Concentré sur quelques exploitations, le problème du surendettement agricole, qui pourrait mettre à mal le maintien de l’équilibre social dans l’île, est devenu un enjeu important en matière d’ordre public. La plupart du temps victimes du mécanisme de "cavalerie budgétaire " facilité par la caisse régionale de Crédit agricole, les exploitants agricoles sont parfois confrontés à des situations inextricables, alors que le dernier plan de désendettement, la mesure Juppé, vient d’entrer dans sa phase d’application.

( LA CONCENTRATION DU PROBLEME

Des renseignements recueillis par la commission d’enquête auprès de la caisse centrale de Crédit agricole, il ressort que moins de 10 % des exploitations corses portent 40 % de l’endettement. 150 à 160 exploitations agricoles auraient un encours moyen de 2 millions de francs. Les difficultés se concentrent sur l’agrumiculture et l’arboriculture, productions qui connaissent - surtout en ce qui concerne l’arboriculture - une crise au niveau national également.

Les problèmes d’endettement les plus importants sont localisés dans la plaine orientale, et en particulier dans les caisses locales de Ghisonaccia et d’Aléria. Une émission de télévision153 a récemment retransmis l’assemblée générale de la caisse locale de Ghisonaccia au cours de laquelle plusieurs dirigeants allaient jusqu’à inciter l’ensemble des agriculteurs locaux à ne pas s’acquitter de leurs dettes, même s’ils le pouvaient financièrement, par " solidarité " avec l’ensemble de la profession !

( DES AGRICULTEURS TRES SOUVENT VICTIMES DU SYSTEME DE " CAVALERIE "

Certains media présentent parfois le monde agricole corse sous un jour peu flatteur, laissant entendre que tous les agriculteurs ont profité d’un système d’argent facile sans avoir à rendre de compte à quiconque, ni aux pouvoirs publics ni à leur établissement bancaire. La réalité est tout autre : de nombreux agriculteurs aujourd’hui au bord de la faillite ont subi un système, et ne l’ont pas choisi. La responsabilité du Crédit agricole qui a développé une politique de prêts tous azimuts est patente. Le banquier des agriculteurs ne s’est guère comporté vis-à-vis de ses clients en conseiller raisonnable. Sans se préoccuper du poids de la dette qu’elle faisait ainsi supporter à ses clients, la caisse régionale de Crédit agricole a encouragé une fuite en avant dont les premières victimes sont évidemment les agriculteurs eux-mêmes.

( LE DERNIER PLAN DE DESENDETTEMENT GENERAL

En 1996, à la suite de la visite en Corse de M. Alain Juppé, alors Premier ministre, le gouvernement décidait d’une mesure d’allégement des charges financières après étude au cas par cas, et dans l’attente du traitement des dossiers, d’un report des diverses échéances. Le principe de cette mesure consistait à tenter de ramener le montant des trois ou sept dernières échéances suivant le cas, à un niveau compatible avec la capacité de remboursement de l’exploitation, sous réserve que l’exploitant paie effectivement la part restant à sa charge.

Ce dispositif d’origine publique a été mis en oeuvre sur la base d’une convention entre l’État et le Crédit agricole conduisant ce dernier à prendre en charge le coût à hauteur de 50 % directement et 50 % par le biais du Fonds d’allégement des charges financières. Le coût estimé s’élevait initialement à 150 millions de francs. Les agriculteurs avaient le choix entre un allégement dégressif des charges financières sur trois ans sans étude approfondie ou une étude approfondie de leur situation individuelle à partir de normes préfixées pouvant déboucher sur une réduction plus importante du taux d’intérêt (jusqu’à 0%) et un allongement éventuel de la durée restant à couvrir des prêts concernés (en " comité 2 ").

La caisse régionale de Crédit agricole a estimé avoir 2.500 clients agriculteurs, dont 1.827 détenaient des prêts professionnels agricoles au 1 er janvier 1996, et étaient à ce titre potentiellement éligibles à la mesure JUPPE.

1827 lettres ont ainsi été adressées aux exploitants agricoles ayant un encours au Crédit agricole. 560 d’entre eux demandèrent à bénéficier directement de la mesure générale (prise en charge partielle et dégressive sur 1 à 3 ans). 840 souhaitèrent bénéficier d’un aménagement après examen par le comité 2. Sur les 1827 lettres, 427 restèrent sans réponse.

DETTES CONCERNEES / TOTAL / MOYENNE

Dette globale des exploitations ayant reçu les 1827 lettres / 910.000.000 F/ 481.100 F

Dettes des 560 exploitants ayant demandé à bénéficier directement de la mesure générale / 100.000.000 F / 178.600 F

Dettes des 840 exploitants ayant demandé un aménagement en " comité 2 " / 660.000.000 F / 785.700 F

Dettes des 427 exploitants n’ayant pas répondu aux lettres de la caisse régionale / 150.000.000 F / 351.300 F

Le " comité 2 ", qui examina au total 840 dossiers, proposa une solution pour 700 d’entre eux. 25 dossiers furent considérés comme non éligibles et refusés. 115 ne pouvant entrer dans les normes de traitement furent ajournés.

Le ministère de l’Agriculture et de la pêche a signifié à la caisse nationale de Crédit agricole, le 6 avril 1998, le calendrier de clôture de la mesure Juppé à l’issue duquel les mauvais payeurs doivent être définitivement exclus du bénéfice de la mesure, à savoir, le 20 mai pour les annuités 1996 et 1997, et le 30 juin pour les échéances appelées du premier semestre 1998.

Selon les chiffres communiqués à la commission d’enquête, le 15 août 1998, sur le total des demandes individuelles, 296 titulaires de comptes au Crédit agricole (280 exploitations) auraient déjà accepté la proposition d’aménagement de leur dette et acquitté les échéances dues. Ces aménagements représenteraient un coût de 41 millions de francs.

Quel bilan peut-on d’ores et déjà tirer de cette mesure ? Il semble qu’elle est efficace pour les agriculteurs n’ayant pas trop accumulé d’arriérés ou ayant un encours inférieur à la moyenne. En revanche, il est clair que cette mesure ne permettra pas à de nombreux agriculteurs de retrouver une situation financière assainie.

En plus des dettes bancaires, les arriérés de cotisations sociales se sont accumulées au fil du temps pour atteindre des niveaux impressionnants comme les développements qui suivent le montrent.


Source : Assemblée nationale. http://www.assemblee-nationale.fr