Depuis le mouvement de décentralisation poussée qu’a connu la Corse, la langue corse bénéficie d’un statut particulier qui n’a pas d’équivalent sur le territoire national. Nul ne saurait de bonne foi prétendre que le système éducatif français n’a pas pris en compte les exigences de l’enseignement en langue corse. Certes, la commission d’enquête a entendu certains témoins déplorer que les cours soient parfois programmés à des horaires peu pratiques pour les élèves et les étudiants. Des aménagements horaires restent peut-être à prévoir, mais d’une manière générale, les actions entreprises pour promouvoir cet enseignement doivent être saluées et appréciées à leur juste valeur.

La période de quasi suspicion envers les langues régionales et ceux qui les parlaient est révolue. La langue corse a sans doute plus que toute autre bénéficié de cette nouvelle approche. Comme l’indique un récent rapport349 sur les langues et cultures régionales, " nos langues et cultures régionales sont aussi notre patrimoine commun (...) Aujourd’hui, la République ne respecterait pas ses propres principes si elle n’était pas attentive aux demandes, aux attentes, à la vie de ces langues et cultures qui existent sur notre territoire, en métropole comme outre-mer. "

( DEMYTHIFIER ET DYNAMISER

La commission d’enquête estime que cette question doit être traitée sans excès ni préjugés selon un principe essentiel. La République ne doit aucunement craindre la manifestation de cette identité particulière qui s’exprime à travers l’utilisation d’une langue régionale.

La commission a relevé les propos tenus devant elle par un témoin : " Il ne faut pas que la langue corse soit enfermée dans un ghetto, insérée dans quelques heures de programmes de cours par semaine pour les élèves du secondaire. Dans la rue, il est fréquent d’entendre une conversation commencer en langue corse et se poursuivre en français ou l’inverse, ce qui déplaît d’ailleurs à certains puristes de la langue corse. Je crois que nous devons vivre normalement la pratique de notre langue dans l’île et plaider pour un usage résolument mixte du français et du corse. Mais il est vrai que cette question a été " déverrouillée " il y a vingt-cinq ans seulement. "

Un des principes retenus par le rapport déjà cité de M. Bernard Poignant est ainsi défini : " La République française doit reconnaître qu’il existe sur son territoire des langues et cultures régionales auxquelles elle confère des droits par la loi ou le règlement. Celles-ci ne portent pas atteinte à l’identité nationale. Elles l’enrichissent dès lors qu’elles sont elles-mêmes cultures d’ouverture et non de repli, d’accueil et non d’exclusion. ". Le principe n°7 est ainsi rédigé : " Apprendre plusieurs langues est une richesse. Au XXIème siècle, chaque personne devra si possible connaître plusieurs langues. (...) Le bilinguisme est une richesse. Il faut déjà parler de plurilinguisme dès lors qu’une langue régionale vient s’ajouter. Et cette dernière, comme les autres, contribue au développement de l’intelligence des personnes. " Selon le principe n°9, l’État doit s’engager " à assurer la continuité d’apprentissage d’une langue régionale ".

Dans sa formulation même, ce document témoigne du véritable changement d’appréciation qui s’est progressivement opéré dans notre pays en faveur des langues régionales. Notons que le Premier ministre, M. Lionel Jospin, a chargé en juillet 1998 le juriste Guy Carcassonne d’une expertise juridique préalable à l’éventuelle signature par la France de la Charte européenne des langues régionales350.

Il faut relever que la langue corse s’est déjà vue conférer depuis plusieurs années une place reconnue et institutionnalisée au sein du système éducatif de l’île.

( LES MESURES DEJA PRISES : UN EFFORT CONSEQUENT DE LA PART DE L’EDUCATION NATIONALE

 Des efforts plus que symboliques

Désormais, un enseignement de trois heures de langue corse par semaine est proposé notamment dans les classes du secondaire. Dans un rapport établi à l’attention du ministre de l’Education nationale et de la ministre déléguée chargée de l’Enseignement scolaire, le précédent recteur de l’académie, M. Bornancin, notait : " l’engagement de l’État à la demande de la CTC d’offrir, dans le primaire et le secondaire, 3 heures d’enseignement de langue corse aux familles qui le demandent, est réalisé dans le second degré. Des freins existent par manque d’engagement de responsables à divers niveaux hiérarchiques de l’institution (chefs d’établissements, inspecteurs de l’Education nationale, conseillers pédagogiques, directeurs d’écoles). Des difficultés sont présentes dans le premier degré dans la mesure où cette discipline ne peut être imposée aux enseignants, que certains d’entre eux ne sont pas corsophones, et que d’autres n’osent enseigner une discipline qu’ils ne maîtrisent pas complètement. Pour la première fois, au mouvement 1997 des instituteurs et professeurs des écoles, des postes ont été étiquetés postes bilingues et attribués en fonction de la capacité des postulants à pratiquer l’enseignement bilingue, indépendamment de tout barème de mutation. Dans le second degré si l’offre est faite, les effectifs ne sont pas à la mesure des moyens que l’État a mis à la disposition de l’académie dans le cadre de l’accord entre la Collectivité territoriale et l’État ".

Le 27 mars 1996, le gouvernement de M. Alain Juppé annonçait plusieurs mesures d’importance : l’ouverture de plusieurs sites bilingues, la prise en compte de la préparation à l’enseignement du corse en formation initiale, le renforcement des moyens en formation continue, la généralisation des sections méditerranéennes du second degré. Créées en 1994, celles-ci permettent aux élèves du secondaire d’étudier à la fois le corse, le latin et une autre langue romane, comme l’espagnol ou l’italien. Ces sections sont implantées au collège du Finsello à Ajaccio (classes de 6ème, 5ème, 4ème et 3ème), au collège de Sartène (6ème, 5ème et 4ème) et au collège de Casinac (6ème). Quant aux " parcours langues romanes ", ils concernent des élèves choisissant le corse, le latin et une langue romane en langue vivante 1 ou 2.

