Au cours des tous prochains mois, c’est le transport maritime qui, du fait des échéances européennes, va vraisemblablement susciter les débats les plus vifs. Malgré les critiques, pas toujours fondées, du dispositif actuel, il convient de reconnaître qu’il a largement rempli ses objectifs. Il n’en demeure pas moins que les échéances communautaires devront être préparées avec attention, cette préparation passant d’abord par la poursuite du redressement de la SNCM

( LE REDRESSEMENT DE LA SNCM DOIT ETRE POURSUIVI

La SNCM, qui assure l’essentiel du transport maritime entre le continent et la Corse, traverse une phase difficile, marquée par de lourdes pertes constatées en 1995 et 1996.

Un nouveau président a été nommé en février 1998. Dans la lettre de mission qu’ils lui ont adressé, MM. Dominique Strauss-Kahn et Jean-Claude Gayssot lui assignent comme mission essentielle de faire en sorte que la SNCM " soit en mesure de concourir et de remporter l’appel d’offres communautaire, afin de poursuivre par ce moyen la mise en œuvre de la mission de service public de continuité territoriale ". Pour ce faire, ils lui confient la mission d’élaborer dans les meilleurs délais le plan d’entreprise de la société, en concertation avec les personnels et ses représentants et donc de " proposer (...) et de mettre en œuvre les conditions du redressement de la SNCM "

Ce plan d’entreprise est en cours d’élaboration et devrait être soumis au comité d’entreprise de la compagnie à la rentrée. L’ambition de ce plan est triple : être retenue à l’issue de l’appel d’offres de 2001, développer ses activités en Méditerranée et préserver l’emploi des personnels en place. Sur ce dernier point, l’amélioration de la productivité interne, qui est reconnue comme indispensable, sera recherchée sans recourir aux départs autoritaires de personnels, qu’ils soient sédentaires ou navigants.

Même en l’absence d’échéances européennes majeures, le redressement de la SNCM est impératif, une entreprise publique n’ayant pas vocation à rester durablement déficitaire. Mais, les échéances européennes le rendent encore plus pressant, puisqu’il apparaît que le temps est compté à la compagnie.

( LES ECHEANCES EUROPEENNES DOIVENT ETRE SOIGNEUSEMENT PREPAREES

Les conditions de la desserte maritime de la Corse vont être au cours des toutes prochaines années profondément bouleversées par deux échéance majeures dictées par le règlement communautaire du 7 décembre 1992 concernant l’application du principe de la libre circulation des services aux transports maritimes à l’intérieur des États membres (cabotage maritime).

La première est très proche puisque, à partir du 1er janvier 1999, les liaisons maritimes avec les îles de la Méditerranée, qui bénéficiaient depuis 1993 d’une dérogation, seront libéralisées. Cela signifie que, dès l’année prochaine, des compagnies battant pavillon communautaire pourront proposer des services entre le continent et la Corse, à condition de respecter les règles d’équipage françaises, sans pouvoir cependant prétendre à une quelconque subvention.

La seconde interviendra au 31 décembre 2001, date à laquelle les actuelles concessions de service public conclues en 1976 arriveront à expiration. Ainsi, toute compagnie battant pavillon communautaire, mais respectant les règles d’équipage françaises, pourra être candidate pour participer au service public tel qu’il sera défini par la Collectivité territoriale de Corse.

Contrairement au transport aérien, la réglementation communautaire relative à la desserte maritime des îles apparaît imprécise quant aux modalités pratiques de mise en œuvre du service public. La seule obligation impérative est qu’un État, qui souhaite conclure des contrats de service public ou se contenter d’imposer des obligations de service public, doit le faire sur des " bases non discriminatoires à l’égard de tous les armateurs communautaires ".

Le principe de mise en concurrence est donc affirmée. De toute façon, il découlerait en droit français de l’application de la loi du 29 janvier 1993 relative à la prévention de la corruption et à la transparence des procédures économiques qui impose une mise en concurrence préalable avant toute décision d’octroi d’une concession de service public.

Cette mise en concurrence n’est pas que théorique. Comme l’expliquait un responsable de la SNCM devant la commission d’enquête : " Compte tenu de l’apparition du Trans-Manche, des Européens du nord sont capables d’amener sur cette destination, pour trois ou cinq ans, des ferries largement amortis mais en très mauvais état. Ils n’auront pas l’obligation d’investir, contrairement à nous qui opérons sur une longue période. Des sociétés arrivant avec des bateaux amortis peuvent très bien travailler au coût marginal. "

L’ouverture à la concurrence pose dès lors deux problèmes qui ne sont, à ce jour, pas réglés.

