Rocca-Serra était là ; quand il y avait les dossiers de Bastia, Paul Natali était là. Quel homme politique appelé par un de ses électeurs et chef d’entreprise n’a pas demandé à un membre du conseil d’administration de la CADEC de dire la bonne parole ? C’est le système de décision, tel qu’il a été conçu. C’était comme ça... "

Un autre : " La CADEC a huit cents clients. Nous avons sûrement prêté à des nationalistes, sûrement à des gaullistes, sûrement à des centristes. Nous avons prêté à tout le monde. Si vous regardez les noms des dirigeants de ces entreprises, vous y trouverez des gens dont on sait en Corse qu’ils sont ceci ou cela. (...) On trouve des nationalistes dans des dossiers. Que la caisse ait servi d’instrument de refinancement de groupes mafieux ou nationalistes, personnellement, je n’y crois pas. "

( LE CAS TROUBLANT DE L’HOTEL " LE MIRAMAR "

L’hôtel " Le Miramar " est situé à l’entrée de la commune de Propriano. Il était géré par la société Le Miramar, inscrite au registre du commerce en 1965. En novembre 1989, la société est rachetée par Mme Arlette Albertini, épouse de M. Jean-Jérôme Colonna116. Un témoin entendu par le rapporteur a d’ailleurs émis des doutes sur le caractère spontané de la vente par les anciens propriétaires117

Cet achat a été réalisé grâce à deux prêts accordés par la CADEC, le premier à la société Le Miramar d’un montant de 2,5 millions de francs en novembre 1989 et le second à une SARL, l’Union proprianaise de participation et d’investissements (UPPI)118, d’un même montant.

Le soutien de la CADEC s’est poursuivi au cours des années suivantes puisqu’elle a accordé à la société Le Miramar119 deux autres prêts, l’un de 1,8 million de francs en janvier 1991 et l’autre de 1,2 million de francs en avril 1991.

La société Le Miramar ne s’est pas montrée empressée à respecter ses obligations :

 pour le premier prêt, le premier impayé a été constaté en mai 1991 ; ce prêt est échu après sommation en date du 5 décembre 1991 et déchéance du terme acquise le 14 décembre ; à cette date, les arriérés s’élevaient à 304.518,27 francs, le capital restant dû à 2.366.901,14 francs, les intérêts de retard pour la période du 14 décembre 1991 au 25 octobre 1995 à 1.509.851,11 francs, soit une dette globale de 4.181.270,52 francs ;

 

 pour le second prêt, les impayés sont constatés dès la première échéance en avril 1991 ; ce prêt est également échu après sommation en date du 5 décembre 1991 et déchéance du terme acquise le 14 décembre 1991 ; à cette date, les arriérés s’élevaient à 173.490, 05 francs, le capital restant dû à 1,8 million de francs et les intérêts de retard pour la période du 14 décembre 1991 au 25 octobre 1995 à 1.222.272,68 francs, soit une dette totale de 3.195.762,73 francs à cette même date ;

 

 pour le dernier prêt, le premier impayé a été également constaté à la première échéance en juillet 1991 ; ainsi au 25 octobre 1995, la dette globale s’élevait, intérêts de retard compris, à 2.046.661,27 francs.

 

Ainsi donc, la dette globale de la société Le Miramar vis-à-vis de la CADEC s’élevait-elle à 9.423.694,52 francs au 25 octobre 1995.

Il en va de même pour l’UPPI. Le premier impayé est intervenu en novembre 1991. Ce prêt est échu après sommation et déchéance du terme acquise le 13 décembre Au moment de celle-ci, la dette à l’égard de la CADEC s’élevait à 2.669.175,89 francs.

Au total donc, la CADEC possède une créance relative à l’hôtel d’un montant total de 12.092.870,41 francs. Il n’apparaît pas qu’elle se soit engagée dans une action très vigoureuse pour la recouvrer.

Au cours de toute cette période, la gérance de l’établissement a connu des variations. D’après le registre du commerce, l’hôtel a été donné en location-gérance à la Société d’exploitation du grand hôtel Miramar entre le 1er novembre 1990 et le 31 octobre 1992 120. Le fonds semble alors exploité par la société le Miramar elle-même jusqu’en mai 1993, date à laquelle la location-gérance est donnée à la SARL Gestion hôtelière du grand hôtel de Cala Rossa 121 jusqu’à la fin du mois de mars 1994. L’activité de débit de boissons et de restaurant a ensuite été donnée en location gérance à Mme Gisèle Santoni, épouse Lovichi, entre le 2 mai 1994 et le 1er janvier 1995, la gestion de l’hôtel restant visiblement sous la responsabilité de la société Le Miramar.

