Dans ce dossier, la commission d’enquête a réuni différents éléments qui suscitent plusieurs interrogations.

( DES PROJETS INITIAUX AMBITIEUX

La décision d’extension du port de Propriano fut prise par délibération du conseil municipal en date du 28 décembre 1989. L’enquête publique se déroula du 6 avril au 7 mai 1992. Le concours de la direction départementale de l’équipement en qualité de maître d’oeuvre fut accordé par arrêté préfectoral du 3 août 1992.

Il s’agissait de procéder à l’extension de la zone portuaire de plaisance existant dans les limites du port à compétence départementale. Les travaux visaient à réaliser le prolongement de la digue de protection, l’aménagement du plan d’eau150. De même, la construction d’une voie routière était prévue pour permettre l’accès au port de commerce reliant l’entrée de Propriano aux ports de plaisance et de pêche à partir de la R.N 196.

 La partie portuaire de l’opération se présentait comme une opération conçue en deux tranches : une tranche ferme comprenait la digue, l’aire de carénage et la cale de halage, et une tranche conditionnelle comprenant l’aménagement des quais et les appontements.

L’administration (la direction départementale de l’équipement) avait élaboré les estimations suivantes :

==== L’estimation de l’administration

Pour la tranche ferme : 7,140 millions de francs TTC

Pour la tranche conditionnelle : 6,023 millions de francs TTC

TOTAL TTC : 23,164 millions de francs

L’appel à candidatures eut lieu le 8 septembre 1992. 28 entreprises se portèrent candidates ; 7 candidatures furent retenues et 4 " sous condition que ces entreprises s’associent à une entreprise expérimentée en travaux maritimes ". L’ouverture des plis se déroula en juin 1993. 5 entreprises avaient remis des offres, dont une, l’entreprise Bouygues Offshore, avec variantes. Les variantes proposées par cette société portaient essentiellement sur les dimensions et les modes de construction de la digue de protection, prévue en enrochements dans la solution administrative, et proposée sous forme de colonnes ballastées ou pieux par la société.

==== L’entreprise Bouygues était la moins-disante en solution de base avec la remise des prix suivante :

Pour la tranche ferme : 33,790 millions de francs

Pour la tranche conditionnelle : 7,547 millions de francs TTC

TOTAL TTC : 41,337 millions de francs

L’appel d’offres ne fut pas déclaré infructueux et l’entreprise Bouygues fut retenue avec demande d’étude des variantes. L’offre fut finalement acceptée par la commune maître d’ouvrage le 14 décembre 1993, pour la somme de 41,840 millions de francs TTC (avec les variantes décidées).

Le 15 décembre 1993, un avenant (N°1) fut passé avec la société Bouygues pour la " construction d’une route de desserte ". Le montant TTC de 4.705.938 francs portait ainsi le marché initial de 41.840.391,76 francs à 46.546.329,76 francs, soit une augmentation de 11 %.

Le 19 avril 1996, un avenant (N°3) vint modifier l’avenant N°1. Il indiqua que les travaux de réalisation de la route du front de mer ne devaient pas être réalisés. Le coût d’ensemble des travaux effectués par Bouygues fut arrêté par la société à la somme de 36.948.697,06 francs. Le décompte général et définitif, établi par la DDE le 26 septembre 1996 et signé par l’entreprise le 9 octobre 1996, arrêta le coût des travaux à la somme de 38.732.000 francs TTC.

Les travaux débutèrent le 18 juillet 1994 pour s’interrompre le 31 mai 1996. Aujourd’hui toutes les infrastructures portuaires ne sont pas achevées, comme la commission d’enquête a pu le constater lors d’un déplacement à Propriano. L’extension du port de plaisance est donc utilisée en l’état.

Quant à la partie routière de l’opération, il faut noter qu’au cours du comité de suivi du 16 novembre 1993 du programme " Interreg 1 ", le maire de la commune de Propriano obtint le financement de la voie d’accès au port de commerce longeant et reliant le port de plaisance selon les modalités suivantes :

==== Coût des travaux : 6 millions de francs

50 % sur fonds du FEDER et 50 % à la charge de la commune.

Le 14 décembre 1993, un marché fut passé avec l’entreprise Delovo pour la construction d’une plate-forme d’enrochement et de protection de la route du front de mer (pour un montant de 1.305.720 francs). L’ordre de service fut notifié le 14 décembre 1993, mais ce marché ne donna lieu à aucune exécution.

En application de la réglementation européenne, les travaux devaient être engagés avant le 31 décembre 1993. L’arrêté attributif de subvention FEDER fut pris par le préfet de Corse le 20 décembre 1993, pour une somme de 3 millions de francs. Un acompte de 1,5 million de francs fut versé à la commune le 30 décembre 1993. Il fit l’objet d’un ordre de reversement de 1,110 million le 19 février 1997. La commission d’enquête a constaté sur place que le marché Delovo, qui devait construire la route, n’avait en effet donné lieu à aucune exécution des travaux.

Ce point particulier fait l’objet de développements plus loin dans la partie du rapport concernant les possibilités de fraude aux fonds européens.

( LES REACTIONS DE L’ENTREPRISE BOUYGUES OFFSHORE

En réponse à une correspondance du préfet en date du 14 mai 1997, la société Bouygues lui fit savoir qu’elle avait convenu avec le maire de Propriano de différer le règlement des sommes dues, de considérer que la créance s’élèverait à 32.800.000 francs (principal et intérêt) et que ce montant devrait être acquitté par la commune pour le 20 juin 1999.

