Parce qu’ils se méfiaient des élus insulaires et qu’ils prenaient acte du poids électoral des mouvements nationalistes, plusieurs des gouvernements successifs, de droite comme de gauche, nouèrent avec les élus nationalistes, parfois dans le plus grand secret240, des contacts, voire menèrent des négociations épisodiques avec l’une ou l’autre des composantes nationalistes. Certains n’hésitèrent pas à actionner des réseaux parfois douteux. La distribution d’argent public a constitué également un instrument jugé utile.

Les contacts ou négociations qui ont pu avoir lieu n’ont pas tous été de même nature. Ils ne sont pas forcément condamnables, tant il est vrai, comme l’indiquait un ancien ministre de l’Intérieur, que " lorsque l’on veut faire la paix, on la fait avec ses ennemis ". Cependant, force est de constater que, dans ce domaine, tout a été tenté et que rien n’a jamais abouti à des résultats durables. En Corse depuis vingt ans, toute tentative d’échanger des préalables institutionnels, des avancées économiques ou des dérogations à la loi républicaine contre une renonciation à la violence s’est soldée par un échec.

( DES NEGOCIATIONS EN CATIMINI

Un ancien ministre de l’Intérieur entendu par la commission d’enquête a indiqué, lorsqu’étaient évoquées d’éventuelles négociations ou discussions à propos de la Corse, qu’il avait pris soin de ne dialoguer qu’avec des élus du suffrage universel.

Pourtant, un ancien préfet en poste sur l’île a stigmatisé devant la commission " la prétention parisienne, sous la forme de chargés de mission qui allaient et venaient ", car expliquait-il : " quand des chargés de mission à Paris, prétendent discuter avec les éléments nationalistes, sur place il est impossible de continuer à travailler. Les gens le savent. Quand il y a des fuites dans la presse, tout le monde est paralysé par la peur, et c’est en pure perte ".

Comme l’écrit dans ses mémoires le commissaire Robert Broussard, et ses mots dépassent la seule période de sa présence sur l’île : " A quoi bon arrêter des poseurs de bombes s’ils doivent être relâchés quelques jours plus tard ? A quoi bon interpeller des flingueurs de façades de gendarmerie si, une fois libérés, ils deviennent des interlocuteurs du pouvoir ?"

( DES SUBVENTIONS D’APAISEMENT

L’accusation d’avoir fait circuler des valises de billets destinés à l’un ou l’autre des mouvements clandestins a parfois été portée contre certains gouvernements, dans des intentions purement polémiques. Rien ne permet d’étayer une telle accusation et la réalité se révèle plus prosaïque.

Comme l’explique M. Nicolas Giudici, les milieux nationalistes ont pris le contrôle de l’université de Corte - " le plus important gisement d’emplois publics de l’après-guerre " - et acquis des positions fortes dans le milieu agricole ainsi que dans les mouvements associatifs et culturels. Dès lors, " les méthodes utilisées par les gouvernements successifs ne consistent pas à offrir des liquidités aux clandestins mais, ce qui revient au même, à soutenir certains de leurs projets agricoles, industriels, touristiques, associatifs ou culturels, sans vérifier l’utilisation des fonds241 ".

C’est ce que confirmait devant la commission d’enquête un ancien ministre, qui indiquait de manière volontairement caricaturale : " vous savez comment cela se passait. Des groupes nationalistes, il y en a plusieurs. Un jour, un ministre disait qu’il allait discuter avec les nationalistes. Il rencontrait un groupe, qui lui disait : " c’est tant ". On payait et le groupe partait dans la nature en disant qu’il ne ferait plus rien. Mais un autre commettait ensuite des exactions. Puis, on changeait de ministre. Les autres disaient : " c’est tant ". On payait. C’est cela aussi l’empilement des régimes fiscaux dérogatoires ". Explicitant ce qu’il entendait par " on payait ", il précisait qu’il ne s’agissait pas, bien entendu, de valises de billets mais du financement d’activités économiques rencontrant des difficultés : " quand vous négociez avec ces gens, ils vous disent : " vous comprenez, nous avons des problèmes ; à Bastia par exemple, il faut plus de crédits pour la formation professionnelle ". On paye, c’est cela. Il faut de la formation professionnelle, il faut conclure un marché... ".


Source : Assemblée nationale. http://www.assemblee-nationale.fr