D’après les informations fournies par la CADEC elle-même, " devant l’impossibilité, locale (sic), de recouvrement, malgré les engagements pris et non respectés relatifs à une location gérance de l’hôtel, afin de la maintenir à un niveau d’entretien correct, pour un loyer de 700.000 francs l’an, il n’y avait d’autre solution que d’engager la vente judiciaire de cet établissement. "

Le cahier des charges de cette vente sur saisie immobilière a été déposé au greffe du tribunal de grande instance d’Ajaccio le 21 décembre 1995 et la vente a eu lieu le 7 mars 1996 à la bougie, l’établissement étant mis à prix 3 millions de francs.

L’avocat de la CADEC a été le seul à faire une offre pour 3.001.000 francs122. La caisse a donc été déclarée adjudicataire et a dû supporter l’ensemble des frais inhérents à ce type de procédure (10.885,94 francs).

La CADEC, propriétaire de l’hôtel, a alors autorisé, par simple lettre, Mme Colonna à rester dans les lieux et à poursuivre l’exploitation de l’établissement jusqu’à la fin de la saison touristique. La situation est ensuite restée en l’état jusqu’à la vente de l’hôtel. D’après les informations recueillies par la commission d’enquête, la caisse n’aurait perçu de la gérante ni loyer ni tout ou partie des éventuels bénéfices de l’exploitation.

En juin 1996, une société civile immobilière Punta Mare a fait une offre d’achat de 3 millions de francs : un acompte de 300.000 francs a été versé en juillet 1996123 et le solde l’a été lors de la signature de l’acte de vente de l’hôtel le 17 avril 1997. Le jour même, M. Philippe Farinelli cédait la totalité de ses parts dans la société Punta Mare à M. Jérôme-Henri-Robert Feliciaggi, maire de Pila-Canale124, pour la somme de 153.000 francs, soit son apport initial. M. Philippe Farinelli est resté gérant extérieur de la société, dont il ne possède donc aucune part, société qui n’a par ailleurs déclaré aucune activité au tribunal de commerce d’Ajaccio.

D’après des informations reçues par la commission d’enquête, M. Jean-Jérôme Colonna et sa famille seraient restés à la tête de l’hôtel " Le Miramar ". Il y a d’ailleurs organisé, le 30 août 1997, une grande réception à l’occasion du mariage de sa fille.

L’hôtel serait aujourd’hui exploité par la société de gestion hôtelière de Valenco. Celle-ci serait liée par un bail avec la société Punta Mare. Par contre, le fonds serait toujours détenu par la société Le Miramar qui, pourtant, a cédé à la société de gestion immobilière le matériel et les stocks de l’hôtel. Aujourd’hui, la société Le Miramar n’aurait plus comme activité que la location de la licence de débit de boissons, qu’elle loue d’ailleurs à la société de gestion immobilière.

Dès lors, la commission d’enquête s’interroge sur la facilité déconcertante avec laquelle la CADEC renonce à une créance on l’a vu très importante. Les deux sociétés, Le Miramar et UPPI, sont pourtant toujours inscrites au registre du commerce, ne se sont jamais déclarées en cessation des paiements et ne font l’objet d’aucune procédure collective. Notons qu’elles ne font pas preuve d’un zèle particulier pour satisfaire aux obligations légales de dépôt de leurs comptes : ce n’est qu’en 1996 qu’elles ont déposé les comptes des exercices 1990 à 1994. Depuis, malgré plusieurs relances du greffe du tribunal de commerce, aucun compte relatif aux exercices postérieurs n’a été déposé.

Interrogé par les services fiscaux, le président de la caisse jugeait, en juillet dernier, que le dossier " peut être considéré dans nos écritures comme soldé ". En effet, il indiquait que le produit de la vente de l’hôtel et les provisions constituées sur ces créances permettaient de ne pas pousser plus loin l’action en recouvrement de son établissement125.

On permettra à la commission d’enquête de ne pas partager cette désinvolture manifestée par le président d’un établissement qui a bénéficié d’une recapitalisation sur fonds publics.

Même si de nouveaux développements relatifs à l’exploitation de l’hôtel ont pu intervenir récemment, ce dossier soulève à l’évidence plusieurs préoccupations concernant la période passée, qu’il appartient à l’action judiciaire d’éclairer :

 l’attitude des dirigeants de la CADEC ne constitue-t-elle pas une suite d’actes de gestion anormaux ? Certains d’entre-eux ne pourraient-ils pas recevoir une qualification pénale ?

