La situation des filières de production a fait récemment l’objet d’un rapport335, qui en dresse un " état de lieux " et suggère un certain nombre d’orientations. Pour sa part, la commission d’enquête a noté au cours de ses travaux que la filière viticole était la plus fréquemment citée par de nombreux interlocuteurs comme étant la plus prometteuse dans l’île. En outre, les filières animales et celle des agrumes connaissent des sorts divers et recouvrent des situations très différentes.

( LES BONS RESULTATS DE LA FILIERE VITICOLE ET DES PERSPECTIVES DE COMMERCIALISATION ASSEZ FAVORABLES

La vigne fait partie du patrimoine culturel et économique de l’île. Dès la fin du XVIII ème siècle, elle occupait 9.800 hectares pour atteindre 19.600 hectares en 1879. Dans les années 1960-1976, avec l’arrivée des rapatriés d’Afrique du Nord, le vignoble a connu une extension très importante, avec la plantation de 20.000 hectares remplaçant des friches et du maquis, notamment dans la plaine orientale. Des unités de productions de taille significative sont alors apparues, et ont cherché à obtenir des rendements très élevés à partir de cépages extérieurs, et en recourant de façon systématique à la chaptalisation. Trois facteurs ont contribué au décroissement quantitatif du vignoble : la suppression de la chaptalisation en 1972, la restructuration vers la qualité du vignoble en Languedoc-Roussillon et le déclin de la demande des vins de coupage. Les stocks devinrent très importants. Les arrachages primés firent disparaître plus de 22.000 hectares entre 1976 et 1989, dont 75 % sont, depuis, retournés à la jachère ou à la friche.

Fort heureusement, cette chute des surfaces et des exploitations s’est accompagnée d’une restructuration du vignoble vers la qualité grâce à une réorientation variétale importante, à la modernisation des unités de vinification et à la promotion des vins d’appellation d’origine contrôlée et des vins de pays de l’île de Beauté.

Aujourd’hui, le vignoble occupe une superficie de l’ordre de 7.500 hectares dont 7.030 hectares en production. La majeure partie du vignoble se situe en Haute-Corse principalement dans la plaine orientale. La production a été, en 1996, de 371.400 hectolitres pour 455 déclarants dont 88.900 hl d’AOC (24 %), 160.500 hl de vins de pays de l’Ile de Beauté (43 %), et 122.000 hl de vin de table (33 %). Les neuf appellations d’origine contrôlée de Corse ont représenté, pour le millésime 1996, 88.900 hectolitres agréés, dont 11 % de vins blancs, 34 % de vins rosés, 53 % de vins rouges et 2 % de muscat. 43 % de ce volume a été vinifié en caves particulières et 57 % au sein de structures coopératives.

La Corse, qui représente moins de 1 % de la production nationale, ne risque donc pas de compromettre l’équilibre du marché français. En revanche, les vins sont d’une importance vitale pour l’agriculture de l’île : ils procurent un tiers des livraisons totales de l’agriculture régionale et la moitié des livraisons du secteur végétal.

La viticulture corse possède des atouts indéniables. Des terrains à vocation viticole facilitent l’obtention de productions de qualité. La richesse de cépages locaux permet une forte typicité et donne d’excellents vins. La tradition de la culture de la vigne est fortement ancrée dans la patrimoine culturel. Le vignoble a été restructuré à 61 % dans le sens de la production de vins de qualité. Des outils de vinification ont été modernisés et sont techniquement performants. Le marché local, important, est rémunérateur. Les unités de commercialisation ont une taille adéquate.

En revanche, ce secteur doit faire face à des handicaps réels liés notamment à la faiblesse des rendements moyens - ce qui rend nécessaire une bonne valorisation -, à la faible notoriété des vins corses et à l’éloignement des marchés de consommation. Le marché local absorbe 40 % de la production totale et 60 % de la production AOC. Mais ces résultats demeurent très dépendants de la réussite des saisons touristiques, les touristes de visite dans l’île consommant ces productions.

Les réorientations à mettre en oeuvre dans ce secteur consistent dans la poursuite les restructurations du vignoble, le maintien du potentiel actuel de production, enfin, la modernisation des caves individuelles et des coopératives.

Le marché continental s’ouvre progressivement aux vins corses. Cependant, la concurrence y est très forte, notamment dans les régions de production viticole. La coordination de l’action commerciale entre les caves individuelles et les coopératives s’avère nécessaire et doit être également recherchée sur le plan des transports. Il faut en effet que les viticulteurs privilégient les transports par groupage qui permettent de diminuer les coûts. De même, il convient de mettre en place des possibilités de stockage importantes sur le continent. Un entreposage dans de bonnes conditions constitue un argument commercial essentiel.

