On l’a vu, la Corse n’est pas globalement mal dotée en nombre de fonctionnaires. Cependant, cette situation globale n’empêche pas l’existence dans certains domaines de l’action de l’État de manque d’effectifs. De même, les difficultés du recrutement et l’absence de mobilité devraient conduire les administrations centrales à repenser leur politique de gestion des hommes.

( LES MANQUES LOCALISES D’EFFECTIFS DOIVENT ETRE COMBLES

Au cours de ses investigations, la commission d’enquête a pu constater un certain nombre de manque de moyens dans des domaines essentiels de l’action de l’État. De même, certaines des orientations supposent un renforcement préalable des effectifs.

( Les effectifs spécialisées de la police et de la gendarmerie doivent être renforcés

Si le nombre de membres des forces de l’ordre par rapport au nombre d’habitants fait de la Corse une des régions les mieux dotées du pays, cette situation n’est pas totalement satisfaisante en raison d’une part, du poids trop important des forces non permanentes qui se succèdent au rythme de brèves rotations, et, d’autre part, du manque de personnels dotés de compétences plus spécialisées.

La situation actuelle peut s’avérer en partie satisfaisante en matière de maintien de l’ordre public. Cependant, elle est à l’origine d’insuffisances qui ont été évoquées, à plusieurs reprises, devant la commission d’enquête.

La première de ces insuffisances a des conséquences catastrophiques : il s’agit de celle constatée, hélas, en matière de renseignement. Il en va de même des brigades anti-criminalité, un ancien responsable de l’île ayant confié son regret de ne pas avoir disposé d’effectifs plus importants307.

Enfin, il a été souligné à plusieurs reprises l’accaparement des unités de police judiciaire par les affaires en cours, assassinat du préfet Claude Erignac pour la police, affaire du Crédit agricole et attentat de Pietrosella pour la gendarmerie. Leur renforcement par des éléments spécialisés constitue un impératif dans un contexte de probable multiplication des procédures judiciaires.

Dès lors, les efforts consentis par le ministère de la Défense au profit des services de gendarmerie dans l’île méritent d’être mentionnés. En effet, les effectifs de la section de recherche ont été doublés - ils sont passés de 28 à 55 - au point de faire de celle de Corse l’une des plus importantes de France. De même, la création d’une nouvelle unité d’intervention - le groupement de protection et de sécurité - a été récemment annoncée et celle-ci devrait être opérationnelle en septembre. Cette unité, composée de 95 hommes, sera chargée de missions de maintien de l’ordre, de protection de personnalités et de renseignement.

Le fait que cette unité soit constituée, pour environ la moitié de ses effectifs, de gendarmes déjà présents en Corse au sein d’un escadron de gendarmerie mobile dissous en juin dernier, montre que l’efficacité future des services de police et de gendarmerie résultera avant tout d’une restructuration interne et non pas forcément d’un renforcement continu des effectifs globaux308.

( Les services d’enquête des services fiscaux doivent être étoffés

En raison du souhait de voir l’arme fiscale et financière utilisée de manière plus offensive, le renforcement des moyens des services fiscaux apparaît nécessaire.

Il a été expliqué, à plusieurs reprises à la commission d’enquête, que le rôle des brigades de recherche et de contrôle était inappréciable dans la recherche du renseignement. Or, pour des raisons historiques309, ces brigades sont bien moins dotées que leurs homologues du continent.

( Des moyens d’études des services de l’urbanisme doivent être affectés temporairement

La nécessité pour l’État de déterminer une doctrine claire en matière d’urbanisme et d’application de la loi littoral et d’assister la Collectivité territoriale dans la mise au point du schéma d’aménagement suppose un renforcement momentané des services d’études en matière d’urbanisme. Une équipe temporaire composée de plusieurs chargés de mission de haut niveau devrait donc être mise à la disposition de la direction régionale de l’équipement.

( LA POLITIQUE DE RECRUTEMENT DOIT ETRE REPENSEE

" En Corse, il faut une politique de nomination qui sorte de l’ordinaire " estimait devant la commission d’enquête un magistrat qui a été en poste sur l’île. Il ajoutait qu’ " il faut prendre des professionnels, des gens dont la compétence et le profil forcent le respect ".

Ce constat n’est pas nouveau. Déjà au XIXème siècle, le procureur Mottet notait : " de ce que les fonctions en Corse sont pénibles et périlleuses, (le gouvernement) n’en conclut pas qu’elles méritent de plus grandes récompenses, mais au contraire qu’elles sont d’un rang inférieur. Aussi ne songe-t-il le plus souvent à envoyer en Corse que les hommes de moindre mérite ou même les fonctionnaires qui ont encouru sa disgrâce ".