==== Extraits de la lettre de réponse adressée au

président directeur général de la société Bouygues Offshore

par le préfet Claude Erignac

suite à un courrier de cette entreprise

Lettre du 14 mai 1997

" Par lettre en date du 25 avril 1997, vous avez appelé mon attention sur les sommes dues par la commune de Propriano en règlement des travaux d’aménagement du port de plaisance.

Vous m’indiquiez qu’en application de l’accord conclu avec le maire de Propriano le 20 juin 1996 la commune s’était engagée à verser 9 MF avant le 31 décembre 1996 et à régler le solde soit environ 29,8 MF avant le 20 juin 1999.

La commune n’ayant payé que 4,475 millions de francs à ce jour, vous réclamez le paiement des 4.524.477,52 francs restant dus au titre de 1996 et vous posez la question de savoir s’il est possible d’inscrire aux budgets 1997,1998 et 1999 (de la commune) les sommes nécessaires au règlement du solde.

Par courrier en date de ce jour, j’ai demandé au maire de Propriano d’acquitter la somme de 4.524.477,52 francs en règlement des sommes dues au titre de l’année 1996 suivant les termes de l’accord précité. Je ne manquerai pas de vous tenir informé de l’évolution de la procédure. Verbalement le maire m’a indiqué que le versement était imminent. (...) "

==== Extraits de la lettre de réponse du président directeur général (Bouygues Offshore)

le 3 juin 1997

" Par courrier du 14 mai 1997, vous nous informiez avoir demandé à M. le maire de Propriano d’acquitter la somme de 4.424.477,52 francs en règlement des sommes dues au titre de l’année 1996, suivant les termes de notre accord du 20 juin 1996 avec la Municipalité de Propriano.

La municipalité a ainsi procédé au mandatement de la somme de 1.494.787,18 francs (soldant ainsi la cinquième situation et portant le total réglé au titre de ce marché à environ 9.400.000 francs). Après réception de cette somme, il restera donc à régler un montant immédiatement exigible de 3.029.690,34 francs.

Cependant, suite à de récentes discussions avec M. le maire de Propriano, nous sommes convenus d’accepter de différer le règlement de ce montant et de le considérer comme payable au titre du solde de notre créance qui s’élèvera ainsi à environ 32.800.000 francs (principal et intérêts) au 20 juin 1999, et devra être acquittée avant cette date (...)"

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( LES ELEMENTS TROUBLANTS

 Il est intéressant de constater qu’initialement, la direction départementale de l’équipement avait estimé le coût des travaux à 23.164.000 francs. Or la société Bouygues, la moins-disante, fit au départ une estimation de 41.337.000 francs TTC.

 Des irrégularités ont été manifestement commises. On peut citer le défaut d’invitation du directeur départemental de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes. Or la présence du représentant de cette direction aurait permis d’attirer l’attention sur la différence entre l’estimation du coût des travaux faite par la DDE et l’offre de Bouygues (entreprise la moins disante) et conduire à déclarer l’appel d’offre infructueux. En outre, le rapport de présentation (rapport d’analyse des offres) par le représentant légal de la collectivité ne paraît pas avoir été transmis au représentant de l’État en même temps que le marché. Des délibérations sont intervenues postérieurement à la passation des marchés. L’avenant N°1 est illégal puisqu’il concerne un marché différent du marché principal.

 Enfin, il est étonnant que ce projet ait fait l’objet de tant de sollicitude de la part d’une grande entreprise qui a, à ce jour, accepté de n’être pas payée par la commune et a décidé de lui accorder un délai de paiement important (20 juin 1999).

Selon les informations recueillies par la commission d’enquête en mai 1998 :

" Concernant la ville de Propriano, la Chambre régionale des comptes a été saisie en 1995 par la société Bouygues. Cette société avait été choisie pour agrandir le port. Elle a saisi la Chambre pour une inscription de ces travaux au budget de la ville. Les crédits étaient inscrits mais n’étaient pas payés. On note un grand décalage entre le début des travaux et la délibération autorisant le maire à les commencer. La Chambre a été également saisie à cause du déséquilibre du budget de la commune.

Il semble que beaucoup de gens ont fait d’importants efforts pour permettre le financement de ces travaux. On observe une grande sollicitude autour de ce dossier. Ainsi, des subventions sont venues par la suite financer une partie des travaux.

La société Bouygues a décidé un étalement du paiement sur 3 ans (40 millions en tout). La Chambre a même en sa possession des lettres signées du préfet dans lesquelles celui-ci informait le maire que telle ou telle subvention lui était accordée.

Alors que pour les saisines budgétaires, la Chambre s’en tient aux chiffres sans jugement de valeur, pour le contrôle de gestion, le travail de la Chambre va plus loin. Il est intéressant d’étudier comment les collectivités se sont mises dans une situation délicate pour pallier les carences du maire. En effet, le maire a pris seul la décision sans son Conseil municipal.

Pourquoi Bouygues a-t-il saisi la Chambre ? C’est probablement un responsable qui a pris cette initiative sans connaître toute l’histoire. Par la suite, la société n’a plus jamais saisi la Chambre. Celle-ci possède une copie de la lettre de la société proposant un étalement des paiements sur trois ans (jusqu’en 1999). "


Source : Assemblée nationale. http://www.assemblee-nationale.fr