Les actions promotionnelles actuellement assez limitées pourraient certainement être développées.

( DES FILIERES FRUITS ET LEGUMES PROMETTEUSES MAIS LARGEMENT CONCURRENCEES PAR LES PAYS GROS PRODUCTEURS

La filière fruits et légumes de Corse occupe une place très importante dans l’ensemble de l’agriculture insulaire. Elle représentait, en 1996, une production de 73.000 tonnes pour une superficie de 8.300 hectares. La production agricole correspondante est de 254,5 millions de francs soit 30 % environ de la production finale. A côté des légumes, qui représentent 20.000 tonnes par an, la production de fruits comprend essentiellement des agrumes (25.000 tonnes) et des kiwis (12.600 tonnes), ou des amandes et des prunes d’Ente (14.500 tonnes).

Il faut cependant noter que la filière des clémentines corses connaît actuellement une situation très difficile du fait notamment de la concurrence principalement espagnole. Le rapport de production reste très défavorable. En effet, la production corse ne représente que 10 % de la production espagnole, et les coûts de production et de mise en marché restent élevés dans l’île. En outre, la demande du consommateur a évolué dans le sens d’une qualité accrue tant pour l’aspect extérieur des fruits que celui du goût. Les deux dernières campagnes 1996/1997 et 1997/1998 se sont déroulées dans de mauvaises conditions, ce qui a entraîné un certain découragement des producteurs.

Les points faibles de cette filière tiennent tout d’abord à la modicité du volume (25.000 tonnes), à comparer aux productions espagnoles, marocaines ou italiennes. D’ailleurs, la clémentine corse ne représente que 8 % de la consommation française. Les producteurs sont insuffisamment informés, tandis que les opérateurs paraissent trop nombreux pour la mise en marché. En d’autres termes, la clémentine corse se fait concurrence à elle-même. De plus, les contraintes liées à la position insulaire gênent le développement de la commercialisation. Il est devenu primordial que l’offre corse vise un haut niveau de qualité.

Pour dynamiser cette filière, il convient de développer des variétés adaptées sur des arbres sains. D’après des estimations récentes336, un millier d’hectares de vergers de variétés inadaptées serait à rénover. Il faut par ailleurs d’établir un cahier des charges de la qualité et le faire respecter. Aujourd’hui, les opérations d’agréage restent sommaires : les vergers ainsi que le travail qui y est effectué sont traités de manière indifférenciée. La qualité de la clémentine corse est, pour l’heure, simplement définie par une échelle de diamètres sur laquelle est basé le paiement des producteurs-apporteurs. Les opérations de promotion doivent également se développer pour améliorer l’image de la clémentine corse auprès des opérateurs et du consommateur final.

Quant aux vergers d’amandes, ils recouvrent aujourd’hui 665 hectares et devraient représenter à terme 40 % de la superficie totale française organisée. Des investissements importants ont été réalisés dans ce secteur (halls de conditionnement, Chambres froides, chaînes de conditionnement). Toutefois des dissensions sont apparues au sein de la COREPAC, le groupement de producteurs créé en 1991. Les querelles au sein de cette filière ont sans doute ralenti son développement, tandis que la situation du marché mondial dominé par les États-Unis et l’Espagne (85 % et 13 % respectivement des parts de marché) est fortement concurrentiel. La France produit 1.300 tonnes de coques pour 60.000 tonnes d’importation, ce qui peut constituer un atout pour la Corse, si elle parvient à orienter sa production vers des créneaux porteurs sur le marché français : les amandons en divers conditionnements, la pâte d’amande, la crème d’amandons.

Notons également les perspectives des filières oléicole (huile d’olive), voire de la châtaigne.

( DES POTENTIALITES A DEVELOPPER EN MATIERE DE PRODUCTIONS ANIMALES

La filière bovine n’est pas dépourvue d’atouts. Avec 64.000 bêtes (2/3 en Haute-Corse et 1/3 en Corse du Sud), dont 44.000 vaches allaitantes, regroupées dans 1.172 élevages337, le troupeau bovin a connu une extension spectaculaire depuis le début des années 1970 (les effectifs ont été multipliés par deux). Il est certain que la mise en place d’un système de primes à l’animal n’a pas été étranger à cette évolution. Depuis la publication du rapport Jacquot, un effort d’identification animale bovine a été entrepris en Corse. La poursuite de cet effort paraît indispensable.

Une des difficultés actuellement rencontrées par cette filière tient dans l’insuffisance de fourrages et d’aliments complémentaires produits sur place. 11.000 à 14.000 tonnes de fourrages sont importées chaque année du continent. Il serait opportun d’assurer une production suffisante au niveau local. En outre, le réseau des abattoirs doit être développé de façon urgente.

