" Voilà l’état réel de la Corse ; tout s’y fait à coups de fusil ; le droit n’est rien ; la force est tout. On ne recours à la justice que lorsqu’on n’a plus d’autres ressources ; on en est en quelque sorte honteux, comme un aveu de sa faiblesse ". Ce témoignage de M. Mottet, procureur général à Bastia de 1833 à 1836, reste en partie d’actualité.

Les chiffres de la criminalité et de la délinquance constatées dans l’île en témoignent. Comme l’a indiqué à la commission d’enquête un magistrat en poste à Bastia, " la Corse est une société encore rurale qui connaît une criminalité de type urbain ".

( UNE CRIMINALITE ENCORE ELEVEE ET ATYPIQUE

L’île connaît une criminalité plutôt atypique à cause d’un nombre d’homicides, de vols à main armée et d’attentats particulièrement élevé si on le rapporte à sa population. Quant à la petite délinquance, elle est toujours prospère bien qu’en baisse régulière depuis quelques années.

( Les crimes et délits contre les personnes s’accroissent

Les crimes et délits contre les personnes représentent 8,5 % des infractions209 et se sont élevés à 1.111 en 1997. Au cours des dix dernières années, leur évolution apparaît très erratique mais, globalement, la tendance est ascendante, puisque la moyenne des années 1988-1997 n’est que de 980 infractions. La place qu’occupent les homicides et les tentatives d’homicides dans ces atteintes aux personnes constitue une autre des caractéristiques de la criminalité en Corse. En 1997, 32 ont été constatés entraînant la mort de 21 personnes et en blessant 12 autres. Depuis 1987, ce sont 351 homicides ou tentatives qui ont été constatés dans les départements de l’île, ce qui représente une moyenne de 32, soit près d’un tous les 11 jours. Rapporté à la population, ce taux est près de 3 fois supérieur à celui observé au niveau national (11,7 pour 100.000 habitants contre 4,1).

( Les vols constituent plus de la moitié de l’ensemble des crimes et délits

La délinquance en Corse est principalement constituée par des faits de vol. Avec 7.037 cas en 1997, ceux-ci représentent 53,6 % des faits constatés210. L’importance prise par les vols a pour effet de lier étroitement l’évolution de la criminalité globale en Corse à l’évolution des vols. La diminution observée depuis 1992 de leur nombre explique à elle seule 86 % de la baisse des faits constatés : le nombre de vols a diminué de 8.472 (soit -54,6 %), alors que l’on a comptabilisé 9.780 infractions de moins. En matière de vols, la Corse se singularise par l’importance des vols à main armée : 122 en 1995, 138 en 1996 et 160 en 1997. Le taux, rapporté à la population, est près de quatre fois supérieur à la moyenne nationale : 0,63 pour 1.000 habitants en Corse en 1997 au lieu de 0,16 pour la France entière en 1996.

( Les infractions économiques et financières restent stables

Les infractions économiques et financières211 se sont élevées à 1.517 en 1997 (soit 11,5 % du total - 8,5 % au niveau national). Elles ont fortement régressé depuis 1991 et restent à peu près stables depuis 1995.

( Le nombre de crimes et délits est, cependant, en diminution constante depuis plusieurs années

Le nombre des crimes et délits de toute nature, constatés par l’ensemble des services de police et de gendarmerie en Corse, a atteint 13.139 en 1997, en diminution de 10 % par rapport à l’année précédente. Ce nombre a fortement décru depuis le début de la décennie et, plus particulièrement, depuis 1992 date à laquelle le nombre de faits constatés s’établissait à 22.919, ce qui représente une diminution de 42,7 %212.

Avec un taux de criminalité de 56,27 pour 1.000 habitants en 1996, la région Corse se situait au 8ème rang des régions françaises, derrière la Haute-Normandie et devant la région Aquitaine. Le taux de criminalité en Corse est devenu inférieur à la moyenne nationale depuis 1995. Au cours des années précédentes, il lui était sensiblement supérieur, notamment en 1992 où il atteignait 91,2 pour 1.000 habitants au lieu de 66,95 pour la France entière. D’ailleurs, de 1987 à 1993, la Corse a régulièrement occupé le troisième rang des régions françaises les plus touchées par la criminalité ; elle s’est même hissée à la deuxième place en 1990.

( UNE VIOLENCE CIBLEE

L’autre caractéristique de la criminalité corse est, bien évidemment, le nombre d’attentats à l’explosif, qu’ils aient visé des biens publics ou des biens privés. 315 ont été constatés en 1997, ce qui marque la deuxième année consécutive de baisse (-25,2 % depuis 1995 ; soit 106 attentats de moins).

Depuis 1973, 8.760 attentats ont été constatés, ce qui représente une moyenne annuelle de 350, soit près d’un par jour. Comme l’indique le graphique ci-dessous, le maximum a été constaté en 1982 (766) et le minimum en 1989 (156).

A partir de 1975, le nombre d’attentats n’a été inférieur à 200 qu’en 1989, compris entre 200 et 300 à 6 reprises, entre 300 et 400 à 8 reprises, compris entre 400 et 500 à 5 reprises et supérieur à 500 à 3 reprises (1982, 1983 et 1986).

Il ne faudrait pas croire que ces attentats soient tous liés à l’agitation nationaliste. En effet, seuls les attentats revendiqués sont considérés comme relevant de cette catégorie. Or, le taux de revendication est très variable d’une année sur l’autre. Le taux constaté en 1997, 49,5 %, apparaît d’ailleurs particulièrement élevé. Il avoisine plutôt habituellement le tiers des attentats, voire moins, à l’exception de la période 1983-1986 au cours de laquelle il dépassait 70 % (sauf en 1984 où il avoisinait seulement 60 %)213. Enfin, il convient de garder à l’esprit que les attentats constatés en Corse représentent au moins la moitié des attentats constatés dans la France entière.

Les attentats non revendiqués sont donc révélateurs de conflits d’ordre privé, d’" attentats commerciaux, de jalousie, d’idiots, d’imbéciles de village " comme l’expliquait le vice-président de l’union régionale des PME devant la mission d’information sur la Corse, ajoutant " c’est cette violence-là qui nous fait peur "214.

" On sait qu’aucun de ces actes n’est gratuit ; qu’ils ont une signification ; qu’ils adressent un message - vengeance, tentative d’intimidation, désir d’engager une négociation - à la victime215 ". Comme, de plus, le taux d’élucidation est marginal216, l’inquiétude se répand. " Généralement, les faits divers de ce type conservent leur opacité, soit parce que la victime s’interdit toute révélation, soit parce qu’elle emporte le secret dans sa tombe, soit parce qu’elle ne parvient pas à identifier l’auteur et le contenu du message. Dans l’expectative, elle recense les contentieux générés par son activité professionnelle, sa vie familiale, ses options politiques, et prend des mesures adaptées aux présomptions qui lui semblent les plus probables. Un chef d’entreprise réduit son train de vie, revoit sa stratégie commerciale, renonce à certains contrats, à certaines amitiés, à certaines alliances. Un chef de service devient plus consensuel, moins regardant sur les horaires ou sur les congés de maladie. Un agriculteur cesse d’appartenir à telle coopérative ou à tel syndicat. Un berger vend son véhicule tout-terrain, révise sa production à la baisse, diffère son projet de ferme-auberge "217.

C’est aussi ce qui explique, nous l’avons vu, le fonctionnement difficile des cours d’assises en Corse.


Source : Assemblée nationale. http://www.assemblee-nationale.fr