 

 pourquoi les dirigeants de la CADEC n’ont-ils pas fait jouer les cautions solidaires existant pour les deux prêts accordés en 1991 à la société Le Miramar 126 ?

 

 la gestion de la famille Colonna, outre qu’elle pourrait constituer une complicité ou un recel de ces éventuelles infractions, est-elle conforme aux règles commerciales et fiscales ?

 

 ainsi, quel est le cadre juridique, tant sur le plan du droit commercial que du droit fiscal, de l’exploitation de l’hôtel par la famille Colonna pendant la période allant de mars 1996 à avril 1997 ? la non-perception de loyers ne constitue-t-elle pas, de la part des dirigeants de la CADEC, un acte anormal de gestion, au sens du droit fiscal ;

 

 les acquéreurs ou gestionnaires successifs, après avril 1997, se sont-ils impliqués dans la gestion de l’hôtel ou ont-ils simplement " prêté " leur nom à cette opération ? Quelle était l’origine des fonds ayant permis le rachat de l’hôtel ? Quelle est la base juridique de l’exploitation actuelle de l’hôtel ?

 

 comment se fait-il que les sociétés débitrices de la CADEC, toujours inscrites au registre du commerce, n’aient fait l’objet d’aucune procédure collective, notamment à l’initiative de leur créancière ?

 

Cette affaire est clairement apparue comme emblématique du " système " qui s’est consolidé en Corse au cours des années et des liens étroits entre le milieu, des activités économiques et quelques relais politiques. Des fonds publics et privés ont été détournés de leur objet. Plus encore, le mépris des règles de droit, et l’impunité totale jusqu’à ce jour des auteurs de tels dossiers marquent une régression inacceptable de l’État de droit.

( VERS UNE NOUVELLE RECAPITALISATION : LES INCERTITUDES ACTUELLES

Pour poursuivre ses activités, la caisse devrait aujourd’hui être recapitalisée, afin de pouvoir provisionner les pertes sur ses créances douteuses et contentieuses et s’assurer une liquidité suffisante. Il apparaît que la dégradation continue de l’assise financière de la CADEC a rendu insuffisantes les mesures de restauration des fonds propres ainsi mises en œuvre. En effet, la situation de certains emprunteurs de la caisse s’est encore détériorée.

 Les objections des commissaires aux comptes de la caisse

Face à la situation très préoccupante de la caisse, les commissaires aux comptes entamèrent, par lettre du 13 mars 1997, la procédure d’alerte127 prévue par la loi en raison de la situation des comptes au 31 décembre 1996.

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EXTRAITS DU RAPPORT DES DEUX COMMISSAIRES AUX COMPTES DE LA CAISSE SUR LES COMPTES CONSOLIDES DE L’EXERCICE 1996

" Les comptes consolidés arrêtés au 31 décembre 1996 font apparaître une perte de près de 78 millions de francs portant les capitaux propres consolidés à - 137 millions de francs. Par ailleurs, votre société , avec un ratio de solvabilité négatif (- 19,55 %), ne remplit plus depuis 1995 les conditions réglementaires applicables aux établissements de crédit en matière prudentielle. (...)

Par lettre en date du 5 janvier 1996, nous avions déjà attiré votre attention sur les risques pesant sur la continuité de l’exploitation de la caisse.

Une convention de recapitalisation a été signée en avril 1996, prévoyant des apports de la Collectivité territoriale et de l’État à hauteur de 140 millions de francs, de la manière suivante :

 88 millions de francs en 1996 en numéraire,

 

 37 millions de francs au 1 er trimestre 1997 en numéraire (26 millions de francs pour la Collectivité territoriale et 11 millions de francs pour l’État)

 

 le solde sous forme d’apports en nature de titre Corsabail détenus par l’État.

 

De plus, notre rapport général sur les comptes annuels de l’exercice 1995, établi le 2 juillet 1996, exprimait nos incertitudes graves et multiples qui pesaient sur le principe de cette continuité.

A ce jour, la recapitalisation prévue n’est pas entièrement réalisée en ce qui concerne les versements relatifs à 1997 ainsi que l’apport en titres Corsabail. De toute manière, l’évaluation des impayés en 1997 laisse entrevoir des difficultés de paiement pour 1998, même après encaissement des 37 millions de francs prévus.