Quant à l’organisation collective des éleveurs, elle est structurée autour de deux associations départementales. Dans le rapport déjà cité sur la situation des filières de production, il est indiqué que les efforts doivent porter, à l’avenir, sur l’appui technique aux producteurs qui doivent se montrer " plus autonomes et davantage responsabilisés sur leurs choix économiques ".

Quant à elle, la filière porcine peut encore se développer. La Corse dispose en effet d’un élevage porcin modeste rapporté à la surface de la région338. La finalité principale de cet élevage est de produire une charcuterie corse de grande qualité selon des procédés souvent ancestraux. Cette production ne rencontre d’ailleurs aucun problème de débouchés malgré des niveaux de cours élevés. La filière comporte des atouts réels. Le marché de la charcuterie apparaît porteur. Les techniques de fabrication traditionnelles sont parfaitement maîtrisées et la production permet une bonne occupation de l’espace. Néanmoins, plusieurs facteurs constituent des freins au développement de ce secteur. La mésentente professionnelle entre le Nord et le Sud a perduré. Le rapport de mai 1998 sur la situation des filières de production note : " la situation actuelle est marquée dans cette filière par des antagonismes vivaces entre les deux départements, au niveau des organismes consulaires, quant à la vision du développement à envisager. Ceci se traduit sur le terrain par des actions parfois divergentes voire par une inaction néfaste à l’ensemble des producteurs ". De plus, l’indivision, dont il a déjà été question dans des développements antérieurs, entrave la délimitation parcellaire clôturée des terrains. Les élevages souffrent d’un manque de suivi sanitaire patent. Enfin, les éleveurs ont toujours une réticence à diriger les animaux vers un abattoir, notamment en Haute-Corse.

Elevage traditionnel de l’île, en déclin depuis le début du siècle, la filière ovine et caprine s’est redressée à partir des années 70, grâce à la présence d’un fort noyau d’éleveurs professionnels, à l’impulsion donnée à la production fromagère par la fabrication de Roquefort et aux fabrications typiques de l’île (corsica, tomme corse, brocciu) et aux produits méditerranéens comme la fêta. Mais, dans le domaine de l’élevage, des faiblesses notoires apparaissent en matière de sélection, d’identification et de suivi des troupeaux339.

Cet aperçu rapide des principales filières de l’agriculture corse montre que cette dernière n’est nullement dépourvue d’atouts. Si elle ne constitue pas un secteur économiquement très significatif (rappelons que l’agriculture ne contribue qu’à hauteur de 2 % au PIB de la Corse), elle peut néanmoins devenir plus compétitive à une double condition : que les exploitations viables s’engagent dans des opérations de modernisation et que les producteurs et les éleveurs s’organisent et se regroupent de façon plus efficace qu’aujourd’hui.

Les discours sur l’état de l’économie insulaire se focalisent, la plupart du temps, autour des secteurs de l’agriculture et du tourisme ; pourtant ceux-ci ne représentent pas les deux seules voies possibles de développement. Certaines entreprises de nouvelles technologies pourraient s’implanter en Corse. De même, l’île pourrait devenir le cadre d’activités de recherches universitaires au niveau européen et international. Un ancien préfet de Corse entendu par la commission d’enquête s’exclamait : "Il faut offrir de la hauteur. Je pense que c’est par les sommets que l’avenir se dessine, en particulier pour la jeunesse qui est, là-bas, désoeuvrée et en attente. Il faut miser sur l’intelligence, (...) un développement économique, les technologies avancées, des activités universitaires, de grandes recherches internationales valorisant les grands centres de recherche européens (...), l’Europe en Méditerranée, la politique de l’environnement, l’art de construire, l’art de vivre. "

Un ancien ministre de l’Intérieur auditionné par la commission a développé le point de vue suivant : " le problème de fond est de savoir quelles sont les perspectives de développement économique de la Corse. S’il n’y en avait pas, je ne dirais pas que je suis optimiste. Mais il y en a une et demi : le tourisme et l’informatique, qui permet la localisation d’activités intellectuelles à peu près n’importe où, en particulier dans les endroits agréables. Or, la Corse est un territoire vierge.(...) Pour ce qui est des activités intellectuelles, lorsqu’on voit ce qui se passe dans certaines régions des États-Unis - où les gens s’installent dans un endroit pour travailler parce qu’ils y sont bien - , on peut penser que la Corse a aussi un avenir : le jour où la population et les élus corses prendront conscience que la Corse peut, avec les chances que lui offre son retard historique, choisir un nouveau type de développement qui correspond à des aspirations considérables (...). Par sa proximité, s’offrent à la Corse des perspectives formidables. "


Source : Assemblée nationale. http://www.assemblee-nationale.fr