( Seuls des personnels expérimentés doivent être affectés en Corse

Quelques mesures récentes prises par le gouvernement montrent que celui-ci n’est pas insensible au problème de la qualité des recrutements des responsables administratifs. La trésorerie générale de Corse-du-Sud a ainsi été reclassée en deuxième catégorie (et non plus en quatrième comme auparavant) et le secrétariat général de la préfecture de ce même département en première catégorie. Statutairement, ces reclassements supposent la nomination de personnes d’un rang hiérarchique supérieur et ayant donc plus d’ancienneté.

Mais, plus généralement, il est impossible de continuer à affecter en Corse des personnels qui sortent des écoles et n’ont donc aucune expérience professionnelle. Cette politique a eu des conséquences dommageables en ce qui concerne la justice. Il est donc - a priori - regrettable que les magistrats supplémentaires affectés, cette année, à la Chambre régionale des comptes le soient pour l’un directement à sa sortie de l’école nationale d’administration et pour l’autre, directement issu du tour extérieur.

( Stimuler le volontariat des personnels affectés en Corse

La mise au point de " contrats de carrière ", pour reprendre la formule proposée par le magistrat déjà cité, devrait être de nature à susciter un plus grand nombre de candidatures spontanées ou à éviter trop de refus.

Il s’agirait, en effet, de déterminer avec le candidat la durée prévisible de son séjour en Corse et de définir les conditions du déroulement ultérieur de sa carrière. En effet, poursuivait le magistrat " quelqu’un qui va (...) à Ajaccio ou à Bastia, qui donne le meilleur de lui-même avec une équipe de qualité, doit, à un moment, pouvoir sortir la tête haute et non se faire passer devant par des gens qui ne se sont pas mouillés comme lui pour la République ".

( Les affectations doivent être faites avec prudence

Il ne s’agit pas pour la commission d’enquête de dire, comme elle a pu l’entendre, qu’il ne faut plus nommer de Corses en Corse et jeter ainsi le soupçon sur un certain nombre de nos concitoyens. Le désir de venir " travailler au pays " est tout aussi légitime en Corse que dans le reste de la France.

Cependant, il est des domaines où les conditions d’exercice sont telles que le principe de prudence s’impose dans certains cas. Il s’agit même d’une mesure de protection du fonctionnaire lui-même contre les pressions qu’il pourrait subir dans son travail.

Un ancien ministre a avoué devant la commission d’enquête avoir " refusé de nommer des fonctionnaires corses en Corse ". " Je les écartais même systématiquement. C’était peut-être exagéré, mais je ne pouvais pas faire autrement " a-t-il précisé.

Les fonctions régaliennes de l’État - police, justice - relèvent évidemment de ces domaines où la prudence et le choix raisonné des candidatures s’imposent. D’ailleurs, on peut observer que c’est la méthode choisie par la gendarmerie. Celle-ci, en effet, s’efforce d’éviter d’affecter dans une région quelconque - en Corse comme ailleurs - un gendarme qui y aurait des liens, notamment familiaux, trop importants.

( LA MOBILITE DES PERSONNELS DOIT ETRE ORGANISEE

La plupart des rapports d’inspection le soulignent : la rotation trop rapide des fonctionnaires d’autorité (directeurs, adjoints,...) s’accompagnent d’un mobilité quasi inexistante dans les autres échelons de la hiérarchie administrative. Ce n’est certainement pas un problème propre à la Corse. Cependant, il y a des conséquences beaucoup plus dommageables.

Les administrations centrales devront s’attacher à organiser une plus grande mobilité des agents, à quelque niveau de la hiérarchie qu’ils appartiennent. Ce n’est une bonne chose, ni pour l’agent lui-même ni pour le service, de voir des postes occupés par la même personne pendant dix ans, voire des durées supérieures.

Cette mobilité ne signifie pas un retour sur le continent. Elle peut aussi, sans doute plus aisément et de manière plus acceptable pour les personnels, s’effectuer dans l’île dans un autre service ou dans une commune avoisinante.

La mise en place d’une telle politique de mobilité s’avère sans doute plus nécessaire pour les services des ministères des finances ou de l’équipement. On a constaté, par exemple, le rôle essentiel et stratégique joué, en Corse comme ailleurs, par le réseau des comptables publics. L’instauration d’une règle de mobilité au bout d’une certaine durée d’affectation - 5 ans par exemple - constituerait à n’en pas douter un moyen efficace de prémunir les fonctionnaires concernés des pressions de toute nature qui s’exercent régulièrement sur eux.


Source : Assemblée nationale. http://www.assemblee-nationale.fr