( Le problème des règles d’équipage qui seront appliquées

Le premier concerne les règles d’équipage qui seront appliquées à l’éventuel armateur communautaire qui proposerait ses services. Actuellement, le règlement de 1992 prévoit que ce seront les règles de l’État d’accueil, en l’occurrence la France. Cependant, la pression des armateurs de la mer du Nord est très forte et la Commission européenne propose de revenir au droit commun du cabotage communautaire, à savoir les règles d’équipage de l’État d’immatriculation des navires, pour le transport de marchandises et pour les lignes régulières de passagers et de transbordeurs. L’enjeu est considérable puisque, dans ce dernier cas, seul un pourcentage minimum de marins communautaires pourrait être imposé. Les conditions de la concurrence auxquelles seraient soumises les compagnies françaises, obligées naturellement de respecter les règles d’équipage françaises, en seraient gravement bouleversées.

Il importe donc que le gouvernement soit attentif au déroulement de la négociation communautaire et plaide pour le maintien de la référence aux règles de l’État d’accueil.

( Le problème de la consistance du service public

Le second problème est celui de la consistance exacte du service public qui fera l’objet d’une concession à partir de 2002.

Les responsables insulaires ont réclamé, au cours des dernières années, une modification de certains articles de la loi du 13 mai 1991, revendications qui avaient reçu un accueil favorable des précédents gouvernements340 mais qui ont été abandonnées devant la pression des compagnies concessionnaires.

La principale modification demandée portait sur l’article 73 de la loi qui est interprété comme intégrant dans le service public l’intégralité des liaisons maritimes telles qu’elles figurent dans les conventions de 1976. La modification aurait eu pour objet de donner à la Collectivité territoriale de Corse une plus grande liberté dans la définition de la consistance du service public341. Dans un entretien à un journal local, M. François Piazza-Alessandrini, président de l’office des transports, expliquait ainsi " qu’il n’est pas déraisonnable de penser à l’avenir à un service correspondant à la stricte satisfaction des besoins vitaux de la communauté insulaire, les flux estivaux relevant alors de la libre concurrence342 ".

Même s’il semblerait que les dispositions législatives existantes laissent déjà à la Collectivité territoriale de Corse une grande latitude pour déterminer les lignes ou les périodes de l’année qui seront englobées dans le service public, ce choix ne serait pas neutre comme l’expliquait un responsable de la SNCM : " Il convient d’abord de connaître le contenu de l’appel d’offres. S’il s’agit d’un appel d’offres global recouvrant à la fois le fret et le transport de passager, et pour ce dernier, en toutes saisons, la société est bien placée pour l’emporter. En revanche, si, comme le souhaitent certains, il s’agit d’un appel d’offres par secteur, pour trois ou cinq ans, excluant les lignes et les périodes les plus rentables, c’est très mauvais pour nous. Il est clair qu’un certain nombre d’entreprises, ayant pour seul objectif le profit à court terme, se placeront avec des bateaux amortis. Elles écrémeront le trafic et, lorsqu’elles auront réalisé des profits, partiront. La puissance publique devra alors ensuite subventionner les lignes déficitaires. Lancer des appels d’offres ligne par ligne et période par période peut présenter un intérêt, mais à moyen terme et globalement, cela posera un problème. Nous sommes tout à fait d’accord pour être mis en concurrence, - nous sommes actuellement aiguillonnés par Corsica Ferries et cela nous fait du bien - mais si cela devait aller plus loin, si les secteurs les plus intéressants étaient exclus de la continuité territoriale, de sorte que nous ne puissions plus réaliser l’été des bénéfices nous permettant de combler les périodes creuses, cela pourrait conduire à la catastrophe. "

Dès lors, la plus grande prudence est de mise dans la détermination de ces choix fondamentaux. La Collectivité territoriale de Corse doit être consciente que le sort des compagnies maritimes aujourd’hui concessionnaires ne concerne pas que la Corse.

En effet, la SNCM est, avec 1.400 navigants, le premier employeur maritime français. Son activité - comme celle de la CMN d’ailleurs - n’est pas cantonnée à la desserte de la Corse, même si celle-ci représente une part importante de son chiffre d’affaires. Elle a aussi des retombées à l’autre extrémité des liaisons Corse-continent, c’est-à-dire en région Provence-Alpes-Côte d’Azur. Enfin, l’État, qui est son seul actionnaire, ne peut se désintéresser de sa santé financière largement tributaire de la mise en œuvre de la continuité territoriale.


Source : Assemblée nationale. http://www.assemblee-nationale.fr