Notons, en outre, qu’à l’université, le cursus des études corses est complet du DEUG aux thèses de doctorat. Le corse est obligatoirement présent dans toutes les filières : 1 heure ou 1 heure 30 par semaine sont en général prévues.

L’enseignement est désormais offert dans tous les établissements secondaires sans exception grâce à une dotation de 83 postes (rentrée 1998). En 1997, il y avait 73 professeurs certifiés en langue corse n’enseignant que cette discipline, ainsi que des professeurs et des maîtres de conférence en langue corse à l’université de Corte. Chaque année, l’État dépense environ 28 millions de francs pour cet enseignement. Sept sessions de CAPES ont déjà eu lieu, et en 1998, 80 professeurs furent ainsi recrutés. Ce CAPES, tout à fait spécifique, constitue une section à part, distincte de l’ensemble des " langues régionales ". La commission d’enquête considère que son existence même a marqué la reconnaissance officielle de la langue corse et permet de garantir la qualité de son enseignement.

 Des résultats satisfaisants

Le nombre des élèves concernés par cet enseignement est significatif.

Dans le rapport d’étape sur les langues régionales qu’elle remit au Premier ministre en février 1998, Mme Nicole Péry avait relevé que les enseignements en langue corse (soit un enseignement bilingue, soit des cours d’apprentissage ou de sensibilisation) touchaient 85 % des élèves de l’enseignement primaire.

Dans l’enseignement secondaire public, le corse dispose d’horaires définis et de professeurs spécialisés. Depuis 1982, la progression a été forte : 1485 élèves étaient concernés en 1982-1983, 3319 en 1986-1987, 5905 en 1997-1998. Les effectifs apparaissent donc en forte hausse sur l’ensemble de la période, avec une stabilisation sur les deux dernières années scolaires.

A l’heure actuelle, 45 % des élèves environ étudient le corse en classes de 6ème et de 5ème. La proportion diminue ensuite, à mesure qu’intervient la concurrence avec d’autres options, avec une légère remontée en terminale lors de la préparation du baccalauréat. Au baccalauréat, un tiers des candidats environ (433 en 1997) passe une épreuve de corse en langue vivante obligatoire à l’écrit ou à l’oral, ou en option facultative. Depuis un arrêté de juin 1991, les candidats aux BEP et CAP peuvent aussi se soumettre à une épreuve facultative de corse. Le corse fait également l’objet d’une épreuve facultative au B.T.S.

( UN PARADOXE : UNE LANGUE DE MOINS EN MOINS PARLEE AU QUOTIDIEN ET DE PLUS EN PLUS SOUTENUE DANS LE SYSTEME EDUCATIF

Il est paradoxal de constater que le bilinguisme naturel (c’est-à-dire la pratique de la langue à la maison du corse et du français) a beaucoup diminué, tandis que les efforts pour diffuser la langue corse à l’école n’ont jamais été aussi importants. La pratique quotidienne de celle-ci a reculé nettement : 60 % environ de la population corse parle cette langue contre 80 % en 1977. A cet égard, certains observateurs font aujourd’hui valoir que le rôle de l’Education nationale ne peut être un rôle de conservatoire.

La commission d’enquête a, lors de ses travaux, relevé que, curieusement, il y avait peu ou pas d’associations en faveur de la langue corse dans l’île, alors que les regroupements sont plus nombreux ou paraissent plus mobilisés et motivés dans des régions comme le pays basque ou la Bretagne. Il semble que plus les mesures prévues en faveur de l’enseignement du corse sont conséquentes et lourdes à mettre en place, moins les Corses dans leur ensemble se mobilisent, au quotidien, pour faire vivre et développer la connaissance de leur langue, son expression et son développement.

( UNE PISTE A EXPLORER : DEVELOPPER L’ENSEIGNEMENT DE LA LANGUE CORSE EN PRIORITE DANS LES CLASSES PRIMAIRES

La commission d’enquête a acquis la conviction que l’enseignement de la langue corse gagnerait à être renforcé dès les classes de primaire, ce qui présenterait plusieurs avantages. D’une part, un apprentissage plus systématique débutant dans les classes primaires permettrait de donner aux élèves des bases solides dès leur plus jeune âge. D’autre part, du fait de la concentration des efforts sur le secondaire, ceux des élèves qui s’inscrivent à ces cours sont la plupart du temps sensibilisés de par leur environnement familial à la question de la langue. Selon un témoin entendu par la commission, ces élèves sont " déjà familialement mobilisés, alors que d’autres qui le sont moins ne vont pas nécessairement faire la démarche de suivre ces cours, ce qui est dommage ". Focaliser les efforts sur les élèves moins âgés permettrait de rendre cet enseignement plus accessible à tous dans les faits et constituerait une liberté laissée aux familles et aux jeunes de s’initier à la langue corse. Les jeunes pourraient ainsi en comprendre rapidement les rudiments. Une fois cet investissement réalisé, seuls ceux qui, pour d’autres raisons, souhaitent approfondir leurs connaissances, pourraient continuer à bénéficier d’un enseignement de qualité dans le secondaire et à l’université de Corte. Mais la commission préconise qu’en aucun cas, cet enseignement ne revête un caractère obligatoire. Celui-ci doit se concevoir comme une opportunité offerte à tous ceux qui le souhaitent, et non comme un apprentissage contraignant.


Source : Assemblée nationale. http://www.assemblee-nationale.fr