Il nous a semblé clair, dans ces conditions, que la recapitalisation de 140 millions de francs décidée ne permettra pas de garantir la continuité d’exploitation de la caisse et que d’autres recapitalisations ultérieures semblent déjà nécessaires et prévisibles. C’est pourquoi dans un courrier du 13 mars 1997, nous avons déclenché la phase n° 1 de la procédure d’alerte, conformément à l’article 230-1 de la loi du 24 juillet 1966. Votre président a souhaité faire délibérer le conseil d’administration le 14 avril 1997, déclenchant ainsi lui-même la phase n°2. Le conseil d’administration ne nous a pas fourni d’éléments permettant de penser que la continuité d’exploitation était assurée.

Le 24 avril 1997, conformément à la loi, nous informions le président du tribunal de commerce d’Ajaccio de l’existence d’une procédure d’alerte au sein de votre société.(...)

En raison des faits exposés ci-dessus, nous ne sommes pas en mesure de certifier si les comptes sont réguliers et sincères et donnent une image fidèle du patrimoine, de la situation financière, ainsi que du résultat d’ensemble (...). "

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 Les délibérations du conseil d’administration

Ainsi que l’indique le rapport des commissaires aux comptes, le conseil d’administration, qui s’est réuni le 16 avril 1997, a en effet constaté qu’après prise en compte du résultat déficitaire de l’exercice 1996 (- 76,3 millions de francs), le ratio de solvabilité était à nouveau insuffisant au regard de la réglementation bancaire et qu’une nouvelle recapitalisation s’imposait. Au cours de cette même réunion, le conseil d’administration examina l’hypothèse d’un retrait amiable de l’agrément d’établissement financier auprès de la commission bancaire, ce qui signifierait que la CADEC ne poursuivrait plus qu’une activité de recouvrement auprès de ses clients. Les représentants de la direction du Trésor rappelèrent alors que le gouvernement de l’époque (celui de M. Alain Juppé) plaidait en faveur de la recapitalisation de la caisse et de la mise en place de PPR (prêts participatifs de restructuration 128 - enveloppe de la CADEC : 250 millions de francs) pour permettre le retour des clients à des " pratiques vertueuses ". La création au sein de la CADEC de l’institut de participation apparemment souhaité par la Collectivité territoriale fut également envisagée.

Lors de la réunion en date du 22 décembre 1997, les membres du conseil d’administration durent constater que les fonds propres étaient de moins 42 millions de francs et que les comptes faisaient apparaître un résultat négatif de 49,7 millions de francs. Le ratio Cooke n’était toujours pas respecté. La nécessité d’une recapitalisation fut réaffirmée par les deux représentants de la direction du Trésor siégeant au conseil d’administration de plein droit. Ces derniers soulignèrent l’urgence d’une décision de l’Assemblée de Corse confirmant son engagement à parité avec l’État pour participer à une nouvelle recapitalisation de 70 millions de francs (35 millions pour l’État et 35 pour la CTC). Le président en exercice de la caisse, M. Noël Pantalacci fit, quant à lui, observer que l’Assemblée de Corse avait participé à la précédente recapitalisation " pour solde de tout compte " et que celle-ci ne prendrait aucune décision avant le renouvellement de mars 1998.

 Les interventions de la commission bancaire

C’est lors de sa séance du 27 octobre 1995 que la commission bancaire décida de l’ouverture d’une procédure disciplinaire à l’encontre de la caisse en indiquant qu’une recapitalisation d’au minimum 76 millions de francs était nécessaire pour respecter au 30 juin 1995 la norme de représentation du capital minimum.

Même après l’intervention de cette recapitalisation l’année suivante, la caisse n’étant toujours pas remise à flot, le secrétaire général de la commission bancaire a dû constater dans un courrier du 13 janvier 1998 que l’insuffisance de représentation du capital minimum, estimée à 223 millions de francs au 30 septembre 1997, rendait insuffisantes les mesures déjà prises.

Enfin, la Commission bancaire a décidé, le 7 mai 1998, de saisir par courrier le ministre des finances en soulignant l’ampleur du passif net de la caisse et la nécessité de procéder à un nouveau renforcement de ses fonds propres.

D’après les informations de la Commission bancaire, au 31 mars 1998, l’insuffisance de représentation du capital minimum s’élèverait à 120 millions de francs, compte tenu de l’abandon de créances douteuses réalisé en décembre 1997.

Quant à elle, la commission d’enquête, qui a pris note des divers éléments du dossier de la CADEC, s’est forgée une opinion quant aux perspectives d’évolution souhaitable de la caisse, développements qui figurent dans la dernière partie du présent rapport.


Source : Assemblée nationale. http://www.assemblee-nationale.fr